MACRON dans la forêt françafricaine

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Emmanuel Macron a exposé depuis Paris, sa stratégie africaine pour les quatre ans à venir. Il a prôné « l’humilité » et encouragé un nouveau partenariat « équilibré » et « responsable » avec les pays africains. Il a également annoncé mais sans donner de chiffres, une réduction de la présence militaire française, la base de Djibouti n’étant pas concernée. Aucune base ne devrait être fermée, même si cette option a été sérieusement étudiée, notamment pour des questions budgétaires ; elles seront cogérées sans que l’on sache ce que cela signifie. Un discours sur la « neutralité » voulant nous faire croire à la non-ingérence mais ayant en fait pour but de s’abstenir de tout discours sur la démocratie et le processus électoraux. C’est tellement plus commode de se poser en champion de la défense des démocraties dans le cadre de la guerre en Ukraine mais d’ignorer la question dès que le tropique du est franchi. Bref que du flou et de la poudre aux yeux !

Il s’est ensuite envolé pour le Gabon pour un « One Forest Summit » en français macronien. La tenue du sommet a été décidée lors de la Convention des Nations unies sur les changements climatiques (COP27) en novembre 2022 à Charm El-Cheikh, en Egypte et  a surtout vocation à mettre en application les objectifs fixés par l’accord de Paris sur le climat (2015) et la COP15 de Montréal sur la biodiversité (2022). Le sommet doit être une étape dans la concrétisation des engagements internationaux pris pour faire face au dérèglement climatique et à l’effondrement de la biodiversité, en valorisant le rôle que peuvent jouer les puits de carbone forestier.

Macron semble y avoir pris conscience quatre millions d’hectares  sont perdus annuellement au sein des forêts primaires tropicales qui stockent le plus de carbone et de biodiversité à l’échelle de la planète soit  2,5 gigatonnes d’émissions de CO2 en plus. Il veut construire des Partenariats de Conservation Positive, dits PCP reposant sur la science. Car ce Sommet vise à développer, nous dit on, des sources de financement “innovantes” pour la protection des forêts tropicales, notamment via l’achat par des entreprises de crédits carbone issus de projets REDD+ (de réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts). Pourtant, la valeur ajoutée pour le climat et la biodiversité des projets REDD+ est très controversée car ils surestiment la quantité de carbone séquestrée ou leurs bénéfices climatiques sont annulés en raison d’événements tels que les incendies de forêt alors que leur impact sur les droits humains des communautés locales est bien réel. Des entreprises fortement émettrices peuvent ainsi utiliser des crédits carbone issus des projets REDD+ pour prétendre compenser leurs émissions de gaz à effet de serre (GES).

Le prix de la tonne de carbone vendue fait aussi sujet de débats. Aujourd’hui, on parle de 3 à 5 dollars ce qui marque l’échec total de cette financiarisation stupide là où le vrai prix serait plutôt entre 30 et 50 dollars car si les crédits carbones étaient très chers, les entreprises préféreraient réduire leurs émissions ce qui serait plus crédible du point de vue environnemental.

De fait, le sommet s’est limité à des discussions entre autorités publiques et représentant.e.s du secteur privé, sans considération pour les communautés locales et les populations autochtones, qui jouent un rôle central dans la protection des forêts selon le GIEC. Le recours aux marchés des crédits carbone est devenu un outil de greenwashing pour des acteurs fortement émetteurs car ça leur permet de détourner  de ces objectifs prioritaires. Devant ce constat d’échec des crédits carbone, même s’il n’est pas dit ainsi, il fallait trouver autre chose : ce seront les Partenariats de conservation positive pour lesquels  100 millions vont être financés : la fondation Walton pour 20 millions d’euros, Conservation International pour 30 millions d’euros, et la France mettra 50 millions d’euros. Cette enveloppe servira à financer un mécanisme de rémunération des pays exemplaires dans la conservation des forêts, et la sauvegarde de leurs stocks vitaux de carbone et de biodiversité. Et ce, via des « certificats biodiversité », qui pourront être échangés avec des États souverains ou avec le secteur privé. Tel est le résultat très modeste de ce sommet auquel ni le président de la RDC ni celui du  Brésil, les deux bassins forestiers les plus importants,  n’assistaient.

De plus le Gabon a très peu de déforestation et du coup, n’est pas favorisé par les mécanismes existants qui  sont plutôt des mécanismes qui rémunèrent les pays qui baissent la déforestation ;  c’est-à-dire qu’il faut déjà avoir un fort niveau de déforestation pour recevoir des rémunérations s’il y a une baisse vraiment sensible de la déforestation. Le Gabon ne demande d’ailleurs pas à être payé pour son stock, il demande à être payé pour des absorptions supplémentaires. Le Gabon a certes fait des efforts dans la gestion durable des forêts et la protection de la biodiversité, avec la création, au début des années 2000, d’une dizaine de réserves naturelles, l’interdiction, dix ans plus tard, de l’exportation du bois brut ou encore l’exigence de certification des concessions forestières.

Mais c’est l’arbre qui cache la forêt ! De grands projets industriels (la production de bois de coupe industriel par des entreprises françaises et asiatiques a doublé en dix ans) et la culture d’huile de palme sur des milliers d’hectares ravagent les bois. La société singapourienne Olam est une des principales responsables de ce déboisement. Des arbres centenaires, très prisés pour leurs essences rares, comme le kévazingo, sont arrachés et exportés. Or ces arbres produisent des fruits très recherchés par les éléphants, qui, faute de nourriture, vont se servir dans les villages et les plantations environnantes. Des champs sont ravagés en une nuit alors qu’ils ont nécessité plusieurs mois de labeur. Au-delà du drame environnemental, la déforestation menace la vie des populations. Qui plus est les éco-gardes du pays sont en grève car mal payés et manquant de moyens pour assurer leurs missions.

Quant à la volonté de créer des filières durables de l’exploitation des bois, tout repose sur l’investissement dans  des méthodes d’audit robustes de certification, qui s’étiolent au fil du temps alors que l’environnement se dégrade.

Le Gabon veut se donner une image écologique alors qu’il est engagé dans une course effrénée aux énergies fossiles. Il multiplie les permis d’exploration, avec des méthodes très controversées, voire interdites ailleurs, comme la fracturation. Des cours d’eau ont disparu à cause de l’extraction de manganèse. Des milliers de Gabonaises et de Gabonais se nourrissent avec du poisson contaminé et boivent de l’eau polluée. Les dégâts causés par Perenco sur la faune et la flore sont superbement ignorés.

En fait Macron avait deux buts : avaliser le greenwashing du pouvoir gabonais pour faire oublier que la majeure partie des sociétés qui polluent au Gabon sont des entreprises françaises (Total, Perenco, Eramet, les filiales d’Orano) et en  refusant de recevoir l’opposition, donner un blanc-seing à la famille Bongo au pouvoir depuis 55 ans malgré l’exaspération du peuple.

Après une courte halte en Angola, Macron s’est arrêté à Brazzaville pour saluer le dictateur Sassou, 39 ans à la tête d’un pays qui est exportateur net de pétrole mais qui  est aujourd’hui dépourvu des réserves de change international pour payer ses importations et ne survit que grâce à la solidarité au sein de la CEMAC. Un pays où 70% des jeunes diplômés congolais sont au chômage, où le taux de mortalité est inquiétant par carence du système de soins, où l’argent du pétrole est détourné. Un pays où se prépare une succession dynastique sans que Macron s’en émeuve.

Le refus de condamner clairement le soutien actif du Rwanda – pays avec lequel  Macron mène une active politique de réconciliation – à la rébellion qui met l’est de la RDC à feu et à sang, a constitué le ratage final de cette tournée africaine. Il a de plus fait montre de son mépris habituel pour les Africains en donnant une leçon magistrale à son homologue congolais : « Depuis 1994, lui a-t-il affirmé, vous n’avez jamais été capable de restaurer la souveraineté ni militaire ni sécuritaire ni administrative de votre pays. C’est aussi une réalité. Il ne faut pas chercher des coupables à l’extérieur. » Avec ce ton paternaliste on est loin de l’humilité proclamée avant son départ !

Macron perpétue la politique française sur le Continent mise en place sous le général de Gaulle. Les Français ne le savent pas, mais les Africain.e.s, eux, le voient et le constatent. Macron ignore les réalités locales et il est probablement mal conseillé. Ses tentatives d’ouverture sont vaines, le ton employé est arrogant, insultant et désastreux.  L’échec est patent.

Déclaration de la Commission Afrique du Parti de Gauche

Pierre Boutry

 

 

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