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Maroc : la révolte du Rif et la Françafrique

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Déclaration de la Commission Afrique du Parti de gauche
Paris, le 5 août 2017

Depuis la mort fin octobre 2016 d’un vendeur de poisson, Mouhcine Fikri, broyé accidentellement dans une benne à ordures, alors qu’il tentait de récupérer une cargaison que les autorités venaient de saisir, la province d’Al-Hoceima a été le théâtre de nombreuses manifestations pour exiger le développement d’une région que ses habitants jugent marginalisée. Les marches pacifiques continuent actuellement pour exiger la « libération » des prisonniers – plus de 200 personnes selon les chiffres officiels.

Cette situation s’explique d’abord par l’absence d’élus locaux capables d’associer les populations locales aux projets mis en place. Les jeunes ont comme toute perspective un avenir instable et de petits boulots de survie ou le départ pour l’étranger. Le pouvoir compte sur le temps pour apaiser la révolte et voudrait faire croire que ce n’est qu’un problème de politiques publiques mal exécutées. Or il ne suffit pas d’investir dans des infrastructures pour que le développement économique et social émerge ; encore faudrait il que ces projets soient en adéquation avec les besoins revendiqués par les habitants (désenclavement, hôpitaux, université, industrie) ! Encore faudrait-il former des opérateurs compétents et capables d’évoluer dans une économie moderne ! Encore faudrait-il mettre un terme au népotisme et corriger les défaillances du droit ! Quant à la question fondamentale de la démocratie, la révision constitutionnelle accordée en réponse aux revendications du Mouvement du 20 février n’a fait que donner plus de pouvoirs au premier ministre mais cela ne peut suffire à canaliser les revendications de populations mieux informées et mieux organisées. Encore faudrait-il une séparation des pouvoirs et une justice indépendante !

Le mouvement Hirak a changé la représentation des mouvements de contestation au Maroc qui d’habitude ne durent pas. Cette dynamique est entretenue par Nasser Zefzafi, homme charismatique, qui tient un discours habile jouant la carte du salafisme pour s’en prendre à « la corruption et l’arbitraire du pouvoir » et « aux étrangers qui amènent la corruption et l’alcool », tout en brandissant les drapeaux de la République du Rif et Amazigh. Ses doléances, si elles reprennent les principales revendications liées au développement économique, prônent aussi le laisser-faire pour les trafics et les activités de l’informel, c’est à dire la soupape de sécurité qui permet au pouvoir de se maintenir. A ce discours populiste, le Makhzen répond par de nouvelles promesses économiques et sociales, selon des recettes qui ont d’ores et déjà échouées et sur le plan politique, la même ambiguïté prévaut : tantôt on réprime, tantôt on dialogue.

Concernant l’Afrique, les deux chefs d’État marocain et français veulent multiplier les partenariats communs, tirant profit de la nouvelle diplomatie du royaume sur le continent et de la volonté de la France « d’aller vers des relations plus équilibrées avec l’Afrique en s’appuyant sur la société civile ». Le Royaume est devenu une tête de pont dans la réorganisation de la Françafrique, un maillon stratégique de l’Europe forteresse, un allié incontournable dans la « lutte contre le terrorisme », et surtout un pays où les entreprises du CAC40 sont les principaux investisseurs étrangers.

La lutte du peuple marocain et des populations du Rif remettrait en cause ce dispositif néocolonial essentiel à l’État français. C’est dans ce contexte explosif que les déclarations de Macron lors de sa visite à Mohammed VI prennent tout leur sens. Le jour même de son arrivée, le procureur du Roi annonçait la demande d’une peine de réclusion pour 25 détenus sahraouis de Gdeim Izik sur la base d’aveux extorqués sous la torture, et de 28 jeunes du « Hirak », condamnés à 18 mois de prison fermes. Macron s’est érigé, en ce qui concerne la lutte actuelle dans le Rif, en porte-parole du Palais : « J’ai senti que le Roi considère qu’il est normal qu’il y ait des manifestations (….) que son souhait est d’apaiser la situation en apportant de la considération à ces régions et des réponses très concrètes, en termes de politiques publiques. La discussion que nous avons eue ne donne pas, loin de là, de craindre à une volonté de répression ».

Nous saluons le courage et la détermination de la population du Rif qui est mobilisée de manière massive, déterminée et pacifique depuis huit mois contre la hogra (le mépris) ; leur serment est de ne pas trahir leurs engagements jusqu’à la satisfaction de leurs revendications politiques malgré le blocus imposé, le chantage et les tentatives de corruption ; une population qui refuse une grâce royale évoquée, une population qui ne se laisse pas prendre au piège de l’instrumentalisation de la religion. Il ne suffit pas d’accorder la « grâce royale », sans les nommer, à 58 membres du mouvement dont une seule responsable.

Le Parti de gauche condamne l’indifférence intéressée du gouvernement français face à cette situation et le soutien aveugle à la monarchie marocaine.

Le Parti de gauche soutient le combat du peuple marocain et des populations du Rif, jusqu’à la libération de tous les détenus et la satisfaction de leurs revendications.

Pierre Boutry
Responsable de la Commission Afrique

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