Déclaration de la Commission Afrique du Parti de Gauche
Lors du sommet de la francophonie qui s’est tenu les 11 et 12 octobre à Erevan, en Arménie, la ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Louise Mushikiwabo a été élue. Certes, il fallait qu’une femme remplace une femme, qu’elle soit issue d’un pays d’Afrique Centrale qui n’avait jusqu’ici jamais eu de représentant élu au poste de Secrétaire de l’OIF. Mais que signifie ce choix d’un membre (depuis 9 ans) d’un régime autoritaire qui ignore la notion même de démocratie en Afrique sous prétexte de modèle de développement singapourien et ce à la grande satisfaction de tous les dictateurs en place dans un grand nombre de pays africains francophones ?
Un régime qui est en passe de transformer un pays francophone, le Rwanda, en pays anglophone sous prétexte que l’anglais serait le langage des start-ups, en fait sous l’influence de ses mentors anglo-saxons et en conjonction avec leurs intérêts économiques visant à piller les richesses d’un grand pays francophone voisin.
Que signifie donc ce choix sinon la soumission des dirigeants africains à un Macron soucieux de se réconcilier avec Kagamé pour permettre aux oligopoles français de reprendre pied dans la région des grands lacs ?
Le reste, la langue française, cette langue partagée avec des centaines de millions de personnes sur les cinq continents, une langue d’émancipation et non pas de business ; le développement solidaire d’une communauté francophone qui a une âme véhiculée par une langue malléable et capable d’intégrer des modes variés, une langue qui est admirable sur le plan culturel, tout cela Macron s’en moque. Son prédécesseur avait négocié avec le Canada en vue du soutien de ce pays à la COP 21 et les pays africains s’étaient vu imposer Michaëlle Jean dont l’ignorance des questions africaines et la vacuité ont dévalué l’OIF. Le même scénario se reproduit et les africains francophones se voient à nouveau imposer un choix qui ne renvoie qu’aux intérêts français, du moins de la façon dont les comprend Macron.
Les peuples africains ne sont pas dupes de cette soumission volontaire de leurs dirigeants. Macron a beau proclamer « notre exigence démocratique est vitale, vibrante », et « notre organisation doit s’adresser d’abord à la jeunesse » nul ne peut le croire même et surtout quand il prétend faire des paris ! « C’est le poids de la politique qui passe avant le linguistique, avant la démocratie, avant la démographie, beaucoup de critères ont été sacrifiés sur l’autel de la diplomatie, et encore quelle diplomatie ? », a regretté l’éditorialiste politique sénégalais Babacar Justin Ndiaye. Alex Kipré, écrivain et éditeur ivoirien, journaliste au quotidien gouvernemental Fraternité Matin, a « déploré que cela soit encore l’extérieur qui (nous) dicte nos lois ». « Ça fait réseautage, ça fait Françafrique ».
Alors, puisque Macron veut faire de la francophonie « un lieu du ressaisissement et du refus de la situation établie », puisqu’il prétend vouloir « réinventer le combat pour les biens commun universels et réinventer le multilatéralisme », pourquoi agit-il à l’inverse ? Nous ne savons pas si « une organisation qui ruse avec les valeurs et les principes est déjà une organisation moribonde » comme l’a déclaré sans ambages Michaëlle Jean mais l’OIF en prend le chemin.
Rien dans le discours macronien sur la démocratie, sur la limitation du nombre de mandats sur laquelle son prédécesseur avait quand même insisté, rien sur la francophonie économique ; quelques déclarations peu engageantes sur la jeunesse, l’éducation des jeunes filles (décidément son obsession !), le numérique (plate-forme numérique francophone) et la culture (congrès des écrivains de langue française). Bref un discours auto-centré et conditionné par les intérêts qu’ils soient économiques ou symboliques de la France.
On apprend même au détour d’un communiqué que les Émirats arabes unis passent du statut d’observateur à celui de membre associé ! Dit autrement que les massacreurs du Yémen mais excellents clients pour nos ventes d’armement sont élevés au rang de membre à part entière !
Les peuples de la francophonie attendent autre chose d’une institution comme l’OIF : qu’elle promeuve activement la démocratie, qu’elle facilite le travail des échelons régionaux, qu’elle organise la libre circulation des talents actuels et futurs, qu’elle soit au service de la créativité des artistes et des chercheurs, qu’elle s’empare de sujets cruciaux comme le Franc CFA, qu’elle soit un levier pour un développement économique régulé, solidaire, respectueux des hommes et de l’environnement, un développement fondé sur une éthique d’inclusion sociale et de promotion de la dignité humaine et de l’égalité homme-femme. Tout ceci doit s’appuyer sur une mobilisation collective de tous les acteurs et sur un multilatéralisme permettant des dialogues approfondis.
Ne comptons pas sur Macron pour engager une telle évolution, lui qui réussit l’exploit de mettre le ver anglophone dans le fruit francophone. Seuls les peuples africains sont en mesure de mener à bien une révolution qui dégagera les despotes prédateurs en place et bousculera les règles du système à travers entre autres l’institution dont il est question ici à savoir l’OIF.
Pierre Boutry