A huit mois de la présidentielle du 25 octobre 2025, tout est encore possible en Côte d’Ivoire pour l’organisation d’un scrutin démocratique apaisé et profitable à une nouvelle génération ou encore un scrutin transparent dans lequel aucun candidat n’est exclu. Car seule une ouverture démocratique devrait permettre à ce pays d’entamer le nouveau quart de siècle avec un nouvel élan.
L’analyse de la situation préélectorale nous annonce malheureusement un scrutin émaillé de troubles. D’abord parce que le parti au pouvoir RHDP au pouvoir depuis 15 ans prépare un « passage en force » avec des institutions à sa solde comme la Commission électorale indépendante et le Conseil constitutionnel. Le RHDP tente ensuite d’imposer un Quatrième mandat encore controversé d’Alassane Ouattara aux Ivoirien.nes. Enfin, le RHDP devenu soudain amnésique sur sa propre histoire, compte éliminer de grands candidats à la course dont Laurent Gbagbo candidat du PPA-CI du fait d’une condamnation par la justice ivoirienne.
A l’issue des élections locales de septembre 2023, le RHDP se présente comme étant la première force politique du pays en remportant au moins 125 communes sur 201 et 25 régions sur 31, renforçant ainsi sa mainmise sur le pays. Mais il est important de préciser que le RHDP figure dans la catégorie des « partis de cadre » selon la classification du politologue Maurice Duverger. Il est effectivement structuré pour les élections locales et législatives. Or ces élections n’intéressent pas vraiment la majorité de la population et les taux de participation restent très bas par rapport à l’élection présidentielle. La principale stratégie du parti consiste à « recruter » une figure politique dominante dans chaque localité et région du pays. Mais ce dernier est parfois issu de la même ethnie ou famille que ses électeurs, lors des élections municipales ou régionales. En cas de victoire, ce « « électorat imaginaire » est automatiquement considéré comme acquis au président Alassane Ouattara, candidat naturel du RHDP pour la prochaine présidentielle. De ce fait, affirmer aujourd’hui que le président Alassane Ouattara est majoritaire en Côte d’Ivoire, sans tenir compte de la notion de « psychologie électorale » relève de l’illusion.
Car l’élection présidentielle prévue en octobre 2025 suscite une conscience nationale. Elle tient compte des passions liées au charisme d’un grand candidat mais aussi des déceptions des citoyen.nes dont la plupart vivent dans un état de précarité. La cherté de la vie gangrène presque tous les secteurs d’activité. Des produits alimentaires aux vêtements, les prix flambent et les Ivoirien.nes se plaignent.
Les Abidjanais.es quant à eux vivent un sentiment d’insécurité sur leurs biens immobiliers. Sur les réseaux sociaux, les langues se délient progressivement pour dénoncer une« mafia organisée » dans le milieu du foncier urbain, par « des proches du pouvoir en place ». Plusieurs propriétaires ivoiriens multiplient les vidéos dans lesquels ils affirment avoir été spoliés de leur terrain, malgré la possession de l’ACD (Arrêté de Concession Définitive).
Depuis le mois de février 2024, des milliers de personnes se retrouvent à la rue après des opérations de déguerpissements à Abidjan. Le régime Ouattara a multiplié les opérations de destructions de quartiers précaires et villages Ebrié (l’ethnie autochtone d’Abidjan) sans dédommagement effectif. Ce qui suscite la colère de la population.
L’élection présidentielle tient aussi compte du programme de gouvernement de chaque candidat et même des faits historiques. La question de savoir « qui a gagné la présidentielle de 2010 ? » continue de tarauder l’esprit du citoyen ivoirien. Pour rappel, depuis le 9 mars 2023, le comité central du PPA-CI, le Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire a « décidé que le président Laurent Gbagbo soit son candidat à l’élection présidentielle de 2025 ». L’ancien président Ivoirien déjà en campagne reste très actif sur le terrain et entame une série de rencontres et de meetings dans le pays, en vue de mobiliser ses partisans. Cette tournée baptisée « Côcôcô », expression signifiant « frapper à une porte », a débuté le 25 janvier 2025 par « une visite de compassion » aux populations d’Adjamé-village qui ont souffert des opérations de déguerpissement. Les quartiers de Marcory et de Cocody ont déjà été visités par le candidat du PPA-CI. Les apparitions de Laurent Gbagbo à Abidjan drainent de plus en plus de foule. Ses partisans réclament toujours avec insistance la levée de son inéligibilité, afin qu’il puisse concourir à la présidentielle de 2025.
Mais le régime Ouattara semble pour le moment opposer un refus catégorique ayant vraisemblablement peur d’affronter le président Gbagbo dans les urnes. Dans le cas de figure actuel, le RHDP prépare évidement un « passage en force » et si tel est le cas, le contrôle des institutions phares du processus électoral n’est pas suffisant. Le parti au pouvoir entend donc définir de manière plus importante, le rôle de l’armée dans la prochaine présidentielle.
Des instructions données à l’Armée pour la présidentielle de 2025
Pour l’élection présidentielle d’octobre 2025, le président Alassane Ouattara exige en effet un plan d’action urgent des forces armées ivoiriennes. Le chef de l’Etat a fermement appelé à une mobilisation totale des Forces de Défense et de Sécurité (FDS) en vue des élections présidentielles prévues pour octobre 2025. Ainsi, lors d’une réunion du Conseil National de Sécurité (CNS) tenue le jeudi 16 janvier 2025, le Chef de l’État a insisté sur l’urgence de définir un « concept d’opérations cohérent » et de mettre en place un « dispositif approprié » afin de garantir la sécurité du processus électoral. Le chef d’Etat major d’Alassane Ouattara, le général Lassina Doumbia est un officier général de l’armée ivoirienne bien connu par l’ancien régime du président Laurent Gbagbo. Rappelons qu’en 2003 en pleine crise ivoirienne, le lieutenant Oulaï Delafosse libère la ville de Toulepleu avec des jeunes volontaires d’ethnie guéré, au sein de l’Union des patriotes pour la réunification du Grand ouest (UPRAGO). En 2005, dans le but d’administrer cette ville libérée de la rébellion, le président Laurent Gbgabo nomme Lassina Doumbia comme Préfet militaire et Oulaï Delafosse Sous-Préfet. Notons que des anciens commandants de Zone de la rébellion de 2002, sont à la tête de plusieurs bataillons au sein de l’armée ivoirienne, sous Alassane Ouattara.
En octobre 2025, l’armée sera donc déployée en cas de troubles ou même pendant le déroulement du scrutin. Si l’armée n’est pas une institution principale du processus électoral, son rôle dans les différentes alternances du pays a été plus que déterminant. En effet, depuis la mort du président Félix Houphouët-Boigny, la Côte d’Ivoire multiplie les séries de violences électorales qui ont débouché sur des affrontements militaires. Le vainqueur du « scrutin » reste le plus souvent celui qui aura mobilisé le plus de soldats que son adversaire. Faisons un court rappel historique. Lors de la présidentielle de l’an 2000, les 400 membres de la Brigade rouge (troupe fidèle au général Guéï) n’ont pas pu faire le poids face à un soulèvement populaire initié par Laurent Gbagbo, soutenu par la gendarmerie nationale et une partie de l’armée. Le 25 octobre 2000, le général Guéï quittait le pouvoir.
En avril 2011, c’est sous le regard impuissant de l’armée nationale que les FRCI fidèles à Ouattara arrivent aux portes d’Abidjan avec le soutien de l’armée française et les troupes de l’ONUCI. Les miliciens fidèles au régime du FPI présents à Abidjan n’ont pas pu empêcher l’arrestation du président Laurent Gbagbo. De même en 2020, la désobéissance civile initiée par Henri Konan Bédié fut un échec du fait du silence de l’Armée.
Le régime Ouattara, responsable des troubles à venir
En Côte d’ivoire, aucun leader politique de l’opposition ne refuse d’affronter Alassane Ouattara pour le scrutin de 2025. Sauf que l’opposition réclame un scrutin démocratique, compétitif et loyal. Mais le régime engage depuis plusieurs mois un « bras de fer » avec ses principaux adversaires.
Pour le PPA-CI, la réinscription du nom du président Laurent Gbagbo ne semble plus être d’actualité. Le pouvoir en place continue d’instrumentaliser l’appareil judiciaire pour persécuter au maximum les cadres du parti de Laurent Gbagbo. Le 12 février 2025, la justice ivoirienne a condamné à dix ans de prison Koua Justin et Damana Adia Pickass, respectivement secrétaire général adjoint et second vice-président du conseil stratégique. La puissante Fédération estudiantine et scolaire (FESCI) est dissoute depuis le 17 octobre 2024, son Secrétaire général Sié Kambou est arrêté et déféré au Pôle pénitentiaire d’Abidjan suite à la découverte du corps sans vie de son rival au sein de la fédération estudiantine, Agui Mars Deagoué dit « général sorcier ». Figure importante de la « génération Fesciste » Damana Pickass écope donc de dix ans de privation de ses droits civils et de cinq ans d’interdiction de paraître sur le territoire, sauf dans son département de naissance, dans l’affaire de l’attaque contre le camp militaire d’Abobo Kouté, en 2021.
De plus, deux anciens dirigeants de la FESCI Charles Blé Goudé et Guillaume Soro, candidats déclarés à la présidentielle d’octobre 2025 sont toujours dans l’incapacité d’entrer en compétition du fait d’une condamnation par la justice ivoirienne.
En outre, les cyber activistes pro-Gbagbo résidant en Europe ne sont plus épargnés. Le 28 février 2025, Souleymane « Gbagbo-Koné », cyber activiste connu sur les réseaux sociaux pour sa virulence envers le régime Ouattara et militant du PPA-CI en France, est interpellé à son domicile de Villeneuve-Saint-Georges en région parisienne, par des hommes encagoulés dit-on. Il est aujourd’hui placé au Centre de rétention administrative (CRA) du 12e arrondissement de Paris, pour une extradition vers la Côte d’Ivoire. Des avocats sont actuellement mobilisés pour sa défense.
Un autre cyber activiste basé en Finlande reste le principal cauchemar du régime Ouattara. Koukougnon Christ Yvon alias « Johny Patcheko », vit en Finlande, marié à une Finlandaise. Après avoir retourné sa veste en 2018 au profit du RHDP, Johnny Patcheko ancien insulteur du président Ouattara devient le bourreau du président Laurent Gbagbo qu’il vilipende désormais sur les réseaux sociaux. Il sera invité à Abidjan et chouchouté par les cadres du parti. Son intégration au parti au pouvoir, lui permet d’accéder à une reconnaissance publique inédite. Il est reçu en grande pompe à Abidjan par différents patrons d’institutions de la République, fiers de s’afficher à ses côtés. Mais une fois rentré en Finlande, et à l’approche de l’élection présidentielle de 2025, Johnny Patcheco redevient pro-Gbagbo et diffuse des informations sur les « affaires de mœurs » liées aux cadres du RHDP, qu’il aurait vu lors de son passage à Abidjan « à commencer par la première dame Dominique Ouattara ». Ce dernier totalise depuis lors, des records d’audiences sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, il est interdit de partager les contenus de ce cyber activiste sur les réseaux sociaux sous peine de prison. Désormais traqué par le pouvoir d’Abidjan en Finlande, Johny Patcheko affirme aujourd’hui être en danger de mort.
Du côté du PDCI-RDA, le président Tidjane Thiam a annoncé sa candidature pour la présidentielle du 25 octobre 2025. En février 2025, il a entamé une procédure auprès des autorités françaises pour renoncer à la nationalité française acquise en 1987 lorsqu’il était Polytechnicien. Il espère une démarche administrative fructueuse avant le mois d’août 2025, mois de dépôt des candidatures devant le Conseil constitutionnel. Pour rappel la Constitution ivoirienne exige que les candidats à l’élection présidentielle soient « exclusivement de nationalité ivoirienne ». Sa participation à l’élection dépend de l’administration française (un décret du président Macron, dans le journal officiel de la République française) et non de la justice. On attend donc de savoir si la France approuve ou non, cette candidature. Ou si elle souhaite que Thiam le soit en 2030 ! Cependant, le président du PDCI-RDA se trouve aujourd’hui victime de l’Ivoirité et de la xénophobie pour ses origines sénégalaises. L’opinion nationale et internationale est aujourd’hui stupéfaite de voir le parti de Ouattara, jadis victime de l’Ivoirité, devenir un fervent promoteur de l’exclusion et de la xénophobie. Des termes pour lesquels le 19 septembre 2002, une rébellion armée avait coupé le pays en deux, causant la mort de plusieurs dizaines de milliers de personnes.
Enfin, notons que pour l’organisation de l’élection présidentielle, la CEI n’arrive pas à s’entendre avec l’opposition sur la révision de la liste électorale. L’institution refusant de respecter ses propres textes. L’article 6 de l’ordonnance n° 2020-356 du 8 avril 2020, stipule que « la liste électorale doit être actualisée chaque année ». Mais selon le président de la CEI Ibrahime Kiuibert soutenu par le Gouvernement, la révision de la liste électorale pour l’année 2025 peut se faire après les élections d’octobre 2025, l’année comptant 12 mois. En conséquence, plusieurs nouveaux électeurs ivoiriens en âgés de 18 ans en 2025, ou même des majeurs, seront privés de vote le 25 octobre 2025.
L’armée française reste toujours présente en Côte D’ivoire. Mais elle se fera plus discrète. En effet dans le cadre de la réorganisation de son dispositif en Afrique, l’armée française a rétrocédé sa base militaire du 43e BIMA à l’armée ivoirienne mais environ une centaine de soldats restera dans le camp pour instruire l’armée ivoirienne et les facilités aériennes et portuaires sont maintenues. De plus, une équipe importante de l’armée de l’air va s’installer à Bouaké.
Il nous semble donc important d’alerter sur le déroulement du processus électoral en Côte d’Ivoire. Les deux anciens protagonistes de la crise postélectorale sanglante de 2011 sont à nouveau engagés dans un processus irréversible de confrontation. D’un côté, le président-candidat Alassane Ouattara qui refuse d’affronter dans les urnes, son adversaire Laurent Gbagbo définitivement acquitté par la CPI. De l’autre, l’ancien président et ses partisans déterminés à se lancer dans cette compétition électorale. Le tout dans un contexte ouest africain en grande évolution et dans un contexte international dont les grands équilibres géostratégiques sont bouleversés. Vigilance !
Oris Bonhoulou