Après trois ans de guerre, les combattants du groupe armé M23 (Mouvement du 23 mars), essentiellement formé de Tutsi, avec le soutien de l’armée rwandaise et de ses forces spéciales (3 000 à 4 000 soldats rwandais, des hommes expérimentés sur d’autres terrains de bataille, disciplinés et dotés d’équipements modernes) se sont emparés de Goma, la capitale régionale du Nord-Kivu (la province du Nord-Kivu fait partie des provinces les plus peuplées de la RDC avec plus de 8 millions d’habitants), puis de Bukavu, la capitale régionale du Sud-Kivu. Les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) étaient pourtant soutenues par 1.000 soldats Sud-Africains déployés dans le cadre de la force régionale de la Communauté de développement de l’Afrique australe, la SAMIDRC, et de la Monusco. Mais aussi par des soldats venants de Tanzanie et du Malawi, des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), des combattants Wazalendo (miliciens mobilisés par le pouvoir congolais pour servir de supplétifs à l’armée régulière) et environ 300 mercenaires européens (roumains pour la plupart).
Depuis le 26 janvier, près de 3 000 personnes ont été tuées et 2 880 autres blessées, des femmes ont été violées et brûlées, le nombre réel de victimes est probablement beaucoup plus élevé. Plus de 500 000 personnes ont été déplacées depuis le début du mois de janvier, s’ajoutant aux plus de 6,4 millions de personnes déjà déplacées, selon l’ONU.
Le 3 février, l’Alliance fleuve Congo (AFC), branche politico-militaire du M23, avait pourtant déclaré un cessez-le-feu. « Il doit être clair que nous n’avons aucune envie de prendre Bukavu », pouvait-on lire dans le communiqué. Dès le lendemain, les combats reprenaient et le M23 se dirigeait droit vers Kavumu. De nombreux quartiers ont été livrés au pillage, y compris les entrepôts du Programme alimentaire mondial (PAM). La situation dans les Kivu est complexe, fruit d’années de guerres, de tensions ethniques instrumentalisées par des entrepreneurs politico-militaires. Si Bukavu est moins emblématique que Goma, la prise de la capitale provinciale du Sud-Kivu demeure un enjeu stratégique majeur pour le contrôle de la région.
Notons que le M23 ne se contente pas de prendre le contrôle des richesses des zones conquises, il y nomme des administrations parallèles. Il s’agit donc de faire officialiser ce contrôle administratif sur les territoires du Kivu, permettant ainsi au Rwanda de se constituer une zone tampon sous son contrôle à sa frontière.
La dernière fois que la RDC a perdu le contrôle des deux capitales provinciales en même temps remonte à 1998, lors de la deuxième guerre du Congo. Soutenues par le Rwanda et l’Ouganda, les forces du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) avaient rapidement pris contrôle de vastes territoires dans l’est de la RDC et avaient déclenché une guerre régionale. En réponse à l’insurrection, Kinshasa avait sollicité l’aide de l’Angola, du Zimbabwe et de la Namibie, transformant le conflit en une des guerres les plus meurtrières du continent. Le même schéma est en train de se reproduire.
S’il est pour l’instant impossible de dire si le M23 ira jusqu’à Uvira, ville frontalière du Sud-Kivu avec le Burundi, et quelles seraient les conséquences de cette avancée pour les relations entre les pays limitrophes, il est clair que le risque de confrontation est réel. Entre 8 000 et 12 000 soldats burundais seraient déployés dans l’est de la RDC pour appuyer les FARDC et le Burundi craint une alliance de circonstance entre les rebelles du M23, la Rwanda Defence Force (RDF) et un groupe rebelle burundais, la Résistance pour un État de droit au Burundi (RED-Tabara), formé dans le Sud-Kivu par les protagonistes d’une tentative de coup d’État avortée en 2015.
Ce nouvel épisode vient endeuiller une région déjà profondément martyrisée par trois décennies de conflits, de pillages et de terribles exactions commises par divers groupes et forces armées. Avant cet assaut, on comptait déjà entre 700 000 et 1 million de personnes déplacées dans des camps de réfugiés autour de Goma du fait de la reprise des hostilités, impliquant le M23 à partir de novembre 2021. Les dirigeants de ce groupe armé sont issus d’une précédente rébellion, le CNDP, les deux étant soutenus par le Rwanda. Ils ont été brièvement intégrés à l’armée congolaise après un accord de paix signé en 2009, dont ils ont dénoncé la mauvaise application en 2012 en lançant le Mouvement du 23 mars (M23). Militairement vaincu fin 2013, le M23 a refait surface en 2021.
L’Alliance fleuve Congo (AFC), est la couverture politique du M23 créée à Nairobi sous l’œil bienveillant de William Ruto : elle est emmenée par Corneille Nangaa un ex pasteur évangélique, ex président de la commission électorale qui avait validé l’élection de Félix Tshisekedi en 2018, ayant des acquaintances avec Joseph Kabila.
Mais il ne faut pas s’illusionner : ce ne sont ni le M23 ni l’Alliance fleuve Congo (AFC), qui mènent la danse, c’est bien le Rwanda de Kagame. En 2024, le nombre des militaires rwandais aurait même dépassé celui des combattants du M23 et les experts onusiens considèrent qu’ils exercent de facto « le contrôle et la direction » des opérations, se rendant complice à ce titre des violations des droits humains.
Les motivations des acteurs
M23 et Rwanda justifient leur action par la défense de la communauté tutsie du Nord-Kivu. Mais les motifs qu’ils avancent doivent être distingués de motivations plus profondes et pas nécessairement exprimées publiquement. La résurgence du M23 n’est pas précédée par une recrudescence particulière des violences dans sa zone. Au contraire, c’est la reprise de la guerre et le soutien militaire du Rwanda qui ont eu pour effet de raviver dramatiquement le racisme et les persécutions contre les Tutsis. La communauté tutsie n’a pas non plus été épargnée par le M23 en matière de recrutements forcés, y compris d’enfants dans les camps de réfugiés.
Kagame continue officiellement de nier la présence de ses militaires sur le sol congolais… tout en conditionnant leur retrait à la neutralisation préalable des FDLR. Cette milice, formée en 2000 par des génocidaires rwandais en exil, perpétue l’idéologie du génocide de 1994 et nourrit des projets de reconquête du Rwanda où elle mène sporadiquement attaques et assassinats. Sa neutralisation est une exigence légitime du Rwanda, mais le groupe parait affaibli et incapable de déstabiliser le Rwanda. C’est pour faire face à la montée en puissance du M23 que les FARDC ont réactivé leurs liens avec les FDLR, les aidant à se renforcer pour les utiliser comme supplétifs.
Le début du premier mandat de Tshisekedi, élu en 2018, avait été marqué par une phase de rapprochement militaire et économique avec le Rwanda. Les forces rwandaises avaient été autorisées à mener des opérations ciblées au Congo pour éliminer le chef des FDLR et celui d’une faction dissidente. Le président Tshisekedi avait également accordé à une société rwandaise le droit de raffiner l’or d’’un important gisement congolais. La lune de miel a duré jusqu’à la mi-2021, mais semble avoir été progressivement compromise par le rapprochement de la RDC avec deux autres voisins : l’Ouganda et le Burundi. Après des attentats commis en novembre 2021 sur son sol, l’Ouganda a pu déployer plusieurs milliers de soldats en RDC pour lutter contre le groupe Allied Democratic Forces (ADF), affilié à l’État islamique. Des accords économiques étaient également conclus entre les deux pays au détriment des intérêts rwandais. Simultanément, le Burundi a déployé son armée au Sud-Kivu contre un groupe rebelle burundais. C’est vraisemblablement cette double projection de forces hostiles à proximité de sa frontière qui a été perçue par le Rwanda comme une menace sécuritaire autant qu’économique, et l’a conduit à soutenir le retour du M23.
Il est courant de lire que la principale motivation concerne l’exploitation des mines, mais il faut la relativiser. Certes, le contrôle des mines artisanales ou semi-industrielles, le prélèvement de taxes et la maîtrise des voies d’exportation illégale des minerais vers les pays voisins (Rwanda, Ouganda et Burundi) constituent une ressource incontestable des principaux conflits à l’est du Congo, mais pas nécessairement leur cause première. Les conquêtes territoriales du M23 lui ont permis de se financer et de faire converger davantage de flux illicites en direction du Rwanda mais ils existaient préalablement à l’épisode actuel. Certains caciques congolais y trouvaient leur compte. Un phénomène encore accru après la prise de contrôle de la mine de Rubaya par le M23 en avril 2024, mine qui produirait de 20 à 30 % du coltan mondial et lui procurerait un revenu d’environ 800000 dollars par mois grâce aux impôts, selon les estimations de l’ONU. Mais d’autres mines phares de la région (notamment Bisie pour l’étain) restent hors de portée du M23, tout comme les énormes gisements de cuivre et de cobalt de la RDC – minerais essentiel pour la production de batteries de véhicules électriques –, qui sont concentrés dans le sud-est du pays. Cette région n’est pas touchée par le conflit mais fait partie de chaînes d’approvisionnement de plusieurs milliards de dollars caractérisées par une corruption internationale et nationale à grande échelle.
Qu’est-ce qui motive alors le M23 ? D’un côté, il y a les intérêts et les ambitions des dirigeants du M23. Il s’agit notamment d’intérêts individuels liés à l’amnistie pour les violences passées, ainsi que de revendications politiques et militaires plus larges. Alors que ces dernières se concentraient initialement sur la participation politique et le retour des réfugiés de la communauté tutsi congolaise, les rebelles articulent désormais un programme plus national, menaçant de marcher sur Kinshasa.
Le Rwanda a quant à lui, un intérêt constant à exercer une influence sur l’est de la RDC et ce depuis trente ans. À l’instar des autres voisins de l’est de la RDC, qui poursuivent des objectifs similaires, les motivations du Rwanda pour exercer son influence reflètent un mélange de raisons politiques, sécuritaires et économiques, souvent chargées de discours identitaires. Ces ambitions ont inspiré des interventions répétées de plusieurs voisins de la RDC depuis les années 1990, notamment pour combattre leurs propres ennemis, qui ont trouvé refuge dans l’est de la RDC. La plupart des groupes armés et des factions de l’armée congolaise impliqués dans la violence ont, à leur tour, développé une gamme variée d’activités génératrices de revenus, dont l’exploitation minière n’est qu’une option parmi d’autres.
Cependant, le Rwanda peut accéder aux minerais congolais, qu’il finance ou non une rébellion ou intervienne avec ses propres troupes. Dans une large mesure, cela est dû au fait que les droits de douane et les taxes au Rwanda sont plus faibles, ce qui incite les producteurs congolais à exporter vers le Rwanda, légalement ou illégalement. Cela implique qu’ils le font de leur plein gré et non sous menace armée. Le coltan, qui transite des zones du M23 par le Rwanda pour rejoindre les chaînes d’approvisionnement mondiales, n’est pas non plus le produit d’exportation le plus important du Rwanda, et se situe loin derrière le tourisme et l’or en termes de valeur d’exportation. L’or rapporte plus de 10 fois plus que le coltan. Si les exportations officielles d’or du Rwanda se sont multipliées ces dernières années et qu’une grande partie de cet or provient de la RDC, le lien avec le M23 reste flou. À ce jour, le groupe n’a pas progressé dans des zones d’extraction d’or importantes de la RDC, dont les liens commerciaux historiques s’étendent à toute la région, notamment à Kampala (Ouganda) et à Bujumbura (Burundi). Cela concorde avec les résultats de recherches récentes selon lesquelles le commerce de l’or dans l’est de la RDC a tendance à prospérer en l’absence de conflit actif.
Une autre histoire persistante est que les producteurs d’électronique occidentaux sont les principaux bénéficiaires des minerais congolais exportés via le Rwanda. Ce récit se concentre sur le coltan, qui est nécessaire pour produire des conducteurs utilisés dans les ordinateurs et les téléphones portables, et qui est souvent cité comme le minerai de conflit paradigmatique. Pourtant, on ne sait pas clairement comment et pourquoi un conflit armé pourrait être bénéfique pour les producteurs d’électronique utilisant le coltan. Ces producteurs bénéficient le plus d’un approvisionnement régulier et stable en coltan pour répondre à la demande et maintenir les prix bas. Les conflits armés peuvent être considérés comme non bénéfiques car ils créent de l’instabilité dans les zones minières, ce qui peut entraîner des chocs d’approvisionnement et donc une hausse des prix.
Une autre raison pour laquelle les conflits armés ne sont pas nécessairement dans l’intérêt des fabricants d’électronique est la législation sur les minerais de conflit, en particulier la section 1502 de la loi Dodd-Frank aux États-Unis (que Trump veut remettre en cause) et la loi européenne sur les minerais de conflit. Sur le papier, ces lois obligent les entreprises occidentales à être transparentes sur leurs chaînes d’approvisionnement et à éviter d’acheter des minerais provenant de zones où elles financeraient des conflits. Le résultat en a été une série d’initiatives de traçabilité, qui ont ajouté des couches administratives complexes aux chaînes d’approvisionnement. Malheureusement, une décennie d’expérimentation de ces initiatives a montré qu’elles ne contribuent guère à apporter la paix, mais qu’elles ont des effets néfastes sur les populations civiles congolaises qui dépendent de l’exploitation minière pour leur subsistance. L’une des raisons : les coûts opérationnels de ces programmes sont imposés aux travailleurs des mines et aux négociants locaux. C’est notamment le cas de l’International Tin Supply Chain Initiative (iTSCi), le premier et le plus développé des programmes de traçabilité de la région. Il est frappant de constater que l’iTSCi impose des coûts opérationnels plus élevés en RDC qu’au Rwanda. Plutôt que d’améliorer la surveillance de la chaîne d’approvisionnement, l’iTSCi a donc encouragé la contrebande minière vers le Rwanda, indépendamment de la rébellion du M23.
Les récents appels à l’interdiction des minerais en provenance de RDC et du Rwanda – auxquels le fabricant d’électronique Apple adhère déjà après que le gouvernement congolais a déposé une plainte contre ses filiales européennes – pourraient avoir des conséquences désastreuses pour les milliers de personnes qui dépendent de l’exploitation minière artisanale. Les effets pervers des initiatives sur les minerais de sang nous rappellent donc que les récits inexacts sur le conflit dans l’est de la RDC ne sont pas seulement un inconvénient, mais peuvent aggraver davantage les problèmes qu’ils prétendent résoudre.
La responsabilité du régime Tshisekedi face à l’impérialisme rwandais soutenu par l’ « Occident »
Dénoncer la violation de l’intégrité territoriale congolaise par le Rwanda, sa participation au pillage des minerais et sa complicité dans les violations des droits humains qui sont commis ne signifie pas pour autant donner quitus au régime Tshisekedi, qui porte également une lourde responsabilité dans la dégradation de la situation sécuritaire à l’Est. Son régime a reproduit les pratiques du régime Kabila en matière de prédation, a renoncé à réformer les lois minières favorables aux multinationales étrangères et dictées par les institutions financières internationales. Il s’est ainsi privé des moyens de restaurer une véritable administration à l’est du pays ou d’engager une réforme pour remédier à la faiblesse chronique de l’armée nationale, infiltrée par des officiers d’origine rwandaise et gangrenée par la corruption et la désorganisation. Il n’est cependant pas trop tard pour dénoncer les accords du 23 mars 2009 qui asservissent la RDC et ont permis la mainmise tutsie sur le pays. Il n’est pas trop tard pour générer la confiance et susciter un élan national au vu des manifestations de Congolais.es en réaction contre l’invasion de leur pays.
Les autorités congolaises ont raison de dénoncer une politique du deux poids deux mesures, au regard des réactions suscitées par l’invasion de l’Ukraine par la Russie. L’ « Occident » USA/UE se plait à dénoncer haut et fort la Russie en Ukraine mais lorsqu’un de ses protégés envahit le pays voisin qu’il considère comme son espace vital pour y déverser son surplus de population et prélever les ressources, l’ « Occident » regarde ailleurs.
Or le Rwanda, qui a envahi la RDC, est profondément dépendant de l’aide, des affaires et du tourisme en provenance d’Europe et d’Amérique du Nord. Actuellement, il reçoit une aide d’environ 1,3 milliard de dollars (soit 1,2 milliard d’euros), alors que le budget total du pays dépasse à peine 4 milliards de dollars. Il était prévu qu’il gagne 660 millions de dollars grâce au tourisme en 2024 et il s’est positionné comme un centre de conférence majeur, accueillant en 2023 plus de 150 conférences qui lui ont rapporté 91 millions de dollars de revenus. Par le passé, les donateurs ont utilisé cet effet de levier. En 2012, lorsque le même M23 a menacé la ville de Goma, les Etats-Unis, l’Allemagne, la Suède, le Royaume-Uni, l’Union européenne (UE), les Pays-Bas et même la Banque mondiale, généralement apolitique, ont suspendu 240 millions de dollars d’aide au Rwanda. En réponse, Kigali a retiré son soutien aux rebelles, qui se sont alors effondrés.
Cette fois-ci, il y a un peu d’indignation mais peu ou pas d’action ! Trois ans et demi après le début de la rébellion, les donateurs ont augmenté leurs financements au Rwanda. En 2022, les subventions d’aide budgétaire ont crû de 48 % par rapport à l’année précédente. En 2023, l’UE a annoncé des investissements de 900 millions d’euros au Rwanda par le biais du Global Gateway, qui est censé être fondé sur les principes des valeurs démocratiques, de la bonne gouvernance et de la sécurité. En plein soutien des Forces de défense rwandaises (FDR) au M23, l’UE a leur accordé deux nouvelles subventions, totalisant 43 millions de dollars, pour leurs opérations au Mozambique.
L’inaction des institutions et des puissances internationales
Au sein de l’UE, où les décisions de suspension de l’aide nécessitent un consensus, quelques intérêts étroits ont bloqué l’action. Le Rwanda a déployé des troupes dans le nord du Mozambique, où elles ont repoussé les militants islamistes, protégeant ainsi un projet pétrolier de 20 milliards de dollars appartenant à TotalEnergies et menacé par une insurrection djihadiste. Cela a rendu la France – ainsi que le Portugal, qui entretient des liens étroits avec le Mozambique – réticente à faire pression sur le Rwanda. Depuis le début de la crise en 2021, l’Elysée a joué un rôle clé en soutenant la hausse du financement à Kigali.
Le ministère français des Affaires étrangères (qui a beaucoup tardé l’agression rwandaise contre la RDC) a mollement appelé les forces rwandaises à « quitter instamment » la RDC et le M23 à « se retirer immédiatement des territoires dont il a pris le contrôle ». Le Premier ministre belge a lui aussi condamné les exactions du Rwanda : « L’intégrité territoriale de la RDC doit être respectée », a déclaré Alexander De Croo.
Mais ce ne sont que des paroles hypocrites car certaines politiques de l’Union européenne vis-à-vis du Rwanda ont alimenté l’escalade des tensions régionales et le conflit dans l’est de la RDC. Deux en particulier : la décision d’allouer à l’armée rwandaise 20 millions d’euros dans le cadre de la Facilité européenne pour la Paix (FEP), (et un deuxième versement équivalent est prévu) pour soutenir son action au Mozambique, malgré les accusations de l’ONU sur un soutien rwandais au groupe armé M23 ; un protocole d’accord sur les minerais conclu en 2024. Le « European Green Deal » ou « Pacte vert pour l’Europe » proposé par la Commission européenne a pour objectif de « rendre l’Europe climatiquement neutre en 2050 » afin d’accroître sans cesse les profits et d’accumuler toujours plus de capital pour les multinationales. Mais à 10.000 km de Bruxelles des centaines de « creuseurs » triment à mains nues dans une insalubrité totale, échappant à tout contrôle autre que celui de bandes armées. Le contraste entre les opérations d’extraction de matières premières au Kivu et les performances technologiques à disposition des consommateurs est saisissant… tout comme l’hypocrisie de la Commission Européenne. La signature de ce protocole d’accord sur les matières premières critiques entre l’Europe et le Rwanda en février 2024 a été considéré comme un véritable appel au crime en RDC. L’UE se refuse aujourd’hui à le remettre en cause, malgré une résolution du parlement européen en ce sens, au prétexte qu’il s’agirait d’un outil pour lutter contre le trafic illégal de minerais.
En 2022, le Royaume-Uni a quant à lui annoncé une politique visant à envoyer des demandeurs d’asile britanniques au Rwanda. Dans le cadre de cet accord, le gouvernement britannique a versé 290 millions de livres sterling (environ 350 millions d’euros) au Fonds de transformation et d’intégration économiques du Rwanda entre 2022 et 2024. Une somme que Kigali a gardée malgré la dénonciation de l’accord par le nouveau pouvoir à Londres.
Quant au sommet de l’UA des 15 et 16 février s’est terminé par rien d’autre que la formule passe-partout exhortant à « un cessez-le-feu immédiat » et appelant « toutes les parties à la table des négociations ».
Au Conseil de sécurité des Nations unies, on voit que des pays comme la Chine nomment maintenant le Rwanda comme faisant partie du problème. De nombreuses sociétés chinoises sont déployées à l’Est de la RDC, notamment dans les mines et l’aggravation de la guerre n’est pas bonne pour les affaires, surtout si on veut faire des affaires légalement et ne pas participer au commerce illicite des matières premières.
Du côté des alliés militaires de Kinshasa, l’Afrique du Sud reste sans doute la pièce maîtresse de Félix Tshisekedi. 14 soldats de Pretoria ont été tués dans l’Est du Congo. Dans l’entourage de Cyril Ramaphosa, beaucoup estiment qu’il faut désormais utiliser toute la force militaire sud-africaine, notamment l’aviation qui est parmi la plus puissante d’Afrique. Cyril Ramaphosa et Paul Kagame se sont dernièrement échangé des mots doux, virant à la quasi-déclaration de guerre. Le Président Ramaphosa est acculé en Afrique du Sud par un Parlement que l’ANC ne contrôle plus et par des voix qui demandent le retour de ces troupes. Il y a une longue histoire de désaccord entre le Rwanda et l’Afrique du Sud qui fait que l’Afrique du Sud, qui avait déjà participé à la défaite militaire du M23 en 2012, voudrait véritablement en finir avec ce groupe rebelle à l’Est de la RDC.
L’Angola pourrait s’impliquer « indirectement » et militairement dans le conflit. Joao Lourenço étant médiateur du processus diplomatique de Luanda, toujours en cours, il lui est impossible d’envoyer des troupes sous drapeau angolais, mais des pistes alternatives sont sur la table avec Kinshasa. Félix Tshisekedi va également s’appuyer sur la Tanzanie, qui a décidé de poursuivre son soutien dans le cadre de la force régionale de la SADC en maintenant ses effectifs, mais sans les augmenter.
Ces soutiens peuvent-ils inverser le rapport de force militaire, qui penche aujourd’hui largement en faveur du M23 et de son soutien rwandais ? Le Rwanda joue aujourd’hui le mauvais rôle. Il n’y a aucune explication objective à son implication au Congo, et il intervient au grand jour en affrontant directement la Monusco et l’Afrique du Sud. Le conflit n’est plus l’affaire des Congolais entre eux, comme le disait Kigali. Une aide militaire conséquente du Burundi, mais surtout de l’Afrique du Sud pourrait donc changer la donne.
Nous exigeons que l’UE décide de sanctions individuelles, de coupes dans l’aide budgétaire au Rwanda, suspende son partenariat avec Kigali sur les ressources minières, et cesse le soutien financier à l’armée rwandaise pour sa lutte contre le terrorisme dans le nord du Mozambique.
De la même façon, le gouvernement français doit cesser toute aide même indirecte au Rwanda et contribuer activement au rétablissement de la souveraineté nationale de la RDC.
Enfin, dénoncer la violation de l’intégrité territoriale congolaise par le Rwanda, sa participation au pillage des minerais et sa complicité dans les violations des droits humains qui sont commis ne signifie pas pour autant donner quitus au régime Tshisekedi, qui porte également une lourde responsabilité dans la dégradation de la situation sécuritaire à l’Est et doit faire preuve de sa capacité à rassembler afin de regagner l’intégrité territoriale de la RDC.