Malakoff le 8 janvier 2016
Chers amis et camarades, je tiens ce soir à vous apporter le soutien du Parti de gauche à vos efforts de convergence dans les luttes politiques que vous menez dans vos pays respectifs au Burundi , au Rwanda, au Congo Brazzaville et en RDC.
Le Parti de gauche attache en effet la plus grande importance à ce que les luttes politiques en Afrique dépassent les frontières que le colonisateur a laissé et que la solidarité au niveau d’une sous-région comme la votre soit une réalité entre partis et mouvements des quatre pays.
Car face à vous il y a quatre dictateurs avec chacun leur histoire et un positionnement différent mais ce sont d’abord et avant tout des dictateurs ; trois sont des produits en droite ligne de ce que l’on appelle « françafrique » le dernier s’étant constitué en réaction contre cette « françafrique ». Quatre dictateurs qui foulent aux pieds les règles fondamentales de la démocratie en voulant rester indéfiniment au pouvoir. Quatre dictateurs qui s’enrichissent sur le dos de leurs compatriotes et se posent en obstacles à l’émancipation de leurs peuples.
De ce point de vue votre sous-région est richement dotée en dictateurs là où l’Afrique de l’Ouest semble dégager quelques exemples de démocratie certes imparfaits … mais quand même !
Commençons par le Burundi qui se déchire et entre rapidement dans la guerre : un Nkurunziza qui se met dans l’illégalité en foulant aux pieds les accords d’Arusha et qui refuse la médiation de l’UA ; un Nkurunziza qui procède à des assassinats et qui attise la haine ethnique là où elle n’était pas. Nous soutenons la CNARED et tout particulièrement son Président Léonard Nyangoma dont nous connaissons le courage et la détermination pour constituer une unité de l’opposition face à un tel danger.
Aucune hésitation à avoir quant à Nkurunziza : qu’il dégage !
Le Rwanda dont certains peuvent légitimement estimer le progrès économique et la capacité de résilience après les épreuves subies, se voit conduit à travers un pseudo-référendum à soutenir le maintien au pouvoir jusqu’à, excusez du peu ! 2034 et ce pour trois nouveaux mandats un Kagamé dont les options démocratiques sont bien cachées si du moins elles existent. Un Kagamé qui va entretenir de manière durable les germes de l’instabilité dans toute la région.
Aucune hésitation à avoir quant à Kagame : qu’il dégage !
Venons-en au Congo Brazzaville : Sassou Nguesso a organisé un référendum le 25 octobre afin de pouvoir briguer un nouveau mandat grâce à une manœuvre constitutionnelle (nouvelle République et suppression de l’âge limite pour se porter candidat) alors que la Constitution de 2002, qu’il a lui-même fait adopter, stipule que l’article 57 (limitation à deux mandats) ne peut faire l’objet d’aucune révision. Le peuple congolais est courageusement descendu manifester afin de dire non à ce coup d’Etat constitutionnel et le régime honni a tiré et tué et aussi distribué de l’argent à mobiliser une armée partisane pour répandre la terreur.
Sassou veut maintenant précipiter la date des élections de façon à empêcher toute vraie opposition de se constituer. Nous soutenons en conséquence le FROCAD-IDC et de rester dans sa logique de résistance au coup d’Etat constitutionnel de Sassou en réclamant le respect de la Constitution de 2002.
Aucune hésitation à avoir quant à Sassou : qu’il dégage !
Quant à la RDC : pendant que Kabila décapite la CENI et nomme de façon illégale des gouverneurs dans les nouvelles provinces sans élections, calendrier, pendant qu’il envoie ses nervis agresser les participants au rassemblement de la Dynamique de l’Opposition Congolaise à N’Djili, ce même Kabila propose une fallacieuse tentative de dialogue qui n’est qu’un complot visant à contourner la constitution afin de faire « glisser » la date de l’élection présidentielle de fin 2016. Mais l’opposition au régime va grandissant avec la création du G7 sous la pression de la Dynamique de l’Opposition Congolaise, puis les discussions de Gorée. Là où le Rwanda et le Congo Brazza ont procédé aux modifications constitutionnelles, le régime Kabila veut rendre impossible l’organisation des élections, pour se servir de l’article 74 qui stipule » Le Président de la République élu entre en fonction dans les dix jours qui suivent la proclamation des résultats définitifs de l’élection présidentielle ». Donc sans élection, il peut rester attendre à son poste. Le dictateur prédateur Kabila aux 15 milliards de dollars selon Forbes est qui plus est le roi des hypocrites, en osant prétendre que le coût des élections est trop élevé pour le budget congolais !
Aucune hésitation à avoir quant à Kabila : il ne doit pas glisser, il doit dégager : qu’il dégage !
La responsabilité de la France est grande dans la situation de vos pays respectifs et sans vouloir repartir trop loin en arrière dans l’histoire, il nous faut quand même dénoncer quelques uns des nombreux méfaits pour l’Afrique de l’ex-chef du Parti Solférinien qui prétendait en finir avec la Françafrique et qui préside actuellement aux destinées du peuple français :
honte à celui qui exfiltre Compaoré et sa clique d’un Burkina Faso en révolte au lieu de le laisser à la disposition de la justice de son pays,
honte à celui qui déclare que Sassou est tout à fait en droit de consulter son peuple par référendum contribuant ainsi à démobiliser le peuple congolais et permettant à Sassou de se prévaloir de son soutien,
honte à celui qui se tait à l’approche de la fin de mandat de Kabila alors que la tentation d’imiter ses voisins semble être de plus en plus forte,
honte à celui qui ne réagit pas ou n’exprime que de simples regrets devant la fuite en avant de Nkurunziza avec son troisième mandat, avec la recrudescence des assassinats et des violations des droits de l’homme,
honte à celui qui se tait devant les exactions d’un Idriss Deby parce que ce dernier a fait de lui son redevable,
honte à celui qui laisse la Centrafrique s’enfoncer dans le chaos, suivant en cela une bonne vieille tradition coloniale française,
honte à celui qui s’acharne sur le dictateur équato-guinéen et son fils dans l’affaire des biens mal-acquis mais qui oublie que cette affaire concerne aussi le Gabon et le Congo Brazzaville,
honte à celui qui abandonne à la police politique du régime, après les avoir soigné dans l’hôpital militaire français de Djibouti, les opposants massacrés par les forces de répression de Guelleh,
honte à celui qui conçoit la diplomatie française comme une annexe du commerce extérieur en favorisant de façon outrancière les oligopoles français des Infrastructures, de l a Téléphonie et de l’Energie,
honte à celui qui s’est contenté de privatiser la « françafrique » impériale de De Gaulle et de ses successeurs au lieu de redessiner les contours d’un possible développement respectueux des peuples.
Mais la France n’est pas la seule à jouer dans la cour centrale de l’Afrique : vous êtes entourés d’amis plus ou moins bienveillants et plus ou moins intéressés : Ouganda, Tanzanie, Angola, et plus loin, la RSA dont il convient d’anticiper les réactions. L’Empire américain infiltre les mouvements de jeunes de la société civile de plusieurs pays africains et cherche à rebattre les cartes pour mieux s’étendre. Quant à la Chine, son appétit de matières premières est tel qu’elle cherche à tout prix à s’approprier le plus de concessions possibles en fermant les yeux sur l’amoralité et la vénalité des régimes en place.
Car s’il est primordial de réclamer le départ de ces accapareurs, il ne suffit pas, chers amis et camarades, de réclamer l’alternance. Il faut préparer une réelle alternative et cette alternative, nous le savons tous, sans vouloir parfois nous l’avouer parce que c’est une voie difficile ; cette alternative, nous ne pouvons la construire qu’avec et par le peuple quitte à écouter des choses qui nous dérangent dans nos convictions de militants.
Certes le Président Obama a raison lorsqu’il réclame non pas des hommes forts mais des institutions fortes pour l’Afrique ; mais nous savons que des institutions fortes ne sont pas forcément les garantes d’un progrès économique et social respectueux de l’homme et de la nature ; nous savons que des institutions fortes ne sont pas forcément les garantes de l’émancipation des peuples. Il ne suffira pas de tourner la page c’est le livre tout entier qu’il faut réécrire.
Nous, nous disons que c’est le peuple qui doit être fort et que nous tous ici présents, militants engagés, ayant une conscience politique, prêts à nous sacrifier pour nos peuples, nous devons nous mettre au service du peuple et l’accompagner dans la recherche de solutions où c’est l’homme qui est placé au centre et non pas une économie capitaliste extravertie.
Non aux hommes forts, oui aux peuples forts de leur sagesse ancestrale, de leur bon sens, de leur croyance en un avenir différent !
Vive la révolution citoyenne et souveraine africaine !
Pierre Boutry
Responsable de la Commission Afrique du Parti de gauche