Le 14 décembre 2024, un terrible cyclone dévastait l’île de Mayotte, faisant de nombreuses victimes (au moins 39 morts et des milliers de blessés). La catastrophe humaine et matérielle due aux rafales du cyclone a été amplifiée par la situation d’extrême dénuement dans laquelle est maintenu, depuis des décennies, ce 101e département, le plus pauvre de France. Depuis la « départementalisation », décrétée en 2011, le niveau de vie des 40 % les plus pauvres a baissé de plus de 20 % ; le PIB est quatre fois plus faible que celui de la métropole ; 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Les conditions de logement sont à l’image de cette misère : 40 % des habitations sont en tôle (les bidonvilles), la quasi-totalité sans aucun confort sanitaire, et 81 000 habitants (sur les 320 000) ne disposent pas d’eau courante (+ 17 % par rapport à 2012, selon l’Insee) ; cet habitat précaire a été totalement détruit.
L’ampleur des dégâts s’explique par l’impréparation de l’État et des autorités locales face aux risques cycloniques, les gouvernements successifs, notamment sous la Présidence Macron, étant plus soucieux de « régler » les problèmes d’insécurité que d’assurer à ce territoire les moyens de son développement économique et social, ainsi que sa protection contre les aléas climatiques. L’île est dotée d’abris de refuge pour à peine 30 000 personnes, tandis que n’existe aucun plan d’évacuation précoce des populations en danger et de mise à disposition publique de zones d’accueil d’urgence (bâtiments publics, intendance et mise à disposition de moyens de secours) ; malgré les prévisions concernant la dangerosité du cyclone Chido, aucune préparation ni protection sérieuses des populations n’ont été organisées.
Rappelons par ailleurs qu’en avril 2023, le ministre Darmanin n’avait qu’une solution pour résoudre les problèmes de Mayotte : une opération de nettoyage (intitulée « Wambushu »), consistant à déployer des centaines de gendarmes et policiers pour détruire des milliers de logements situés dans des bidonvilles et expulser de l’île environ 10 000 personnes venues des autres îles comoriennes.
Les 4 îles des Comores (dont Mayotte) ont une identité nationale depuis 1500 ans. La France coloniale a « acheté » Mayotte au 19e siècle, puis imposé son « protectorat » sur les 4 îles jusqu’en 1974, date à laquelle 3 îles des Comores sont devenues indépendantes ; l’enjeu est clairement stratégique, pour l’État, avec une position idéale au cœur du canal du Mozambique et ses nodules métalliques en eau profonde. En 1976, un référendum organisé par l’État français à Mayotte, et fondé sur de belles promesses de prospérité évidemment non tenues, a fait de cette île le 101ème département français. Ce vote n’est toutefois pas reconnu par les Nations unies, qui considèrent que Paris ne respecte pas l’unité et l’intégrité territoriale des Comores. La France a été condamnée à plus de 20 reprises par l’Assemblée générale de l’ONU en cinquante ans. En effet, en droit international, la nation des Comores ne peut pas être amputée d’une de ses îles qui a la même identité nationale que les 3 autres. La République des Comores revendique donc légitimement la restitution de Mayotte en tant que 4e île de l’archipel. Depuis les années 70, les ingérences, assassinats et coups d’État, fomentés notamment par le mercenaire Bob Denard (agissant pour l’Élysée), se sont multipliés ; l’abandon économique et financier de l’archipel par la France est avéré, alors que la République des Comores a été maintenue dans la même sujétion monétaire que les anciennes colonies africaines (avec le « Franc Comorien »). Les 3 îles indépendantes des Comores ont sombré dans le sous-développement chronique et l’extrême pauvreté, aboutissant à la fuite massive de Comoriens.
Mayotte est le « département » le plus pauvre de France, pour les mêmes raisons qu’en métropole, mais décuplées : manque criant de moyens de services publics (situation scandaleuse, par exemple, des établissements scolaires ne pouvant accueillir que la moitié des élèves scolarisés, et de l’accès aux soins), manque de logements (d’où la construction de bidonvilles), chômage endémique (plus de 30%), salaires inférieurs au SMIC, etc.
C’est bien ce même esprit colonial qui ressort, de la part de l’État français, non seulement dans la gestion calamiteuse des secours, dénoncée par les élus locaux et les habitants (10 jours après le cyclone, des villages entiers attendaient toujours de voir l’arrivée des secouristes, et de recevoir des vivres et de l’eau potable, chose qui aurait été impensable en métropole !), mais aussi par l’attitude de ses représentants : Bayrou, fraîchement nommé 1er ministre, avait mieux à faire à Pau qu’à Mayotte… ; Macron et son ministre Retailleau, sur place, déployaient une communication d’autosatisfaction mensongère, et ne juraient à nouveau que par un « durcissement des moyens mis en œuvre pour lutter contre l’immigration clandestine » (déclaration de Macron le 19 décembre 2024 depuis Mayotte).
Car Bayrou est enfin venu à Mayotte !
Il a présenté son plan baptisé « Mayotte debout ». Au chapitre des urgences, François Bayrou a promis le rétablissement de l’électricité « dans chaque foyer d’ici fin janvier » et le retour de l’eau potable d’avant Chido (soit 38 000 mètres cubes par jour) porté au 30 juin à 40 000 m³. Ce sera toujours insuffisant, puisque l’île a besoin de 46 000 m³ par jour, et que sa consommation quotidienne augmente de 3 000 m³ chaque année. Bayrou a également annoncé la construction d’une deuxième usine de dessalement et l’accélération de la création d’une troisième retenue collinaire – deux projets de longue date –, mais il n’a donné aucun échéancier ni aucun montant. La rentrée scolaire à partir du 13 janvier, une annonce jugée irréaliste : la moitié des établissements scolaires (220 écoles, 20 collèges et 10 lycées) ne sont pas en état de recevoir des enfants, et avant même Chido il manquait 1 200 salles de classe pour répondre aux besoins. Nombre d’écoles fonctionnent sur le système de la rotation (des enfants ont cours le matin, et d’autres l’après-midi). Et la plupart des collèges et des lycées sont surchargés. Sans compter que la plupart des enseignants métropolitains sont reparti chez eux.
Le premier ministre a en outre promis le rétablissement du réseau téléphonique (déploiement dans l’urgence de 200 satellites Starlink, le fournisseur d’accès à Internet de SpaceX ! , et de la 5G sur tout le territoire d’ici à la fin juin 2025), dont sont encore privés de nombreux villages, la mise hors d’eau des maisons et des bâtiments publics (livraison de 140 tonnes de bâches et financement par des prêts garantis par l’État pour les particuliers), l’envoi de renforts de gendarmerie, la réouverture de l’aéroport aux vols commerciaux le 1er janvier et plusieurs mesures visant à soutenir les entreprises. Il a également annoncé la mobilisation de la réserve sanitaire de Santé publique France et des mesures visant à rendre plus attractif le territoire, sans en donner les détails. Mayotte manque cruellement de médecins, de sages-femmes, de pédiatres ou encore de manipulateurs radio. Bayrou a annoncé vouloir « interdire et empêcher la reconstruction des bidonvilles ». Or ceux-ci ont déjà en partie été reconstitués : leurs habitant·es n’ont pas attendu l’autorisation de l’État pour se fabriquer un abri de fortune.
Outre une loi d’urgence qui sera présentée en conseil des ministres vendredi, qui doit permettre à l’État de s’émanciper d’un certain nombre de règles (et du vote du Parlement) pour reconstruire l’île, le premier ministre a annoncé la création d’un établissement public de refondation de Mayotte, sur le modèle de Notre-Dame de Paris, sans donner plus de détails, ni sur son fonctionnement ni sur ses moyens financiers.
De toute évidence, ce plan a été pensé dans l’urgence, sans prendre en compte les réalités du terrain. Rappelons que les plans se sont succédés ces dernières années à Mayotte (« Mayotte en 2025 » en 2015, « Plan pour l’avenir de Mayotte » en 2018), avant d’être petit à petit oubliés.
Mais le plus révoltant est qu’il en a profité pour distiller deux affirmations lourdes de conséquences : «Quiconque prétendrait qu’il n’y a pas de problème d’immigration brûlant à Mayotte est irresponsable », a-t-il commencé par déclarer. Dans la foulée, il est revenu sur une proposition faite par lui en 2007 de supprimer le droit du sol à Mayotte et en Guyane. Alors que tout son temps aurait dû se concentrer sur l’urgence du moment, le drame des bidonvilles qu’il ne visite pas, le désarroi et le découragement des populations qui se sentent abandonnées par la République. En abordant brutalement la question des migrations, il exacerbe le conflit déjà lourd avec les Comores voisines. En mettant en cause d’emblée le droit du sol, il fait un nouveau geste du côté de la droite extrême. Ce droit universel en France est déjà bien écorné à Mayotte par la loi sur l’asile et l’immigration de 2018 – un enfant né à Mayotte de parents étrangers ne peut acquérir la nationalité française que s’il démontre que l’un de ses parents était légalement sur le territoire national depuis au moins trois mois lors de sa naissance. Cela ne suffit pas et le propos de François Bayrou résonne avec celui de Bruno Retailleau, qui déclarait, au lendemain même du cyclone tragique, qu’il faudra « légiférer pour qu’à Mayotte, comme partout sur le territoire national, la France reprenne le contrôle de son immigration ». Le chef du gouvernement fait les yeux doux à un électorat mahorais séduit massivement par le Rassemblement national. Il fait un clin d’œil appuyé à une extrême droite parlementaire qui peut empêcher son inéluctable censure. La concrétisation de ces intentions est immédiate puisque la priorité est accordée à la reconduite à la frontière des familles étrangères hébergées dans les abris d’urgence et la fermeture des centres au détriment d’une mise à l’abri pérenne pour l’ensemble des familles. De ce point de vue on peut considérer que le cyclone est l’opportunité pour ce gouvernement de « régler » à sa façon réactionnaire et raciste la situation que les gouvernements français successifs ont laissé pourrir.
Nous énonçons avec force la responsabilité première du gouvernement français dans la tragédie subie par la population de Mayotte. Nous le redisons : il n’est pas possible d’enfermer la solution mahoraise dans le cadre strict de l’île. Quelles que soient les tensions diplomatiques avec les Comores, il n’y a pas d’avenir pensable pour Mayotte en dehors de l’archipel comorien. Il faut avancer non pas dans une logique de clôture et de tensions régionales, mais au contraire de fluidité partagée et donc assumée.