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Le développement est il possible avec des fausses élections en Afrique le cas de la RDC (deuxième partie)

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Conférence du samedi 22 juin 2019 au siège du PG

intervention de Monsieur l’Abbé Désiré BALABALA

Le défi de l’éducation nationale en République Démocratique du Congo

Il est évident que c’est une gageure de parler de l’éducation en République Démocratique du Congo (RDC), en ces quelques minutes qui nous sont imparties, pour la simple raison que ce secteur qui est censé être vital dans la vie de toute nation qui se respecte figure, malheureusement, parmi, les parents pauvres de ce sous-continent, au cœur de l’Afrique, qui compte actuellement plus de 80 millions d’habitants, dont plus de la moitié a moins de 30 ans (âge de la scolarité). Vous comprenez pourquoi nous tâcherons de nous en tenir à l’essentiel, en articulant notre propos sur 4 points principaux, à savoir quelques considérations préliminaires, des données statistiques scolaires, les réalités vécues en milieux universitaires congolais qui donnent l’exacte mesure du défi à relever, et une réflexion personnelle en guise conclusion.

Considérations préliminaires
De prime à bord, il n’est pas sans intérêt de relever que l’ensemble des milieux éducatifs congolais, de la maternelle à l’université, partagent les mêmes joies (s’il en existe bien entendu), éprouvent les mêmes difficultés à l’échelon national, et ont par conséquent les mêmes défis à relever. Cependant, les réflexions qui suivent concernent essentiellement les milieux universitaires congolais qui sont censés préparer les cadres de demain et qui, à notre avis, illustrent, le mieux, les réalités et les difficultés vécues en milieu éducatif congolais dans son ensemble.
De deux, notre propos est essentiellement le fruit d’une enquête menée récemment, par nos soins, auprès des enseignants et du personnel administratif, toutes catégories confondues, des étudiantes et des étudiants, des parents aussi bien des zones urbaines que rurales, et d’anciens étudiants devenus des cadres dans la société. 98 % des personnes sondées, catégories confondues, reconnaissent les pratiques déplorées en milieu éducatif congolais. En fait, cette dernière enquête est venue conforter le résultat d’autres enquêtes antérieures publiées en 2018, dans notre ouvrage intitulé L’encadrement juridique de l’éducation au Congo-Kinshasa (1885-1986). De l’initiative des missionnaires à la prise en charge par l’Etat.

Données statistiques scolaires alarmants
Selon une étude réalisée par les Nations-Unies, lors de la troisième conférence des Nations-Unies sur les pays dits « les moins avancés », tenue à Bruxelles en mai 2001, les taux de scolarisation, tous niveaux confondus, évalué à 39% en 1997 est inférieur à la moyenne des pays en développement (59%) et de l’Afrique au Sud de Sahara (44%).
Les taux nets de scolarisation en primaire (58,2%) et secondaire (37,1%) sont également en deçà des moyennes respectives des pays en développement (85,7%) en primaire et 60,4% en secondaire), mais au-dessus de celle de l’Afrique au Sud de Sahara. Ce rapport des experts onusiens précise que le taux de déperdition de la population scolaire est passé de 49% en 1978 à 75% en 1995 et prend en compte les multiples cas de redoublement et d’abandon des études avant la fin de l’étude primaire . Avec l’insécurité qui sévit en RDC, depuis près de trois décennies et dans sa partie nord-orientale en particulier, il est à parier, sous peine de déni de la réalité, que ces données sont restées statiques, si elles n’ont pas empiré.

Les pratiques vécues en milieux universitaires
La quasi-totalité des enseignants interrogés reconnaissent, sans aucun doute, l’existence des pratiques illicites et scandaleuses qui avilissent l’image de marque du milieu éducatif congolais. Pour eux, c’est le manque criant de subvention adéquate allouée à l’éducation nationale, et donc à la recherche scientifique, qui serait en cause. A cela, s’ajoute la modicité des salaires que le personnel enseignant perçoit de l’État. De cette absence quasi-totale du financement public, découleraient tous les autres maux dont souffrirait ce secteur, selon les personnes interrogées.
Pour nous rafraîchir la mémoire, retenons qu’en 2018, le Gouvernement congolais n’a consacré que 1,7% du budget national (4 milliards de dollars américains) à l’Éducation. A ce stade de notre réflexion, rien ne nous autorise à croire à une amélioration sensible de la situation en 2019, dans la mesure où le budget de la nouvelle année est aussi dérisoire que le précédent (5 milliards de dollars). Mais, que vivent effectivement les enseignants congolais ? Voilà une question cruciale qui mérite des réponses précises pour tenter d’éclairer l’opinion.

Théoriquement, un enseignant congolais titulaire d’un bac touche entre 20 et 40 $ par mois, soit une moyenne de 30 euros, un bac + 3 (Gradué d’État) touche 50 $ soit 41 euros, un bac + 5 (licencié d’État) touche environ 91 euros. Un chef d’établissement du primaire, pour sa part, touche environ 41 euros tandis qu’un chef d’établissement du secondaire, comme un assistant à l’université, touche 120 $ soit 110 euros. Un chef des travaux à l’université congolaise touche 500 $, l’équivalent de 450 euros, tandis qu’un professeur ordinaire touche autour 2300 euros.

En RDC, il n’est pas sans importance de le noter, même les enseignants qui ont officiellement la même qualification académique, et qui exercent la même fonction, au sein d’une même institution académique, ne touchent pas de l’État congolais, aussi étrange que cela puisse paraître, le même salaire de base. Pour prétendre toucher ce salaire de l’État, il faut être mécanisé selon l’expression consacrée, c’est-à-dire être immatriculé par l’État, en vue de toucher un salaire légal des pouvoirs publics, ce qui est un véritable parcours du combattant pour la plupart.

Nombreux sont donc ceux et celles qui passent, parfois, 2 ou 3 ans, voire 10, sans qu’ils aient jamais eu à jouir de leur droit, alors que d’autres individus, tapis dans l’ombre et protégés assez souvent par la hiérarchie, détournent, sans scrupules ce maigre salaire, au su et au vu des autorités publiques, (ou tout au moins avec leur complicité tacite). Ces enseignants déshérités doivent ainsi se contenter de modiques contributions des étudiants (frais académiques) dont les parents s’acquittent habituellement avec peine, ce qui ne va pas sans les expose davantage aux pratiques décriées. Pour pallier cette modicité de traitement, beaucoup d’enseignants entreprennent ainsi d’autres activités informelles pour la survie de leur famille, dans le meilleur des cas, ou se livrent, dans le pire des cas, à des pratiques illicites, voire scandaleuses, dont les étudiants ont une idée bien précise.

Pour la quasi-totalité des étudiants interrogés, tout se monnaie dans les milieux universitaires congolais: notes scolaires, support écrit d’un cours (syllabus), travaux pratiques, épreuves, mémoires de fin de cycle, jurys, mentions académiques, diplômes, etc. Les pratiques en cours vont ainsi des plus banales aux plus choquantes. Nous nous contenterons, pour notre part, d’en énumérer substantiellement les plus courantes :
Achat du syllabus comme condition sine qua none de réussite dans une discipline quelconque : les étudiants sont obligés d’acheter partie ou totalité du cours conçu par un professeur pour espérer réussir. On parle aussi de droit d’auteur : le titulaire du cours perçoit de gré ou de force un montant fixé par lui-même pour le cours qu’il a conçu et qu’il faut acheter pour se mettre dans les bonnes grâces de l’enseignant intéressé.

Enrôlement : C’est le fait de constituer une liste des étudiants qui ont payé une caution au professeur titulaire du cours en vue d’obtenir de bonnes notes, sans que cela n’exclue l’achat du syllabus. La variante de « l’enrôlement » consiste, pour un professeur, à percevoir de chaque étudiant intéressé une somme d’agent forfaitairement fixée par lui-même, comme condition de réussite à un examen, un mémoire de fin d’études, un jury universitaire, etc. Même les étudiants les plus brillants ne dérogent pas à la règle.

De leur chef, certains étudiants, peu studieux et parfois encouragés par leur parent, privilégient également le dessous-de-table, le pot-de-vin, (les espèces sonnantes et trébuchantes pour la plupart des cas), afin de se tirer facilement d’affaire.
Il existe aussi le phénomène PST : points sexuellement transmissibles. Il s’agit pour une fille d’obtenir de bonnes notes scolaires en contrepartie des rapports sexuels consentis ou pas, un véritable harcèlement sexuel d’un nouveau genre. L’initiative peut également venir de la fille elle-même pour atteindre la même finalité. Le sexe féminin devient ainsi un sauf-conduit, une sorte de « bourse naturelle », selon le jargon universitaire. Dans le même registre, on peut également mentionner le phénomène de Filles dites androïde : il s’agit des filles qui passent le clair de leur temps dans des milieux dits huppés auprès des gens nantis, les écouteurs vissés aux oreilles. Elles n’ont ni l’envie ni le temps matériel pour aller suivre les cours comme tout le monde. Par conséquent, elles chargent des personnes tierces pour passer les examens ou rédiger des mémoires en leurs lieux et places, un « travail de nègre » selon notre source. Pour nous résumer, sans prétendre pour autant être exhaustif, reconnaître que rares sont les universités congolaises qui sont, à ce jour, équipées de bibliothèques garnies, d’auditoires modernes, de bourses d’études pour les étudiants méritants et d’accès fiable à l’internet ne relève pas du tout du « Congo bashing » mais du simple réalisme.

Réflexion libre
Quel que sombre soit ce tableau, il existe, en RDC, quelques signes d’encouragement, de véritables motifs d’espoir pour un lendemain meilleur. Nous en avons relevé quatre : notons, en premier lieu, le fait que certains membres du corps enseignant continuent de se distinguer par leur sens du devoir et leur probité morale, à l’instar des autorités académiques qui n’hésitent pas à châtier les hors-la-loi. Dans le même ordre d’idées, on trouve, ça et là, au monde, des cadres prestigieux dans la vie professionnelle et de brillants professeurs d’universités d’origine congolaise. Ils sont une preuve irréfutable de la formation de qualité qu’ils avaient jadis reçue en terre natale et mettent, sans conteste, en lumière, le potentiel éducatif dans le pays de Patrice Lumumba. Malgré ces conditions héroïques, on note chez les jeunes gens une envie irrépressible d’étudier et de réussir dans la vie. Enfin, les personnes interrogées reconnaissent que, depuis la bancarisation de la paye en 2015, le versement de salaire est devenu quasi régulier. Le personnel enseignant ne connaît donc plus de retard de payement de plusieurs mois, voire de plusieurs années, qui a pendant longtemps terni l’image de marque du ministère, chargé de la paye des agents de la Fonction publique congolaise.
Par ailleurs, nous sommes de ceux qui pensent que le salaire dû au personnel enseignant est un droit et non une faveur de quiconque. Sous peine d’hypothéquer l’avenir de la nation, ceux et celles qui ont en charge l’éducation et la formation de futurs cadres de la République sont donc en droit d’attendre la meilleure rémunération possible des pouvoirs publics et de jouir des conditions décentes de travail.
Cependant, rien ne prouve que de « bons » salaires, s’il en existe, suffiraient à mettre définitivement les enseignants congolais à l’abri de toute forme de corruption. L’histoire récente de ce pays nous apprend que même le chef de l’État congolais sortant, à qui des députés nationaux avaient officiellement concédé un traitement mensuel de 60 000 000 $ (en raison des 60 millions de Congolais de l’époque), entre 2006 -2011, ne s’est jamais montré irréprochable en matière de corruption et de détournement des fonds publics, comme l’ont démontré, pour ne prendre qu’un exemple, les révélations de Panama papers en 2014. En définitive, cette médiocrité mise à nu par les milieux éducatifs nous semble le reflet naturel du climat de corruption généralisé qui gangrène la classe politique congolaise, en particulier le régime qui vient de passer près de deux décennies à la tête du pays.

Il est fort à parier que des jeunes gens formés dans un tel contexte de corruption et d’antivaleurs auront eux-mêmes de la peine à se défaire de telles pratiques dans la vie sociale et professionnelle, les mêmes causes reproduisant les mêmes effets.
On le voit, il n’est pas difficile d’imaginer les conséquences d’un tel climat de corruption sur la qualité des prestations des enseignants, et partant la qualité même des jeunes gens formés et livrés par la suite sur le marché du travail. C’est également une lapalissade de souligner le fait que ces jeunes gens qui finissent leurs études dans des conditions particulièrement difficiles sont voués, pour la plupart des cas, au chômage et à la misère, le lit de beaucoup de maux. S’il devait y avoir une croisade digne de ce siècle à mener en RDC, elle devrait être dirigée prioritairement vers l’ignorance, l’ « analphabétisme de retour » et donc les maux qui gangrènent impitoyablement ce secteur clé de la vie nationale. Un mal de cette ampleur commande, à notre humble avis, un sursaut patriotique et un éveil de conscience collectif car les responsabilités nous sont semblent partagées.

On pourrait finir par cette réflexion du directeur de Handicap international : « L’éducation est au fondement du développement humain, social et économique. Les chiffres le prouvent : dans un foyer où les parents sont éduqués – surtout la mère -, le niveau de vie franchit un cap qui, dans ces pays, est indispensable pour sortir de la précarité ».

Je vous en remercie, Désiré BALABALA.

XAVIER DU CREST, « Ouvrons grand les portes de l’école », dans Vivre Debout, n° 85, Juin 2019, p. 1.

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