Le texte complet de la lettre du Collectif de solidarité avec les luttes sociales et politiques en Afrique : « Lettre à UE sur négociation de l’Accord ACP-UE post-Cotonou et élections en Afrique » peut être consulté à l’adresse suivante : https://electionsafrique.wordpress.com/2018/12/05/lettreuenegociationpostcotonou/
Nous en reprenons ci-après quelques extraits, le Parti de Gauche étant signataire de cette lettre.
L’Accord de Cotonou entre l’Union européenne (Ue) et les États d’Afrique, Caraïbes et Pacifique (Acp) arrivera à expiration en février 2020. Les négociations viennent de commencer autour du Sommet Ua-Ue des 29 et 30 novembre 2018 à Abidjan. Le 16 novembre 2017, le Parlement européen a insisté sur « la nécessité de renforcer la bonne gouvernance, la démocratie, l’état de droit, le respect des droits de l’homme » et à « tenir un dialogue franc et ouvert, fondé sur le respect mutuel, sur ces valeurs et principes et à en faire un axe majeur de coopération, notamment en étendant la conditionnalité de l’aide au développement à leur strict respect. »
Rappelons que l’article 9 de l’Accord de Cotonou précise que le partenariat Acp-Ue se fonde sur « le respect des droits de l’homme, des principes démocratiques et de l’Etat de droit ». Si un Etat manque à une obligation découlant de ces éléments essentiels, une procédure de consultation est mise en œuvre. Selon l’article 96, des « mesures appropriées », peuvent être prises et aller jusqu’à la suspension de la coopération. L’article 96 a été utilisé au Zimbabwe en 2002, en République centrafricaine en 2003, en Guinée-Bissau en 2004 et 2011, au Togo en 2004 et à Madagascar en 2010, au Burundi en 2015, mais n’a pas été utilisé au Gabon en 2016, sans explication.
Dans ce dernier pays, la communauté internationale a une part de responsabilité dans la crise parce qu’elle a demandé à Jean Ping de recourir à ladite Cour constitutionnelle, puis l’a ensuite abandonné pendant la manipulation de cette cour constitutionnelle, facilitée par le président de l’Ua, Idriss Déby. Poussé par le Parlement européen, face à l’enjeu d’une possibilité de récupération et d’instrumentalisation de ses Missions d’observation électorale, l’Ue a invité le 28 mars 2017, le « gouvernement gabonais à s’engager dans un Dialogue politique intensifié avec l’UE, dans le respect de l’accord de Cotonou ». Si les autorités gabonaises ne répondaient pas aux attentes dans ce Dialogue Politique Intensifié (DPI) prévu par l’article 8 de l’accord de Cotonou, un processus de consultation au titre de l’article 96 devait être lancé et aller, conformément à la résolution du Parlement européen du 2 février 2017, vers des «sanctions ciblées aux responsables des violences post-électorales, des abus des droits de l’homme et du sabotage du processus démocratique dans le pays ». Or le 24 septembre 2018, au Gabon, après l’abandon de son enquête par la Procureur de la Cour pénale internationale, la Délégation de l’Union européenne, a signé une déclaration commune avec d’autres institutions, pour « encourage(r) toutes les parties prenantes à faire en sorte que ces consultations électorales se déroulent de manière pacifique, contribuent à l’apaisement du pays et constituent une véritable opportunité pour la consolidation de la démocratie en République gabonaise », alors que la Mission d’observation électorale de l’Ue avait constaté en septembre 2016 que le résultat de la présidentielle avait été inversé au profit du président sortant Ali Bongo, et que cette inversion de résultat accompagnée de crimes contre l’humanité empêchait un futur processus électoral démocratique. L’Ue a donc abandonné ce Dialogue Politique Intensifié (DPI) dans une parfaite absence de transparence. Cette inconstance européenne dans le soutien des principes démocratiques affaiblit les démocrates gabonais victimes d’une forte répression. Le reniement de l’Accord de Cotonou par l’Ue elle-même est analysé comme le résultat des pressions des chefs d’Etat se maintenant au travers d’élections non-démocratiques au moment du démarrage des négociations d’un nouvel accord.
S’ils pourraient accepter des compromis sur des points moins importants, peut-être même sur le respect des droits humains, il est probable que les négociateurs liés à l’Ua voudront supprimer ou neutraliser les articles traitant des exigences en matière de démocratie et de processus électoraux, tels que les articles 8, 9 et 96 actuels. Pourrait également être concerné l’article 97 qui permet en « cas graves de corruption » d’entamer des consultations.
Actuellement, en 2018, la manière utilisée par l’Ue, puissance de ‘soft-power’, pour influencer en Afrique évolue. Au niveau de ses actions, l’Ue associe le budget du Fonds européen de développement, au travers d’une approche statistique d’actions en de multiples points, et de plus en plus de déblocages de budget pour des actions ponctuelles. Elle se développe aussi au travers d’une modernisation de la communication dans un style le plus positif possible, en privilégiant des domaines stratégiques ou des thèmes de communications potentiellement ‘levier’ d’évolution systémique, tels que ‘les jeunes’, ‘l’emploi’, ‘les femmes’, ou ‘le climat’, et la mise en place d’événements et de structures de communication originales. En théorie, cette approche est compatible avec un soutien accentué à la construction de l’Etat de droit, par exemple au niveau liberté de la presse, à l’installation d’administration judiciaire et policière, à la mise en position de responsabilité d’acteurs nouveaux. Elle est particulièrement visible depuis deux ans dans le suivi du processus électoral en RDC. Elle est adaptée à la diplomatie préventive. Elle évite la confrontation entre la diplomatie européenne et des acteurs africains. Elle vise à prévenir les confrontations entre acteurs africains qui créeraient des points de blocage indépassable, et parfois à mélanger des acteurs opposés pour les pousser vers des compromis.
En raison des processus électoraux régulièrement détournés, en particulier en amont, dans une vingtaine de pays non-démocratiques d’Afrique, le risque grandit d’un abandon des exigences passées de l’Ue dans des situations bloquées en absence de démocratie, pour aller vers des exigences minimales inopérantes qui accompagneraient des statu quo, en même temps qu’une préservation des intérêts commerciaux et militaires. Dans les cas extrêmes, la diplomatie européenne est neutralisée, sous la pression de gouvernements utilisant les intérêts européens.
Depuis 2016, année des inversions de résultats de présidentielle, le nombre de massacres d’Etat dans des conflits électoraux augmente sans que la communauté internationale n’ait mis en place des mécanismes de prévention adaptés. Des pays restent enfermés dans des cercles vicieux d’impunité, de répression, et d’élections au processus détourné qui garantissent l’impunité. Les processus de démocratisation se figent. La communauté internationale est facilement neutralisée et accusée d’ingérence par des pouvoirs sans légitimité.
La politique européenne de soutien à la démocratie au niveau des processus électoraux a montré ses limites, par exemple au Togo ou au Gabon. Malgré sa volonté de renouveler ses méthodes, l’Ue fait depuis quelques années face à des difficultés de plus en plus insurmontables qui perturbent son approche globale. Les nombreux dirigeants non-démocratiques africains, plus d’une vingtaine actuellement, abordent les négociations avec l’Ue avec l’idée de refuser de se voir imposer des contrôles sur les règles du jeu de la démocratie.
Le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique attend des négociations Post-Cotonou des avancées qui puissent redonner de l’espoir aux peuples africains en attente de démocratie. Si ce n’est pas le cas, les populations africaines verront de plus en plus négativement ce qui sera pour des raisons contradictoires appelé ‘ingérence’ et les intérêts européens dans la gestion des migrations ou dans le soutien de l’activité commerciale des entreprises.
Le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique rappelle la nécessité pour l’Ue de placer en priorité la qualité des processus électoraux à l’agenda des discussions avec l’Ua durant les négociations d’un nouvel accord avec les pays Acp. Il souligne la nécessité de conserver des dispositions contraignantes en termes de démocratisation, en particulier en étendant la conditionnalité de l’aide au développement et en prévoyant des mesures de sanctions adaptées.
En outre, le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique réaffirme son soutien aux démocrates africains et invite l’Union européenne à organiser la consultation la plus inclusive possible, incluant l’ensemble des acteurs politiques et des sociétés civiles, et à tenir compte de l’absence de légitimité électorale de nombreux chefs d’Etat africains qui n’ont jamais été démocratiquement élus et voudraient malgré cela profiter des négociations actuelles pour tenter d’éterniser leurs régimes.