Au début du mois d’octobre 2020, soit un mois avant l’élection présidentielle, le président Alassane Ouattara annonce une forte hausse du prix du cacao payé aux planteurs, de 825 à 1000 francs CFA le kilo. Cette annonce visiblement électoraliste, intervient à la suite d’une offensive victorieuse menée par la Côte d’Ivoire et le Ghana. Ces deux géants mondiaux du cacao avaient forcé des multinationales chocolatières américaines comme Hershey et Mars, à payer leurs fèves plus chères, depuis le 1er octobre 2020, date du début de la campagne 2020-2021.
En effet, les organes de régulations des filières cacao des deux pays, le Conseil café-cacao (CCC) ivoirien et le Ghana cocoaboard avaient réclamé aux multinationales, le paiement du différentiel de revenu décent (DRD). Il s’agit d’une taxe supplémentaire aux cours mondiaux de la matière première, qui s’élève à 400 dollars par tonne de cacao. Le DRD est destiné selon les deux pays, à garantir une rémunération décente aux paysans, afin d’améliorer leur condition de vie.
Toutefois, la Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de Cacao, n’en est pas à son premier bras de fer avec les multinationales. L’issue de ces initiatives a toujours tourné à l’avantage des multinationales. Car dans la logique du commerce international, le partenariat gagnant-gagnant n’est qu’un leurre, et seul celui qui dispose de la technologie reste le véritable gagnant. Depuis quelques semaines, une crise du cacao se signale en Côte d’Ivoire, pays dans lequel la question du foncier rural n’est toujours pas réglée en tant que tel.
Les conséquences d’un bras de fer risqué
Depuis l’indépendance, la Côte d’Ivoire premier producteur mondial du cacao ne transforme que le quart de son cacao (broyage des fèves, beurre de cacao). En septembre 2020, le pays lance même la construction de deux nouvelles usines de transformation du cacao. Cependant, ce pays francophone au potentialités énormes, n’arrive pas à se doter lui-même, de moyens technologiques lui permettant de transformer en masse, cette matière première, en de rentables produits finis de qualité (chocolat), susceptibles de rivaliser avec ceux des multinationales. Cette situation ne permet donc pas à la Côte d’Ivoire de mener un véritable combat contre les géants du chocolat.
Déjà le 9 juillet 1987 dans un contexte de crise économique marqué par la baisse brutale des cours mondiaux, Houphouët-Boigny s’était engagé en vain, dans un bras de fer face aux multinationales, en espérant remonter les cours. En effet, devant l’effondrement des cours du cacao, la Côte d’Ivoire avait décidé un embargo sur ses exportations qui durera 18 mois, jusqu’au 2 janvier 1989. Après avoir stocké des centaines de milliers de tonnes de fèves de cacao, la Côte d’Ivoire recule et vend à prix cassé plus de 400 000 tonnes au groupe français « Sucres et Denrées ».
Depuis le début de l’année 2021, suite à cette offensive ivoiro-ghanéenne contre les multinationales, une crise du cacao touche durement les planteurs, et la filière reste bloquée depuis quelques semaines. Le cacao ivoirien n’est pas suffisamment acheté, au grand malheur des paysans et autres agents locaux du secteur. Selon certaines sources, les chocolatiers chercheraient à s’approvisionner auprès d’autres pays producteurs. En Côte d’Ivoire, la plupart des planteurs n’arrive plus à acheminer le cacao vers les coopératives. Désormais dans la précarité, ils sont même obligés de vendre ou de prêter leurs parcelles pour tenir le coup.
Toutefois, l’origine de cette crise du cacao fait l’objet de diverses interprétations contradictoires. Pour le ministre de l’Agriculture ivoirien, Adjoumani Kouassi Kobenan, la mévente du cacao ivoirien serait le fait de la résurgence de la maladie du Coronavirus. Selon d’autres sources bien introduites, cette crise du cacao est liée au fait que « les six multinationales installées en Côte d’Ivoire (Cargill, Barry-Callebaut, Olam, Touton, Sucden et Ecom) qui achètent la totalité du cacao ont décidé d’utiliser la baisse de la demande mondiale de cacao liée au Covid-19 comme argument pour baisser le prix Caf des 300 000 tonnes restantes de la grande campagne à des niveaux de prix inacceptables ».
Par ailleurs, depuis le 23 janvier 2021, l’Union européenne annonce se doter d’une réglementation interdisant l’importation sur son sol de produits liés à la déforestation ou au travail des enfants. Des problématiques qui touchent de plein fouet le cacao ivoirien, déjà en pleine crise.
Entre les manœuvres des multinationales que l’on ne peut que déplorer et le durcissement de la législation européenne dont on doit se féliciter, la paupérisation du monde paysan est donc inévitable en Côte d’Ivoire.
Une paupérisation favorable aux conflits fonciers.
La crise du cacao accentue la paupérisation du monde paysan. Elle frappe de plein fouet, les planteurs autochtones et étrangers qui cohabitent dans la méfiance depuis plusieurs décennies, sans que la question du foncier rural ne soit véritablement réglée. Les paysans autochtones frappés par la précarité, ne disposent pas de moyens nécessaires pour établir leurs certificats fonciers ruraux.
Toutefois, l’avenir du foncier rural est fortement lié aux élections législatives du 6 mars 2021, dans laquelle deux tendances s’affrontent pour le contrôle de l’Assemblée nationale. La première incarnée par l’opposition (FPI, PDCI-RDA) souhaite l’application stricte de la loi de 1998 relative au foncier rural et promulguée par le président Henri Konan Bédié. Cette loi fait des autochtones ivoiriens, les propriétaires des terres qui relèvent du domaine coutumier, à condition que ces derniers disposent d’un Certificat foncier rural. Les planteurs étrangers doivent simplement se contenter d’un bail emphytéotique qui leur permettra de cultiver la terre pendant 99 ans. Seule leur descendance ne deviendra propriétaire que si elle est de nationalité ivoirienne.
L’autre tendance incarnée par le RHDP du président Alassane Ouattara se base sur l’article 12 de la Constitution ivoirienne de 2016 qui confère à l’Etat, les collectivités territoriales, et des personnes physiques ivoirienne (sans distinction entre autochtones et naturalisés), le droit de propriété sur les terres qui relèvent du foncier rural. En 2013, une loi promulguée par le chef de l’Etat Alassane Ouattara, donnait un délai de 10 ans aux autochtones de prouver leur droit de propriété sur les terres, fautes de quoi, les terres seront considérées comme sans maitre. Ce qui marquerait le retour de la logique du président Félix Houphouët-Boigny qui soutient que la terre appartient à celui qui la met en valeur, beau principe valable à son époque mais complètement dévoyé depuis l’envahissement organisé des territoires par des allochtones.
Le Parti de Gauche dénonce le piège tendu au paysan ivoirien par un gouvernement ivoirien opportuniste et uniquement soucieux de régler le problème foncier au détriment des autochtones en les empêchant par tous les moyens d’intimidation de faire valoir leurs droits. Lors des législatives du 6 mars aucune voix ne doit manquer à l’opposition.
Oris Bonhoulou et Pierre Boutry
Déclaration de la Commission Afrique du Parti de Gauche