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Sommet de Montpellier : le « restart » macronien, Achille Mbembe en idiot utile de la Françafrique, la promotion d’une société civile néo-libérale afin de masquer le soutien aux dictateurs, l’illusion d’une mise en débat réel et d’une mise en difficulté d’un Macron soumis à des piques, le mépris renouvelé de Macron pour les Chefs d’Etat (soupçonnés de vouloir livrer leur pays à d’autres puissances Chine ou Russie) qui sont ce qu’ils sont mais ne méritent pas ce traitement de relégation, un discours racoleur à destination de la diaspora.

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Un rendez-vous tel que celui de Montpellier n’aura de sens que le jour où les pays africains seront maîtres de leur destin et auront donc reconquis leurs souverainetés économique, monétaire, sécuritaire. C’est aux peuples africains de se libérer de leurs dirigeants et d’engager une révolution citoyenne. Cette dynamique est déjà engagée dans certains pays avec des sociétés civiles conscientes (on citera le balai citoyen, y’en a marre, et beaucoup d’autres). Mais ce n’est pas cette société civile là qui intéresse Macron, c’est celle du business et de l’hyper modernité technologique. Son idée : appliquer à l’Afrique les recettes managériales qu’il tente d’appliquer en France tout en traitant d’une main de fer les questions africaines dès que l’intérêt de la France impériale est en cause (sabotage du projet d’Eco monnaie commune de la CEDEAO, soutien éhonté au fils du dictateur tchadien pour sauver le terrain de jeu militaire français, activisme militaire forcené, au service des grands oligopoles français et au détriment des peuples…). En fait, Emmanuel Macron se comporte en Afrique comme il a agi au Liban depuis deux ans : dans un pur exercice de style communicationnel, il s’immisce dans la vie intérieure de certains pays en feignant de contourner leurs dirigeants et en n’hésitant pas à leur donner des leçons de morale sur la place publique. Cette fois ci ce sont les chefs d’Etat africains qu’il insulte en les ignorant délibérément.

Car ce « Sommet » Afrique-France s’est tenu sans chefs d’État le 8 octobre. Comme souvent, Macron aime jouer aux « disrupteurs ». Sous des airs de modernité, la place accordée à la « société civile » et à des intellectuels reconnus s’apparente en réalité à une tentative de maintenir une ambition hégémonique de plus en plus contestée. L’idée que l’avenir de la France et son statut géopolitique sont inextricablement liés au maintien de relations particulières et asymétriques avec son ancien empire colonial africain a été et continue d’être la toile de fond de la politique hexagonale vis-à-vis de l’Afrique. Ces relations asymétriques sont de moins en moins tolérées par les populations africaines comme l’ont démontré les attaques contre les intérêts économiques français lors du soulèvement populaire de mars 2021 au Sénégal, et la contestation populaire de la présence militaire française au Mali.

La politique africaine de Macron arbore toutefois un cachet spécifique que l’Institut Montaigne, un think tank marqué à droite, désigne, dans un rapport daté de septembre 2017, par le vocable anglais de restart. Sur le plan formel et rhétorique, le restart consisterait pour Paris à abandonner ses inhibitions en adoptant un discours qui « lève les tabous » ainsi qu’une stratégie plus « franche ». Ce souci de redorer l’image de la France en Afrique explique quelques récentes ouvertures « symboliques » : le projet de restitution de certains biens culturels, la reconnaissance à mots couverts de la responsabilité de la France durant le génocide des Tutsis au Rwanda, la « facilitation » de l’ouverture des archives coloniales en Algérie et celles relatives à l’assassinat de Thomas Sankara.

Sur le fond, le restart fait le pari d’un « afro-réalisme » dont les entrepreneurs et start-upers africains et français seraient les fers de lance : la mise en place du Conseil Présidentiel pour l’Afrique (CPA) en 2017, une structure consultative composée de personnalités principalement issues du monde des affaires, en était les prémices. Cette diplomatie économique, s’inscrit notamment dans la perspective du « Consensus de Wall Street », un concept qui renvoie au nouvel agenda de développement des institutions financières internationales, des banques multilatérales de développement, des agences de développement, des sociétés de gestion d’actifs financiers. L’objectif est de maximiser les financements privés dans les pays du Sud global en les prémunissant de divers risques (risques politiques, risque de demande et risque de change). Cette philosophie du « développement comme neutralisation des risques » est à la base du « New Deal » de Macron pour l’Afrique. Elle implique non seulement une privatisation des services publics, à travers des instruments comme les partenariats publics privés (PPP), mais encore elle transforme les États en assureurs bénévoles des profits des investisseurs internationaux. Dans la déclaration finale de douze pages du récent Sommet de Paris sur le financement des économies africaines, le mot « risque » apparaît 19 fois. La résonance accrue de ce type d’approche néolibérale sur le continent est rendue possible par l’approche fonctionnaliste, dépolitisée et technocratique des cercles de décision économique et des institutions telle l’Union africaine.

Le sommet Afrique-France de Montpellier a formellement consacrée l’alliance entre le régime de Macron et une « société civile » africaine taillée sur mesure pour donner l’illusion qu’il serait à l’écoute des populations africaines et de leurs intellectuels. Face à l’illégitimité des dirigeants d’Afrique francophone, traditionnels alliés de la France, il a pu sembler astucieux d’ériger une « société civile » néo-impériale ayant vocation à servir de bouclier face au « sentiment antifrançais » et aussi à valider, des options économiques néolibérales comme solutions aux problèmes africains.

Pour cela il fallait à Macron un « idiot utile » qu’il a trouvé en la personne de l’universitaire camerounais Achille Mbembe (un intellectuel qui n’a aucun avis sur les questions concrètes au cœur de la Françafrique telles que le franc CFA, l’opération Barkhane ou les très nombreuses interventions militaires françaises en Afrique. Et, qui lorsqu’on l’interpelle sur le rapport Duclert relatif à l’implication française dans le génocide des Tutsi au Rwanda, bafouille de façon pathétique) qu’il a chargé de réunir un groupe de personnalités africaines avec pour mission d’organiser des consultations populaires dans une douzaine de pays du continent et dans la diaspora et, sur cette base, de livrer des recommandations lors du sommet de Montpellier. En acceptant cette mission, Mbembe et son groupe se sont mis à dos une partie des intellectuels africains et ont dû régulièrement se justifier dans les médias français face à l’accusation de « trahison des clercs ».

Le profil de l’intellectuel africain « fréquentable » pour l’Élysée et le Quai d’Orsay concerne d’une part ceux qui n’ont pas d’objections manifestes vis-à-vis du déploiement de la logique néolibérale à l’échelle du continent. Il inclut d’autre part ceux qui, comme Achille Mbembe, distinguent leur démarche de l’anti-impérialisme et, même, n’hésitent pas à proposer que la France organise une « grande transition » destinée à installer la démocratie en Afrique centrale. Œuvrer nolens volens à effacer voire à aseptiser la tradition intellectuelle critique africaine nourrie aux deux mamelles du panafricanisme et de l’anticapitalisme est une formule qui a souvent fait florès pour les intellectuels africains en quête de notoriété en Occident. Et c’est lamentable !

Il fallait ensuite s’adjoindre pour l’occasion les services d’une société civile néo-impériale dont la connexion organique avec les peuples est quasi inexistante. Les échanges des « jeunes  africains » triés sur le volet en l’occurrence des up-starters, des communicants ou exerçant des métiers de l’hyper modernité sans lien avec la situation économique des Africains, n’ont pu faire illusion sur leur caractère télécommandé par Macron : devoir s’expliquer sur les interventions militaires françaises en Afrique, sur le franc CFA, sur le soutien de Paris à des psychopathes pervers sans oublier le pillage éhonté des ressources naturelles de tant de pays pauvres ne pouvait que le réjouir dans une  comédie de la  révolte entièrement financée par le Trésor français. Macron veut passer auprès de l’électorat français d’origine africaine, comme un homme de bonne volonté, le seul prêt à refonder la relation franco-africaine.

Mais l’illusion ne dure pas et  tout le monde a été troublé par le profond mépris qui sous-tend la démarche du président français. Tout le monde avait en effet cru comprendre qu’un sommet Afrique-France, ce sont les retrouvailles annuelles, en alternance sur les deux continents, d’États souverains et amis. Bien évidemment, personne n’a jamais été dupe de cette fiction, mais au moins les apparences étaient-elles sauves. Macron vend en quelque sorte la mèche en montrant clairement que c’est bien Paris qui a toujours convoqué ses obligés pour tancer les uns, féliciter les autres, unifier les points de vue sur quelque dossier épineux et, chemin faisant, rappeler au reste du monde son emprise absolue sur les populations de terres lointaines. Macron n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai pour ce qui est du manque de respect à l’égard des chefs d’États africains. Il faut revenir sur son comportement proprement abject, incompréhensible  vis-à-vis du président burkinabè Roch Marc Christian Kaboré à l’Université de Ouagadougou en novembre 2017. Souvenons nous de cette scène surréaliste d’un président étranger traitant à haute et intelligible voix son hôte de crétin et ce, devant une foule d’étudiants hilares. Vexé et furieux – on le serait à moins ! – Kaboré a immédiatement quitté les lieux… On a eu droit plus tard, de la part du même Macron, à un coup de sang public contre les présidents du G5-Sahel, engueulade menaçante suivie d’une convocation par voie de voie presse à Pau. Ordre de déférer auquel aucun d’entre eux n’a, bien entendu, osé désobéir… En fait, leur mise à l’écart est une sanction politique : suspectés d’encourager en sous-main les ennemis de la France, ils ne méritent même plus qu’on leur parle. Mais voilà : ces chefs d’États africains ont beau être ce qu’ils sont, les humilier de cette façon est inacceptable.

Que Macron ait cru pouvoir décider tout seul du jour, du lieu, des modalités et des acteurs de la joute verbale à venir est la preuve qu’il tient pour quantité négligeable des intellectuels africains francophones qui ne lui ont jamais fait ombrage. C’est Achille Mbembe lui-même qui rapporte avec une surprenante candeur cette audience à l’Élysée au cours de laquelle son illustre hôte se fait presque suppliant : « On ne me met pas assez la pression ! Mettez-moi la pression ! » En somme, c’est le maître qui se plaint que l’esclave ne râle pas assez… Mbembe a donc lancé un  cycle de 65 débats auxquels près de 4000 personnes ont participé dans 12 pays  de 150 pages  formule treize propositions pour la « refondation » des relations entre la France et le continent, vieille antienne depuis les indépendances africaines. Celles-ci vont de la création d’un fonds destiné à soutenir les initiatives de promotion de la démocratie à des programmes permettant une plus grande mobilité étudiante, en passant par la mise en place d’un « forum euro-africain sur les migrations ». Le rapport se penche notamment sur la façon « d’apurer les différends ». Il souligne à cet égard que « la reconnaissance de la perversion du colonialisme, de sa nature, littéralement, de crime contre l’humanité, est importante ». Il estime également que, « dans une large mesure, la France est à l’écart des nouveaux mouvements et des expérimentations politiques et culturelles » portés par la jeunesse africaine et « a oublié de se connecter à ces courants d’avenir ».  « Pour assurer cette reconnexion, il est impératif de reconstruire l’outil diplomatique français en Afrique et d’assainir les réseaux parallèles », écrit M. Mbembe.

Lors du débat avec les jeunes invités, Macron a eu droit de la part d’une jeune Burkinabé à la parabole de la marmite : « Notre relation est la marmite, mais cette marmite est sale, salie par ce manque de reconnaissance, cette corruption criarde, cette non-transparence. Et là, Monsieur le Président, il faut la récurer cette marmite car si vous comptiez l’utiliser pour refaire la cuisine avec, ou si vous ne le faites pas, alors je ne mangerai pas, je ne mangerai plus avec vous l’Afrique ne mangera plus et vous serez le seul à table avec un appétit difficile ».

Mais il a évité dans ses réponses les aspects structurants de la Françafrique : le franc CFA est évoqué en tant que réforme pilotée depuis Paris, si la France est militairement présente c’est bien sûr uniquement parce que les chefs d’Etat africain le demandent, la politique anti-migratoire est balayée d’un revers de main, rien sur les guerres coloniales. Le  « Fonds d’innovation pour la démocratie en Afrique » sera doté d’une somme maigrelette de 10 millions d’euros par an ! Quant aux autres décisions : création d’une maison des Mondes africains et des diasporas, d’un Erasmus entre la France et l’Afrique sans oublier l’écriture d’une nouvelle histoire des relations franco-africaines, un fonds d’amorçage doté de 10 millions d’euros sera également créé pour aider des entreprises africaines innovantes du secteur du numérique, dans le cadre de l’initiative Digital Africa de soutien aux start-up africaines, enfin la France va aussi mettre en place un fonds pour aider les musées africains à accueillir des œuvres internationales et un programme de soutien aux académies sportives africaines. Rien ne contribuera à rééquilibrer les relations entre la France et les pays africains dans une perspective de co-développement solidaire et responsable. Nous en sommes loin !

Ce « sommet » fut donc une opération de diversion face à la poussée anti-impérialiste en Afrique. La libération passe par la fin de la sujétion monétaire représentée le franc colonial CFA, la fin de l’occupation de l’Afrique par des troupes militaires étrangères et le recouvrement de son identité culturelle.

Ce fut ainsi une tentative de racolage auprès de la diaspora tout à coup portée au pinacle en cette période pré-électorale : « C’est un plus pour vous et pour la France. Notre diaspora est une chance pour ce qu’on a à faire en France et pour nous aider à réussir cette aventure avec l’Afrique. »  « Notre pays s’est construit dans ce rapport à l’Afrique. Nous avons près de 7 millions de Français dont la vie est intimement, familialement, de manière directe, en première ou en deuxième génération, liée à l’Afrique, insiste le chef de l’Etat. On ne peut pas avoir une France qui construit son propre roman national si elle n’assume pas sa part d’africanité, si elle ne regarde pas à travers ses pages sombres ou heureuses, ses histoires tragiques ou d’amour qui a fait et continue de faire notre pays. »

Les Africains et  la diaspora ne sont pas dupes de l’opération de communication de Macron et savent qu’il n’y a rien à attendre de ce gouvernement français. Le Parti de Gauche reste quant à lui fidèle à ses valeurs d’émancipation des peuples et de souveraineté des Etats et saura le jour venu  travailler en ce sens avec les peuples africains.

Pierre Boutry

Déclaration de la Commission Afrique du Parti de Gauche

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