OMC : de mal en pis !

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L’OMC est en crise depuis 2003 et l’échec du  Round de Doha pour le développement. L’OMC est paralysée depuis plusieurs années par le refus des Etats-Unis de renouveler les juges d’appel de son organe de règlement des différends (ORD). A cela s’est ajoutée une montée de la contestation de la mondialisation néolibérale accentuée récemment par la crise du coronavirus déstabilisant la « chaîne d’approvisionnement mondiale » et favorisant des relocalisations et des mesures protectionnistes. Qui plus est, il y a une montée en puissance des organisations régionales. C’est-à-dire un libre-échange non plus à l’échelle universelle, mais entre groupes de pays qui adhèrent à des règles communes, à l’instar évidemment de l’Union européenne, mais également d’autres régions du monde, que ce soit en Amérique latine, en Asie et, depuis peu, en Afrique avec la Zlecaf. Or une règle impose le silence au patron de l’OMC sur les accords commerciaux bilatéraux ou régionaux. Enfin Trump a considéré que son mécanisme de tribunal d’appel est trop lent, que l’OMC a trop de pouvoir, et qu’elle est impuissante à lutter contre la Chine.

La création de l’OMC (accords de Marrakech en 1994), a étendu par rapport au GATT (qui ne concernait que les biens marchands), les domaines de compétence de la régulation internationale en matière de libre échange, comme les services, l’investissement, les droits intellectuels, l’agriculture. Les règles de l’OMC s’imposent sur celles des autres organisations internationales. Ainsi, dans le domaine du travail et des droits sociaux, l’OMC n’est pas tenue de respecter les principes de base de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), car son fonctionnement est indépendant de l’OIT. En cas de conflit entre un droit fondamental des travailleurs reconnu par l’OIT et un intérêt commercial garanti par l’OMC, ce serait de facto le principe garanti par un accord conclu dans le cadre de l’OMC qui l’emporterait. Quant aux  droits fondamentaux sociaux et éthiques (salaires, environnement, droits syndicaux, etc.) l’OMC s’en moque car elle n’a de cesse que de mettre  en place le plus d’accords possibles pour supprimer les droits de douane entre les pays, et son action économique se limite à la lutte contre le protectionnisme douanier.

Le système de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est devenu le pilier du système commercial multilatéral et un outil privilégié pour mettre en place des « règles » de libéralisation des échanges. Son pouvoir réside en particulier dans l’Organe de Règlements des Différends (ORD). En effet, par cet instrument, l’OMC est la seule organisation internationale offrant à ses membres la capacité de sanctionner d’autres États qui ne respectent pas les engagements qu’ils ont pris. L’État qui obtient gain de cause peut pratiquer à l’égard de celui qui perd un « droit de rétorsion » sous forme de sanctions commerciales frappant des secteurs variés. En outre, les experts appelés à juger en première instance ne sont pas des magistrats, et ils sont désignés au cas par cas, à l’encontre du principe d’inamovibilité des magistrats du siège. De plus, les débats de l’ORD se déroulent à huis clos.

Dans le cas des relations commerciales entre États régies par l’OMC, ce sont les intérêts de grands opérateurs privés qui sont directement en cause. De grandes entreprises nationales qui s’estiment lésées par la législation d’un autre État peuvent ainsi entreprendre des pressions pour que des actions soient intentées. Le système en devient donc pervers et ressuscite une « loi du plus fort » en favorisant les lobbies les plus puissants, seuls capables d’initier cette protection. Les grandes multinationales sont tentées de se servir de l’OMC, via les États, pour faire valoir leurs intérêts privés.

Depuis la fin des années 90, l’OMC est devenue un des symboles de la mondialisation et de la marchandisation de l’activité humaine. Les traités signés sont accusés de plus favoriser les entrepreneurs des pays riches que les salariés ou les pays pauvres. La libéralisation des services a profité essentiellement aux multinationales qui dominent le marché mondial. Le mode de fonctionnement de l’OMC favorise les pays riches capables de mener de front des dizaines de dossiers simultanés. Les décisions se prenant en suivant le principe du « Qui ne dit mot consent », les petits pays qui ne disposent que d’un seul représentant pour gérer tous les dossiers seraient donc la plupart du temps consentants malgré eux.

Le directeur général de l’Organisation Mondiale du Commerce, le Brésilien Roberto Azevedo, en poste depuis 2013, annonce le 14 mai 2020 sa volonté de démissionner, pour des raisons familiales, plus d’un an avant la fin de son mandat ; mais on a appris ensuite qu’il partait dans le but de rejoindre Pepsi Co afin de s’occuper des politiques publiques, des affaires gouvernementales et des efforts de communication ! Pour prendre la tête de l’OMC, huit candidats se sont fait connaître, dont deux femmes : la Sud-Coréenne Yoo Myung-hee, soutenue par les USA, et la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala ayant la faveur de la majorité. Finalement, c’est Joe Biden qui va décider. Après un coup de fil au président sud-coréen, Yoo se retire…  Ngozi Okonjo-Iweala sera la première femme et la première Africaine directrice générale de l’OMC ! On ne pourrait a priori que s’en féliciter mais…

Ngozi Okonjo-Iweala est économiste et spécialiste du développement. Celle que l’on nomme « Dr Ngozi » est née au Nigéria en 1954 et possède également la citoyenneté américaine. Elle a été, deux fois, ministre des Finances du Nigéria et, en même temps, numéro deux de la Banque mondiale, dont elle ratera la présidence en 2012 au profit de Jim Yong Kim, choisi par les USA. Lors de la fin de la dictature au  Nigéria (en mai 1999), Okonjo-Iweala a participé activement à la mise en place des politiques néolibérales comme conseillère du président Olusegun Obasanjo et ensuite comme ministre des Finances. Son titre de gloire est l’annulation de la dette du Nigéria, dette odieuse déjà largement remboursée. Elle  a truffé les administrations des finances d’employés, actuels ou anciens, de la Banque mondiale et du FMI et d’autres thuriféraires des politiques néolibérales. Le résultat, prévisible pour le Nigéria ne s’est pas fait attendre : privatisations et austérité.

Ngozi Okonjo Iweala est celle qui a supprimé les subventions sur les carburants (en janvier 2012), conduisant à un doublement des prix des transports alors que les Nigérians estimaient que la subvention sur les carburants était le seul avantage qu’ils recevaient de la vaste richesse pétrolière de leur pays. Une forte augmentation générale du coût de la vie a provoqué une grande grève nationale et les protestations avec le mouvement « Occupy Nigeria », qui fut rejoint par de nombreux artistes. « Ministre, elle a peut-être adopté quelques réformes sur la transparence, mais près d’un milliard de dollars disparaissaient chaque mois des caisses de l’Etat quand elle dirigeait les finances », explique Sarah Chayes, autrice de Thieves of State (voleurs d’Etat), un livre-enquête sur la corruption à grande échelle. Mme Okonjo-Iweala n’a, toutefois, jamais été poursuivie par la justice pour pillage des caisses de l’Etat, même si ses détracteurs estiment qu’elle aurait pu œuvrer davantage pour empêcher les détournements.

Elle avait été nommée en juillet dernier envoyée spéciale de l’Union africaine dans la lutte contre la pandémie avec pour mission de mobiliser des soutiens à l’international pour enrayer la crise économique qui touche de plein fouet les pays africains. Force est de constater qu’on attend d’être informé des résultats. Beaucoup s’interrogent car le continent est confronté à d’immenses difficultés pour accéder aux vaccins via le mécanisme covax mis en place par l’Organisation mondiale de la santé, le CEPI, et l’agence du vaccin Gavi. Ngozi Okonjo-Iweala n’est certes pas la seule à blâmer. Mais l’économiste ne pouvait-elle pas être plus déterminante avec sa position de présidente du conseil d’administration de Gavi, aux côtés de la Fondation Bill-et-Melinda Gates ? Conseillère principale chez Lazard et siégeant aux conseils d’administration de Standard Chartered PLC et Twitter, Ngozi Okonjo-Iweala cumule des fonctions et honneurs sans impacts sur  la vie des Africains.

L’OMC de demain sera la même en pire…Au vu d’un tel passé et d’un tel passif, l’élection de Ngozi Okonjo-Iweala n’est pas une victoire pour l’Afrique car elle contribuera à étendre le libre-échange, à renforcer l’emprise des grandes multinationales, bref à servir avec zèle le néolibéralisme. D’ailleurs, les priorités exprimées par la nouvelle Directrice générale pour l’avenir de l’OMC sont claires et parfaitement en ligne  avec les exigences du système capitaliste qu’elle sert : éliminer les restrictions au commerce, mettre en œuvre la refondation de l’organe de règlement des différends, pousser à la conclusion des négociations sur les subventions à la pêche et sur l’e-commerce. Son appel à se concentrer sur la pandémie est voué à l’échec au moment où les membres de l’organisation sont divisés quant à l’approche à avoir face à une éventuelle exemption des droits de propriété intellectuelle sur les traitements et vaccins anti-Covid.

Mais attardons nous maintenant sur l’OMC et le e-commerce, un condensé des dérives actuelles du système.

À l’occasion du Forum économique mondial de Davos le 25 janvier 2019, soixante-seize États signent une déclaration conjointe, dans laquelle ils réaffirment leur intention d’« entamer des négociations dans le cadre de l’OMC [Organisation mondiale du commerce] » sur le commerce électronique. En décembre 2017, soixante-dix d’entre eux s’étaient déjà prononcés en ce sens à l’issue de la onzième conférence ministérielle de l’OMC, à Buenos Aires. Parmi les signataires, on retrouve les principales puissances de la planète (États-Unis, Japon, Union européenne, Russie, Chine), mais on remarque aussi quelques absents de taille, à commencer par l’Inde et la quasi-totalité du continent africain. Signe que le sujet est loin de faire consensus. Le commerce électronique, ou commerce numérique, est le plus récent et le plus vaste des nouveaux enjeux du XXIe siècle en matière de négociations commerciales internationales, les “disciplines” en cours d’élaboration vont bien au-delà de toute notion légitime de commerce. Elles visent à imposer des règles mondiales sur la gouvernance du numérique — peut-être le sujet le plus complexe, le plus multidimensionnel et donc le plus controversé auquel sont confrontés les États et les sociétés au cours de ce siècle, avec le changement climatique. 

Conformément à la volonté des néolibéraux et des entreprises multinationales, la pandémie tombe à pic pour faire passer dans les faits le « grand reset » prôné par Davos. Les ventes en ligne ont, en effet, explosé en raison notamment de la fermeture de nombreux commerces et des injonctions au confinement. Quatre-vingt-six pays de l’OMC discutent donc de la  régulation  d’une économie et de technologies numériques. Ils se sont mis d’accord sur un texte dont le contenu confirme les craintes initiales : les pays du Sud ont tout à perdre de ces pseudo-négociations qui les laissent sur le banc de touche. Cette « initiative stratégique conjointe » sur l’e-commerce est donc bien un coup de force.

Le texte est délibérément flou sur des notions centrales comme « produits numériques » ou « transmissions électroniques ». Car selon que l’on considère les « produits numériques » comme des biens ou des services, la portée de l’accord sera différente. Jusqu’alors, les biens et les services font l’objet de deux accords différents au sein de l’OMC. Les pays en développement disposent de plus de latitude pour « libéraliser » des services. Or le numérique efface la frontière entre ces deux catégories. Une montre connectée, par exemple, est à la fois un bien et un service tout comme un téléphone mobile. La suppression des droits de douane est aussi au cœur des négociations sur les « transmissions électroniques ».  Ces transmissions incluent-elles ou non le contenu qui est transmis ? Là encore c’est le flou qui domine. En effet l’hypothèse de scinder les négociations (une pour la partie « biens », une autre pour la partie « services ») est possible et n’implique pas les mêmes conséquences. Les États-Unis, le Japon et l’Union européenne considèrent pour leur part que le contenu n’est pas inclus. Peut-on s’en étonner puisque ils sont à peu près les seuls au niveau mondial à posséder les grandes infrastructures, (les réseaux par satellite, les centres de données, les matériels informatiques, les logiciels). Ils exercent ainsi une domination planétaire.

Les enjeux financiers et de mise sous tutelle des pays en développement sont donc considérables. Au fur et à mesure de la numérisation forcée de pans entiers de leur économie les profits capitalistes des détenteurs d’infrastructures et de logiciels seront colossaux tandis que les pertes des pays dépendants seront abyssales. En face, la Chine joue un rôle clé : elle s’est volontairement rangée parmi les pays en développement tout en étant une puissance numérique de premier plan. Elle s’oppose aux propositions « occidentales » en matière de libre-circulation des données, de protection des codes sources et promeut la « souveraineté numérique ». Mais au nom de la défense de ses intérêts elle dénie aux pays du Sud la capacité à réguler et à encadrer les services de paiement électronique, chasse gardée de ses entreprises. Son objectif est que les entreprises de services de paiement électronique soient traitées comme toute autre entreprise de services incluant le droit d’établir ou d’étendre leur « présence commerciale », y compris à travers des fusions et acquisitions.

L’OMC prône la libre-concurrence quand elle favorise les seuls pays riches…
En effet, le traité de l’OMC sur l’e-commerce interdira aux pays en développement de construire leurs propres infrastructures de données, de participer au financement de leurs jeunes entreprises numériques, de stocker et traiter localement leurs propres données. Comme avec tous les traités de l’OMC, les bénéfices iront aux entreprises numériques des pays les plus industrialisés. En effet, la protection des codes sources, outil crucial pour leur développement, revient à interdire les transferts de technologie en faveur des pays du Sud. Et les seuls bénéficiaires de l’interdiction des mesures de localisation des données sont les pays développés qui concentrent 80% des centres de données, en particulier les États-Unis qui en possèdent 40% sur leur territoire. De plus, et comme toujours, la suppression des droits de douane sur les transmissions électroniques bénéficie aux pays exportateurs nets des biens et services concernés, c’est-à-dire, les pays industrialisés. Mais évidemment pas aux peuples, ni du Sud ni du Nord !

L’OMC confirme donc avec les discussions sur l’« e-commerce » sa ligne néolibérale. Les États-Unis, l’Union européenne et l’OMC jouent partition commune pour imposer leurs géants du numérique aux pays en développement et cherchent à leur interdire de s’en protéger. Le résultat de ces négociations sur l’« e-commerce », qui d’ailleurs se déroulent en dehors du cadre légal puisqu’elles se font sans mandat de négociations de l’OMC, sera vraisemblablement imposé aux pays du Sud, devenant ainsi la nouvelle règle pour tous. Ngozi Okonjo-Iweala , première femme africaine à la tête de l’OMC, y aura activement contribué…alors qu’il faudrait qu’elle essaie de faire évoluer son institution vers plus de solidarité internationale, plus d’entraide !

Pierre Boutry

Déclaration de la commission Afrique du  Parti de Gauche

 

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