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Côte d’Ivoire : Henri Konan Bédié, un grand chef africain, tire sa révérence.

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Le 1er aout 2023, une page de l’histoire politique de la Côte d’Ivoire s’est tournée.  Henri Konan Bédié, ancien président la Côte d’Ivoire, s’est éteint à l’âge officiel de 89 ans.

La disparition de l’illustre personnalité suscite un grand émoi au sein de la population ivoirienne dans son ensemble. Ce choc émotionnel est d’abord dû à l’exceptionnelle  longévité politique et le statut social du défunt.  Henri Konan Bédié aura impacté pendant très longtemps, la vie politique de son pays. Avant et même après sa gouvernance à la tête de la Côte d’Ivoire.

En effet, dès l’indépendance de son pays en 1960, Henri Konan Bédié connait une ascension fulgurante. Il est nommé à 26 ans,  premier Ambassadeur plénipotentiaire  de la Côte d’Ivoire, accrédité cumulativement auprès des USA, du Canada et de l’ONU. Six ans plus tard, il fait son entrée au Gouvernement, comme ministre délégué (1966-1968), puis ministre des Affaires Économiques, du fait de ses relations privilégiées avec le milieu des hommes d’Affaires américains. Il resta à ce poste jusqu’en 1977. De 1977 à 1980, il est envoyé à la Banque mondiale comme conseiller spécial pour les Affaires africaines  de la Société financière internationale ( SFI) , filiale de la Banque mondiale.

En 1980, il devient président de l’Assemblée nationale, ce qui fait de lui,  le dauphin de Felix Houphouët-Boigny. En 1993, à la mort du premier président ivoirien, Henri Konan Bédié devient le 2e président de la République de Côte d’Ivoire de 1993 à 1999. Année à laquelle, il est renversé par un coup d’Etat militaire.

C’est donc depuis 63 ans que les Ivoiriens sont habitués à voir à travers tous les canaux officiels de communication,  cet homme qui force l’admiration, le respect et alimente toutes les passions. Surnommé le «  Sphinx », du fait de son mutisme profond, et son léger sourire figé en permanence,  les rumeurs abidjanaise les plus folles sur son train de vie ( qui ont d’ailleurs contribué à sa chute en 1999) , le présentent comme un « Nabab totalement déconnecté des réalités quotidiennes » des Ivoiriens,  qui aurait fêté en grande pompe, « ses milliards  avant l’âge de 30 ans », ou encore un «  éthylique notoire, grand amateur de vin de France, ou autres types d’alcool de prestige », dont la  salle de bain « aurait pour carrelage, des pièces de monnaies », dont l’unité pourrait assurer le petit déjeuner de l’Ivoirien lambda de l’époque.

L’émoi de la population s’explique aussi par le fait qu’Henri Konan Bédié était  un poids lourd de la politique ivoirienne, qu’il domine  avec Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara.  Indéboulonnable  président du Parti et roi traditionnel Akan, son groupe ethnique d’origine qui donne un sens particulier à la monarchie, Henri Konan Bédié n’a en vérité,  jamais dissocié la tradition de la politique.

En alliance avec Alassane Ouattara lors de l’élection présidentielle 2010  dans un Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), face à Laurent Gbagbo, Henri Konan Bédié renonce dès le premier tour à contester « une troisième place qui n’était pas la sienne ». Toutefois, lors du second tour de cette élection, et en vertu de son alliance avec son ancien rival Alassane Ouattara,  Henri Konan Bédié modifie considérablement le vote, en donnant à Alassane Ouattara, cette victoire « dans les urnes », qui permit à la Communauté internationale de l’installer à la tête de la Côte d’Ivoire, à l’issue d’une crise post-électorale sanglante, face au président Laurent Gbagbo.

En octobre 2015, c’est encore au nom de la culture Akan qui cautionne  « la succession tournante entre les héritiers prétendants du trône », que Henri Konan Bédié soutient une fois de plus, la réélection d’Alassane Ouattara en 2015 et l’adoption de la Constitution de 2016,  en attendant que ce dernier en fasse de même, au profit d’un cadre issu de son parti le PDCI-RDA, lors des élections présidentielle d’octobre 2020.

Mais à partir de juin 2018, le leader du PDCI RDA,  connaitra une grande déception. Henri Konan Bédié tire sa révérence avec un sentiment d’avoir été trahi par son ancien allié Alassane Ouattara. Il tire sa révérence en faisant alliance avec Laurent Gbagbo. Pour les élections locales prévues en septembre 2023,  le PDCI-RDA et le PPA-CI se sont effectivement rapprochés, en vue de présenter des candidats communs dans certaines municipalités ou régions.

En octobre 2020, Bédié avait initié la désobéissance civile, pour faire barrage au troisième mandat d’Alassane Ouattara. Cette option fut un échec et 85 personnes sont tuées dans les manifestations à travers le pays.

Depuis l’annonce de sa mort, toute la Côte d’ivoire pleure l’illustre homme, qui fut indiscutablement considéré comme le « moins violent » des ténors de l’après-Houphouët. Toutefois, Henri Konan Bédié est d’abord un ancien président de la république.  De ce fait, un deuil national de dix jours a été décrété, pendant lequel les drapeaux seront en berne.

Le bilan d’Henri Konan Bédié à la tête de la Côte d’Ivoire.

Henri Konan Bédié est avant tout, un économiste de formation. Il aura été un brillant ministre de l’Economie et un chef d’Etat controversé.  En effet, Henri Konan Bedié fut grand un acteur du fameux « miracle économique » ivoirien des années 70-80, du fait de ses contacts avec le monde des affaires américain.  Il s’agit de la période dans laquelle la Cote d’Ivoire, pays prospère, est bâtie. Le pays se dote des infrastructures modernes et d’un plan d’urbanisation futuriste. Les conditions de vie de la population ivoirienne s’améliorent progressivement. Ministre de l’Economie à cette époque, Bédié faisait partie de ces grands ministres qui avaient un poids spécifique dans la gestion étatique, du fait de leur compétence.

Cependant, lorsque ce grand artisan du miracle économique prend la tête du pays, les données ne sont plus les mêmes. Le pays est frappé de plein fouet par une grave crise économique, dont les effets sociaux qu’elle a créé, seront difficiles à maitriser. Henri Konan Bédié reçoit une « bombe à retardement » des mains de Felix Houphouët-Boigny, lui-même en guerre contre ce qu’il qualifie de « monde financier puissant ». La venue de Bédié à la tête de la Côte d’Ivoire est mal vue par une partie de la population. Et surtout de l’opposition qui y voit une succession de type monarchique.

Sur le plan économique, malgré le financement des institutions par les aides internationales,  la situation s’est considérablement aggravée. Le Programme d’ajustement structurel appliqué  en 1990, par le Premier ministre Alassane Ouattara ne donne pas les résultats escomptés. En 1994, le Franc CFA est dévalué de moitié. Pour Henri Konan Bédié, «  la dévaluation susciterait la relance de l’investissement ». Toutefois, la dévaluation s’est avérée  néfaste pour la population qui arrivait difficilement à survivre. Les prix des denrées alimentaires doublent et les salaires stagnent.

Cependant, à partir de 1997, conformément à la prévision des bailleurs de fonds, la Côte d’Ivoire sous Henri Konan Bédié connait une embellie macroéconomique et atteint un taux de croissance proche des 7%, grâce notamment  à  ses exportations (café cacao) , ses exploitations minières et les secteurs tertiaires et industriels.

Malheureusement, la nouvelle embellie économique est marquée par la faiblesse du système de contrôle et de suivi des fonds publiques et divers scandales éclatent au sommet de l’Etat.  On assiste à  plusieurs détournements de fonds à des fin personnelles. Le plus spectaculaire  fut celui des 18 milliards d’aide de l’Union européenne. L’endettement du pays augmente. Il s’agit d’un endettement dû à la corruption et à certaines « dépenses administratives ».

Entretemps, le Gouvernement initie depuis 1996 des projets audacieux de grands travaux.  Le plus célèbre nommé « les 12 travaux de l’éléphant d’Afrique »,  avait pour but de faire de la Côte d’Ivoire, le géant africain du nouveau millénaire. Cependant, la majorité de ces projets verront le jour sous les régimes  de ses rivaux, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara. En outre,  les travaux de développement de 3.5 milliards de FCFA amorcés dans son village  natal sont vivement critiqués par l’opposition, et scandalisent la population.

Durant l’année 1999, la situation sociale est très préoccupante avec la hausse du coût de la vie, l’échec de la politique d’insertion des jeunes, l’augmentation du chômage en plus de la forte croissance démographique (3,3% par an). La plupart des secteurs d’activités étaient paralysés : mécontentement des enseignants, des fonctionnaires, malaise à l’université et au sein de l’armée.

Les relations entre le FMI et le Gouvernement sont tendues.  Le président Henri Konan Bédié en colère,  accuse l’institution de «  persécuter la Côte d’Ivoire sous l’influence de Ouattara, pour empêcher sa réélection  ». En effet, les tensions entre les deux hommes se sont accrues jusqu’au coup d’Etat de décembre 1999.

Sur ce conflit d’héritiers, Henri Konan Bédié est accusé d’être le père du concept d’Ivoirité, pour exclure Alassane Ouattara. Mais en décembre 1993, ce dernier avait toutefois, tenté d’ignorer la Constitution qui permettait à Henri Konan Bedié alors président, de l’assemblée nationale, d’assurer l’interim du président de la République.

De plus, beaucoup d’Ivoiriens ignorent que l’Ivoirité, concept culturel créé dans les années 70 par Niangoran Porquet, était déjà institutionnalisée sous la présidence de Felix Houphouët-Boigny, sous le terme d’ «Ivoirisation ». Cependant, lorsque « l’Ivoirisation » devient « Ivoirité » sous la présidence d’Henri Konan Bédié en période de multipartisme, et en pleine crise économique  le concept avait officiellement comme objectif de  « forger une culture commune pour tous ceux qui vivent sur le sol ivoirien, étrangers comme nationaux ». Cependant, le relais de ce concept par l’opinion publique, les types de campagnes donnés au concept, ont donné au concept d’Ivoirité, toute sa force négative, devenant ainsi, le support idéologique qui justifiait les actes et propos xénophobes et la remise en doute de la citoyenneté d’une catégorie de population. Des leaders politiques ont aussi exploité le concept de manière nationaliste, xénophobe et au gré de leurs calculs et intérêts du moment.

En outre, Henri Konan Bédié, ancien militant de la FEANF, durant ses années estudiantines, sera le président ivoirien qui aura permis à la Côte d’Ivoire de diversifier ses partenaires économiques, en défiant le capitalisme  français, durant les années 90-2000.  Bédié avait permis à des firmes américaines de s’introduire dans la filière café cacao au détriment des intérêts français et la « télé ivoirienne faisait constamment les pubs des produits chinois comme la marque Dong feng spécialisée dans la fabrication de Bus et de camion.

La présidence d’Henri Konan Bédié n’aura duré que sept années,  avant le coup d’Etat  décembre 1999. Depuis lors,  le dauphin de Felix Houphouët-Boigny ne parviendra pas à reconquérir pouvoir d’Etat, jusqu’à sa mort.

Henri Konan Bédié, la fin.  Et la suite ?  

Henri Konan Bédié, sur le plan personnel, a réussi sa sortie l’honorable. Celle de  mourir à la tête de son parti le PDCI-RDA. Mais le PDCI-RDA qu’il laisse en 2023 est un parti d’opposition qui est totalement différent de celui de l’époque coloniale ou même du parti unique. En s’éteignant le 1er aout 2023,  aurait – il  libéré le  potentiel d’un grand parti politique qui avait seulement besoin d’un rajeunissement de ses instances dirigeantes ?

Depuis 1994, année à laquelle Henri Konan Bédié a pris la tête du PDCI-RDA,  ce parti a connu deux grandes périodes de fracture. La première fracture date d’avril 1994. Année à laquelle plusieurs cadres quittent PDCI-RDA pour former le RDR, le parti très vite dominé par Ouattara. La seconde fracture se déroule à partir de juin 2018, dans une situation de conflit avec Alassane Ouattara, au sujet du parti unifié, le RHDP.

A partir de là, Henri Konan Bédié s’est retrouvé dans une situation assez délicate.  La plupart des ses cadres l’ont lâché au profit d’Alassane Ouattara, qui dispose de tous les moyens de l’Etat. Le parti septuagénaire était menacé de disparition.  Le PDCI  ne tenait que par le poids de son président qui finit par candidater à 86 ans, pour la présidentielle de 2020. Au grand mécontentement de plusieurs jeunes cadres qui brûlent d’impatience.

Au moment où  Henri Konan Bédié meurt, le PDCI-RDA se retrouve dans une situation de double alliance, avec les deux autres poids lourds de la politique nationale.  Alassane Ouattara de 2005 à 2018, et Laurent Gbagbo avec qui le PDCI est en alliance depuis 2021. Le risque d’un éclatement du Parti entre ces deux grandes personnalités pour la présidentielle de 2025 est réel.

 Cependant la situation politique  actuelle  pourrait donner une issue favorable au PDCI-RDA, premier grand parti politique à acter le renouvellement générationnel en Côte d’Ivoire.  Laurent Gbagbo, poids lourd de la vie politique ivoirienne, radié de la liste électorale, est pour l’instant inéligible. Quand à Alassane Ouattara, ce dernier avait  affirmé depuis 2020 : «  je serai candidat, si les autres c’est-à-dire Bédié et Gbagbo, le sont aussi ».

Toutefois, au sein du parti, les textes prévoient le processus successoral en cas de vacance du pouvoir. Selon l’article 40 des textes du PDCI-RDA, « le président du parti est élu par le congrès pour cinq ans. Il est rééligible. En cas de décès, de démission ou d’empêchement absolu, l’intérim du président est assuré par le doyen d’âge des vice-présidents. La durée de l’intérim ne peut excéder six mois, sauf si la durée du mandat restant à courir est inférieure ou égale à un an ».

C’est donc le doyen Philippe Cowpli-Boni âgé de 91 ans qui assure l’intérim de la présidence du PDCI-RDA pour une durée inferieure ou égale à six mois.

Mais qui sera donc le futur président du PDCI-RDA, et candidat du parti pour la présidentielle de 2025 ? Selon les observateurs, plusieurs favoris se signalent. Parmi eux des cadres, militants actifs qui symbolisent la résistance du PDCI-RDA face aux tentatives d’implosion, initiées par le régime Ouattara.  Citons Doho Simon, originaire de l’Ouest du pays, député de la ville Bangolo et actuel président du groupe parlementaire du PDCI-RDA. Ce cadre d’ethnie guéré  n’a cessé de s’imposer comme un successeur de l’actuel  Secrétaire exécutif Maurice Kacou Guikahue,  jugé peu productif.

Depuis juin 2023,  Henri Konan Bédié a  confié l’organisation du 13e Congres du PDCI-RDA qui aura lieu en octobre 2023,  à un cadre du parti, en donnant des instructions à tous les anciens, pour l’encadrer et l’aider à réussir sa mission. Il s’agit de Thierry Tanoh, l’unique ministre issu du PDCI , resté fidèle à Henri Konan Bédié,  lors de sa dernière confrontation avec Alassane Ouattara. Des noms comme Jean-Louis Billon, Tidjane Thiam son également cités.

Au delà de toutes ces hypothèses, il est clair que le roi Akan du PDCI-RDA, visiblement vieillissant à l’aube de l’année 2023, et de surcroit nonagénaire a certainement préparé sa succession, selon sa tradition. Car dans la tradition akan, la succession ne se fait pas du vivant du chef. L’âge avancé et la longévité politique d’Henri Konan Bédié,  exigera un saut de génération important, en ce qui concerne sa succession. Dans ce cas, le PDCI-RDA serait en phase de répondre plus concrètement aux souhaits de la population ivoirienne en présentant un candidat jeune. En octobre 2025,  un jeune candidat du PDCI-RDA présenté face aux vieux éléphants Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, pourrait créer la surprise. Ce qui risque de mettre en péril la Gauche ivoirienne actuellement désunie et qui pourrait de ce fait elle aussi songer à se rajeunir autour d’un jeune candidat consensuel capable de poursuivre l’œuvre du président Laurent Gbagbo. 

 Oris Bonhoulou

 

 

 

 

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