Quel avenir pour le FRANC CFA ? décembre 2017
L’Alliance des Forces Progressistes pour l’Afrique estime que la question de la souveraineté monétaire des pays africains doit être posée politiquement mais qu’elle doit être traitée sur le plan rationnel dans l’intérêt des peuples concernés. C’est l’objet de cette courte note.
Cette monnaie a été créée par le gouvernement français du Général De Gaulle en 1945 avant même la fin du travail forcé et la constitution de l’Union Française qui a scellé la fin de l’Empire français. Nous dirions aujourd’hui qu’une monnaie forcée s’est substituée au travail forcé, comme pour poursuivre par d’autres moyens l’exploitation coloniale. Le changement de nom de Franc des Colonies d’Afrique à Franc de la Communauté Financière Africaine (UEMOA) et Franc de la Coopération financière en Afrique (CEMAC) en 1960 ne doit pas nous tromper sur le caractère dépendant de cette monnaie par rapport à l’ancien colonisateur.
Le Franc CFA, en fait les trois Francs CFA (UEMOA, CEMAC, Comores) concerne les anciennes colonies françaises mais aussi depuis 1985 la Guinée Bissau puis la Guinée Equatoriale, soit 14 Etats dont 11 sont classés parmi les PMA par l’ONU en 2015, répond à quatre règles :
1 La parité avec le Franc Français : une parité fixe même si elle n’empêche pas une dévaluation ; la parité a survécu au passage à l’euro en 1999.
2 La garantie de convertibilité en devises via le compte d’opérations qui impose des réserves de change à hauteur de 100% jusqu’en 1972 puis de 65% pour passer à 50% actuellement.
3 La convertibilité intra-zone
4 La libre transférabilité des capitaux y compris vers l’Europe sans contrôle des changes
Les deux unions UEMOA et CEMAC sont économiquement différents : les pays de la CEMAC (à l’exception de la RCA) sont exportateurs de pétrole et leur économie est très dépendante de ces exportations ; il n’en va pas de même pour les pays de l’UMEOA. Cette simple caractéristique rend improbable l’idée d’un rapprochement entre les deux Unions. Notons que ces Unions monétaires sont devenues en 1994, suite à la dévaluation et sur décision des gouvernements africains concernés, des unions économiques et monétaires. A ce titre il est urgent de réduire l’écart entre UMEOA et CEDEAO au fur et à mesure de la suppression des droits de douane décidée en janvier 2016.
Quels sont les avantages théoriques que cette monnaie a jusqu’ici offerts ?
1 le compte d’opérations est une garantie utile via la mutualisation des ressources en cas de déficit budgétaire de tel ou tel pays ; il constitue une assurance d’apport de devises (sauf si une dévaluation est décidée…) par le Trésor français pour un Etat qui ne pourrait payer ses importations ; il peut devenir débiteur sans limite fixée a priori ; il est aussi la garantie du paiement des salaires et des frais de fonctionnement des banques centrales ;
2 c’est une monnaie commune correspondant à des zones géographiques et économiques homogènes ; elle peut être considérée comme une préfiguration de la monnaie commune africaine ;
3 c’est une monnaie stable, ce qui est une garantie pour les investisseurs en particulier les investisseurs européens mais aussi une garantie pour la croissance, la zone franc étant une zone où les chocs externes sont potentiellement importants.
Mais les inconvénients majeurs balaient ces avantages :
- c’est une monnaie surévaluée puisque sa valeur sur les marchés mondiaux dépend de celle de l’euro qui matche difficilement avec la réalité d’une économie africaine en développement ; c’est une monnaie forte avec des économies nationales faibles ; cette surévaluation équivaut à une sévère taxe sur les exportations et à une prime accordée aux importations ;
- c’est une monnaie qui n’a pas facilité les échanges entre les pays qui l’utilisent (15% des échanges entre pays de l’UEMAO, 10% entre pays de la CEMAC) et qui n’a donc pas contribué à l’intégration économique des pays de la zone franc ; elle contribue à maintenir une économie verticale avec la métropole ;
- c’est une monnaie qui correspondait à des échanges tournés majoritairement vers l’Europe ; or 50% des échanges africains se font dorénavant avec la Chine ;
- sous tutelle du Trésor Français, le compte d’opérations immobilise un montant important de capitaux (20,6 mds d’euros) qui plus est faiblement rémunérés et qui pourraient être utilisés à des fins d’investissement productif ; il est vrai que les Banques Centrales africaines font du zèle pour garder un taux élevé de l’ordre de 80% : servitude volontaire ?
- les BCEAO et BEAC doivent suivre la politique monétaire de la BCE qui donne la priorité à la lutte contre l’inflation ce qui freine le volume de monnaie créé ;
- la zone franc comme la zone euro a un objectif de déficit de 3% du PIB ce qui étouffe l’économie et restreint l’accès au crédit ;
- le taux de change fixe empêche les pays de la zone franc de réagir aux chocs économiques extérieurs comme par exemple une crise agricole entraînant l’explosion des prix des denrées.
A qui profite le système ?
- Aux élites politiques et financières des pays concernés qui profitent des garanties de change et de transfert pour leur propre business au détriment de l’investissement sur place ;
- Aux entreprises étrangères et en particulier françaises pour la garantie de change et surtout le rapatriement des bénéfices ;
- A la France qui peut, dans le cadre du pacte néo-colonial imposé lors des indépendances africaines, continuer à acquérir des matières premières africaines (cacao, café, bananes, bois, or, pétrole, uranium…) sans débourser de devises ;
Le système est par contre un obstacle au développement économique : il permet l’obtention de devises mais il ne permet pas l’industrialisation.
Il maintient les pays africains sous le joug des décisions de la tutelle française qui prend les décisions en dernier ressort.
L’AFPA estime que le Franc CFA a vécu et qu’il ne correspond plus au contexte économique actuel et à l’exigence de souveraineté des pays africains.
Au-delà d’un changement symbolique de nom de cette monnaie, des mesures de transition doivent être prises en deux étapes de façon à ne pas provoquer de panique ou d’effondrement du système économique :
Première étape
- Le taux de réserves auprès du Trésor français peut encore être diminué ; 20% (taux minimum légal) ou 30% peuvent être envisagés.
- Les règles de bonne gouvernance des banques centrales doivent être renforcées, en particulier la participation de la France à leur gouvernance.
Deuxième étape
- Il faut rattacher le Franc CFA à un panier de devises pour définir la parité du Franc CFA et non plus la définir uniquement par rapport à l’euro. Des modalités nouvelles de flexibilité des taux de change pourraient être définies telles que la définition d’une bande de fluctuation du cours de changes des Francs CFA autour de la parité ou une évolution tendancielle du taux de change : aux experts la responsabilité de définir ces modalités.
- La règle de transférabilité doit être réexaminée avec attention car elle favorise l’extraversion des économies africaines ; il convient de définir rapidement des règles de non-transférabilité d’une part significative des bénéfices qui doivent être réinvestis en capital productif localement.
- La convertibilité inter-zones doit être étudiée.
- La possibilité pour les banques d’emprunter à la Banque centrale à un taux faible afin de prêter aux entreprises et aux gouvernements à des taux élevés doit être supprimée au profit de prêts directs des Banques Centrales.
- Il faut revoir les taux d’inflation autorisés et définir une inflation cible en fonction du taux de croissance.
Troisième étape
- Elle consisterait à remettre en cause l’obligation de dépôts des réserves de change auprès du Trésor Français : cette remise en cause devrait s’accompagner d’un aménagement de la règle de centralisation puisque cette règle est la contrepartie du droit de tirage automatique sur le compte d’opérations. Il conviendrait alors que les fonds déposés par les Etats pétroliers sur des Fonds souverains en devises soient réintégrés en gestion ou du moins inscrits dans les comptes des banques centrales.
- Un développement et une diversification effective des économies africaines permettraient enfin de remettre en cause l’utilité du compte d’opérations.
Ces mesures de transition, qui sont et doivent être à l’initiative des pays africains, doivent s’inscrire dans une perspective plus vaste de création d’une monnaie africaine commune telle que programmée par l’UA ; mais elles constituent une transition indispensable visant à renforcer l’intégration des économies régionales et à fortifier une croissance non extravertie.