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SOUDAN : soutien à la révolution citoyenne en cours

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Le Parti de Gauche se réjouit de la révolution citoyenne en cours au Soudan caractérisée par l’implication forte des femmes qui s’imposent comme les dignes héritières des reines nubiennes baptisées Kandakas, qui régnaient voici des millénaires sur le royaume du Koush. Elles réclament le départ du « raïs soudanais », mais aussi un profond changement de société concernant les droits des femmes, plus que mis à mal depuis l’instauration de la charia en 1989, après le coup d’état d’Omar el-Béchir. Hommage doit par ailleurs être rendu à la soixantaine de manifestants assassiné lâchement par les milices islamistes à la solde du pouvoir depuis le début de la révolution.

Cette révolution citoyenne est rendue possible par une alliance des différentes classes sociales, paysans, ouvriers, petits commerçants et artisans et l’encadrement instruit regroupé au sein de l’Association des professionnels soudanais (SPA) depuis les manifestations de 2012-2013, association qui puise notamment son inspiration et son influence dans l’héritage de la gauche soudanaise. Le fait que les organisateurs n’appartenaient pas à une classe politique traditionnelle leur a donné une forte crédibilité politique. Outre rôle central joué par les classes moyennes dans la contestation du régime, les capacités d’innovation technologiques, communicationnelles et organisationnelles sont aussi à l’œuvre et elles sont essentielles au succès du mouvement. Il faut aussi souligner le rôle des soldats et cadets militaires qui ont défendu les manifestants comme ils l’avaient déjà fait en avril 2018. Les dirigeants des trois principaux partis d’opposition – la National Consensus Forces Alliance, Nidaa al-Soudan et Ummar – se sont joints tardivement aux appels au changement, laissant le champ libre à la société civile.

La SPA est le fer de lance de la contestation antigouvernementale qui perdure depuis le 19 décembre et a provoqué le renversement par l’armée d’Omar el-Béchir, puis la démission du chef du service de renseignement Salah Gosh, puis le remplacement du chef du Conseil militaire au pouvoir, Awad Ibn Ouf un proche d’Omar el-Béchir par Abdel Fattah al-Burhane, inspecteur général des forces armées, qui n’est pas considéré comme un pilier du régime. On compte aussi dans ce Conseil de transition militaire le chef de la police, de l’armée de l’air, et des personnalités moins connues. Mais un nom attire particulièrement l’attention : Mohamed Hamdan Dagalo dit Hemeti, ancien chef d’une milice Janjawid du Darfour, accusée d’avoir semé la mort lors de la guerre de 2003. C’est lui qui commande les troupes encore postées autour du rassemblement populaire à Khartoum. Il est à la tête de 20000 hommes bien équipés, connus pour leur brutalité, au point que des unités de l’armée régulière s’étaient révoltées contre eux en novembre 2016, au sud de Khartoum.

Malgré ces premiers succès, il convient donc de rester vigilant. Un Conseil militaire de transition qui se met en place pour deux ans avec promesse d’instaurer un « gouvernement entièrement civil », sans toutefois donner de calendrier et qui assure que « Ce n’est pas un coup d’Etat militaire, mais une prise de parti en faveur du peuple ». Un Conseil militaire de transition qui ne veut pas envoyer Béchir à La Haye alors que ce dernier est sous le coup depuis une décennie de deux mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI). En 2009, cette Cour basée à La Haye avait lancé un mandat d’arrêt contre lui pour « crimes de guerre » et « contre l’humanité » au Darfour, ajoutant en 2010 l’accusation de « génocide ». Un Conseil militaire de transition qui réclame à la communauté internationale des fonds pour régler la crise économique, déclencheur du mouvement de contestation le 19 décembre après le triplement du prix du pain. Parmi les mesures décrétées par les militaires, figurent la fermeture des frontières terrestres, jusqu’à nouvel ordre, et un cessez-le-feu à travers le pays, notamment au Darfour (ouest), où un conflit a fait plus de 300000 morts depuis 2003 selon l’ONU. Ces dernières années, le niveau de violence a cependant baissé.

Est-ce une «  révolution de palais  » visant  à protéger le régime et empêcher l’opposition, des civils, des non-islamistes de prendre le pouvoir ? Une ruse des acteurs de l’« État profond » conduits par la direction du mouvement islamiste cherchant à regagner le terrain perdu récemment suite à leur éloignement par un Béchir aux abois ? Il est clair qu’après avoir été chassés de la scène politique, les islamistes tentent de maintenir leur domination à travers l’armée, au grand dam des manifestants. Il est clair aussi que l’armée a tout intérêt à jouer un scenario d’apaisement à l’égyptienne pour mieux s’imposer ensuite.

Dans son communiqué le Conseil paix et sécurité de l’UA est clair : il « condamne fermement et rejette totalement la prise de pouvoir par l’armée soudanaise, ainsi qu’une période de transition de deux ans ». L’Union africaine accorde donc deux semaines à l’armée soudanaise pour rectifier le tir, sans quoi « certains protocoles seront mis en place ».

Dans les rues de Khartoum, les Soudanais, eux, s’impatientent. L’Association des professionnels soudanais, a demandé ce 15 avril la dissolution du Conseil militaire de transition et son remplacement par un conseil civil. Le transfert à la prison de Kober du président déchu Omar el-Béchir ainsi que l’arrestation de deux de ses frères ont bien eu lieu. Cette incarcération est significative aussi parce qu’elle ouvre la voie à un transfert vers la Cour pénale internationale. C’est précisément dans cette prison de Kober, que le cerveau du coup d’Etat qui avait porté Omar Al-Bachir au pouvoir, dans la nuit du 30 juin 1989, le cheikh Hassan Al-Tourabi, s’était fait emprisonner pour donner le change. Il fallait alors dissimuler le fait que ce dernier, chef du Front national islamique, la branche soudanaise des Frères musulmans, avait pris le pouvoir à Khartoum, avec Omar Al-Bachir comme leurre. Après quelques mois de prison, Hassan Al-Tourabi s’était envoyé lui-même en « résidence surveillée », depuis laquelle il contrôlait les affaires du pays, aussi bien qu’il le faisait de Kober.

L’histoire vient-elle de se répéter ? Omar Al-Bachir avait fini par se débarrasser de la tutelle d’Hassan Al-Tourabi. Mais, à présent, son incarcération sur les traces du cheikh est-elle un nouveau simulacre, destiné à lui permettre de quitter le pouvoir et d’épargner l’ensemble de l’institution militaire ? En l’état actuel des négociations, le projet est d’établir un conseil de souveraineté composé de civils et de militaires, placé à la tête du Soudan, tandis qu’un gouvernement, le « cabinet civil », doté de forts pouvoirs exécutifs, administrerait la nation le temps d’une transition qui mènerait à des élections.

Les discussions encours suite à la promesse récente faite par Abdel Fattah al-Burhane de remettre le pouvoir aux civils doivent impérativement trouver leur concrétisation rapidement.

Dans un pays où l’économie connaît un véritable effondrement : l’inflation est à 63 %, la dette externe se chiffre à 50 milliards de dollars (44 milliards d’euros) dont 60 % d’intérêt, la dette interne est à 70 milliards de livres soudanaises (1,3 milliard d’euros) le pouvoir avait ces derniers temps fait marcher à fond la planche à billets pour répondre aux besoins de liquidités du pays, alors que les réserves de devises ne dépassent pas 1,44 milliard de dollars (1,27 milliard d’euros). Le pays connaît une pénurie de médicaments et de carburant. L’État profond fera certainement tout pour asphyxier le nouveau gouvernement, notamment à travers ses entreprises pharmaceutiques et de carburant. La solidarité internationale est donc indispensable.

Le Parti de Gauche tient à exprimer sa totale solidarité avec le peuple soudanais en lutte pour la démocratie, la justice et la paix et sa confiance en la capacité du peuple de ne pas se laisser berner par de fausses promesses d’un Conseil militaire marionnette des islamistes.

Le Parti de Gauche appelle à un transfert rapide et ordonné à un organe civil de transition doté du pouvoir décisionnel complet, seul moyen de mettre en place un processus politique pacifique, crédible et inclusif, capable de répondre aux aspirations de la société soudanaise et de mener aux réformes politiques et économiques indispensables. Il ne s’agit pas, contrairement aux obsessions de Le Drian, de «permettre la tenue d’élections dans les plus brefs délais » mais de créer dans les délais suffisants les conditions d’un renouveau démocratique. La communauté internationale et non pas seulement l’Arabie Saoudite et les Emirats, doit se mobiliser pour que le peuple soudanais ne soit pas asphyxié par les conditions économiques défavorables.

Le Parti de Gauche appelle à la libération de tous les détenus politiques, y compris les étudiants du Darfour, à un accès humanitaire complet, rapide et sans entrave sur l’ensemble du territoire, en particulier au Darfour, à la la réforme immédiate des forces de sécurité et des services secrets du NISS.

Le Parti de Gauche appelle un retrait non précipité de la MINUAD au Darfour de façon à ce que le processus de paix soit consolidé et que les deux millions de déplacés puissent rentrer chez eux.

Pierre Boutry

Déclaration de la Commission Afrique du Parti de Gauche

 

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