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SOUDAN : entre braises révolutionnaires et Grand jeu

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            2019, une révolution populaire abat une dictature de 30 ans

En 2019, le président-dictateur  soudanais Omar el-Beshir est contraint de démissionner face à une contestation populaire de très grande ampleur. Au delà de structures  qui avaient résisté à l’oppression de 30 années de Beshir, comme l’Association des professionnels soudanais (SPA) ou le plus large regroupement des Forces de la liberté et du changement (AFC),  le soulèvement, surtout le fait d’une jeunesse urbaine des banlieues tentaculaires de Khartoum, s’est structuré autour de comités de quartiers (ou de résistance), non sans rappeler l’esprit des sections parisiennes de 1789. Très dynamique, horizontal et communiquant via des groupes  WhatsApp, le comité de Kalakla (banlieue défavorisée au sud de la capitale) fait figure de modèle à l’échelle du pays qui se couvre au printemps 2019 de tels comités y compris dans la jeunesse plus bourgeoise. Dès lors, après le renversement de Beshir, deux tendances se forment au sein de ces comités. La première, radicale et représentant surtout les milieux populaires rompus aux affrontements  avec les différentes forces de l’ordre, exige un gouvernement intégralement civil, sans aucun rôle particulier délégué à l’armée. La deuxième, une frange, plus habituée aux pratiques politiques de l’ère Beshir, socialement mieux intégrée, milite en faveur de compromis et d’un Conseil militaire de Transition. C’est cette dernière option, validée par la SPA et l’AFC, qui emporte la décision : en août 2019, un conseil de transition mixte (civil et militaire) voit le jour[1]. Abdallah Hamdok prend la tête du gouvernement dans lequel les portefeuilles civils sont attribués à des expatriés issus de l’intelligentsia et des grandes institutions internationales dont Hamdok est le prototype. La jeunesse de Kalakla, évincée, ne pouvait plus qu’espérer que la transition démocratique s’effectue le plus rapidement possible.

2020-2021 : Normaliser le Soudan au mépris des aspirations populaires.

Le gouvernement de transition s’échine alors à offrir à l’international des garanties de bonne gouvernance, notamment financière, afin de faire revenir les grands bailleurs de fonds inquiets d’une déstabilisation durable. FMI et Washington en tête consentirent à nouveau à des prêts tout en se portant garant du processus de transition, tandis que l’Union Européenne emboîtait le pas. Alors que le pays normalise progressivement ses relations avec Israël, les États-Unis le retirent de sa liste des pays soutenant le terrorisme. Quant à la situation sociale intérieure et à la persistance de la colère des héros de la révolution de 2019, elles constituaient une gêne majeure pour l’exécutif qui cherche à institutionnaliser (et donc à dévitaliser) les comités.

La recrudescence du mécontentement intérieur se traduit en 2021 par le spectaculaire blocage de Port Soudan[2], principale porte d’entrée des différents produits d’importation entraînant une pénurie alimentaire à Khartoum où les écoles ne pouvant assurer le service de restauration, renvoyaient les enfants chez eux à la mi-journée. Quant à la rue soudanaise, elle estime que le gouvernement civil est responsable de la pagaille même si certains voyaient dans ces blocages une opportunité pour les militaires et les caciques du régime déchu[3]. Toujours est-il qu’après un mois et demi de blocage, les manifestants ont levé le camp le 30 octobre une semaine après le putsch du général Burhane, alors qu’à Karthoum les barricades refleurissent depuis[4]. La grève générale lancée durant la dernière semaine d’octobre semble suivie, au vu des rideaux tirés de nombreux commerces. Toutefois les revendications restent disparates : d’aucuns s’insurgent contre la libération d’anciens responsables de l’ère Beshir, d’autres souhaitent la reprise du processus de transition du pouvoir aux civils, tandis que certains ne veulent plus entendre parler du gouvernement Hamdok décrié pour ses mesures sociales et souhaitent relancer le mouvement de 2019. Les manifestation du 30 octobre ont causé la mort de 12 personnes et fait plus de 300 blessés selon les opposants.

            2021 : Le Soudan devenu terrain de jeu des puissances régionales et internationales ?

Si sur le front intérieur, la situation n’est pas décantée, les avis sont très tranchés à l’international. L’Egypte, l’Arabie saoudite et les EAU ne font pas mystère de leur approbation du putsch. Le général Burhane a ainsi annoncé sa prise de pouvoir depuis l’Egypte devant un drapeau soudanais et égyptien. Si l’Egypte craint l’avènement d’une démocratie, débarrassée de son armée à sa frontière sud, elle perçoit également le retour des militaires à Khartoum comme une occasion de durcir à nouveau les tensions soudano-éthiopiennes au sujet du grand barrage éthiopien sur le Nil bleu. Pour les E.A.U., le général Buhrane est un interlocuteur privilégié depuis 2015, période à laquelle celui-ci, à la tête des forces soudanaises engagées dans la coalition arabe anti-houthiste au Yémen est remarqué par M. Ben Zayed, prince héritier des Émirats[5].   Plus loin, la Russie, sans se réjouir ouvertement, a estimé que le gouvernement civil était responsable de la situation calamiteuse du Soudan. Moscou voit en effet d’un mauvais œil l’implication américaine dans le processus et aimerait à l’inverse voir se concrétiser au plus tôt l’implantation de sa base militaire sur le littoral soudanais.[6] Sans surprise, les États-Unis, ont suspendu leur aide de 700 millions de dollars, réclamé la libération des dirigeants civils emprisonnés et appelé à réévaluer la normalisation des rapports entre Israël et le Soudan. De son côté, la France qui avait reçu dès septembre 2019 le premier ministre Hamdok et qui avait organisé en mai dernier « conférence internationale d’appui à la transition soudanaise », « condamn[ait] avec la plus grande fermeté » le coup d’État[7].

Des braises encore chaudes

En toute hypothèse, la société soudanaise se retrouve à un moment crucial. Les actions de désobéissance civile, les mouvements de grève et les manifestations sont encore en mesure de mettre un terme à la reprise en main militaire. Toutefois, il faudra que les forces démocratiques et progressistes, en plus de courage et de détermination, démontrent leur capacité à faire la démonstration de leur autonomie à l’égard de l’Occident pour déjouer les accusations de manipulation depuis l’étranger de la part des conservateurs. L’ampleur de la résistance en cours sera déterminante pour l’issue du processus de démocratisation soudanais, d’autant qu’en cas de bain de sang, l’armée soudanaise pourrait perdre une partie de ses soutiens internationaux. Ces derniers pourraient alors ouvrir la voie à une résolution onusienne plus volontariste par exemple.[8]

La constitution actuelle du Soudan est construite sur celle de 1998 + la « constitution » provisoire adoptée en août 2019 en fait le traité qui stipule les conditions de la transition. L’absence de Constituante crée donc un flou juridique préjudiciable à la révolution citoyenne en cours (car l’armée aurait dans ce cas violé la constitution) même s’il n’est pas sûr que cela eut pu changer la donne politiquement.

A l’échelle internationale, une résolution diplomatique ne peut s’effectuer que sous l’égide des Nations-Unies. D’abord, elle aurait quelque chance de contraindre les militaires à renoncer à leur coup de force mais elle pourrait certainement empêcher les puissances régionales à s’ingérer davantage au Soudan. Il est vrai que la position russe ne facilite pas la tâche des diplomates. Toutefois dans les maigres tractations en cours, on ne peut que regretter une fois de plus l’absence de la France[9].

Rodolphe P

Déclaration de la Commission Afrique du Parti de Gauche

[1] Pour établir ce résumé, l’auteur s’appuie sur Magdi el Gizouli, Soudan : division entre les acteurs du mouvement de 2019 in Soulèvements populaires, Alternatives Sud, Sylepse édition, 2020.

[2] https://www.rfi.fr/fr/%C3%A9conomie/20211020-l-%C3%A9conomie-soudanaise-plomb%C3%A9e-par-les-blocages-%C3%A0-port-soudan

[3] Voir https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/10/29/coup-d-etat-au-soudan-la-crise-economique-une-aubaine-pour-les-militaires_6100387_3212.html

[4] Voir https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/une-semaine-apres-le-putsch-les-soudanais-maintiennent-les-barricades_2161467.html

[5] Voir https://www.middleeasteye.net/fr/decryptages/soudan-coup-etat-enjeux-pays-voisins-egypte-emirats-arabie-israel

[6] Voir https://www.areion24.news/2021/03/29/russie-soudan-malgre-la-chute-domar-el-bechir-lidylle-continue/

[7] Voir https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2021/10/31/la-france-confrontee-en-afrique-au-defi-des-emirats-arabes-unis/

[8] Voir https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/10/30/les-militaires-ne-nous-dirigeront-pas-les-opposants-au-coup-d-etat-au-soudan-restent-determines_6100435_3212.html

[9] Voir https://www.rfi.fr/fr/afrique/20211028-le-conseil-de-s%C3%A9curit%C3%A9-de-l-onu-divis%C3%A9-sur-la-situation-au-soudan-la-russie-retarde-une-r%C3%A9solution

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