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Côte d’Ivoire : les nouveaux axes de la politique extérieure de Macron

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Déclaration de la Commission Afrique du Parti de Gauche

Selon le politologue américain James Rosenau, « la politique étrangère d’un pays est sa capacité à contrôler son environnement externe par la modification des situations défavorables et la préservation des situations favorables ».

A la fin de l’année 2019, les autorités françaises font face à plusieurs situations défavorables qui ternissent effectivement l’image de la France sur le plan international. La persistance des attaques djihadistes dans le Sahel, zone dans laquelle l’armée française est fortement engagée, augmente considérablement le sentiment anti-français au sein des populations. Face à cette situation, Macron a d’abord invité les chef d’Etat formant le G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad) à se rendre au sommet conjoint à Pau prévu initialement en décembre 2019. Ce sommet sera finalement reporté au 13 janvier 2020 après l’attaque des troupes nigériennes à Inates et devant les réactions négatives des peuples africains par rapport à ce qui est ressenti comme une « convocation ».

Par la suite, c’est en Côte d’Ivoire que le président de la République française s’est rendu du vendredi 20 au dimanche 22 décembre 2019. Il s’agit d’une visite à laquelle de grands changements ont été annoncés dans une sorte de nostalgie d’un axe Paris-Abidjan, jadis très efficace. Toutefois, la raison officielle de la venue du président de la République française porte sur la question sécuritaire. Paris considère en effet, la Côte d’Ivoire comme un partenaire important dont la stabilité conditionne la situation économique des Etats sahéliens. Même si la Côte d’Ivoire n’est pas un partenaire militaire efficace comme le Tchad d’Idriss Deby, sa situation géographique, son influence sous-régionale, ses liens économiques et historiques avec la France, la présence d’une base militaire française sur son sol (Macron y partagea le traditionnel diner de Noël), font de ce pays, un partenaire sûr de Paris. Un allié traditionnel avec qui Paris tentera de modifier comme au bon vieux temps, certaines situations défavorables en Afrique francophone.

Les situations défavorables à changer.

La politique extérieure de Macron en Afrique francophone ne diffère pas de celle de ses prédécesseurs de la Vème République même si son quinquennat marque une période de turbulence entre la France et l’Afrique francophone. Pourtant le processus d’ « affamiliation » de la France avec l’Afrique était voulu par Houphouët-Boigny. Puis, repris par de Gaulle et ses successeurs qui firent de l’Afrique francophone, « un des principaux rouages de la Vème République » selon Jean pierre Dozon.

Ainsi, le franc CFA, monnaie coloniale, fut le principal rouage du capitalisme franco-africain. Dans la période 1945 -1960, la convertibilité du franc CFA (1 FCFA égale à 2FF) avait engendré la stabilisation des prix pour les planteurs africains et augmenté le pouvoir d’achat des élites. Ce qui permit à de gros planteurs comme Félix Houphouët-Boigny de s’enrichir. Les archives révèlent qu’un an après la création du franc CFA, le planteur ivoirien, nouvellement élu député de la Côte d’Ivoire à l’Assemblée constituante, a été capable de scolariser plus de 300 écoliers africains en France (1946), et de s’y acheter des biens immobiliers (1947). Du côté des Français, elle permit aussi aux hommes d’affaires français d’avoir un accès privilégié au marché africain et d’y réaliser des bénéfices considérables.

De 1960 jusqu’aujourd’hui, le franc CFA (dévalué en 1994) est en toujours vigueur dans quatorze pays du continent. Arrimé aujourd’hui à l’Euro (1 Euro égale à 655 FCFA), cette monnaie est de plus en plus remise en question. D’abord, à l’aube du nouveau millénaire avec l’arrivée au pouvoir du président Laurent Gbagbo. Puis, de manière plus accrue, en cette première décennie du XXIème siècle, par la jeunesse panafricaniste et le monde intellectuel d’Afrique francophone qui accusent la France de recoloniser l’Afrique francophone avec cette monnaie coloniale. La paupérisation étant aujourd’hui plus accentuée en Afrique francophone qu’ailleurs. Face à la persistance de ces débats qui ternissent l’image de la France, les présidents Macron et Ouattara annoncent finalement la fin du F CFA.

* Du F CFA à l’ECO : Un changement de nom pour faire taire les propos anti-français.

Le samedi 21 décembre 2019 à Abidjan, Macron aux côtés de Ouattara, annonce la fin du Franc-CFA. Il s’agit d’une décision historique dans la mesure où aucun de ses prédécesseurs n’a osé prendre cette initiative. Toutefois, l’initiative des présidents français et ivoirien semble une manière de soustraire aux panafricanistes des arguments de taille qui leur permettaient d’attiser de manière très efficace, les colères anti-françaises. Parmi elles, la fin de l’obligation des Etats, de verser 50% de leurs réserves de change au Trésor français et de la présence française au conseil d’administration de la Banque centrale (BCEAO) à Dakar. La future monnaie l’’ECO » est destinée à devenir ultérieurement la monnaie commune à quinze pays de la région dont le Ghana et le Nigéria.

L’ECO gardera certaines caractéristiques du F CFA à savoir le maintien de la garantie de la France et de l’arrimage à l’Euro. Il s’agit en réalité du maintien des arguments soutenus par les défenseurs du F CFA qui pensent que l’union monétaire garantie par la France assure la stabilité. La France cesse en réalité d’être co-gestionnaire mais demeure toujours le garant financier.

La réforme annoncée par Macron peut sembler sonner une nouvelle ère d’émancipation des Etats d’Afrique noire francophone en quête d’une souveraineté monétaire. Mais il ne s’agit que d’un retrait partiel de la France. Au delà des polémiques que les autorités françaises cherchent à éviter, il est important de reconnaitre que le sentiment anti-français est strictement lié à l’état de pauvreté des pays d’Afrique noire francophone. La France qui dispose déjà d’un avantage historique et culturel sur ses concurrents (Russie, Chine, Inde, etc..) doit désormais aider les Etats africains francophones à prendre en main leur souveraineté monétaire, et à faire mieux que les Etats d’Afrique anglophones, dans l’amélioration des conditions de vie de leur population. Juste après l’annonce de l’ECO, les Ex colonies britanniques, comme le Nigeria et le Ghana qui ont depuis longtemps des monnaies autonomes avec laquelle ils réalisent des performances économiques remarquables, semblent d’ailleurs hésiter d’adhérer à la nouvelle monnaie ECO.

* Une commémoration aux allures de réconciliation franco-ivoirienne.
Un des faits marquants de la visite de Macron en Côte d’Ivoire fut l’hommage aux 8 soldats français tués à Bouaké, le 6 novembre 2004 dans un bombardement de l’aviation ivoirienne. En représailles, l’armée française avait détruit au sol la totalité de la flotte aérienne ivoirienne. Cet acte de guerre mit le pays entier en ébullition suite à l’appel de Charles Blé Goudé. Quinze ans après les faits, cette commémoration du samedi 21 novembre 2019, peut être perçue comme un symbole de la réconciliation franco-ivoirienne.

En effet, ces 8 soldats appartenaient au régiment du colonel Patrick Destrenau. C’est ce même régiment qui ouvrit le feu quelques jours plus tard sur des manifestants à l’hôtel ivoire à Abidjan, faisant plusieurs victimes. Les raisons de la fusillade de l’Hotel ivoire font jusqu’aujourd’hui, l’objet de plusieurs versions contradictoires.

Une chose est certaine, ces incidents de l’Hôtel ivoire en 2004, avaient annoncé une rupture entre la France et son meilleur allié en Afrique francophone. Par la suite, le tunnel souterrain qui reliait la résidence de l’ambassadeur de France à la résidence du chef de l’État ivoirien, depuis l’époque de Félix Houphouët-Boigny, fut fermé avec du béton armé par Laurent Gbagbo. De plus, lorsque la France invita, en 2010, les pays africains nouvellement cinquantenaires à participer au défilé du 14 juillet, seule la Côte d’Ivoire opposa un refus catégorique. Les tensions entre les deux pays avaient atteint leur paroxysme lors de la crise postélectorale de 2011.

Depuis l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara, les deux Etats ont décidé d »enterrer leur ce contentieux dans la mesure où l’actuel chef de l’Etat ivoirien doit sa victoire militaire, lors de la crise post électorale à la France. Cette commémoration apparait ainsi comme une manifestation officielle de la réconciliation franco-africaine.

Si cet hommage, est perçu par l’entourage de Macron comme « un moment important qu’il fallait faire au moment où la France et la Côte d’Ivoire veulent aller plus loin dans leur partenariat », le fait d’avoir ignoré les victimes ivoiriennes de ces évènements choque une bonne partie de l’opinion publique ivoirienne ainsi que nous-mêmes.

Les situations favorables à préserver.

Dans la logique de la politique étrangère les situations favorables sont maintenues par les décideurs. L’annonce de la fin du franc CFA aux côtés d’Alassane Ouattara révèle en réalité une complicité entre les deux dirigeants. Ce qui contredit la rumeur qui annonçait au départ que Macron une fois à Abidjan devait dissuader le président Ouattara de se représenter pour un troisième mandat au profit d’une nouvelle génération. La présidence d’Alassane Ouattara pourrait paraitre comme une situation favorable aux yeux de l’Elysée.

* Le soutien à Alassane Ouattara pour un éventuel troisième mandat.
Depuis le coup d’Etat de Noel 1999, la Côte d’Ivoire a retrouvé une certaine stabilité politique, avec l’arrivée au pouvoir du président Alassane Ouattara. Cette période de stabilité rassure les investisseurs français et étrangers, de plus en plus nombreux à revenir dans ce pays et d’y obtenir facilement des contrats de gré à gré, sans oublier l’existence d’un code d’investissement particulièrement généreux. Toutefois, la situation politique de la Côte d’Ivoire étant très fragile, le maintien au pouvoir de celui qui a été capable de garantir cette stabilité reste largement envisageable aux yeux de l’Elysée.

Depuis lors, plusieurs observateurs voient dans la visite de Macron en Côte d’Ivoire, son projet de création d’une nouvelle monnaie avec un président africain normalement en fin de mandat, comme des signes du soutien en faveur d’un troisième mandat d’Alassane Ouattara. Ce dernier laisse planer de moins en moins le doute sur sa candidature aux prochaines élections présidentielles d’octobre 2020. Alassane Ouattara affirme aujourd’hui qu’il sera candidat « si Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo le sont également ». A côté de cette déclaration désormais au conditionnel, les dérives autocratiques du pouvoir s’intensifient sur l’opposition et notamment sur la nouvelle génération. A la veille du nouvel an, le Tribunal d’Abidjan condamne par contumace Charles Blé Goudé (actuellement à la Haye) à 20 ans de prison et 10 ans d’inégibilité. Quand à Guillaume Soro, premier candidat déclaré à la présidentielle de 2020, ce dernier est désormais contraint à l’exil à la suite du mandat d’arrêt international lancé contre lui, par le Gouvernement d’Alassane Ouattara.

Les élections présidentielles d’octobre 2020 pourront ainsi dans l’esprit de Ouattara annoncer une ultime confrontation entre lui-même probable candidat du RHDP et son ancien allié Henri Konan Bédié, candidat presque déclaré du PDCI, un parti politique jugé plus facile à contenir en cas de crise postélectorale.

Le Parti de gauche dénonce le faux-semblant de la fin annoncée du F CFA par deux présidents complices et l’arrangement artificiel fait sur le dos du peuple sans aucune consultation pas même des autres chefs d’Etat africains concernés.

Le Parti de gauche dénonce les manœuvres de Macron en soutien à peine dissimulé à Ouattara pour un troisième mandat illégitime et réaffirme son soutien au regroupement de l’opposition de gauche EDS dans son combat pour des élections libres et transparentes, la réconciliation et une politique de développement souverain.

Oris Bonhoulou et Pierre Boutry

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