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Côte d’Ivoire : Vers un bras de fer entre l’opposition et le régime Ouattara autour de la candidature de Laurent Gbagbo ?

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Depuis le début de ce mois d’août 2020, on a la certitude que le prochain scrutin présidentiel sera bel et bien dominé par les trois grandes figures de la vie politique ivoirienne, au détriment de la nouvelle génération. Le 28 juillet 2020, Henri Konan Bédié 86 ans, a été désigné candidat du PDCI-RDA avec  99,7% des voix lors des conventions éclatées de son parti, auxquelles il était le candidat unique. Ensuite, le 6 août 2020, à la veille du 60ème anniversaire de l’indépendance ivoirienne, c’est au tour du président Alassane Ouattara 78 ans, de marcher sur la Constitution en annonçant publiquement sa candidature pour un troisième mandat, sous la bannière du Rassemblement des Houphouetistes pour la démocratie et la paix (RHDP).

Cependant, le « Remake » tant annoncé des élections présidentielles de 2010 risque d’opposer  uniquement ces deux personnalités. D’abord parce que le nouveau code électoral stipule en son article 51 que le candidat doit être « parrainé par une liste d’électeurs représentant un pour cent (1%) de l’électorat local, dans au moins cinquante pour cent (50%) des districts autonomes et régions ». Ce qui rend tâche difficile aux candidats indépendants et leaders politiques peu influents. Ensuite, parce que le délai fixé au 31 août 2020 pour le dépôt des candidatures est en défaveur de Laurent Gbagbo, candidat naturel de la gauche ivoirienne au scrutin du 31 octobre. En effet, plusieurs arguments administratifs, juridiques et politiques  compromettent la candidature du président Gbagbo pour les présidentielles d’octobre 2020.

Sur le plan administratif, Laurent Gbagbo, à moins de trois mois des échéances électorales, se trouve hors du pays. Il doit donc faire face à la lourdeur administrative savamment orchestrée par le régime Ouattara pour l’établissement de son document de voyage. En effet, après la levée de certaines restrictions inhérentes à sa libération,  Laurent Gbagbo peut désormais quitter la Belgique à « condition que tout pays dans lequel il souhaite se rendre accepte au préalable de la recevoir ». L’ancien président ivoirien souhaite alors rentrer dans son pays à trois mois de l’élection présidentielle. Cependant, sa demande de passeport diplomatique introduite auprès du ministère des Affaires étrangères conformément à son statut d’ancien chef d’État, lui a été refusée. Laurent Gbagbo s’est donc déplacé le 28 juillet 2020 « à l’ambassade de Côte d’Ivoire à Bruxelles pour introduire une demande de passeport ordinaire et d’un laissez-passer » d’après un communiqué de  son avocate Maître Habiba Touré. Depuis lors, le Gouvernement par la voix de son porte-parole rétorque que «  le dossier est en cours de traitement ». De plus, il convient de noter qu’aucune représentation diplomatique d’un pays tiers à Bruxelles ne veuille donner un « coup de pouce » à l’ancien président ivoirien, par l’établissement d’un passeport.

Sur le plan juridique, le président Laurent Gbagbo a vu son nom retiré de la liste électorale provisoire remise aux partis politiques par la Commission électorale indépendante (CEI). Selon le président de cette institution chargée d’organiser le scrutin présidentiel, « le croisement des données fournies par le ministère de la justice et de celui de l’administration du territoire » est fait avant de sortir la liste provisoire. En effet, le 31 juillet 2020, alors que la demande de passeport ordinaire du président Gbagbo est en cours de traitement, un casier judiciaire ainsi qu’un certificat de nationalité  ont été remis à son fils Michel Gbagbo. Ce casier judiciaire truffé de fautes d’orthographe mentionne une condamnation à 20 ans d’emprisonnement  et 329 milliards FCFA d’amendes en 2018 « pour avoir fait ouvrir les coffres  de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) en pleine crise post-électorale de 2011», afin d’assurer le paiement des fonctionnaires, suite à la fermeture des banques internationales en Côte d’Ivoire.

Le retrait de Laurent Gbagbo de la liste électorale est donc fait sur une base légale selon le président de la CEI, Ibrahime Kuibert Coulibaly qui évoque l’article 4 du Code électorale qui stipule : « ne sont pas électeurs, les individus frappés d’incapacité ou d’indignité notamment les individus condamnés pour crime ».

Sur le plan politique, le scrutin présidentiel d’octobre 2020 est toujours dominé par les trois grands anciens. Les leaders Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara s’apprêtent à se lancer dans la course à la présidentielle. Dans la logique du « remake » Laurent Gbagbo est considéré comme le leader naturel de la gauche ivoirienne depuis son acquittement le 15 janvier 2019 et la levée des conditions restrictives le 28 mai 2020 par la CPI. Ensuite, le rapprochement des deux anciens présidents Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo, pousse le gouvernement à prendre toutes les mesures pour empêcher le retour de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire avant les élections présidentielles d’octobre 2020. Le 1er août 2000 Pascal Affi N’Guessan, président de la branche légale du FPI a été investi comme candidat à l’élection présidentielle comme ce fut le cas en 2015. Toutefois, Affi N’Guessan n’as pas le poids nécessaire pour modifier la réalité politique actuelle. Pour la gauche ivoirienne, le candidat à la présidentielle du 31 octobre, c’est bien Laurent Gbagbo.

Absence de candidat de substitution de la Gauche ivoirienne

L’absence de « plan B » au sein de la gauche ivoirienne est dû à la popularité de Laurent Gbagbo, et le souhait de ses partisans de le voir triompher sur ceux qui l’ont « empêché de travailler » durant sa présidence. Cette popularité va au delà d’un simple parti politique. Ses nombreux partisans se reconnaissent en lui sans jamais disposer d’une carte de militant de son parti le FPI. A l’aube des élections de 2020, Laurent Gbagbo est fortement soutenu par plusieurs forces politiques dont la tendance GoR (Gbagbo ou rien)  du FPI.

A l’intérieur de sa famille politique, Gbagbo n’a favorisé l’ascension d’aucune personnalité pour candidater aux prochaines élections présidentielles et la plupart des cadres du parti, fidèles à Laurent Gbagbo sont juste de « bons exécutants ».

Son ex-épouse Simone Gbagbo, connue pour être la n°2 du parti est reléguée au second plan au profit du Secrétaire général Assoa Adou. Gbagbo et Adou avaient fait connaissance en 1963 à Abidjan, lors du Congrès de l’Union nationale des élèves étudiants de côte d’Ivoire (UNEECI) avant de poursuivre leurs études en France. En 1990, Assoa Adou participe à la création du Parti ivoirien des travailleurs (PIT) dominé par Francis Wodié, avant de rejoindre le FPI de Laurent Gbagbo en 1994.

Ensuite, Michel Gbagbo, le fils né d’une mère française qui occupe le poste de secrétaire général adjoint du FPI (tendance GoR) en charge de la politique pénitentiaire, ne semble pas convoiter la candidature du parti pour ce prochain scrutin présidentiel, alors que l’article 55 de la Constitution ivoirienne relative aux conditions d’éligibilité stipule depuis 2016 que « le candidat à l’élection présidentielle doit être ivoirien de père ou de mère », et la double nationalité n’est pas reconnue par le Code de nationalité ivoirien.

A la fin du mois de juillet 2020, une session extraordinaire du Comité central eut lieu au siège du parti  dont l’ordre du jour portait sur la désignation du candidat  à l’élection présidentielle 2020. A l’issue de la réunion, Laurent Gbagbo fut plébiscité candidat de son parti à l’élection présidentielle du 31 octobre  2020.

C’est en vertu de sa désignation qu’une grande une manifestation de la plateforme pro-Gbagbo Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (EDS) a eut lieu le 3 août 2020 devant le siège de la CEI, pour réclamer le rétablissement du président Laurent Gbagbo sur la liste électorale. Le président de la CEI après avoir reçu la délégation de EDS conduite par son président Georges Armand Ouegnin, a invité les parties à aller au « contentieux » conformément à la procédure de la CEI. Le contentieux sur la liste électorale  est prévu du 5 au 7 août 2020, suivi des délibérations du 8 au 10 août, sans oublier que la liste électorale définitive sera connue le 23 septembre 2020. Cette procédure risque vraisemblablement d’être infructueuse, permettant aussi au régime Ouattara de gagner du temps. Au final, la délégation conduite par Georges Armand Ouegnin, président d’EDS,  invite alors les manifestants à attendre le nouveau « mot d’ordre ».

Les conséquences de la non-participation éventuelle/probable de Laurent Gbagbo au scrutin présidentiel du 31 octobre.

A trois mois de l’élection présidentielle 2020, tous les partis se réclamant de la gauche ont un unique référent politique sans jamais songer à une alternative, voire un « plan B ». Il s’agit bien de Laurent Gbagbo. Cependant, au vu de l’absence d’alternative au sein de sa formation politique, la non-participation éventuelle/probable du président Laurent Gbagbo  au scrutin de 2020 permet d’envisager deux scenarios.

Le scénario optimiste porte deux éventualités. La première porte sur la désignation d’un nouveau candidat qui représentera toute la  gauche ivoirienne au scrutin du 31 octobre. La seconde éventualité débouchera certainement sur  le ralliement total des partisans de Laurent Gbagbo, voire de tous les Ivoiriens qui aspirent au changement, au candidat du PDCI Henri Konan Bédié, qui ne cesse de s’imposer comme un véritable adversaire de taille face à Ouattara, dans un scrutin démocratique et transparent.

Par contre, le scenario pessimiste risque de perturber l’organisation du scrutin présidentiel, voire la stabilité du pays. En effet, le débat sur la candidature du président Laurent Gbagbo intervient au même moment que celui de éligibilité du président Ouattara pour un troisième mandat. Tandis que les partisans du président Laurent Gbagbo entendent manifester dans la rue pour réclamer le retour de leur champion ainsi que sa participation au scrutin présidentiel du 31 octobre, le président Henri Konan Bédié conteste la légalité de la candidature d’Alassane Ouattara pour un troisième mandat. «  Il n’y a pas de troisième mandat en Côte d’Ivoire » disait-il lors de sa dernière apparition sur les ondes de France 24. Le leader du PDCI-RDA incite lui aussi le peuple à manifester dès l’annonce publique de la candidature d’Alassane Ouattara pour ce scrutin présidentiel.

Dans la matinée du 6 août 2020, plusieurs partisans de Laurent Gbagbo sont descendus dans les rues de Cocody, quartier d’Abidjan pour exiger la réinscription du nom de leur mentor sur la liste électorale. Ces manifestations effectuées par une poignée de jeunes, certainement pour « tester préalablement le terrain » ont été dispersées par les forces de l’ordre.

Ainsi, après l’annonce publique de la candidature du président Alassane Ouattara, le 6 août 2020 au JT de 20 heures, le risque d’une insurrection populaire à l’aube du scrutin est réel, voire imminent. Ce qui pourrait malheureusement  déboucher sur un bain de sang dans la mesure où le régime Ouattara s’est depuis longtemps préparé à cette éventualité. De plus, un fiasco de l’opposition mobilisée dans la rue, donnerait une issue favorable à Ouattara. L’article 41 du Code électoral ivoirien lui permet de rester en fonction, de reporter les élections, ou de ne pas proclamer les résultats en cas de troubles (circonstances graves). Le scrutin du 31 octobre 2020 ressemblerait dans ce cas, à celui de 2000, caractérisé par le « bras de fer dans la rue ».

Le Parti de Gauche ne considère pas la candidature d’HKB comme une solution de progrès pour la Côte d’Ivoire et formule des vœux pour qu’un plan B de désignation d’un candidat de gauche soit rapidement mis en œuvre dans la perspective d’un empêchement du  candidat légitime Laurent Gbagbo.

Oris Bonhoulou et Pierre Boutry

Déclaration de la Commission Afrique du Parti de Gauche

 

 

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