Déclaration de la Commission Afrique du Parti de Gauche
Depuis novembre 2016, la minorité anglophone, qui représente environ 20% des 22 millions de Camerounais et 2 régions sur 10, proteste contre sa «marginalisation » dans la société. Cela a commencé par des revendications corporatistes des avocats puis des enseignants pour se transformer rapidement en grève générale ponctuée de revendications politiques.
Certains anglophones exigent le retour au fédéralisme qui a prévalu au Cameroun entre 1961 et 1972. Une minorité réclame la partition du Cameroun. Deux scénarios que refuse catégoriquement Yaoundé.
Ces revendications ont été « punies » par 93 jours consécutifs de black-out des communications dans les régions anglophones à compter du 16 janvier, qui auraient occasionné 38,8 millions de dollars de pertes. Le gouvernement espérait ainsi minimiser l’impact de la crise qui secouait alors le nord-ouest et le sud-ouest du pays. Pendant plus de trois mois, population et entreprises locales avaient dû recourir au « système D » pour continuer leurs activités. Il avait fallu attendre le 20 avril pour que le président « toujours absent » Biya ordonne le rétablissement des connections. Les leaders initiaux du mouvement, des personnalités raisonnables ont été marginalisés, maintenus en prison pour certains et remplacés par des figures plus radicales.
Le 1er octobre, alors que l’internet a été à nouveau bloqué, les indépendantistes anglophones du Cameroun ont tenté de manifester pour proclamer symboliquement l’indépendance de ces deux régions. Au moins quatorze personnes ont été tuées dans les violences en marge de cette proclamation symbolique, dont cinq prisonniers qui tentaient de s’évader. Le REDHAC (Réseau des Défenseurs des Droits de l’Homme en Afrique Centrale) dont la Directrice Exécutive reçoit régulièrement des menaces de mort, évoque un chiffre de 100 morts.
Les évêques catholiques des régions anglophones du Cameroun ont dénoncé la «barbarie» et l’usage «irresponsable» des armes à feu, y compris depuis des hélicoptères d’attaque, pour réprimer des civils lors des manifestations visant à proclamer symboliquement l’indépendance de ces régions. Certains fidèles qui tentaient de se rendre à la messe ont été « pourchassés dans leurs maisons, certains arrêtés, d’autres mutilés, tandis que d’autres encore, dont des adolescents sans défense et des personnes âgées, ont été tuées par des tirs », accusent les évêques. « Des gens ont perdu des proches dans ces meurtres brutaux, et ignorent même parfois ce que sont devenus les corps, emportés on ne sait où», dénoncent-ils encore.
Fidèle à sa tradition, le régime a préféré la confrontation au dialogue. Bien plus, il a instrumentalisé certains média pour distiller la haine et les divisions parmi les Camerounais ; les partisans du dialogue ont été diabolisés et présentés comme des ennemis de la patrie et même, suprême confusion, comme des terroristes ! Il est désormais indiscutable que Biya est le principal obstacle à la paix dans son pays.
Si les régions anglophones subissent les mêmes problèmes économiques et sociaux que les autres camerounais victimes d’un régime dont l’incurie a de nouveau éclaté lors de la catastrophe ferroviaire d’Eseka, ils sont de plus considérés comme des citoyens de seconde zone et victimes d’une « francophonisation » latente par des enseignants maitrisant mal l’anglais et par une administration tendant à oblitérer les spécificités culturelles et juridiques de ces régions.
Ce malaise profond renvoie au bricolage de la réunification du premier octobre 1961 qui a fait perdre au profit du Nigéria une partie importante du territoire anglophone, rendant les populations encore plus minoritaires donc plus vulnérables et de la tromperie de l’unification du 20 mai 1972 qui laissait transparaître une forte odeur de pétrole. Ahidjo, signataire des accords néo-coloniaux de 1960 réservant à la France la préférence sur les matières premières stratégiques, ne faisait ainsi, en bon serviteur, que donner satisfaction à la France. Biya effacera cyniquement en 1984 le mot « Unie » qui avait intégré la dénomination de la République Unie du Cameroun, redevenue République du Cameroun, signifiant ainsi l’annexion de fait de la partie anglophone.
Le Parti de Gauche dénonce la répression massive et brutale des populations et exige la libération de tous ceux qui ont été arrêtés en lien avec cette crise.
Le Parti de Gauche soutient le peuple camerounais insoumis dans sa lutte pour la fin prochaine de ce régime honni et appelle à l’ouverture d’une conférence inclusive devant permettre un dialogue approfondi impliquant la société civile et les partis politiques.
Le Parti de Gauche demande au gouvernement français de ne pas se contenter « de suivre avec attention la situation au Cameroun » mais de suspendre sa coopération sécuritaire avec le régime en place ainsi que toute livraison d’équipement de répression et à faire pression sur le régime afin qu’il négocie une sortie de crise rapidement et engage une période de transition.
Pierre Boutry
Responsable de la Commission Afrique du Parti de Gauche