Le 6 octobre dernier, le premier ministre haïtien, Ariel Henry a appelé à une intervention internationale armée sur son territoire afin de lutter contre les gangs. Cet appel, suggéré quelques jours auparavant par le secrétaire général de l’Organisation des États américains (OEA), Luis Almagro, a tout de suite été appuyé par le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres.
Depuis que le 11 septembre dernier, le gouvernement haïtien a annoncé le doublement des prix du carburant (deuxième augmentation en dix mois), frappant de plein fouet une population majoritairement pauvre. Le 21 septembre, la coalition des bandes armées G9 – dont les liens avec certains des clans au pouvoir ont été maintes fois documentés et dénoncés – annonçait le blocage de l’accès au terminal pétrolier de Varreux. Celui-ci concentre 70% des stocks du pays, paralysant davantage encore l’activité, déjà mise à mal par l’insécurité, d’une économie où près des quatre cinquièmes de l’électricité produite dépend des produits pétroliers. À tout cela vient s’ajouter la réapparition de cas de choléra qui avait disparu ces dernières années après les ravages causés par l’épidémie apportée par des militaires onusiens. Le pays est à l’arrêt. Les enfants ne peuvent pas se rendre à l’école. Les hôpitaux ne peuvent pas fonctionner.
En fait Haïti est en état d’insurrection, et le pays vit au rythme des manifestations et des barricades depuis 2018, en résultant de deux colères : celle contre la « vie chère » et celle contre la corruption, deux fléaux désormais identifiés comme soutenant un même système. Est il besoin de rappeler qu’Haïti est le pays le plus pauvre de la région, (4,9 millions de personnes en besoin d’une assistance humanitaire) et que le pays est miné par la corruption et la violence. Il y a, d’un côté, une oligarchie et ses relais, qui a fait de l’instrumentation des bandes armées et de la gangstérisation de l’État sa politique, et, de l’autre, la grande majorité des organisations féministes, de droits humains, des mouvements de jeunes et paysans, des églises et des syndicats. Ce vaste ensemble est l’espace le plus représentatif à l’heure actuelle. La baisse des tarifs douaniers et l’ouverture du marché – notamment au riz américain, qui a précipité la destruction de l’agriculture haïtienne –, la multiplication des zones franches textiles, la stratégie appuyée, sinon téléguidée, de « l’international » du « Haïti is open for business », les expulsions massives des Haïtiens et Haïtiennes depuis les États-Unis, le soutien à un pouvoir corrompu et prédateur, lié aux bandes armées sont les principales causes du désastre.
Cet appel du premier ministre haïtien est le double marqueur de l’incapacité et de l’illégitimité d’un pouvoir, tourné davantage vers Washington que vers la population locale, et de la faillite de la diplomatie internationale.
En effet les USA exigent que toute solution à la crise passe par le gouvernement haïtien et des élections alors que la société civile haïtienne a dénoncé à travers l’Accord de Montana le 31 août 2021 l’absurdité d’une telle stratégie, au vu des conditions actuelles d’insécurité, mais aussi en raison du discrédit de ce gouvernement non élu et corrompu, soutenu à bras-le-corps par Washington et du délitement de toutes les institutions publiques. Mais le pouvoir en place et la communauté internationale continuent de rejeter le principe même d’une transition – pour ne rien dire de celui d’une rupture –, alors que la perspective d’un processus électoral apparaît tous les jours davantage illusoire.
L’UE s’est refusée à entendre la révolte haïtienne et n’a pas de stratégie si ce n’est, selon son habitude, de servir de voiture-balais pour la diplomatie états-unienne. Elle a échoué jusqu’à maintenant, est prête à valider quelque intervention armée que ce soit, et s’étonnera, demain, que de plus en plus de populations et d’États du Sud ne s’alignent pas sur sa défense « inconditionnelle » des droits humains et sa condamnation diplomatique de l’impérialisme russe.
Enfin, les sanctions décidées et adoptées par le conseil de sécurité de l’ONU visant les gangs, s’avéreront insuffisantes si une liste des personnalités qui fournissent armes et munitions aux gangs, ou qui sont de connivence avec eux, n’est pas établie.
Il est urgent que le peuple haïtien prenne son avenir en mains en faisant cesser toute allégeance et toute dépendance économique aux USA et en mettant en échec l’oligarchie qui l’exploite en instrumentalisant les bandes armées. Il lui est impossible de compter sur une communauté internationale qui ne cesse d’élaborer des plans et des solutions pour Haïti, comme si les Haïtiens et Haïtiennes n’avaient ni idée ni programme. L’occultation de l’Accord de Montana, du 30 août 2021, au sein duquel a convergé un vaste ensemble d’organisations et de mouvements sociaux haïtiens, est emblématique en ce sens.
Pierre Boutry
déclaration de la commission Afrique du Parti de Gauche