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BURKINA FASO : Élections entre insécurité, acquis de l’insurrection et bilan contesté

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Les élections récentes au Mali, en Guinée et en Côte d’Ivoire ont démontré les graves crises démocratiques que vivent ces pays. Celles qui s’annoncent au Burkina semblent s’annoncer sous de meilleurs auspices, malgré une grave insécurité. On en guettera les prémices d’un nécessaire renouvellement politique.

Alors que les processus électoraux dans nombre de pays voisin, Mali, Guinée, Côte d’Ivoire, Togo, sont souvent contestés parfois très violemment, soit parce que le président en place se présente pour un troisième mandat, soit parce que les résultats sont contestés, le Burkina tranche par la relative sérénité, certains diraient inconscience, de la campagne électorale.

Acquis de l’insurrection.

L’insurrection et la transitioni sont passées par là. Plus question de 3eme mandat. Et pour cause ! Blaise Compaoré en était à sa 27ème année de pouvoir lorsqu’il a voulu solliciter un mandat supplémentaire. Il avait déjà modifié deux fois la constitution. Chassé en octobre 2014 par un peuple à bout (voir https://blogs.mediapart.fr/bruno-jaffre/blog/billets_blog?page=6) , il a été exfiltré vers la Côte d’Ivoire par les troupes françaises du Commandement des opérations spéciales. Une humiliation.

Bien sûr, plusieurs de ses anciens proches, notamment le président actuel Roch Marc Christian Kaboré, qui avait occupé tous les postes ou Simon Compaoré, autre dignitaire du régime de Blaise Compaoré sont encore au pouvoir. Le premier comme président le deuxième comme chef du parti du président. Ils ont su le lâcher juste à temps, un an avant l’insurrection. Ils sont de toute façon en fin de carrière politique. Cette semi continuité est loin de répondre aux exigences des insurgésii, mais au regard de ce qui se passe dans les pays voisin, le processus électoral Burkina fait jusqu’ici plutôt bonne figure.

Le parti au pouvoir a su négocier avec plusieurs partis dans l’opposition de Blaise Compaoré et les intégrer dans la majorité présidentielle. Son objectif que Roch Marc Christian Kaboré soit élu au premier tour, comme en 2015.

Quelques acquis de l’insurrection ont permis de calmer le processus électoral. Par exemple la président de la CENI (Commission électorale nationale indépendante), n’est autre que Newton Ahmed Barry, ancien journaliste d’investigation au sein d’un des journaux indépendants les plus respectés, l’Evènement. Il n’a pas eu le poste de Président qu’il espérait durant la Transition. Habilement, il a été plus tard proposé à la CENI, un poste qu’il accepte, bien que sachant les obstacles qu’il va devoir affronter. Il tient à cœur de prouver sa rigueur, sa bonne volonté et son intégrité et apparaît peu critiqué.

De très nombreuses associations de la société civile, très largement subventionnées, s’engagent dans la surveillance du processus électoral, comme lors des dernières élections en 2015. La plus importante d’entre elles la CODEL (Convention des Organisations de la société civile pour l’Observation Domestique des Élections), regroupe de très nombreuses association. Elle est dirigée par Halidou Ouedraogo, juriste, fondateur du MBDHP (Mouvement burkinabè des droits humains), leader de la société civile en pointe au moment de l’affaire Norbert Zongoiii. La CODEL va déployer quelques 3800 observateurs lors des élections, aux côtés d’autres observateurs internationaux issus de l’Union européenne, l’Union africaine, la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest), la Communauté des États sahélo-sahariens. Le CODEL va bénéficier d’une subvention de 231 millions FCFA de la part de la France, qui ne sera pas l’unique pays donateuriv.

Une récente modification du code électoral adopté durant la transition stipule : « Les pratiques publicitaires à caractère politique, l’offre de tissus, de tee-shirts, de stylos, de porte-clefs, de calendriers et autres objets de visibilité à l’effigie des candidats ou symbole des partis, ainsi que leur port et leur usage, les dons et les libéralités ou les faveurs administratives faits à un individu, à une commune ou à une collectivité quelconque de citoyens, à des fins de propagande, pouvant influencer ou tenter d’influencer le vote, sont interdits quatre vingt-dix jours avant tout scrutin. »v On observe que ce genre de pratique a fortement diminué. Plus de tee-shirts en effet en faveur de tel ou tel candidat, bien que plusieurs partis tentent de la contourner en distribuant des tee-shirts aux couleurs de leurs partis. Les journaux et médias nationaux semblent s’efforcer de couvrir à égalité la couverture de la campagne électorale des uns et des autres pour les présidentielles, mais l’exercice paraît difficile pour les législatives devant la pléthore de candidats.

Un gouffre financier, pléthore de candidats et faible proportions d’inscrits.

Des élections particulièrement coûteuses. Ahmed Barry chiffre le coût des élections à quelques 100 milliards de francs CFA [152 millions d’euros] précisant : « Le gouvernement n’a pu contribuer qu’à hauteur de 52 milliards, pour un budget de 2 233 milliards de FCFA en 2019. Le reste des financements vient de partenaires », ajoutant à regret « Le problème des élections en Afrique, c’est que nos États n’arrivent pas à les financer. Il s’agit de la huitième élection que nous organisons depuis 1990, il n’est plus possible de compter chaque fois sur l’aide extérieure… La seule constitution du fichier électoral engloutit 40 % du budget » ! ((voir https://www.jeuneafrique.com/1073246/politique/burkina-newton-ahmed-barry-la-securite-est-une-preoccupation-majeure-de-ces-elections/).  Des voix d’origines diverses se sont élevés pour se demander si les élections devaient se tenir, évoquant la priorité à donner au rétablissement de la sécurité et de l’intégrité territoriale, mais les partis politiques sont unanimes arguant de l’argument démocratique.

Un corps électoral amputé

De tout temps, les Burkinabè ne se pressent pas pour aller voter.

Finalement 2 370 000 nouveaux électeurs sont été inscrits sur les listes, « bien moins qu’attendu » selon M. Barry dont on peut louer la franchise. Le fichier électoral compte désormais officiellement près de 6,5 millions d’inscrits alors que, selon les projections a de l’Institut national de la démographie et de la statistique, le Burkina devrait avoir 10 millions d’électeurs aujourd’hui. A titre de comparaison le Burkina en comptait 5 517 000 en 2015 pour 17 millions d’habitants, 3 234 246 en 2010 et 3 924 328 en 2005. On note donc une plus grande augmentation entre 2010 et 2015, il s’agissait des premières élections après l’insurrection, qu’entre 2015 et aujourd’hui. Quant aux inscriptions de la diaspora, la déception est grande. Autorisés pour la première à voter à l’extérieur, à peine plus de 23000 Burkinabè, se sont inscrits.

Le 22 novembre se dérouleront les élections présidentielles et législatives dans plus de 21155 bureaux de vote. Pour les premières, quelques 13 candidats ont été validés parmi les 23 prétendants, dont une femme. Alors que près de 10652 candidats issus de plus de 80 partis briguent les 127 mandats de députés. Autant de coûts supplémentaires qui viennent grever les maigres ressources du Burkina Faso, classés 220ème sur 228 dans le classement 2018 de l’IDH (indice de développement humain). 111 sièges sont répartis dans 45 circonscriptions disposant de deux à neuf sièges, tandis que les 16 autres sont élus sur les listes nationales.

L’insécurité en recul mais préoccupante pour des élections.

Nous l’avons déjà dit, les habitants de Ouagadougou vivent dans une petit bulle. Aucune inquiétude dans la ville bien que pourtant les mauvaises nouvelles du nord et de l’est du pays parviennent régulièrement.

En parcourant le dossier «attaques terroristes » du site faso.net voir https://lefaso.net/spip.php?rubrique459, qui énumèrent les attaques qui parviennent à la rédaction, la baisse apparaît sensible par rapport à ce que nous écrivions lors de mon article en février 2020 (voir https://blogs.mediapart.fr/bruno-jaffre/blog/120220/burkina-instantanes-d-un-pays-en-guerre). Des échos que je reçois du Burkina, les voyages d’une région à l’autre sur les grands axes apparaissent moins dangereux. Les communiqués de l’armée font état d’interventions pour sécuriser des territoires et accompagner le retour de réfugiés ou rouvrir des écoles. Ils ne suffisent pas à se faire une idée quantitative sur un éventuel recul de l’insécurité, mais ils permettent surtout de percevoir que l’armée a largement amélioré en quantité ses capacités opérationnelles dans les airs, hélicoptères et avions. Après les premières attaques, les commentateurs locaux se plaignaient de la méfiance du pouvoir envers l’armée et de son refus de nommer des militaires comme ministres par la peur du coup d’État, pour expliquer son manque d’empressement à recruter ou à la doter d’armements plus efficaces. Ces appréhensions semblent derrière. L’armée aurait recruté de nouveaux soldats, entre 1500 et 2000 en 2019 et 2020.

Mais l’insécurité demeure, diffuse, grave, sur une bonne partie du territoire. Il est fait état d’un million de déplacés et d’environ 2500 écoles fermées concernant quelques 300000 enfants.

Le 11 novembre une nouvelle vient pourtant contredire l’idée d’une relative accalmie. Quatorze militaires ont été tués dans une embuscade dans le nord du pays, alors que les assaillants laissaient 12 hommes. Cette dernière attaque, revendiquée par l’État islamique, a pourtant bien de quoi inquiéter à l’approche des élections ! Alors que jusqu’ici, les terroristes s’en prenaient essentiellement à des civils, très rarement à des convois militaires, et n’étaient pas revendiquées.

En juillet 2020, des parlementaires effectuent une tournée dans le pays. A leur retour, à l’issue de la présentation de leur rapport, l’Assemblée nationale, réunie à huis clos le 6 juillet, adopte à l’unanimité une résolution demandant le report des élections législatives en 2021 tout en maintenant les présidentielles en novembre. Des régions sont inaccessibles. Le rapport n’est pas publié, mais la presse rapporte que « 52 députés sur 127 ne pourraient pas battre campagne », (voir https://lefaso.net/spip.php?article97919). Peine perdue, tout rentre dans l’ordre lorsque tous les partis dont les députés sont pourtant membres les désavouent. Les élections auront lieu à la date prévue. On remarque d’ailleurs au vue de la publication de listes de candidats que l’Assemblée nationale devrait être considérablement renouvelée.

Là-dessus les inquiétudes augmentent quant au développement de milices d’autodéfense, souvent à la composition ethnique, alors que déjà, les violences des Kolwéogo, milices traditionnelles anciennes ont été pointées pour certaines exactions. Et le corps des volontaires de défense nationale, créé à l’initiative de l’État, à composition locale, sous la coupe de l’armée a déjà donné lieu à des dénonciations de violence dans la presse. Mais alors qu’au début des attaques terroristes, on ne lisait que glorification des forces armées, depuis quelques temps, quelques médias osent reprendre de telles informations publiant parfois des témoignages ou des enquêtes/.

Pour tenter néanmoins de faire face au défi sécuritaire, l’Assemblée a modifié en août dernier un changement du code électoral. Dans les endroits où l’enrôlement sur les listes électorales n’a pu avoir lieu, on se basera sur les anciennes listes. Et là où les élections ne pourront avoir lieu, on prendra en compte les résultats dans les parties de la circonscription qui n’ont pas été affectées par les événements. S’en est ensuivi un tollé de protestations mais la disposition est restée.

Et selon les chiffres de la CENI, « environ 50 000 membres des forces de sécurité doivent être mobilisés le jour du scrutin, selon ses chiffres »vi.

Dans l’interview évoquée ci-dessus, M. Newton Ahmed Barry, président de la CENI, au plus près des réalités pour avoir dû organiser les enrôlements, rend compte des difficultés : « Sur les 70 % du territoire où il n’y a pas de souci et sur les 20 % où la sécurité est un peu préoccupante, nous devrions pouvoir tenir les scrutins sans grosses difficultés. Par contre, les « zones rouges », qui représentent 10 % du territoire, nécessitent beaucoup de dispositions. Certains bureaux ne pourront probablement pas ouvrir si certains villages n’existent plus, si les populations les ont quittés, ou si ceux-ci sont difficiles d’accès à cause par exemple de routes minées. »

Questionnées sur les personnes déplacées, il explique : « Pour nous, il n’y a pas de vote de personnes déplacées. On les considère tout simplement comme ayant changé de résidence. Au Burkina, la majorité des déplacements se font dans la même circonscription. Quand un village est attaqué par des terroristes, les populations se déplacent dans un premier temps vers le chef-lieu de la commune la plus proche. Lorsque cette commune aussi est menacée, ils viennent dans le chef-lieu de la province. Très souvent, ils ne quittent pas la province. »

De son côté, le Conseil constitutionnel, sollicité par le Président, a constaté « l’existence de cas de force majeure » dans six régions du pays, empêchant ainsi, l’enrôlement des électeurs dans le cadre des élections couplées du 22 novembre 2020 dans ces dites régions » ce qui représente « 17,70% du taux de couverture  » ( voir https://www.burkina24.com/2020/10/31/burkina-faso-le-conseil-constitutionnel-constate-la-force-majeure-dans-plus-de-17-du-territoire/) .

Si pour l’instant chaque candidat est totalement investi dans la campagne, on peut imaginer que les obstacles sécuritaires pour alimenter les contestations des résultats de ceux qui seront déçus de leurs scores. De ce point de vue, Zéphirin Diabré, à l’image de Donald Trump, a déjà évoqué des fraudes en affirmant : « Ça, il faut qu’on fasse attention parce que nous sentons qu’on veut corrompre nos éléments qui sont dans les bureaux de vote pour la surveillance électorale » (voir https://www.wakatsera.com/presidentielle-2020-le-leader-de-lopposition-burkinabe-craint-une-fraude ). Comme si, à l’image de Donald Trump, il se prépare à sa défaite…

Roch Marc Christian Kaboré face son bilan

Le président sortant a cultivé une image de quelqu’un qui évite les affrontements, se donnant une image assez paternelle, facilitée en cela par son âge. Certains lui reprochent de céder un peu facilement aux revendications des syndicats au regard du grave sous-équipement de l’armée dans un pays en guerre. Par exemple, les salaires des enseignants des universités, il est vrai très mal payés jusqu’ici, ont augmenté de près de 70% !

On se rappelle qu’en 2015, le MPP (mouvement du peuple pour le progrès), créé par des anciens du CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès, le parti Blaise Compaoré), avait réussi à construire une majorité parlementaire en agrégeant autour de lui, d’autres partis historiquement opposés à Blaise Compaoré :

  • l’UNIR PS (Union pour la renaissance, parti sankariste) de Bénéwendé Sankara (6,3% entre 10 et 2015),
  • le PDS (parti pour la démocratie sociale) de feu l’historique et très populaire Arba Diallo (8,2% en 2010, décédé avant les élections de 2014) bien ancré dans le Sahel ou
  • le PAREN (parti pour la renaissance nationale) de Laurent Bado, dont le candidat en 2015, Tahirou Barry (3,1%) a depuis démissionné du gouvernement et de son parti pour créer le sien. Ces trois partis se sont rangés dès le premier tour derrière Roch Marc Christian Kaboré ce qui n’était pas le cas en 2015. Ils ne sont pas seuls. Bien d’autres petits partis ont fait de même.

Le président actuel est redevable de son bilan. Il a commencé la campagne un peu avant les autres, en inaugurant des réalisations du PNDES (Plan National de développement économique et social). Pourtant ce plan accuse un certain retard et pas uniquement à cause de l’insécurité. Des critiques font état de déficience de l’État. Ainsi sur les 15 395,4 milliards de coûts du PNDES, l’État n’a pu mobiliser que 5 939,7 milliards et les partenaires 4 013,6 milliards. Ainsi en tout, seul 64,7% ont pu être mobilisés (https://lefaso.net/spip.php?article100632). S’il a donc quelques réalisations à son actif il doit surtout affronter la déception après l’énorme attente sociale, qui accompagnait l’insurrection.

La justice était une autre des revendications de premier plan. Force est de reconnaître qu’elle est toujours aussi lente. Aucune épuration n’a vraiment eu lieu au sein de l’appareil judiciaire qui pour l’essentiel reste le même que sous le régime de Blaise Compaoré. Très peu de procès se sont ouverts contre la corruption et les détournements de fond.

Marius Luc Ibriga, un des leaders de la société civile, promu à la tête de l’Autorité supérieure de contrôle de l’État et de lutte contre la corruption (ASCE-LC), a multiplié les rapports, tout en s’inquiétant régulièrement que les procédures judiciaires ne suivaient pas. Ces lenteurs ne sont-elles pas surtout dues à la persistance de la corruption dénoncée sans relâche dans les journaux ? La question paraît légitime. Certains dirigeants actuels, le président actuel, comme sans doute le président du MPP Simon Compaoré, tous deux issus du CDP, comme de nombreux ex-membres de ce parti qui les ont suivis, ont très probablement bénéficié du système de prédation mis en place aux côtés du clan Compaoré que des procès publics pourraient mettre à jour.

Signalons cependant parmi les acquis, le procès des auteurs du putsch de 2015 qui voulaient renverser la Transition. Il était, il est vrai, difficile de s’en affranchir tant la demande était forte dans le pays. Il en est de même du procès qui est annoncé pour début 2021 sur l’assassinat de Thomas Sankara et des personnes assassinées avec lui. Le retard apparaît clairement aujourd’hui à mettre au compte de la France qui n’a toujours pas transmis un troisième lot de documents promis ((voir https://blogs.mediapart.fr/bruno-jaffre/blog/191020/affaire-sankara-ca-avance-au-burkina-ca-traine-en-france).

Roch Marc Christian Kaboré promet de finaliser la réconciliation, une fois élu. Il s’agit de la revendication centrale du CDP, le parti de Blaise Compaoré. Selon lui, tous les opposants peuvent rentrer mais ceux qui sont poursuivis devront répondre devant la justice. Cette ambiguïté d’un homme qui a certainement été très proche de Blaise Compaoré, ne peut qu’inquiéter les anciens insurgés à qui l’on doit le regain de démocratie que l’on peut constater aujourd’hui.

Avec le soutien de l’UNIR PS, et le marche pied qu’ont fait les initiateurs du mémorial Thomas Sankara, cet ancien proche de Blaise Compaoré, semble vouloir se purifier en champion de la réhabilitation de Thomas Sankara. « Roch Kaboré a réhabilité Thomas Sankara sur tous les plans, la réconciliation est en marche » déclare Bénéwendé Sankara (voir https://lefaso.net/spip.php?article100069).

« Grand patriote déterminé, Roch Kaboré est une icône qui s’inspire de l’idéal de Thomas Sankara qu’il a contribué à réhabiliter par les actes et non par les mots, au regard de son engagement sans cesse renouvelé pour la transition de notre pays vers un développement endogène » ajoute Harouna Kaboré (voir https://netafrique.net/presidentielle-2020-le-ministre-harouna-kabore-lance-the-roch-label/).

Les initiateurs du Mémorial faisaient mine de refuser toute réhabilitation politique. Lors de la dernière commémoration du 15 octobre, Roch Marc Christian est venu, seul, déposer une gerbe devant la statue de Thomas Sankara. Sous couvert de la « nécessité » de l’implication de l’État dans le projet, ce sont donc les dignitaires de Blaise Compaoré qui viennent se faire réhabiliter. Thomas Sankara est pourtant bien l’exemple même de la simplicité, du refus des basses compromissions, du refus pour son pays des dépenses dispendieuses de l’État et pour lui-même de vivre au-dessus de ses moyens. Pourtant le nouveau projet du mémorial se monterait désormais entre 30 et 35 milliards selon le nouvel architecte en chef du projet Francis Kérévii.

Quant à Roch Marc Christian Kaboré, on attend toujours ses explications sur son attitude au lendemain du 15 octobre 1987. S’il a mauvaise conscience il aurait dû s’excuser publiquement depuis longtemps.

L’opposition dispersée

Face au sortant se présentent certains ténors de l’opposition :

  • Zéphirin Diabré (29,6% en 2015) le représentant de la voie la plus libérale, sans doute le challenger le plus important,
  • Gilbert Noël Ouedraogo dirigeant du RDA (Rassemblement démocratique africain), déconsidéré depuis que les députés de son parti ont reçu de l’argent en 2014 pour voter la changement constitutionnel,
  • Ablassé Ouedraogo (1,93% en 2015), ministre de Blaise Compaoré jusqu’en 1999, ancien dirigeant de l’Organisation mondiale du commerce, qui ne devrait faire que de la figuration comme en 2015,
  • Eddie KOMBOIGO le leader du CDP qui s’est longuement déchiré avant de trouver son candidat et dont les réseaux puissants qui quadrillaient le pays lors des élections sont pour la plupart passés au MPP, et
  • Désiré Kadré Ouedrago, ancien premier ministre de Blaise Compaoré, qui a vainement tenté d’être adoubé par le CDP. Ce dernier, visiblement dans scrupule, présente de nombreux anciens dignitaires du régime de Blaise Compaoré comme tête de liste, un signe qu’il a du mal à se renouveler.

La candidature d’Issac Zida, l’ancien premier ministre de la Transition (voir https://blogs.mediapart.fr/bruno-jaffre/blog/241214/burkina-la-transition-est-en-place-de-nombreux-problemes-en-suspens), a finalement été validée. Réfugié au Canada, il est pourtant poursuivi pour désertion. Il a depuis démissionné de l’armée. Il doit répondre à la justice dans le cadre de l’enquête sur la répression pendant l’insurrection en tant que chef des opérations de l’ex régiment de la sécurité présidentielle (RSP). Un parti, le MPS (Mouvement patriotique pour le salut), se réclame de lui. Il bénéficie d’une certaine popularité, parmi la jeunesse, pour avoir tenté de s’opposer au RSP, une fois premier ministre, et pour avoir soutenu financièrement plusieurs associations.

D’autres candidats se présentent. Mais ils ne devraient pas engranger de nombreuses voix. Signalons Tahirou Barry, une des personnalités en vue durant l’insurrection, ministre de la culture dans le premier gouvernement dont il a démissionné assez rapidement après avoir lancé le projet du Mémorial, laissant ceux qui l’ont suivi quelque peu décontenancés. Difficile de ne pas y voir une manœuvre politicienne. Il a été interpellé pour avoir donné de l’argent à plusieurs artistes, s’affranchissant des procédures mises en place au sein du ministère de la culture. Mais contrairement à 2015, d’autres candidats vont lui disputer les 8% d’électeurs qu’il avait eus en 2015.

Ambroise Sankara, pourrait représenter le renouveau du sankarisme. Avocat dans le dossier Sankara, il a quitté le parti de Bénéwendé Sankara pour créer le sien, l’Organisation des peuples africains-Burkina Faso (OPA-BF) diffusant un discours révolutionnaire. Mais son manque criant de moyens risque de le pénaliser.

L’institut de recherche indépendant Free Afrik, qui fait autorité en matière d’économie, dirigé par Seydou Ra-Sablga Ouedraogoviii, publie une étude des coûts et financements dans les programmes des candidats au présidentiels. La conclusion est sans appel : « L’examen des programmes des candidats aux élections présidentielles de 2020 montre des différences dans la précision des incidences budgétaires, la majorité des documents (8) ne comportant pas d’estimations consolidées des coûts pendant que certains (5) offrent des budgets. De façon globale, la faisabilité des programmes est dans la plupart des cas douteuse et leur crédibilité entachée par la faiblesse de la budgétisation et l’inconsistance des plans de financements qui n’existent pas pour la majorité des candidats. » Avec quelques précisions dans le corps du document : « Le financement sectoriel des programmes n’est indiqué de « façon systématique dans aucun programme …  Il est étonnant et déplorable que les deux partis qui ont gouverné le pays les années passées (CDP et MPP) ne sortent pas du lot, bien au contraire, leur programme n’est pas chiffré. » ((voir https://free-afrik.org/couts-et-financements-des-programmes-des-candidats-aux-presidentielles-2020-des-faiblesses-et-limites-importantes/ ).

Un espoir de renouvellement de l’offre politique ?

S’il y a peu d’espoir d’un véritable changement à attendre des présidentielles, c’est dans les législatives qu’apparaît un espoir de renouvellement du personnel politique.

Deux formations, ont été créées récemment, le MPS (Mouvement patriotique pour le salut) et le MAS (Mouvement soleil d’avenir) par d’anciennes personnalités de la société civile, qui ont collaboré avec Issac Zida, dès le lendemain de l’insurrection. Ils se mettent à son service, alors qu’il a pris fait et cause pour les insurgés, se proclamant président, au plus fort de la mise en place de la Transition.

Augustin Loada qui dirige la première, enseignant, a écrit de nombreux articles prônant la démocratisation du Burkina Faso. Engagé dans la société civile sous Blaise Compaoré, il est choisi comme ministre de la fonction publique pendant la transition. C’est son parti qui fait campagne pour Issac Zida. On note la présence à ses côtés, comme responsable à la jeunesse, d’Hervé Ouattara, personnalité importante de l’insurrection comme leader du CAR (comité anti référendum).

Abdoulaye Soma, le président du MAS, que certains présentent comme « le meilleur constitutionnaliste du Burkina » était devenu conseiller spécial de Zida lorsqu’il était premier ministre. Il affirme cependant qu’il a collaboré avec lui « pour nécessité de la République … et que ce n’était que des relations professionnelles » (voir http://lepays.bf/pr-abdoulaye-soma-president-du-soleil-davenir-je-veux-conquerir-la-presidence-du-faso/).

Si Augustin Loada a pu rassembler des militants notamment parmi les anciens étudiants, où les amis d’Hervé Ouattaraix, il semble que ce soit plus difficile pour Abdoulaye Soma.

Ces deux personnalités entrées en politique après l’insurrection, peuvent représenter aux yeux de certains électeurs un certain renouvellement, encore faut-il qu’ils engrangent suffisamment de suffrage.

D’autres partis se réclamant du sankarisme se présentent aux législatives, notamment le PUR (Progressistes unis pour le renouveau) qui a récupérer deux députés sortant transfuges de l’UNIR PS, dont Alexandre Sankara qui a bénéficié d’une certaine couverture médiatique.

SENS Servir et non se servir

La surprise est venue de Guy Hervé Kamx, avocat, ancien dirigeant du syndicat des magistrats sous Blaise Compaoré et porte-parole du Balai citoyen, responsabilité dont il avait démissionné en août 2019.

La création du SENS (Servir et non se servir) est annoncée en août 2020. Se réclamant de Thomas Sankara, il se proclame un « mouvement politique dont l’ambition est de tracer une ligne de rupture avec la mal-gouvernance, un mouvement politique qui consacre la noblesse de servir la Patrie et Peuple », il s’agit pour les militants de « dire non au fatalisme, au monopole du jeu politique par une classe politique affairiste, cleptomane et démagogique », le SENS s’appuie résolument sur la jeunesse.

Il met en avant une jeune femme de 23 ans, Samiratou Ouédraogo, première sur la liste nationale. Elle a bénéficié d’un des programmes du Balai citoyen consistant à proposer à des jeunes d’accompagner des députés, comme attachés parlementaires, afin de découvrir les rouages de la politique. Il semble que d’autres candidats du SENS ont bénéficié de la même expérience.

Que le balai citoyen, passé de la rébellion à la veille citoyenne, serve à former une nouvelle génération, intègre et créatrice, qui aspire à faire de la politique autrement est sans doute une des meilleures réussites de ce mouvement. Le Burkina a en effet bien besoin d’un renouvellement politique et la jeunesse d’être représentée et responsabilisée. On ne peut qu’espérer les résultats de ces élections vont en donner le signal.

Bruno Jaffré

Notes

i Voir notre ouvrage l’insurrection inachevée Burkina 2014, dont on trouvera une présentation à http://www.thomassankara.net/linsurrection-inachevee-burkina-faso-2014-un-livre-de-bruno-jaffre/), qui relate en détail cette insurrection et la transition qui a suivi et qui contient plusieurs portraits de candidats aux présidentielles et au législatives.

ii D’où le titre de mon dernier ouvrage L’insurrection inachevée Burkina 2014, Syllepse, 2019

iii L’assassinat de ce journaliste le 13 décembre 1998 avait sonné le réveil du peuple burkinabè contre le régime de Blaise Compaoré.

iv Voir https://bf.ambafrance.org/Appui-a-l-observation-citoyenne-des-elections-2020-au-Burkina-Faso-un-projet-de

v Voir notre ouvrage l’Insurrection inachevée Burkina 2014, Syllepse, 2019 p. 241.

vi Voir https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/11/18/elections-au-burkina-faso-en-zone-rouge-une-campagne-sous-le-signe-de-la-menace-terroriste

vii Voir https://www.radarsburkina.net/index.php/fr/politique/2408-projet-de-memorial-thomas-sankara-il-faudra-30-a-35-milliards-f-cfa-si-reellement-on-veut-celebrer-la-memoire-de-thomas-sankara-francis-kere-chef-de-file-du-pool-des-architectes

viii On trouvera son portrait dans L’insurrection inachevée Burkina 2014, Syllepse, 2019, ainsi que celui de Zéphirin Diabré

ix Idem

x Idem. On y trouvera aussi le portrait d’Abdoulaye Diallo, tête de liste dans le Kadiogo, la région de Ouagadougou.

https://blogs.mediapart.fr/bruno-jaffre/blog/191120/elections-au-burkina-entre-insecurite-acquis-de-linsurrection-et-bilan-conteste

 

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