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COTE d’IVOIRE : Le scenario à la «Joseph Kabila » n’aura pas lieu

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A cinq mois des élections présidentielles en Côte d’Ivoire, les partisans disciplinés du président Alassane Ouattara, habitués de voir leur champion triompher sur ses adversaires politiques depuis 1999, sont sereins et continuent de lui faire confiance. Ils ne s’aperçoivent encore pas que ce dernier se retrouve aujourd’hui en grande difficulté dans cette situation préélectorale tendue.

Pour rappel, l’élection non-compétitive de 1995 et l’absence du scrutin de 2005, ont respectivement engendré les débordements lors des scrutins présidentiels de 2000 et de 2010. Le président Bédié élu sans adversaire en 1995, fut renversé par un coup d’état militaire à un an du scrutin présidentiel. Tout récemment, le président Laurent Gbagbo, resté en fonction après 2005, du fait de la crise militaro-politique, est déchu de son pouvoir à la suite d’une crise postélectorale sanglante.

Dans le but de conserver le pouvoir à l’issue du scrutin de 2020, le président sortant a élaboré plusieurs stratégies pour éviter les troubles, s’inspirant de la « stratégie des grands électeurs » de son homologue Joseph Kabila.

L’ancien président de la RDC a en effet réussi à demeurer au pouvoir par « glissements » successifs malgré l’expiration de son dernier mandat présidentiel, avant d’« offrir » de façon magistrale, une première alternance pacifique de l’histoire de son pays sans que cette stratégie frauduleuse ne déclenche une tempête de protestions. Précisons que pour demeurer au pouvoir malgré l’expiration de son dernier mandat présidentiel, Joseph Kabila a eu recours deux outils :

• La Cour Constitutionnelle qui a imposé son interprétation de l’article de la constitution relative à la période avant l’installation en poste d’un nouveau président élu.
• La technique de gestion des ambitions nommé Dialogue, avec la participation des quelques opposants. Le premier dialogue fut celui de la cité de l’OUA, conduite par l’ancien premier ministre togolais Edem Kodjo, réunissant des personnalités politiques attirés par des promesses et qui seront récompensés dans le gouvernement de Samy Badibanga en novembre 2016. Le second, celui de la CENCO (Conférence épiscopale du Congo conduite par les Evêques, réunissant ceux du premier dialogue plus le groupe dit de GENVAL (commune proche de Bruxelles) crée par Etienne Tshisekedi ; ce second dialogue accouchera le gouvernement de Bruno Tshibala en mai 2017, qui sera en place jusqu’à l’installation de l’actuel gouvernement en juin 2019.

Cependant, le modèle « Kabila » risque de ne pas être transposable en Côte d’Ivoire. Nous allons voir pourquoi.

UN ECHEC DANS LA STRATEGIE DES « GRANDS ELECTEURS »

A l’instar de Joseph Kabila qui avait mis en place en juillet 2018, une grande coalition électorale dénommée le Front commun pour le Congo (FCC), Alassane Ouattara a quelques mois plus tard, lancé son projet de parti unifié pour soutenir son action. Le but de cette stratégie est d’attirer la quasi totalité des personnalités qui participent à la vie des institutions, en créant une sorte de système de « grands électeurs à l’africaine » qui justifierait une victoire frauduleuse à l’issu du scrutin.

Au Congo, le FCC de Joseph Kabila constitué à quelques mois du scrutin, a réussi à attirer la plupart de grandes personnalités dont Léon Kengo Wa Dongo, président du Sénat et son groupement politique les républicains indépendants, ou encore José Malika, ministre des transports, ainsi que les ministres du Parti lumubiste (PALU) etc… Le jeune président Congolais avait même réussi initialement à absorber de grandes figures de l’opposition, Félix Tshisékedi et Vital Kamerhe.

Mais le FCC n’était qu’une nouvelle appellation de ce qui était alors l’AMP (alliance pour la majorité présidentielle), ensuite MP (majorité présidentielle) de Joseph Kabila, intégrant tous les participants des deux Dialogues ; à l’exception de L’UDPS Tshisekedi et l’UNC de Vital Kamerhe, qui après la création de CASH (Cap pour le Changement) finiront par conclure un deal pour nommer, puis installer Felix Tshisekedi à la présidence de la République, à la place de Martin Fayulu qui a été largement élu. La forte pression populaire et internationale ayant dissuadé la nomination de Mr Emmanuel Shadary, le candidat déclaré du FCC. Il faut enfin souligner qu’une partie importante de la classe politique a résisté aux promesses de Joseph Kabila qui a plutôt été contraint d’opérer par coup d’Etat, avec une Cour Constitutionnelle qui a joué son jeu.

Deux ans plus tard, les résultats ne sont pas les mêmes en côte d’Ivoire : le projet du parti unifié de Ouattara s’est limité à un bras de fer entre les leaders politiques qui constituaient RHDP, groupement politique fondé en 2005. Au total, le nouveau parti unifié n’a pas réussi à absorber le PDCI d’Henri Konan Bédié en tant que tel. Ceux qui avaient annoncé un peu vite la saignée du PDCI par transfert de ses membres vers le RHDP se sont trompés : c’était compter sans le dynamisme et la capacité de résistance du parti d’Houphouët-Boigny. Ceux qui sont passés de l’autre côté et y sont restés sont maintenant dévalorisés. Ensuite, le RHDP « unifié » n’a enregistré aucune adhésion officielle d’un poids lourd de l’opposition.

Depuis l’année 2019, la quasi totalité des leaders politiques qui ont porté Alassane Ouattara au pouvoir en 2010 ont quitté son parti. Après Konan Bédié, c’était au tour de Guillaume Soro, de démissionner de la présidence de l’Assemblée nationale avant de quitter le RHDP. Les tensions actuelles entre les deux hommes divisent considérablement l’électorat du Nord qui avait voté Ouattara à plus de 93%, face à Laurent Gbagbo en 2010. Sans oublier le rôle de premier plan joué par Guillaume Soro dans la rébellion armée.

Le premier trimestre du mois de mars 2020, est marqué par deux nouveaux départs au sein du parti présidentiel, suite à la désignation d’Amadou Gon Coulibaly en qualité de candidat officiel du RHDP aux futures élections présidentielles. Le premier départ est celui de Marcel Amon Tanoh est un élément clé du dispositif d’Alassane Ouattara depuis les années 90. Il démissionne de sa fonction de ministre des affaires étrangères le 17 mars 2020. Le second personnage est l’un des piliers de la victoire du RHDP 2010 : Albert Mabri Touakeusse, leader de l’Union pour la Démocratie et la Paix en Côte d’Ivoire (UDPCI).

UN ECHEC DANS LE CHOIX DU CANDIDAT UNIQUE

A l’instar du FCC de Joseph Kabila, le candidat du RHDP d’Alassane Ouattara est nommé au détriment d’un scrutin démocratique en interne. En RDC, Joseph Kabila avait désigné à la surprise générale Emmanuel Shadary, ancien ministre de l’Intérieur et secrétaire permanent de son parti le PPRD. Shadary est une personnalité moins charismatique que les poids lourds de l’opposition. Dans un contexte politique très tendu, c’est finalement Félix Tshisékedi, qui remporte dans le calme, le scrutin du 30 décembre 2018.

Même si Felix Tshisekedi entretenait des relations ultrasecrètes avec Joseph Kabila, il avait plutôt la promesse du poste de chef de gouvernement, et non de Président, plutôt réservé à Emmanuel Shadary. Mr Felix Tshisekedi été une carte de rechange en cas d’empêchement du vrai candidat Shadary dont la nomination allait sans doute mettre le feu aux poudres, dans un contexte d’incertitude sur la capacité du régime à sortir indemne d’une répression populaire de masse. Ce qui fut fait en dernière minute.

Dans le contexte ivoirien, Alassane Ouattara désigne son Premier ministre Amadou Gon Coulibaly comme dauphin pour les élections à venir. Il s’agit d’une décision qui a de quoi surprendre :

• D’abord parce qu’Amadou Gon Coulibaly est un candidat très peu charismatique qui ne rassure pas à l’intérieur même de sa formation politique. Pour rappel, le président Alassane Ouattara n’a jamais remporté seul une élection en Côte d’Ivoire. Il est depuis 2010, soutenu par de grands leaders politiques qui ne font plus partie de la coalition. On se demande donc comment un candidat moins charismatique peut triompher là où le meilleur a eu besoin d’une coalition en 2010 et en 2015.
• Ensuite, le candidat d’Alassane Ouattara a malheureusement une santé fragile. Le samedi 2 mai 2020, ce dernier fut évacué en France à la suite d’un malaise cardiaque, alors que les frontières aériennes sont fermées pour cause de Covid 19. Il aurait de plus, subi une greffe du cœur, en 2012. Une nouvelle qui le disqualifierait aussitôt dans une démocratie occidentale. Cette situation affaiblit une fois de plus le parti au pouvoir. Car le président Ouattara avait publiquement renoncé à se représenter pour un troisième mandat en affirmant vouloir transmettre le pouvoir à une jeune génération.

Cependant, plusieurs observateurs affirment que le candidat Amadou Gon Coulibaly, sauf en cas d’une vaste opération de fraude à échelle national, serait incapable de remporter le scrutin d’octobre 2020. Un autre scenario probable, serait soit la victoire surprise d’un opposant faible ou allié, comme ce fut le cas en RDC, soit la participation du président Alassane Ouattara à ce scrutin ou encore le report du scrutin. Mais ces scénarios déjà évoqués risquent de déboucher dans une insurrection populaire.

LES RISQUES LIES AU REPORT DU SCRUTIN

Le report du scrutin de 2020 en Côte d’Ivoire, devient évident du fait de la pandémie du Covid19. De plus, la révision de la liste électorale n’est toujours pas faite alors que selon les textes en vigueur, la Commission électorale indépendante doit actualiser la liste électorale dans le mois de mars de chaque année, afin de présenter une liste électorale exhaustive à la veille des élections. Cependant la Commission électorale indépendante sans avoir actualisé la liste électorale depuis 2015, a finalement proposé un délai de 14 jours ! Allant du 10 au 24 juin 2020 pour constituer la liste électorale estimée à plus de 10 million d’électeurs, dans un contexte de crise sanitaire. Ce que l’opposition juge à juste titre irréalisable. L’argument de l’obstacle technique orchestré par le pouvoir pour justifier le report du scrutin ne tient pas, dans la mesure où les propositions de l’opposition sont plus rationnelles et faciles à appliquer. Parmi elles, la prorogation de la validité des anciennes cartes nationales d’identité, la durée de la révision de la liste électorale à au moins 30 jours.

Le pouvoir quant à lui, souhaite organiser à la hâte, le scrutin de 2020, car un report des élections présidentielles en octobre, serait une aubaine pour Laurent Gbagbo. Ce dernier dont l’acquittement est de plus en plus certain, pourrait intervenir dans le débat politique.

Le report du scrutin présidentiel sera t-il possible en Côte d’Ivoire comme ce fut le cas en RDC en 2018, avec de graves violations des droits de l’homme sur une population contestataire ?

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Nous souhaitons meilleure santé au Premier ministre Amadou Gon Coulibaly.

Le Parti de Gauche s’inquiète de la situation actuelle très tendue en Côte d’ Ivoire et de la peur qui règne dans la population dans un climat d’insécurité entretenu par la pouvoir et ses supplétifs armés plus ou moins dissimulés dans les quartiers et les territoires.

Le Parti de Gauche dénonce les conditions brusquées d’enrôlement de la population sur les listes électorales, une population qui a bien compris l’intérêt de s’inscrire en vue d’un scrutin décisif.

Le Parti de Gauche met en garde contre les manœuvres « à la Joseph Kabila » que tente de mettre en œuvre l’actuel président Ouattara, même si ces manœuvres semblent pour l’instant achopper. La possibilité reste importante toutefois soit d’un passage en force soit d’une dérive au risque de nouvelles violences. Seul un processus électoral transparent et permettant à une nouvelle génération politique d’émerger, peut garantir un avenir harmonieux de la Côte d’Ivoire.

Oris Bonhoulou et Pierre Boutry

Déclaration de la Commission Afrique du Parti de Gauche
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