Déclaration de la Commission Afrique du Parti de Gauche
44 des 55 Etats membres de l’UA ont signé à Kigali le 21 mars 2018 l’accord portant création de la Zone de Libre Echange Continentale Africaine (ZLEC) soit un marché libéralisé pour les marchandises et services. La suppression des tarifs douaniers est sensée booster le commerce intra-africain situé jusqu’ici à 12/15% des échanges de l’Afrique. Si 22 Etats ratifient dans les délais en fin d’année 2018 ou début 2019, le commerce intra-africain est censé dépasser 50%, soit environ 35 milliards de dollars par an en matière de commerce intra-africain d’ici 2022 !
A ce jour seuls 6 Etats l’ont ratifié : eSwatini, Ghana, Kenya, Niger, Rwanda, Tchad.
Il n’est plus question dans cet accord d’un quelconque esprit keynésien ou d’un certain nationalisme économique africain qui prévalaient encore dans le Plan d’actions de Lagos de 1980 ou le Traité CEA d’Abuja de 1991. Non, c’est bien l’esprit du NEPAD (Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique) de 2001 négocié par Wade, Mbeki, Bouteflika, Obasanjo et reflet du néolibéralisme ayant présidé à l’évolution de l’OUA vers l’UA. Cette ZLEC s’inscrirait comme une première étape décisive du nouveau projet panafricaniste de l’UA : « l’Agenda 2063, L’Afrique que nous voulons ».
La ZLEC est un méga projet libre échangiste, comme d’autres voué à la marchandise et négocié dans des conditions obscures et anti-démocratiques. Cette fois étaient à la manœuvre le nigérien Mahamadou Issoufou et le rwandais Kagamé.
Rappelons qu’aucun pays au monde ne s’est développé sans un certain protectionnisme, rappelons que l’Afrique compte 33 des 47 pays les moins avancés du monde, soit 33/55 Etats de l’UA, soit plus de la moitié. Rappelons qu’aucune zone de libre échange régionale africaine ne possède des économies dynamiques et diversifiées qui procéderaient à une redistribution significative dans la zone concernée.
L’Afrique ne doit certes pas rester inactive face aux « mega-regionals trade agreements » (grands accords commerciaux de libre échange comme le TTIP, le TPP, CETA, etc.), mais la ZLEC est une mauvaise réponse. En effet, ce projet part du postulat que les accords de partenariat économique que l’Union Européenne a négociés séparément CER (Communauté Economique Régionale) par CER sont une bonne chose pour le continent alors que ces APE comportent pour le continent de sérieux risques de désindustrialisation et de détérioration de la situation de l’agriculture. De plus les CER risquent d’imploser suite à la pression et au chantage de l’Union Européenne qui leur demande de ratifier les APE, sachant que beaucoup de pays africains ne voudront pas se priver du jour au lendemain d’une partie plus ou moins importante de leurs recettes douanières.
Mais surtout, il faut dire que le projet de ZLEC procède d’une lecture erronée des causes de la faiblesse du commerce intra-africain. Si les pays africains échangent peu entre eux, ce n’est pas principalement du fait des barrières tarifaires et non-tarifaires. La raison fondamentale est que ces pays sont pauvres et très peu diversifiés sur le plan économique, réalités héritées de la colonisation et aggravées par la mise en place des plans d’ajustement structurel au début des années 1980 et par le protectionnisme des pays riches. Le défi premier est donc pour la majorité des pays africains de sortir de leur spécialisation primaire (exportation de produits primaires) en mettant en place des politiques commerciales et industrielles.
La seconde raison fondamentale au faible commerce intra-africain est la piètre qualité des infrastructures de transport sur le continent. Ce qui explique bien souvent qu’il est moins coûteux pour un pays d’Afrique centrale d’importer des biens de la Chine plutôt que de son voisin immédiat.
A noter en outre que si cette ZLEC venait à se mettre en place, elle bénéficierait davantage au capital international qu’aux pays africains, qui souvent, comme dans le cas des pays de la Zone Franc, n’ont aucune maîtrise sur leur politique monétaire et leur politique de change. Dans ce type de contexte où les crédits bancaires à l’économie sont faibles et où les banques sont contrôlées pour l’essentiel par le capital étranger, il n’y aura pas de marge de manœuvre pour stimuler une production locale de qualité à même de rivaliser avec les productions étrangères. Le capital international profitera de cette situation pour jouer le dumping social que facilitera la concurrence des marchés du travail et la libre circulation des travailleurs. Cela profitera provisoirement à quelques pays ayant pris de l’avance dans cette course folle comme l’Ethiopie, le Rwanda, et désormais le Maroc dont on comprend mieux son insistance à réintégrer l’UA ; ces pays qui deviennent des hubs de pénétration du capital transnational étranger sur le marché africain.
Les pays africains doivent d’abord procéder à la transformation structurelle de leurs économies et à l’expansion des marchés intérieurs, fonctions que les investissements étrangers n’exercent pas encore. Et pour cela, ils doivent avoir une approche sélective et stratégique et mettre en place un contrôle des capitaux en vue d’un développement auto-centré, non écocide, tenant compte des contraintes démographiques et faisant appel à l’imagination créatrice et non pas mimétique quant aux modèles de développement.
Nous soutenons les peuples africains qui refusent d’entrer dans la logique néo-libérale de développement absurde et destructrice : faisons en sorte que plus aucun Etat ne puisse ratifier la ZLEC !
Contre ce détournement du panafricanisme par les puissances impérialistes étrangères, agissons et luttons ensemble pour une économie solidaire et respectueuse des intérêts et des valeurs de nos peuples respectifs !
Pierre Boutry