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Démographie africaine  

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Démographie africaine                                                             juillet  2018

L’évolution démographique du continent africain est-elle une chance ou une bombe à retardement quant aux perspectives de développement du continent ? Certains occidentaux bien-pensants n’hésitent pas à parler de « bombe démographique » à même de réduire à néant les espoirs d’amélioration des niveaux de vie promis par la croissance économique. D’autres estiment que les pays africains vont bénéficier d’un « dividende démographique ». En d’autres termes, d’une brusque accélération de la croissance économique, un événement qui se produit lorsque le nombre d’actifs est supérieur à celui des enfants et des personnes âgées. Mais ces discours relèvent généralement d’un européocentrisme teinté de culpabilité historique et parfois de racisme latent. Le spectre d’une Afrique surpeuplée qui se déverserait sur l’Europe sert bien les intérêts des puissances financières occidentales tout occupées qu’elles sont à détourner l’attention des peuples européens des vrais problèmes d’injustice économique et sociale qu’elles provoquent.

Après avoir fait état de quelques données démographiques, nous tenterons de déconstruire ces discours et de tracer des perspectives s’inscrivant dans  une volonté progressiste mondiale, tant pour l’Afrique que pour l’Europe.

1 L’Afrique est  sous-peuplée 

Avec une densité de population de 40 habitants au km2 l’Afrique se situé entre l’Europe (33) et l’Asie (99). L’Asie, une fois et demie plus grande que l’Afrique, est trois fois plus peuplée ; l’Europe trois fois moins grande que l’Afrique est une fois et demie moins peuplée.

Si nous corrigeons les 30,3 millions de km2  de l’Afrique des 9 millions de km2 de déserts, soit environ un tiers de la superficie globale, nous obtenons une densité de 58 habitants au km2 ce qui reste largement inférieur aux chiffres asiatiques.

Jusqu’au XVIème siècle l’Afrique fut une zone de basse pression démographique dans laquelle la lutte pour l’espace était inconnue. Une  première augmentation de la population se produisit à la suite de l’introduction des plantes américaines (maïs, haricots, patates douces, manioc) par les Portugais, augmentation qui se traduisit par le défrichage de nouveaux milieux et en dernier ressort par le développement d’une culture guerrière dans certaines zones.

Mais nous ne devons pas oublier qu’après cette stagnation démographique millénaire,  l’Afrique a subi la ponction des traites esclavagistes par les arabes (30 millions d’africains réduits en esclavage sur dix siècles) puis par les européens (30 millions d’Africains réduits en esclavage sur deux siècles) ce qui l’a privé de sa dynamique démographique. N’oublions pas aussi les guerres de conquête coloniale, le choc microbien, le travail forcé et la participation des africains colonisés à des guerres lointaines ; tout ceci cumulé démontre que l’Afrique a un passif démographique.

Le décollage du peuplement se fait à partir des années 30 avec le développement de la médecine coloniale. Le continent compte alors 150 millions d’habitants, soit seulement 8%  de la population mondiale ; 300 millions en 1960, 600 millions en 1989, un milliard en 2010. Les projections donnent un peu plus de deux milliards en 2050 soit 25% de la population mondiale  soit le prorata qui fut celui de l’Afrique en 1650 avant les catastrophes.

 L’Afrique ne fait donc que rattraper son retard démographique. Au-delà se posera certainement la question de la viabilité d’une continuation de cette tendance mais on peut déjà parier que si les conditions économiques et sociales s’alignent pendant cette période sur les standards mondiaux la question démographique trouvera en elle-même sa propre régulation.

2 Evolution de la situation démographique globale

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Actuellement, le taux de croissance démographique moyen de l’Afrique est de 2,7 %, contre 1 % au niveau mondial, et à peine 0,4 % en Amérique du Nord, tandis que l’Europe est quasi stationnaire. Cette situation spécifique s’explique par le fait que la mortalité en Afrique baisse fortement – l’espérance de vie a gagné plus de vingt ans depuis 1950, passant de 36 à 57 ans – alors que la fécondité, elle, ne ralentit que faiblement.

Une population à majorité jeune

Alors qu’une partie importante du monde doit faire face à une population vieillissante, le continent africain, lui, apparaît comme un espace où la place la plus importante est occupée par les jeunes. En tête sur le continent, comme aujourd’hui : le Nigeria, qui aura, selon les dernières estimations de l’ONU, le plus grand nombre de moins de 25 ans dans le monde. Il devrait ainsi croître pour atteindre 114 millions d’habitants à l’horizon 2050 et 303 millions d’ici 2100. D’après les mêmes projections des Nations unies, la République démocratique du Congo, le Zimbabwe et la Tanzanie seront également dans la liste des pays comptant la population la plus jeune. En bas du classement : le Gabon, le Swaziland ou encore le Botswana et Djibouti. Un chiffre néanmoins à relativiser, car ces derniers pays restent dans la moyenne haute de la fourchette mondiale.

Une attention particulière doit être accordée à la jeunesse : en 2060, il y aura plus de jeunes en Afrique subsaharienne (1,4 milliard) que dans tous les pays du G20[1] réunis (1,3 milliard). D’ici à 2035, le continent comptera 450 millions de nouveaux entrants sur le marché du travail, soit 22,5 millions par an. Actuellement, les moins de 25 ans représentent 36 % de la population en âge de travailler et 60 % des chômeurs du continent.

Un taux de mortalité en baisse

Ce dernier est passé en moyenne de 26 % en 1950 à moins de 10 % aujourd’hui. Ajouté à cela, une espérance de vie qui a gagné plus de 20 ans, passant de 36 ans à 57 ans dans la même période, alors qu’a contrario, la fécondité ne ralentit que faiblement. « Depuis 1950, la mortalité juvénile a été divisée par trois au sud du Sahara, passant de 30 % à 10 %, mais cela n’a pas encore eu d’effet sur la fécondité », soulignait Henri Leridon, directeur de recherche à l’Institut national d’études démographiques, dans Le Monde diplomatique, en 2015.

Fécondité

 « Les sociétés africaines continuent de valoriser les familles nombreuses et les femmes ayant beaucoup d’enfants. La persistance de ces normes natalistes s’est traduite par une résistance à une utilisation de la contraception », explique Jean-Pierre Guengant, démographe et directeur de recherche émérite à l’Université Paris 1-IRD. Ainsi, un couple n’imagine pas avoir moins de 6 enfants dans les 18 pays africains étudiés en 2010 par l’United States Agency for International Development. En tête du classement : le Tchad avec un « idéal » de 13 enfants par famille. Selon ces chercheurs, les familles et leurs communautés peinent encore aujourd’hui à internaliser la baisse spectaculaire de la mortalité infantile.

Nous contestons cette appréciation idéologique euro-centrée. En fait, il n’y a pas un refus ou une opposition des femmes à l’usage des outils modernes de contraception : il s’agit plutôt de la faillite ou de l’absence de politiques d’information et d’éducation. De plus, avoir de nombreux enfants n’a jamais semblé être un véritable désir chez les Africaines, même chez les villageoises. Bien au contraire, quand les femmes ont trois ou quatre enfants, elles aspirent à la paix ; mais elles sont incapables de se rendre maîtresses de leur corps. Alors, malgré elles, elles s’abandonnent « aux lois de la nature », comme elles disent. Dans les villes, beaucoup de femmes africaines sont stériles ou n’ont qu’un enfant parce que, souvent, elles ont trop abusé des avortements clandestins souvent réalisés par des méthodes peu recommandables.

Enfin cette situation n’est pas homogène et le rythme décroit dès que s’enclenche un mécanisme de développement : l’Afrique du Centre comme l’Afrique de  l’Ouest se caractérisent par une fécondité  élevée (entre 5 et 7 enfants par femme), suivis de l’Afrique australe et de l’Est avec des niveaux intermédiaires (entre 3 et 5), et enfin le Maghreb qui se singularise par une fécondité proche de celle des pays occidentaux.

Mais, considérons un peu l’histoire :

Ceux qui prétendent de nos jours que l’Afrique est surpeuplée et présente une menace démographique pour l’Europe n’ont pas toujours tenu ce discours : souvenons nous de la « force noire » de Mangin mise en première ligne sur les champs de bataille de la première guerre mondiale. Certes, les différences en Afrique subsaharienne épousent en partie les contours des deux anciens empires coloniaux français et britannique. La France avait imposé au sein de ses colonies la loi de 1920, qui interdit toute forme de contraception. Cette législation est restée en vigueur jusque dans les années 1980 dans la plupart des pays, où il n’était pas question de politique anti-nataliste. C’est le cas du Burkina Faso et d’autres pays, qui ont dû attendre la Conférence internationale sur la population à Mexico en 1984 pour comprendre l’importance de cet aspect démographique. Le Kenya, ancienne colonie britannique, s’y est intéressé dès les années 1960.

En matière d’éducation, on observe des différences notables. La France avait davantage pour ambition de former des commis, qui puissent servir de petites mains pour l’administration coloniale. L’enseignement y était plus limité que dans les colonies britanniques. Même si les différents pays ont voulu rattraper leur retard au moment des indépendances, on ressent encore certaines séquelles laissées par le colonisateur.

Les commentaires de certains idéologues occidentaux qui expliqueraient l’évolution de la démographie africaine par un soi-disant habitus culturel contraignant la femme africaine à faire beaucoup d’enfants relèvent du fantasme.

3 Cette évolution de la démographie africaine est-elle une chance ou un risque ?

Mais cette évolution démographique est-elle une chance ou un risque pour les perspectives de développement du continent ? Les plus optimistes estiment que l’Afrique va bénéficier de ce que l’on appelle un « dividende démographique », autrement dit une brusque accélération de sa croissance économique – événement qui se produit lorsque le nombre d’actifs est nettement supérieur à celui des enfants et des personnes âgées.

 « Ce phénomène a contribué à l’émergence des pays d’Asie, notamment de la Chine », admet Henri Leridon. « Mais cette fenêtre d’opportunité ne produit d’effets positifs qu’à certaines conditions, notamment celles de disposer d’une main-d’œuvre bien formée et d’un marché du travail pour l’employer », précise-t-il.

Disposer d’une population jeune dope indéniablement l’offre et la demande, ce qui est favorable à la croissance économique. Et l’on a effectivement constaté une augmentation moyenne du PIB africain de 5 % ces dernières années, ce qui est une performance remarquable. Mais pour que l’impact de la transition démographique soit durable et soutenable, il faut qu’elle se combine avec quatre autres transitions : économique, technologique, politique et écologique.

Cette question a un historique qu’il est nécessaire de rappeler. Revenons en particulier sur la conférence internationale sur la population et le développement, tenue au Caire en 1994, qui a marqué un changement de paradigme important : l’abandon du discours de contrôle de la population et le refus de toute politique démographique qui transformerait les êtres humains en objectifs chiffrés. Un consensus fondateur y a été trouvé. Il s’agit de le défendre en toute occasion : les politiques en matière de population doivent être fondées sur les « droits reproductifs », c’est-à-dire « ces droits, possédés par toutes les personnes, leur permettant l’accès à tous les services de santé reproductive… Ils incluent aussi le droit de prendre les décisions reproductives, en étant libre de toute discrimination, violence et coercition… Les droits reproductifs sont intimement liés à d’autres : le droit à l’éducation, le droit à un statut égal au sein de la famille, le droit d’être libre de violence domestique, et le droit de ne pas être marié avant d’être physiquement et psychologiquement préparé pour cet événement » [ONU, 1998 a : 180]. C’est un enjeu éthique mais aussi un enjeu d’efficacité des actions. Les programmes d’accès à la contraception fonctionnent quand ils se basent sur une approche intégrée du développement humain et qu’ils promeuvent le libre choix.

Nous l’avons dit : certains pays africains, et seulement certains –– présentent des taux de fécondité élevés et que l’augmentation rapide d’une population dans un contexte de pauvreté implique une proportion très importante de jeunes et donc des besoins éducatifs et sanitaires conséquents. Mais ce ne sont pas les déclarations malthusianistes des  parlementaires de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest, de la Mauritanie et du Tchad, affirmant vouloir limiter à trois le nombre d’enfants par femme qui vont contribuer à faire évoluer la situation. Là où ces beaux messieurs parlent d’accès universel à la planification familiale, et utilisent à dessein la menace de l’immigration vers l’Europe de millions de jeunes, ils feignent d’ignorer que seule l’augmentation du niveau d’éducation des femmes pourra contribuer à un meilleur équilibre démographique. Même s’il ne faut pas sous-estimer les résistances des milieux religieux, il faut surtout savoir reconnaître que les programmes de planning familial là où ils ont trouvé un début de mise en œuvre se sont rapidement heurtés aux restrictions budgétaires des programmes d’ajustement structurels là où il aurait fallu investir durablement dans la santé publique.

La croissance démographique est une variable qui interagit avec l’économie et le social (notamment la santé et l’éducation). Elle peut s’avérer bénéfique pour l’économie africaine, à condition de s’accompagner justement d’importants investissements dans l’éducation et d’un marché de l’emploi dynamique. C’est ce qu’on appelle le « dividende démographique ». Pour réussir son « dividende démographique », il faut investir massivement dans l’éducation des jeunes et dans leur employabilité.  .

En Afrique, si le taux de fécondité poursuit sa diminution, nous nous retrouverons d’ici une ou deux décennies dans une situation où il y aura davantage de personnes actives (les 20-64 ans) que de personnes dépendantes. C’est une opportunité, car les actifs pourront davantage investir dans l’éducation de leurs enfants, être davantage productifs et pouvoir épargner. Autant de facteurs de croissance, dans lesquels il faut investir massivement.

À l’inverse, on peut très bien observer un « dividende démographique » qui n’a pas réussi. C’est le cas de certains pays du Maghreb où l’on a enregistré une baisse importante de la fécondité accompagnée d’une hausse de l’éducation des jeunes. Mais ces derniers se sont retrouvés massivement sans emploi, à cause d’un marché du travail peu dynamique. Un phénomène qui est en partie à l’origine du Printemps arabe.

En Asie, la transition démographique s’est déroulée très rapidement, avec une baisse importante du taux de fécondité. Mais ce processus a été particulièrement long en Europe, sur des décennies ou voire un siècle. Preuve que les situations varient énormément selon le contexte.

L’évolution suit tout de même son cours, mais à un rythme lent. Dans les années 1960-65, le nombre d’enfants par femme était de 6-7. Aujourd’hui, il est tombé à moins de 5. Sans parler des zones urbaines où il se situe autour de 3 à 4.

Il existe un lien avéré entre l’éducation et la croissance démographique. Imaginez une jeune fille issue d’un milieu rural, qui termine ses études primaires à l’âge de 11 ou 12 ans dans un pays d’Afrique subsaharienne. Elle n’a souvent aucune chance de poursuivre jusqu’au secondaire. Quelles sont ses perspectives ? Le mariage et faire rapidement des enfants. Si elle poursuivait ses études, elle pourrait au contraire se projeter davantage dans la vie et retarder l’âge d’entrée en mariage et la naissance de son premier enfant.

L’éducation joue aussi particulièrement sur le recours à la contraception. Il faut bien entendu que les femmes aient accès aux moyens contraceptifs. Les responsables politiques, tant africains qu’européens, ont donc la responsabilité historique de plaider à contre-courant des idées dominantes défendues tant par les djihadistes que par la droite religieuse américaine (Trump vient de réactiver une décision prise par George W. Bush coupant tout crédit américain aux organisations internationales finançant le contrôle des naissances).

Rappelons que l’Afrique recèle environ 60% des terres arables du monde qui n’ont pas encore été mises en exploitation.

Une croissance agricole soutenable est possible et permettrait de doubler les rendements en milieu paysan sans apport de coûteux fertilisants et pesticides chimiques. Mais la mise en œuvre de ces techniques implique des programmes de développement rural de grande ampleur dans un contexte où les budgets locaux sont asphyxiés par les dépenses de sécurité, alors que l’aide internationale s’est désinvestie de ce secteur.

Un développement économique basé sur les nouvelles technologies de l’information et les énergies renouvelables permettrait à l’Afrique de valoriser sa culture et sa sagesse traditionnelle auprès du monde entier. L’Afrique doit cesser d’être « mondialisée » par l’impérialisme occidental pour redevenir un acteur libéré, enfin décolonisé,  autonome et volontaire de la mondialisation : c’est donc à elle et à elle seule d’en décider du rythme.

Pour cela deux pré-requis :

L’aide publique occidentale au développement de l’Afrique est de 54 milliards d’euros par an et les investissements privés représentent 46,5 milliards d’euros. Un doublement de ces sommes d’ici à 2020 permettrait de générer une augmentation du PIB de 447 milliards par an pour l’ensemble du continent. Il ne faut pas ignorer les investissements en Afrique faits par les puissances des BRICS comme la Chine, l’Inde, la Turquie… qui doivent avoir dépassé probablement l’Occident.  Un rapport publié fin juin par le cabinet McKinsey Africa révèle qu’en deux décennies, la Chine est devenue le partenaire économique le plus important pour l’Afrique. « Non seulement le commerce sino-africain a été multiplié par 20, mais les investissements chinois ont passé la surmultipliée. L’implication de la Chine en Afrique serait donc beaucoup plus importante et plus diverse que ne le suggéraient les études précédentes ». Plus de 10000 entreprises chinoises opèrent maintenant en Afrique. L’Inde loin derrière la Chine passe pour le deuxième partenaire économique de l’Afrique. La France vient en troisième position.

Quant à la France elle doit couper définitivement le lien néocolonial qu’elle entretient avec ses anciennes colonies, comme a su le faire la Grande Bretagne depuis longtemps.

Alors les Africains auront enfin la possibilité de chasser leurs dirigeants actuels, incapables de faire vivre l’espoir et de se choisir des dirigeants capables de libérer les capacités productives de leurs ressortissants.

Le recul économique de la France en Afrique, au regard de la montée en puissance de la Chine et d’autres pays émergents est consubstantielle au modèle colonial datant du XXème siècle et qui n’a pas été repensé. Dans ce statut de simples pourvoyeurs en matières premières, aucune industrie de transformation n’a été encouragée dans ces pays. Cette stabilité économique s’était arrimée aux dictatures politiques qui ont assumé une continuité du modèle colonial. Le modèle d’un pré-carré français, où le sud est spécialisé dans les industries extractives, sans valeur ajoutée localement, valable au XXème siècle (1945-1990), devient obsolète et inopérant. Avec les NTIC, la diversification économique du 21ème siècle s’est émancipée en partie des matières premières. L’atout linguistique que constitue la francophonie peut être un levier pour de nouveaux partenariats économiques France-Afrique qui feraient de la jeunesse africaine, non pas un péril, mais un atout majeur en implantant en Afrique subsaharienne des industries françaises nécessitant une main d’œuvre à bon marché, et porteuses de valeur ajoutée.

4 Le cas particulier de la démographie sahélienne

Par suite de l’inertie des phénomènes démographiques, même si ces pays engageaient demain une vigoureuse campagne de limitation des naissances, l’impact d’une telle politique sera minime à échéance de vingt ans et ne commencerait timidement à porter ses fruits que vers 2050. Pour donner un exemple, le Niger, qui est certes un cas particulièrement inquiétant, comptait 3 millions d’habitants en 1960 et en a 20 millions actuellement. Il en aura de 42 à 45 millions en 2035 et de 62 à 89 millions en 2050. Ceci dans un pays où seulement 8 % de la superficie peut être cultivée.

Dans tout le Sahel, malgré la forte croissance urbaine, nous constatons une poursuite de la croissance de la population rurale de l’ordre de 2 % par an, ce qui est un cas unique au monde. Cette croissance de la densité rurale provoque la destruction des sols par raccourcissement des jachères et accroît les tensions entre agriculteurs et pasteurs, qui ne disposent plus d’espace libre pour leurs animaux. En l’absence d’investissements adaptés dans l’agriculture, la dépendance à l’égard des aides alimentaires augmente régulièrement.

Avec une croissance du PIB de 5 %, si le taux de croissance démographique est comme actuellement au Sahel de 3,5 %, la croissance effective du PIB par habitant n’est que de 1,5 % et il faudra quarante-cinq ans pour doubler le niveau de vie par habitant. Lorsque les enfants en bas âge ou en âge d’être scolarisés représentent la moitié de la population, la satisfaction des besoins en éducation, en formation et en santé devient un fardeau financier insupportable pour les budgets nationaux.

Au total, la transition démographique au Sahel ne s’achèvera pas avant plusieurs décennies, provoquant au cours des trente années à venir un accroissement spectaculaire du nombre de jeunes qui va peser sur les disponibilités alimentaires, sur les niveaux de vie, sur les dépenses sociales et surtout sur l’emploi. Le plus probable est que la paupérisation du monde rural et la perte d’espoir des jeunes feront le lit du djihadisme bien avant que ne se manifestent des famines régionales. L’insécurité a toutes les chances de se généraliser au Sahel, au point de paralyser les circuits économiques. Cette paralysie de l’économie rurale liée à l’insécurité est la première cause des famines qui frappent actuellement le nord du Nigeria, le Soudan du Sud et la corne de l’Afrique et qui contribuent à la vague actuelle de migrations africaines vers l’Europe.

La FAO estime que 80 % des terres sahéliennes sont dégradées ; la pluviométrie erratique laisse prévoir une hausse de la température de 3 à 5 degrés dans le Sahel d’ici 2050.

Si le désert occupe 1/3 de l’Afrique, il ne doit pas être exclu de l’espace occupé ou à occuper, de l’espace de vie. En effet, le désert africain n’est pas un espace vide de population. Situées en plein désert, les villes de Tombouctou (Mali) compte 54000 habitants, Kidal (Mali) 25000 habitants, Agadès (Niger) 124000 habitants, Zouérate (Mauritanie) 34000 habitants, Faya-Largeau (Tchad) 48000 habitants, Tamanrasset (Algérie) 136000 habitants. Au regard de l’immensité du désert, la densité de population est certes faible, mais c’est tout de même un espace de vie que les Africains savent valablement exploiter. A moins d’une catastrophe naturelle, les êtres humains savent toujours s’adapter à leur cadre de vie. Ceux qui migrent vers l’Europe  ne viennent  d’ailleurs pas de ces villes du Sahara. Des mobilités vers les pays voisins sont habituelles et servent de régulateur.

Il est cependant urgent que soit mis en œuvre par les pays sahéliens un plan de développement dans l’agriculture accompagné d’une maitrise forte de la natalité et d’un rattrapage scolaire important seul en mesure de redonner confiance en l’avenir (le taux de scolarisation en primaire au Mali et au Niger était d’environ 30 % en 2015).

Avec les recherches scientifiques actuellement disponibles, le Sahara, loin de constituer une zone de non-vie, devrait être un enjeu en termes de recherches fondamentales et appliquées pour son reboisement. Des technologies peuvent être créées pour verdir le Sahara, mais aucune volonté politique  n’anime, ni les pays concernés, qui n’encouragent pas l’expertise locale, ni la communauté internationale habituée à des solutions standards. Une solution consistant par exemple à créer un barrage sur l’Oubangui pour canaliser les eaux de ce fleuve vers le lac Tchad, est très dangereuse pour l’écosystème et le climat dans le bassin du Congo. Alors que si les dirigeants africains avaient foi en l’avenir, en leurs spécialistes, en lieu et place de faire appel à l’expertise chinoise dans la construction d’un tel barrage, ce sont les intelligences africaines qu’on aurait rassemblé autour d’un colloque pour poser le vrai problème en deux questions. Comment, avec qui, avec quels moyens peut-on stopper l’assèchement du Lac Tchad ? Quelles technologies mettre en œuvre pour reboiser le Sahara et vaincre définitivement le réchauffement climatique ?

Conclusion : Mais pourquoi donc le reste du monde est il tellement préoccupé par la question de la démographie africaine ?

Cet intérêt de l’Europe pour la démographie africaine, nous pensons qu’il ne se justifie pas par la peur de devoir faire face à une immigration d’origine africaine de plus en plus forte. En effet, alors que cette immigration fait les gros titres de l’actualité depuis des années, elle se situe très loin dans le flux migratoire vers l’Europe. On remarque que chaque fois que l’on fait parler les statistiques ce sont trois pays du Moyen-Orient qui arrivent en tête avec la Syrie et l’Afghanistan en première et deuxième places. Quant au pays de destination des migrants, malgré les vociférations des hommes politiques, la France est très loin dans la liste des pays d’accueil. Ce sont l’Allemagne, l’Autriche et la Suède qui accueillent le plus de migrants.

La peur des capitalistes européens face à la démographie galopante africaine se situerait plutôt du côté des ressources naturelles du continent noir qui bénéficient pour le moment presque exclusivement à l’Europe depuis bientôt deux siècles. Ne dit-on pas de plus en plus dans les milieux économiques français que « l’Afrique est l’avenir de la France » ? (Le Monde 5/01/2017). Le rapport Vedrine publié en 2016 ne propose-t-il pas des stratégies de reconquête de l’Afrique ? Ne voit-on pas aujourd’hui que les Etats-Unis, l’Europe, la Chine, et dans une moindre mesure l’Inde, cherchent à bien se positionner en Afrique ? Cette convergence d’intérêt réside dans le fait que non seulement ce continent est celui qui compte la plus grande diversité culturelle au monde), mais c’est également celui dont les ressources naturelles abondantes sont les plus variées et les moins exploitées. Il faut donc croire que si les pays africains venaient à être aussi peuplés que certains pays comme la Chine et l’Inde, ils auraient forcément besoin de leurs terres et de leurs ressources naturelles. Les pays africains apparaîtront alors comme de sérieux concurrents dans la course à l’exploitation des ressources qui nourrissent aujourd’hui le développement industriel et économique de l’Europe. En clair, les Européens ont peur de la démographie galopante de l’Afrique parce qu’ils estiment que le gâteau ne sera pas suffisant pour tout le monde ; surtout qu’ils se comptent parmi les invités à la table de l’Afrique.

Le cynisme de certains commentateurs (par exemple Stephen Smith « La ruée vers l’Europe ») atteint des sommets lorsqu’ils écrivent que continuer à aider l’Afrique à se développer augmente l’envie de partir, sous prétexte que les gens étant mieux éduqués peuvent imaginer des solutions d’exil qui ne leur viendraient pas à l’esprit s’ils restaient isolés dans leur misère. Faire semblant d’ignorer que les violences économiques d’une mondialisation imposée agrémentées de violences destructrices des puissances impérialistes interventionnistes ne seraient pas les causes principales dont l’Occident est bien responsable, permet à la fois de développer un discours de culpabilisation des peuples africains et de faire peur à bon compte aux peuples européens.

C’est bien cette hypocrisie que nous voulons dénoncer.

Tous ces problèmes de développement accéléré de l’Afrique ne pourront trouver des solutions que dans une Afrique Unie comme l’a bien démontré le premier président du Ghana indépendant, Kwame Nkrumah il y a presque 60 ans. Une Afrique unie signifie une planification économique générale au niveau continental pour accroitre la puissance économique et industrielle de l’Afrique et  vaincre ainsi la pauvreté. Il serait possible de réaliser de grands projets communs notamment de production de l’énergie (barrage d’Inga pour alimenter en énergie toute l’Afrique Centrale, centrale solaire dans le désert du Sahara), des infrastructures de transport terrestre, maritime et aérien, de freiner l’avancée du désert par la réalisation effective de la ceinture verte.

A partir de cette ceinture verte, de proche en proche, il est possible de verdir le Sahara, dans le cadre effectivement d’une Afrique Unie mettant en commun ses chercheurs et universitaires au sein d’une Institution Panafricaine de Sciences et Technologies. Ce nouveau puits de carbone ainsi créé dans le Sahel, contribuera à ralentir, baisser ou pourquoi pas à inverser la courbe du réchauffement climatique sur l’ensemble de la planète terre.

Une Afrique unie signifie aussi une armée et une stratégie militaire communes, ceci permettrait aux divers états de l’union de diminuer les dépenses militaires colossales actuelles, de fermer les bases militaires étrangères présentes dans plusieurs. Une armée commune africaine préserverait la paix en Afrique et dans le monde, personne n’osera attaquer l’Afrique. Tout comme la construction de l’Union Européenne après les deux guerres a pu préserver la paix en Europe après des guerres en partie alimentées par les courants nationalistes.

Une Afrique Unie signifie une politique commune étrangère. Tout cela suppose la mise en place des institutions communes : gouvernement, parlement, une banque centrale et monnaie communes.

Une Afrique prospère pourrait au contraire attirer beaucoup d’Européens et autres étrangers  vers l’Afrique. Ce processus de panafricanisation doit être conçu comme un combat permanent des forces progressistes africaines.

Le XXIème siècle avec l’abolition virtuelle des frontières géographiques devra être celui du partage équitable des savoirs et des technologies. La France, disposant d’un capital culturel énorme en Afrique, dispose d’une longueur d’avance dans ce nouvel élan des forces progressistes mondiales qui impulsent un nouvel ordre économique planétaire. Mais à condition que la Françafrique accepte d’opérer une mutation conceptuelle et irréversible entre les économies extractives et l’innovation d’autres partenariats gagnant-gagnant d’une part, le déliement du nœud dictatorial au profit d’une démocratisation assumée des régimes africains d’autre part. Dans un tel contexte, la démographie africaine deviendra une thématique obsolète. En effet, la fin des dictatures et la mise en œuvre d’espaces économiques novateurs sur le sol africain contribueront à l’autonomisation de la jeunesse africaine dans le continent où elle aura plus à gagner que dans l’immigration.

 

 

Annexe : Le mépris macronien

Samedi 8 juillet 2017, en marge du sommet du G20 (groupe des vingt pays les plus riches) qui s’achevait à Hambourg, le président français Emmanuel Macron a répondu à cette question d’un journaliste ivoirien : « Combien les pays du G20 sont prêts à mettre dans l’enveloppe pour sauver l’Afrique ? » Après avoir écarté l’idée d’un Plan Marshall pour l’Afrique en arguant que cette aide historique qui a sauvé l’Europe d’après-guerre « était un plan de reconstruction, dans des pays qui avaient leurs équilibres, leurs frontières, leur stabilité », le locataire de l’Elysée a estimé que le « défi de l’Afrique est différent, il est beaucoup plus profond, il est civilisationnel ». Et de conclure : « Quand des pays ont encore sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien. »

Macron a déclenché de vives réactions dans les médias et sur les réseaux sociaux. On lui a notamment reproché de « s’attaquer aux ventres des femmes africaines ».

Les paragraphes suivants sont des citations d’Elsa Dorlin :

« Il a récidivé  au Burkina Faso le 28 novembre  2017. En parlant de « défi civilisationnel », Emmanuel Macron comprenait les enjeux de la « transition démographique » et, en la matière, il rendait hommage à l’un de ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy, qui, dans l’amphithéâtre de la prestigieuse université Cheikh Anta Diop de Dakar, s’était senti totalement légitime d’expliquer à « l’homme africain » comment s’extraire du temps cyclique de la nature, où il n’y a pas de place ne serait-ce que pour « l’idée du progrès ».

Ce sont les femmes africaines qui cette fois sont visées, comme leur enlisement dans le temps cyclique de la reproduction sans limite ; ces ingrates Africaines à la sexualité débridée et irresponsable. Ce « vous pouvez décider de dépenser des milliards », c’est en fait un « nous » (nous, les pays riches qui supportons ce fardeau de l’aide et de la philanthropie paternaliste), c’est l’argent de la France et du monde.

Aujourd’hui, c’est encore ce préjugé de la surnatalité, conséquence des politiques d’appauvrissement du continent africain (comme de ses relais autoritaires locaux) et de sa mise sous tutelle monétaire, économique et frontalière, qui active ici ce sentiment d’indifférence face à ces corps abandonnés, parqués sans chaussures, sans toilettes, sans nourriture en Europe, échoués en Méditerranée, face à ces esclaves torturés dans des zones de trafic, à ces corps affamés sur des zones de conflits où seules les ressources minières, fossiles ou les découpages géostratégiques émeuvent.

Cette migration-déportation a eu et continue d’avoir des objectifs politiques tout à fait réfléchis : extorquer des ressources humaines, intellectuelles et culturelles, créant par des politiques universitaires et des privilèges de circulation des ponctions dans la jeunesse et les élites ; prétendre le faire au nom des valeurs et de la qualité supérieure des systèmes éducatifs comme des mœurs métropolitaines, alors qu’il s’agit dans ces mêmes néo-métropoles d’aller faire le sale boulot.

Emmanuel Macron n’a pas « de leçons à donner », et, pour nous en convaincre, il ne va effectivement pas donner de leçons à « l’Afrique » quant à l’irresponsabilité de ses femmes ; au contraire, il va défendre ces femmes africaines : les sept, huit ou neuf enfants par femme, êtes-vous sûrs, vous, hommes africains, que c’est le choix de vos femmes ? Emmanuel Macron a donné le ton : son discours sera féministe, ou plutôt « fémocolonialiste », parce que, dans la défense du choix des femmes africaines quant à leurs droits et choix reproductifs, le président français se place en chevalier blanc. Evoquant l’octroi de bourses d’études par les consulats français, il déclare que ces bourses seront en priorité offertes à des jeunes filles.

Si l’Afrique veut réussir, et la France avec elle, ce grand basculement du monde, nous devons former et éduquer tout le monde, et nous devons éduquer les jeunes filles, nous devons avoir des jeunes filles et des femmes libres, libres de choisir. Et je le dis pour vous, jeunes hommes qui êtes là, c’est bon pour vous. »

Dans ce discours, il y a quelque chose de particulièrement écœurant. Sous couvert d’un engagement qui emprunte au féminisme son lexique, il n’est question que d’une forme actualisée de triage colonial : à la surnatalité prétendue des femmes africaines, l’Etat français propose, comme il l’a toujours fait, la migration prétendument éducative et diplômante.

Or, si cela relève clairement d’une action positive ou, plus exactement, d’une biopolitique par définition sélective, le seul et unique effet visé est précisément de stigmatiser les hommes du continent africain pour leur patriarcat d’un autre temps, eux qui ne laissent pas choisir leurs femmes. En plus d’ignorer les mouvements féministes et d’émancipation africains – dans la ville même où fut assassiné Thomas Sankara –, il s’agit de faire des femmes africaines des complices de ce nouvel impérialisme si elles acceptent la façon dont, pour l’Etat français, il convient qu’elles se libèrent.

Ici, la promotion des femmes africaines, forme de sélection genrée, n’est qu’un autre moyen d’ériger des frontières de race et de creuser des lignes de couleur. Quant au libre choix des femmes – là-bas, ici, ailleurs, partout –, ce n’est certainement pas à un homme d’Etat d’en décider. Idéalement, il peut œuvrer pour que des politiques publiques assurent les conditions matérielles de ce libre choix, a minima il peut se taire et, surtout, nous épargner ce « fémocolonialisme », terreau du racisme comme de l’antiféminisme, qu’il faut abattre urgemment. »

 

[1] Le G20 regroupe 20 membres (19 Etats et l’Union européenne) : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie Saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie, Union européenne.