NIGER : Le grand gâchis          

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Le 26 juillet 2023, un coup d’Etat militaire a visé à évincer le président démocratiquement élu Mohamed Bazoum. Deux jours après, le général Tchiani, chef de la garde présidentielle, s’est autoproclamé président du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP).Voilà comment un général mécontent de sa mutation se mutine, immédiatement suivi par la haute hiérarchie militaire qui fait un coup d’Etat pour « préserver l’unité de l’armée » ! Avec pour conséquence la mise à mal de la démocratie et  ce en dépit des efforts notoires du président Mohamed Bazoum.

En effet depuis qu’elle est arrivée au pouvoir, la junte a réprimé l’opposition politique, les médias et la dissidence pacifique. Les autorités militaires détiennent de manière arbitraire l’ancien président Mohamed Bazoum et sa femme, ainsi que des dizaines de fonctionnaires du gouvernement destitué et que des proches du président déchu, en violation de leurs droits à une procédure régulière et à un procès équitable.

Mohamed Bazoum et son épouse n’ont rien à faire dans une prison. Ils sont retenus en tant qu’otages, en l’absence de toute procédure juridique. En août 2023, les autorités ont annoncé leur intention de traduire en justice Mohamed Bazoum pour « haute trahison » et atteinte à la sûreté intérieure et extérieure, mais il n’a pas encore été présenté à un juge. En septembre 2023, Mohamed Bazoum a intenté une action en justice devant la Cour de justice de la CEDEAO à Abuja, invoquant des violations des droits humains à son encontre et à l’encontre de sa famille pendant leur détention. En décembre 2023, la Cour de la CEDEAO a statué que Mohamed Bazoum avait été arbitrairement détenu et a appelé à sa libération. Le 14 juin 2024, la Cour d’État a levé l’immunité présidentielle à l’issue d’une procédure qui n’a pas respecté les normes essentielles d’une procédure régulière ainsi que les standards internationaux en matière de procès équitable, notamment le droit à la défense. Deux groupes armés et politique sont actuellement à l’œuvre pour  réclamer la libération de l’ex-président et enchainer les actions coups de poing.

Les autorités militaires ont également arrêté arbitrairement au moins 30 responsables du gouvernement déchu, y compris d’anciens ministres, des membres du cabinet présidentiel et des personnes proches de l’ancien président, sans leur accorder une procédure régulière ni respecter leurs droits à un procès équitable. Les avocats représentant les personnes arrêtées ont déclaré que leurs clients avaient été détenus au secret par les services de renseignement, avant d’être transférés dans des prisons de haute sécurité pour des accusations sans fondement. Au moins quatre d’entre eux ont été libérés sous caution en avril, tandis que tous les autres ont été accusés d’« atteinte à la sûreté de l’État », entre autres infractions, par un tribunal militaire bien qu’ils soient des civils.

Depuis le coup d’État de 2023, la liberté des media a été fortement restreinte dans le pays. Les autorités ont menacé, harcelé et arrêté arbitrairement des journalistes, dont beaucoup indiquent qu’ils s’autocensurent par crainte de représailles. Le 29 janvier 2024, le ministre de l’Intérieur a publié un décret qui a suspendu les activités de la Maison de la Presse, une organisation de médias indépendante, et annoncé la création d’un nouveau comité de gestion des médias dirigé par le secrétaire général du ministère de l’Intérieur !

Le 23 février 2023, le général Abdourahamane Tiani, qui s’est engagé à lutter contre la corruption après avoir pris le pouvoir, a signé une ordonnance abrogeant tout examen des dépenses militaires. L’ordonnance stipule que « les dépenses ayant pour objet l’acquisition d’équipement ou matériel ou de toute autre fourniture, la réalisation de travaux ou de services destinés aux forces de défense et de sécurité […] sont exclues du champ d’application de la législation relative aux marchés publics et à la comptabilité publique » et sont également exonérées d’impôts.

Plus récemment, le 27 août 2024, Tiani a signé l’ordonnance n° 2024-43,  établissant une base de données de personnes suspectées de terrorisme, véritable entrave aux droits fondamentaux garantis par le droit national et international. Les critères d’inclusion dans la base de données, tels que définis par l’ordonnance, sont excessivement larges et prive les individus listés de leurs droits à une procédure régulière et à un mécanisme de recours adéquat. En outre, l’ordonnance met en péril la protection des données personnelles et d’autres droits relatifs à la vie privée.

Ces dernières années, le Niger a fait face à des groupes armés islamistes brutaux opérant dans la région du Sahel. Parmi eux figurent l’État Islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et le groupe rival affilié à Al-Qaïda, le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (Jama’at Nusrat al-Islam wa al-Muslimeen, JNIM), ainsi que Boko Haram et l’État Islamique en Afrique de l’Ouest, dans les régions de l’ouest et du sud-est. Ces groupes armés ont concentré leurs efforts de recrutement sur les Peuls, notamment en exploitant leurs griefs contre le gouvernement et d’autres communautés ce qui  a conduit à la stigmatisation de l’ensemble de la communauté peule.

Cette menace djihadiste qui avait d’ailleurs été contenue par une bonne coopération de terrain entre l’armée nigérienne et l’armée française, n’empêche pas la junte de se débarrasser de toute aide extérieure, du moins occidentale. Depuis le coup d’Etat, Tiani a dénoncé les accords militaires avec la France, entraînant le départ des soldats, et multiplié les invectives contre Paris. Il accuse régulièrement Cotonou d’abriter des « bases françaises » ce qui est à l’origine de brouilles diplomatiques depuis des mois avec le voisin béninois Les Etats-Unis viennent d’achever le retrait complet de leurs troupes du Niger, conformément aux exigences du régime militaire au pouvoir. Dans la foulée, le Conseil européen a décidé de ne pas prolonger la mission de partenariat militaire de l’Union européenne au Niger (EUMPM) au-delà du 30 juin 2024, compte tenu de la grave situation politique que connaît actuellement le pays. La mission a été établie en décembre 2022 à la demande des autorités nigériennes antérieures en vue de renforcer la capacité des forces armées nigériennes à contenir la menace terroriste, à protéger la population du pays et à garantir un environnement sûr et sécurisé dans le respect du droit relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire. La durée initiale convenue était de trois ans. Le 4 décembre 2023, la junte du Niger a annoncé qu’elle mettrait fin à l’accord établissant la base juridique pour le déploiement de la mission EUCAP Sahel Niger et de la mission de partenariat militaire de l’Union européenne au Niger (EUMPM Niger). Le 23 avril 2024, le Comité politique et de sécurité est convenu que l’EUMPM Niger ne devait pas être prorogée au-delà du 30 juin 2024.

Il s’agit donc d’un choix idéologique de la part de la junte qui se découvre souverainiste et panafricaniste. Si le Niger est brouillé avec le Bénin, il s’est en revanche rapproché du Burkina Faso et du Mali voisins, deux pays également gouvernés par des régimes militaires arrivés au pouvoir par des coups d’Etat. Réunis au sein de la confédération de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), les trois pays pourraient prochainement bénéficier du pétrole nigérien évoquant la construction d’une raffinerie et d’un complexe pétro-chimique à Dosso, à une centaine de km de Niamey. La junte a d’ailleurs un admirateur bien connu : en annonçant sur les réseaux sociaux avoir reçu un passeport diplomatique nigérien, Kemi Seba a vanté les mérites du président du comité militaire à la tête du pays qui a pris le pouvoir par la force. La perte de la nationalité française décidée à Paris a été perçue à Niamey comme une mesure punitive et injuste contre Kemi Seba qui est un des soutiens du CNSP. Il pourra toujours continuer à défendre le régime militaire au pouvoir à Niamey et porter aussi son message !

Les sanctions internationales, de la Cédéao notamment, ont conduit à une perte de revenus importants pour le Niger, ce qui combiné à un faible  taux de pression fiscale 10 % (alors qu’au niveau de l’UEMOA, dispositif dans lequel ils sont toujours intégrés, la norme est à 20 %) risque de  conduire le pays à un effondrement financier. En effet le Niger fait face à une croissance démographique rapide, avec un taux d’accroissement intercensitaire annuel moyen passant de 3,1% en 2001 à 3,9% en 2012, et projeté à 3,7% en 2021 selon l’Institut National de la Statistique (INS, 2023). Cette croissance est principalement due à un taux de fécondité élevé, estimé à 6,2 enfants par femme en 2021. En conséquence, la population est passée de 17,1 millions en 2012 à 25,4 millions en 2023. Avec plus de 50% de la population ayant moins de 15 ans, les besoins en services sociaux de base sont importants, ce qui met une pression significative sur les ressources publiques. Or les données historiques montrent une diminution des dépenses budgétaires pour l’éducation, passant d’environ 17% entre 2013 et 2017 à 10% entre 2018 et 2020. En revanche, les dépenses pour la santé ont légèrement augmenté, passant de 5,5% sur la période 2013-2017 à 7% entre 2018 et 2020. Ces chiffres illustrent le besoin urgent d’une réallocation efficace des ressources pour mieux répondre aux défis démographiques du pays.

Les autorités nigériennes ont confirmé le « retour dans le domaine public de l’Etat » de l’important gisement d’uranium d’Imouraren dont le permis d’exploitation a été retiré à la compagnie française Orano (ex-Areva). Située à l’ouest du massif de l’Aïr, dans le nord du Niger, le site  est considéré comme l’un des plus importants gisements au monde, avec 200 000 tonnes de réserves. Cette décision intervient dans un contexte complexe de tensions entre Paris et Niamey, alors que le Niger fournit 15 % de l’uranium nucléaire français. La multinationale française qui détient une participation majoritaire dans la mine d’Imouraren, (la société nigérienne Sopamin SA contrôlant les 33,35 % restants) avait pourtant annoncé avoir entrepris des travaux pour relancer l’exploitation prochaine du site. La décision de la junte nigérienne intervient « malgré la reprise des activités sur place, conformément aux attentes qu’elle avait exprimées », a indiqué l’entreprise. Ce chantier minier avait été mis en sommeil au lendemain de la catastrophe de Fukushima en 2011, dans un contexte de chute des cours mondiaux de l’uranium, et il devait reprendre en 2015. Orano exploite actuellement Somaïr, une mine à ciel ouvert située dans le nord de la région d’Arlit, après la fermeture de Cominak en 2021. Les activités minières de Somaïr ont repris en février après un arrêt de production de plusieurs mois après le coup d’État. La Société des mines d’Azelik (Somina), majoritairement détenue par des Chinois, va reprendre ses activités d’exploitation de l’uranium dans le nord du Niger, suspendues il y a dix ans faute de rentabilité.

Le Niger fournit 4,7% de la production mondiale d’uranium naturel, loin derrière le Kazakhstan (45,2%), selon des chiffres de 2021 de l’agence d’approvisionnement d’Euratom (ESA). Environ un quart de l’approvisionnement en uranium naturel aux centrales nucléaires européennes en 2022 provenait du Niger, le 2e pays derrière le Kazakhstan et devant le Canada. En février 2022, 31 permis de recherche d’uranium et 11 titres d’exploitation d’uranium étaient en vigueur. Il reste que le Kazaksthan est dans la sphère d’influence russe, autre grand producteur. Raison pour laquelle le commerce de l’uranium est exclu des sanctions contre la Russie. Au-delà de la réaction française, la décision de la junte intervient également au moment où la Russie cherche à prendre le contrôle de certains actifs miniers dans ce pays.

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Mohamed Bazoum (et ce bien qu’il soit sous la contrainte pesante de son prédécesseur Mahamadou Issoufou) grâce à ses réelles capacités d’écoute et une politique de réhabilitation des services publics, contre la corruption, pour l’apaisement du jeu politique traditionnellement très brutal au Niger, avait réussi à récupérer une certaine indulgence pour la démocratie de la part de la population nigérienne. Dans la guerre contre le djihadisme, le Niger s’en tirait mieux que ses deux voisins et Mohamed Bazoum avait affirmé le commandement nigérien sur l’aide militaire extérieure, française en particulier. Il y avait aussi une réelle volonté de faire revenir l’Etat au profit des populations là où les djihadistes font régner la peur.

Bien sûr ce n’était pas parfait mais le chemin pris semblait être le bon. Il est de ce fait d’autant plus regrettable et incompréhensible qu’une junte militaire ait pris le pouvoir. Car ce n’est pas le rôle de l’armée (qui devrait être réformée elle-même) et ce n’est pas l’orientation qu’elle se donne qui permettront de sortir le Niger des pièges mortifères dans lesquels il se trouve plongé : un système politique clientéliste où le chef est enchaîné à ses obligés, où la bureaucratie incompétente et corrompue fait la loi, où le système de l’aide induit une dépendance malsaine et paralysante, où les politiques nationales sont quasi inexistantes ou du moins non suivies d’effet. Là où il faudrait un pouvoir démocratique en mesure de provoquer une vraie rupture dans les pratiques de pouvoir et de gestion, les Nigérien.nes subissent une junte uniquement préoccupée de sa survie et qui pense se maintenir au pouvoir en réprimant, en restreignant les libertés et en prenant des décisions économiques aberrantes…pendant que la situation sécuritaire se dégrade.  Les Nigérien.nes méritent mieux.

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