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Côte d’Ivoire : un gouvernement impuissant face aux crises économique, sanitaire, sécuritaire

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Crise économique : la cherté de la vie

Le mouton de la Tabaski se vendait à 80 000 F CFA en 2020, à plus de  100 000 F CFA en 2021.La guerre au Burkina et au Niger a entre autres pour conséquence une forte diminution du nombre de bétail disponible, de 645 bœufs abattus tous les jours, le nombre est tombé à  environ 300. Le Ghana, le Nigeria et le Togo sont également des importateurs et il y avait une petite bataille pour être le plus attractif. Avec la crise au Sahel qui concerne exactement les zones agro-pastorales, des villages ont disparu, et le bétail est devenu un enjeu pour les djihadistes. L’offre est moindre dans ce contexte et le prix à l’origine est plus élevé dans la zone d’achat. En plus de cela il faut prendre en compte les coûts liés aux transporteurs.

La crise sécuritaire que vivent ces pays affecte fortement le marché du bétail mais le phénomène touche plusieurs secteurs : à titre d’exemple nous citerons le coût de la tonne de ciment qui est passé de 70 000 F CFA à 130 000 F CFA à certains endroits.

Certes l’augmentation que l’on constate n’est pas spécifique à la Côte d’Ivoire. Elle a lieu dans un contexte où le monde entier ne se sort pas de la Covid-19 ce qui provoque  une hausse des prix à l’international, à cause notamment d’une forte demande des pays d’Asie. En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, l’inflation s’élevait à 2,9 % en moyenne en juin, dont 4,2,% d’augmentation pour les prix des loyers. Une augmentation des prix plus élevée que celle qui a entraîné des manifestations dans les rues d’Abidjan dans les années 2007-2008.

En plus de la pandémie, qui fait augmenter les prix à l’importation, plusieurs raisons expliquent la cherté de la vie en Côte d’Ivoire, en particulier à Abidjan. Depuis avril, les entreprises ivoiriennes ont été confrontées à des délestages reflétant la désorganisation du secteur électrique, réduisant leur capacité de production. La difficulté d’approvisionnement des villes depuis les zones de production souvent éloignées et enclavées constitue également un frein.

L’économie ivoirienne connaît une croissance artificielle et inégale depuis 2012 mais cette croissance commence à s’essouffler. De 10,7 % en 2012, elle est passée à 6,2 % en 2019. Seule une petite partie des nantis en profitent. La population qui est pour la plupart rurale, n’en bénéficie pas, le niveau de vie global de la population n’a pas augmenté.

L’acquisition d’un étal ou d’un magasin est excessivement chère sur les marchés. Ajouter à cela les impôts et taxes douanières qui augmentent : le commerçant augmente aussi ses prix. De plus les petits commerçants qui voyageaient dans la sous-région pour ravitailler les petits marchés doivent désormais faire des dépenses supplémentaires à cause de la fermeture des frontières.

Le gouvernement ivoirien a créé en février 2018 un indicateur de la cherté de la vie, intégrant la perception subjective des ménages et piloté par le Conseil nationale de lutte contre la vue chère qui  été créé en juillet 2017. Ce dernier a bloqué les prix de six produits de première nécessité : le riz, le sucre, la tomate concentrée, l’huile de cuisson et le ciment. Mais il est indispensable que le gouvernement agisse pour contrôler l’application des décisions qu’il prend, ce qui semble problématique.

De plus, malgré l’encadrement des loyers à travers logement la loi sur le bail à usage d’habitation de 2018 qui limite le nombre de loyer d’avance et la caution à verser, certains bailleurs ne respectent pas la loi. Un cadre opérationnel a été établi par le gouvernement avec plusieurs organes comme l’unité de lutte contre le racket. Mais tout cela reste des slogans qui n’ont pas encore eu d’application pratique.

Le gouvernement pourrait atténuer la cherté de la vie en rendant opérationnelles toutes ces organisations et en luttant contre la corruption, mais en a-t-il seulement le souci ?

Crise sanitaire: Abidjan, ce «petit cas », devenu complexe pour le gouvernement

Depuis le 11 mars 2021, date à laquelle la Côte d’Ivoire a enregistré son premier cas positif à la  Covid 19, la situation sanitaire semble ne pas être alarmante. D’abord parce qu’à l’instar des États d’Afrique subsaharienne moins touchés par la pandémie, le  climat ivoirien reste particulièrement chaud. Ensuite, parce que la majorité de la population ivoirienne, est parfois très jeune.  Toutefois, en Afrique, les États les plus touchés par la Covid 19 sont ceux qui ont des centres urbains très importants. C’est le ca pour Abidjan, la capitale économique ivoirienne, avec ses 6 millions d’habitants.

Le fameux « triangle de l’argent», cette zone confortable de la ville, proche de l’aéroport international, que nous délimitons par les quartiers de Marcory,  Cocody et du plateau, abrite la quasi totalité des expatriés occidentaux, asiatiques et arabo-musulmans, dont la plupart est constamment en voyage, et constituent le noyau des premiers « cas contact » en Côte d’Ivoire.  Le quartier du plateau, centre d’Affaires de la capitale, reste le lieu de fonction de plusieurs citoyens résidant dans des quartiers populaires étouffants, aux populations particulièrement indisciplinées. Le quartier de Cocody  abrite  la plus grande université publique du pays, et ceux de Marcory et Treichville sont des zones commerciales ou culturelles incontournables à Abidjan. Dans tous les quartiers de la ville, les marchés du vivrier, les gares routières, et les maquis sont quotidiennement bondés de monde, dans un désordre total. Ce qui faisait craindre le pire, lors de l’apparition du Coronavirus dans le monde dans le premier trimestre de l’année 2020.

Ainsi, le 29  mars 2020, au moment où le pays enregistre 168 cas de Covid 19 et son premier décès lié à cette pandémie, le gouvernement choisi d’isoler Abidjan du reste du pays, avec « interdiction d’entrer et de sortir ». Aucun transport n’est autorisé entre la grande région d’Abidjan et le reste du pays sauf pour les évacuations médicales, le carburant, les services publics, afin de limiter la propagation du virus.  Un conseil national de sécurité présidé par le chef de l’État Alassane Ouattara veille à l’application stricte des mesures barrières parfois calquées sur celles des autorités françaises. L’état d’urgence est décrété en Côte d’Ivoire depuis de 23 mars 2020. Sur les réseaux sociaux, les vidéos montrant les forces de l’ordre passer à tabac les citoyens qui ne respectent pas le couvre feu, choquent l’opinion publique. Les restaurants, les maquis, et boites de nuits, et les lieux de cultes restent fermés jusqu‘à nouvel ordre.

Dans certains quartiers populaires, le manque de communication entre les autorités et la population, sur la gestion de la crise sanitaire, vire parfois à l’affrontement. Ainsi, dans la soirée du 5 avril 2020 à Yopougon, des manifestants ont détruit un chapiteau dressé pour dépister les personnes atteintes de la Covid 19, en pensant qu’il s’agissait d’un centre de prise en charge de malades, avec qui ils refusaient toute cohabitation. Suite à cet incident, la situation dégénère et vire à des heurts entre les forces  et la population.

Trois mois plus tard, la majorité de ces mesures drastiques calquées sur celles des pays occidentaux économiquement puissants, ont été levé par le gouvernement, sans vraiment freiner la propagation du virus, qui ne cesse de progresser lentement en Côte d’Ivoire. Après Abidjan, plusieurs localités du pays enregistrent de nouveaux cas de Covid 19 (Toulepleu, San Pedro, Bouake, Odienné etc) . De plus les mesures barrières préconisées pour freiner la propagation du virus ne sont pas respectés les Abidjanais durant l’année 2021.

Ainsi, depuis, le mois de décembre, la Côte d’Ivoire enregistre une explosion des cas de coronavirus, et les autorités ivoiriennes viennent de confirmer la présence du variant «Omicron» dans le pays. Près  de 1600 cas de Covid 19 ont été recensé, un record depuis depuis le début de l’épidémie Au total, dans le mois de décembre 2021, la Côte d’Ivoire a enregistré  «9280 nouveaux cas  et 10 décès », portant le nombre de cas à 71004, dont 714 décès.

Toutefois, ces chiffres liés à la pandémie, annoncés par les autorités,  paraissent dérisoires, si on les compare à ceux enregistrés par les pays riches. Néanmoins en Côte d’Ivoire, la faiblesse des chiffres de l’épidémie ne sont pas «forcément» liées à l’efficacité des mesures prises par le gouvernement. Le virus qui ne cesse de «varier» n’est visiblement pas mortel dans le pays. Toutefois, seule la vaccination de la quasi totalité de la population reste la véritable option. En 2022, la  Côte d’Ivoire a vacciné un peu moins de 10% de sa population et le scénario d’un nouveau «variant» plus meurtrier du virus de la Covid 19, pourrait plonger le pays dans un véritable désastre sanitaire.  Pour rappel, la pandémie de la Covid 19 a fait plus de 5 millions de morts à travers le monde dont 230.000 en Afrique

Crise sécuritaire : entre délinquance et menaces djihadistes

Contrairement à l’assurance affiché par certaines autorités ivoiriennes, qui se félicitent d’une amélioration de la sécurité́ du pays, ramenée à un niveau similaire à celui de New York ou Genève, les Ivoiriens dans leur ensemble ne sont pas satisfaits de la situation sécuritaire dans leur pays. Le 31 décembre 2021, on a enregistré encore plusieurs agressions sur les populations à Abidjan. A Yopougon, un quartier populaire d’Abidjan, un jeune ivoirien est tué,  poignardé par un brigand qui tentait de lui arracher son téléphone. Ces situations font partie du quotidien des Ivoiriens et de grands indices internationaux relatent au mieux, cette réalité.  Selon les sous-indices de sécurité et sûreté du Legatum Prosperity Index  (Legatum Institute, 2019), la Côte d’Ivoire est classée 132ème  sur 167 pays. A cette situation s’ajoutent en ce moment, des pratiques odieuses qui consistent à profaner les tombes dans les cimetières à  Abidjan. Le 4 novembre 2021, la tombe du député Mamadou Ben Soumahoro, proche de Laurent Gbagbo décédé au Ghana,  est profanée et une partie de son corps est emportée par des individus non identifiés. Deux mois plus tard, la tombe de Léonard Groguhet, célèbre acteur ivoirien décédé en septembre dernier, est vandalisée par des délinquants. Plusieurs objets de « valeur sentimentale » sont volés.

La situation sécuritaire durant l’année 2021, fut marquée par des attaques terroristes contre des positions des forces de défense et de sécurité dans le Nord du pays. Le 29 mars 2021, deux positions de l’armée à Kafolo et Kolobougou sont attaqués par des hommes armés,  faisant six morts, trois soldats ivoiriens et « trois terroristes » .Un an plus tôt à Kafolo (juin 2020), 14 soldats avaient été tués suite à une attaque terroriste. En juin 2021, deux soldats et un gendarme ivoirien sont tués dans une embuscade tendue par les terroristes dans la localité de Tèhini (Nord-est de la Côte d’Ivoire). A Tougbo, localité proche de la frontière avec le Burkina Faso, un soldat ivoirien avait perdu la vie une semaine plus tôt. Enfin le 3 janvier 2022 à nouveau à Tèheni, un détachement de l’armée ivoirienne tombait dans une embuscade tendue par les terroristes, sans heureusement enregistrer de perte en vie humaines. Toutefois, ces attaques terroristes contre l’armée ivoirienne durant l’année 2021, suscitent moins d’inquiétudes que la situation actuelle au Mali. En effet, depuis quelques mois, l’armée française se retire pour laisser peu à peu le contrôle du Nord du Mali aux forces nationales assistés désormais d’une poignée de mercenaires Russes, et aux casques bleus. Après les bases de Kidal, et Tessalit, l’armée française quitte Tombouctou pour s’installer à Gao. Le scenario d’un retrait progressif des forces françaises, puis des Tchadiens du Sahel pourrait laisser le champ libre à ces terroristes pour foncer vers plusieurs capitales  ouest-africaines.

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La Côte d’Ivoire est menace par une contagion possible de la déstabilisation en cours dans la sous région. Mais la principale menace est bien l’incurie de son gouvernement à répondre aux besoins de la population en matière de coût de la vie, de santé et d’éducation. Tant qu’un changement radical de politique au profit du peuple et non pas d’une oligarchie prédatrice, aura été mis en œuvre, la situation ne fera qu’empirer. Les éléphanteaux progressistes doivent sortir du bois et convaincre le peuple de la réalité de ces menaces et de leur cause.

La France a perdu la guerre du Sahel et il serait temps d’en tirer les conclusions politiques : l’urgence du retrait des forces opérationnelles au profit d’une coopération renforcée avec les armées des pays concernés, l’urgence de mettre un  terme au soutien aux dictateurs et potentats locaux mis en place par nos gouvernements successifs de droite comme de gauche, l’urgence de la fin des ventes d’armes à des régimes qui les utilisent contre leur population, l’urgence de reconsidérer l’aide au développement des intérêts privés de la bourgeoisie locale au profit d’une aide adaptée aux besoins réels des populations.

Car ce qui a déstructuré  le Sahel depuis que Sarkozy a détruit la Libye provoquant ainsi la dispersion des hommes et des armes jusque là sous contrôle de Kadhafi, pourrait si aucune de ces urgences n’est considérée ravager l’Afrique côtière et pourquoi pas la Côte d’Ivoire.

La lutte contre le djihadisme armé passe en Côte d’Ivoire comme ailleurs par la reconstruction des services publics de santé et d’éducation, par la lutte contre la petite et la grande corruption, par la construction de l’Etat de droit, par la promotion de la citoyenneté et de la démocratie, et par des perspectives d’avenir redonnées à une jeunesse qui n’en peut plus de cette désespérance. 

Pierre Boutry et Oris Bonhoulou

déclaration de la Commission Afrique du Parti de Gauche

 

 

 

 

 

 

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