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L’échec de la Conférence sur le financement des économies africaines ou l’étrange surendettement des Etats africains 15 ans après l’initiative PPTE

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Le sommet international sur les financements de l’économie africaine s’est tenu le mardi 18 mai 2021 à Paris.   Il a vu la participation d’une trentaine de chefs d’Etat et de gouvernement africain, d’organisations internationales et de puissants hommes d’affaires Américains et Chinois. En un mot les maitres de l’économie et des finances internationales, principaux créanciers du continent africain.

Il est difficile de comprendre le surendettement des pays africains qui en 2005, avaient pourtant bénéficié du processus d’annulation de leur dette extérieure via l’initiative Pays pauvres très endettés (PPTE). Le programme PPTE concernait 42 pays en septembre 2006, dont les trois quarts sont situés en Afrique subsaharienne.

Pourtant en 2020, selon le Fonds monétaire international (FMI), 17 pays du continent africain sont soit surendettés ou sont en voie de l’être. Car après les vastes allégements (76 milliards de dollars) consentis dans le cadre de l’initiative PPTE, en 2006, les pays africains se sont mis à réemprunter massivement, certains pour faire face à la crise pétrolière de 2014, d’autres poussés  à faire des investissements inutiles par le capitalisme international. A tel point que leur dette a triplé au cours des treize années suivantes. La pandémie n’a donc pas créé la situation actuelle, elle n’a fait que l’aggraver.

Ces situations de surendettement des pays africains les rendent plus vulnérables face aux exigences des créanciers tout en restant dans une posture de dépendance économique.  Après les années 1960, la domination occidentale s’est transformée en un néocolonialisme basé essentiellement sur la domination économique qui ne favorisera jamais le développement de l’Afrique. « Au colonialisme primaire s’est substitué un néocolonialisme plus subtil et plus fort » affirmait François Mitterrand en 1972.

En 2020, la dette publique africaine est montée à 65% du PIB global. Ces chiffres exorbitants sont essentiellement dus à la construction d’infrastructures bien visibles en Afrique mais inutiles pour un développement économique socialement et écologiquement responsable (le métro est l’éléphant blanc du 21ème siècle, les hôtels de luxe se sont multipliés), au grand bonheur des investisseurs et multinationales issus des pays riches.  Cependant ces Etats font toujours face à de nombreuses difficultés depuis leur accession à l’indépendance : insuffisance alimentaire, fort taux d’analphabétisme, problèmes sanitaires et sociaux, industrialisation réduite, agriculture archaïque, situation de subordination économique.

Il s’agit donc d’une situation de sous-développement maintenue volontairement par l’Occident avec la complicité des potentats locaux dans un système économique international  basé sur trois grandes institutions internationales : le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ce système favorise la dépendance économique des pays pauvres en majorité africains. Cette dépendance est d’abord caractérisée par trois facteurs. Le premier concerne les aides au développement non gratuites, remboursables et conditionnées, qui endettent les pays plus pauvres tout en les mettant en situation de faiblesse face aux créanciers. Le second facteur de la dépendance économique se caractérise par l’implantation des sociétés multinationales puissantes qui exploitent les richesses tout en ayant la capacité de bouleverser l’ordre politique et même la stabilité de ces pays africains. Le troisième facteur porte sur la maîtrise des prix des matières premières des pays pauvres par les pays développés.

Dans ce système néo colonialiste, l’évolution des pays africains sera toujours liée à la générosité des pays riches, alors qu’il existe certainement d’autres solutions de financements exemptes d’effets nuisibles : l’annulation massive de la dette, des accords garantissant un protectionnisme solidaire aux pays en développement, une rémunération réglementée des matières premières, une fiscalité internationale respectueuse des pays, une souveraineté monétaire effective, des aides au développement non remboursables et ciblées sur des projets de développement agricoles ou industriels etc…

Le sommet de Paris sur les économies africaines s’est donc effectué selon la logique des pays puissants.  Cette logique tire sa source de la première conférence des nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED) de 1964, à l’issue de laquelle les pays riches se sont résolus à consacrer 1% de leur richesse pour aider l’Afrique. Sans vraiment prendre en compte les vraies revendications des pays pauvres à savoir le transfert gratuit des technologies et du partenariat « gagnant gagnant ». La concurrence et la recherche du profit font partie des principes du capitalisme et aucun pays avancé ne laissera un pays africain accéder à la technologie qui lui permettra d’évoluer.

Ainsi, le prétendu New Deal  de Macron porte essentiellement sur le financement de l’Afrique via une nouvelle allocation des Droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI, allocation rendue possible par l’élection de Biden. Ce qui permettra à l’Afrique de recevoir 34 milliards de Dollar de liquidités extérieures et d’espérer que d’autres pays lui rétrocèdent une partie de leurs nouveaux DTS. Beaucoup de bruit et de communication pour pas grand-chose. Sortir l’Afrique du piège de la dépendance n’est pas à l’agenda de Macron et l’annulation de la  dette colossale de l’Afrique ne sera pas pour aujourd’hui.

Oris Bonhoulou et Pierre Boutry

Déclaration de la Commission Afrique du Parti de Gauche

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L’échec de la Conférence sur le financement des économies africaines

document d’analyse de la Commission Afrique du PG

Macron a accueilli les 17 et 18 mai 2021 la Conférence internationale d’appui à la transition soudanaise et au Sommet des économies africaines.

Le Soudan

L’essentiel étant le « New Deal » promis par Macron qui ne sait parler qu’en globish, évacuons tout d’abord la question soudanaise. 25 ans après le lancement de l’initiative pays pauvres très endetté (I-PPTE), le Soudan va finalement voir sa dette bilatérale être annulée dans le cadre des conditionnalités imposées par le trio Banque mondiale/FMI/Club de Paris. Pour Macron, c’est l’occasion rêvée de faire passer cette annulation comme un acte généreux. Mais il n’en est rien. D’un côté, la France refuse de reconnaître le caractère odieux de la dette du pays, pourtant contractée contre l’intérêt des populations par des dictateurs successifs (Gaafar Nimeiry – 1969-85, Omar el-Béchir – 1989-2019). De l’autre, la BNP Paribas, toujours très proche de l’État français, a été condamnée à une amende de 6,6 milliards d’euros pour avoir violé l’embargo étasunien et financé la guerre au Darfour. Et depuis la révolution populaire ayant conduit à la chute d’Omar el-Béchir en avril 2019, le capital français lorgne sur les opportunités d’investissements dans les secteurs pétrolier et aurifère du pays. Une nouvelle opportunité pour la France de convertir ses créances odieuses en investissements dans le cadre d’un contrat dit de désendettement et de développement (C2D) ? Macron, qui présente le Soudan comme un parangon de la transition démocratique ce qu’il n’est que de loin,  a donc annoncé l’annulation de la totalité de sa créance vis-à-vis du Soudan afin de libérer ce pays engagé dans une transition démocratique du « fardeau de la dette ». Plus de 4 milliards d’euros effacés par la France, 360 millions d’euros par l’Allemagne ; L’Allemagne et la France vont également aider le Soudan à solder son passif avec le Fonds monétaire international (FMI) condition préalable afin d’engager Khartoum dans le programme de soutien aux pays pauvres très endettés : Berlin apportera jusqu’à 90 millions d’euros dans ce but, et Paris prêtera 1,23 milliard d’euros. C’est le prix à payer pour avoir la paix au Tchad et en RCA et pour récompenser le Soudan de son soudain intérêt pour Israël.

LaFrançAfrique repeinte en AfricaFrance

Le courage lui manquant pour affronter les potentats africains, Macron préfère déplacer son curseur politique sur deux autres terrains : les diasporas africaines et les financements des économies en Afrique. Depuis son élection en 2017, Emmanuel Macron flirte avec les diasporas africaines, espérant qu’elles soient moins serviles aux tyrans. Son Conseil Présidentiel pour l’Afrique (CPA) est sensé lui assurer une connexion directe avec les forces vives de l’Afrique… installées en France mais qui financent largement leurs pays d’origine par des transferts de fonds massifs, supérieurs à l’aide publique gérée par l’Agence Française pour le Développement.  « J’ai plus de 10 millions de nos concitoyens qui ont des familles de l’autre côté de la Méditerranée », a déclaré  Macron le 18 février dernier, dans un entretien accordé au Financial Times, à propos du transfert de 3 à 5 % de vaccins anti-Covid aux pays africains. Mais le Covid est venu annuler la programmation de l’Année africaine en 2020. Et le Sommet de Montpellier qui devait se tenir début juillet 2021 est à nouveau annulé. C’est désormais la Banque Publique d’Investissement, qui prendra le relai en organisant à l’automne un nouveau Sommet. En se cachant derrière la société civile africaine diasporique et derrière la BPI, Macron veut se donner facialement le beau rôle tout en continuant en sous-main à féliciter pour leur nième élection frauduleuse les présidents/gouverneurs du pré carré.

Venons-en au thème principal de la Conférence, le financement de l’économie de l’Afrique.

La conférence réunit de nombreux chefs d’Etats africains, mais aussi du G20, de Chine, des Nations unies et des nombreuses organisations régionales, panafricaines et internationales de financement des économies, est le prolongement de la tribune qu’avait publiés 18 chefs d’Etat et de gouvernements en avril 2020 appelant à imaginer de nouveaux financements pour permettre à l’Afrique de gérer la crise du Covid et d’assurer son développement, tant au bénéfice des Etats que des acteurs du secteur privé. Les auteurs proposaient une réponse multilatérale, notamment avec le G7 et le G20, à la gestion de la crise du Covid, et demandaient un moratoire immédiat sur le service de toutes les dettes africaines extérieures. Deux grands absents à cette Conférence : la Russie qui n’a pas été invitée à Paris sous prétexte qu’elle ne fait pas partie des créanciers du continent ; et surtout les entreprises africaines !

La dette africaine

Une bonne partie de cette dette est détenue par des créanciers privés, contrairement aux années 80 et 90 où elle était essentiellement publique. Or ils seront absents à Paris. Ensuite, l’Afrique est assise sur 1 000 milliards de dollars de ressources directes : les fonds de pension, notamment les caisses de retraite en Afrique en gèrent 200 milliards, les fonds souverains, plus de 150 milliards. Pourquoi ne sont-ils pas invités à Paris pour parler également des solutions endogènes ? Autres absents : les entreprises privées qui font tourner l’économie africaine. Il est utile de rappeler que les PME et TPE constituent 90% du secteur privé. Quel paradoxe d’avoir pléthore d’acteurs publics africains et internationaux débattre d’une dette dont une part des détenteurs et ceux qui devraient en être les principaux bénéficiaires sont absents.

Après avoir plaidé pour une annulation de la dette en avril 2020, le président français n’y est plus favorable. « Nous ne pouvons pas faire avec les recettes d’hier », a expliqué, fin avril, Macron, qui a appelé à un « new deal » dans le financement des économies africaines, autrement dit un effort exceptionnel et un accent mis sur les investissements dans le secteur privé. Une annulation de la dette par le Club de Paris, instance présidée par la France et qui regroupe les principaux pays créanciers occidentaux, n’aura quasiment aucun effet. Au cours des dernières années, la Chine – qui n’en fait pas partie – et les investisseurs privés sont devenus les premiers créanciers en Afrique, éclipsant le vieux club des pays prêteurs.

L’annulation de la dette ne peut d’ailleurs pas résoudre à elle seule les problèmes de développement de l’Afrique. Après les vastes allégements (76 milliards de dollars) consentis dans le cadre de l’initiative Pays pauvres très endettés (PPTE), en 2006, les pays africains se sont mis à réemprunter massivement, à tel point que leur dette a triplé au cours des treize années suivantes.

La pandémie n’a donc pas créé la situation actuelle, elle n’a fait que l’aggraver. Les difficultés de certains pays sont venues après la crise pétrolière de 2014, quand les cours du brut ont brusquement décroché en juin 2014. Les pays exportateurs de pétrole ont été les premiers affectés, de l’Algérie au Congo-Brazzaville en passant par le Nigeria. Ils se sont retrouvés confrontés à des dettes élevées. La dette publique du continent est ainsi passée de 32,1% du PIB en 2010 à 65% en 2020. De nouveaux créanciers sont arrivés en Afrique ces dix dernières années. Des pays comme la Chine, mais aussi des prêteurs privés. Avant 2010, seuls trois pays africains avaient recours aux marchés de capitaux, aujourd’hui, ils sont dix-huit.

Sans un développement qui passe par la lutte pour une gouvernance transparente, une meilleure intégration aux chaînes de valeur mondiales, de meilleures infrastructures, l’Afrique restera sous perfusion financière des pays riches, de la Chine et des créanciers privés. Or une dépendance trop importante affaiblit la souveraineté des Etats africains.

Le besoin de financement

La finalité de cette Conférence est donc de tenter de freiner ce nouvel endettement et de juguler ce déficit de financement qui pourrait friser les 300 Milliards de Dollars sur la période 2021-2025, dont près de la moitié aux pays africains à faible revenu, si rien ne se passe. Rappelons que la COP21, rien que sur le volet de la lutte contre les effets du changement climatique, avait évalué les besoins à 100 milliards d’euros par an pour l’Afrique. Sans action collective, le financement et les objectifs du Programme de développement durable à l’horizon 2030 et de l’Agenda 2063 de l’Union africaine seront compromis.

En 2020, l’Afrique, même si elle a été relativement épargnée par le Covid, a enregistré sa première récession depuis un quart de siècle, et trente millions de ses habitants sont tombés dans l’extrême pauvreté. Plusieurs pays surendettés sont au bord du défaut de paiement, comme le Tchad et l’Ethiopie, et ne peuvent plus faire face à la crise sans aide extérieure.

L’heure serait donc venue de lancer un « New Deal financier » en Afrique. En fait, ce cadre de financement « assaini et plus équitable avec l’Afrique », comme l’appelle de ses vœux  Macron, doit permettre à la France, et à l’Europe, d’aider à un positionnement financier concurrentiel face à la Chine (et d’autres) qui ne respecte pas toujours les règles du jeu.

La suspension du service de la dette annoncée en avril par le G20 a permis un répit aux pays à bas revenus. Pékin, absent des mécanismes de restructuration de la dette jusqu’à présent, participera au nouveau mécanisme multilatéral mis en œuvre à partir de la fin de 2021.

Face à ce nouveau défi pour l’Afrique, une aide financière massive est nécessaire, aussi bien en matière d’aide publique (qui a baissé de 1 % en 2020) que de soutien au secteur privé et aux Etats. Les pays riches, qui ont injecté près de 16 000 milliards de dollars dans leurs économies depuis le début de la crise, doivent étendre aux Etats les plus pauvres les largesses vitales qu’ils s’octroient.

Mais devant cette apparente sollicitude, reste ce que Macron veut ignorer : la leçon que donne le Covid sur le plan sanitaire – pas de salut sans solidarité internationale – vaut dans les autres domaines : les chemins du développement, de la lutte contre la pauvreté et les catastrophes liées au dérèglement climatique passent par une mobilisation planétaire pour sortir l’Afrique du piège de la dépendance. A la condition que les sociétés africaines se mobilisent contre la corruption et la mal-gouvernance et que les sous-régions s’organisant sur un schéma de coopération économique. Sortir l’Afrique du piège de la dépendance n’est pas à l’agenda de Macron et toutes les pseudo-solutions proposées comme nous allons le constater vont en sens inverse.

Les DTS

La première victoire du FMI, rendue possible par la levée du veto américain au lendemain de l’élection de Joe Biden à la présidence, a été de faire accepter une  nouvelle allocation de DTS à hauteur de 650 milliards de dollars pour ses 183 membres. Chacun en recevant une partie en fonction de sa quote-part au FMI. Une allocation est possible dans le courant du mois d’août. Ce qui est à souligner, c’est qu’un certain nombre de pays riches ne vont pas utiliser leur quote-part de DTS, et toute la discussion actuelle tourne autour de l’idée de savoir comment utiliser ces DTS de pays riches non utilisés pour les allouer aux économies à bas revenus. Une  solution est d’utiliser le Fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté du FMI (PRGT) qui bénéficierait d’un prêt d’une partie de ces DTS.

Le sommet a confirmé l’émission de droits de tirage spéciaux, les fameux DTS, à hauteur de 33 milliards de dollars pour l’Afrique dont 24 milliards pour l’Afrique subsaharienne, ce qui est peu. Macron s’est dit prêt à réallouer les droits de tirage spéciaux dont la France sera dépositaire, et à tenter de convaincre d’autres pays de telle sorte à constituer un tour de table qui s’élève au moins à 100 milliards pour l’Afrique.

Une autre solution, défendue par Ouattara, consisterait à réviser les quote-parts pour assurer une meilleure représentativité des pays africains au sein du FMI – et donc un meilleur accès à cet instrument de financement.

L’échec de la Conférence

A part cette confirmation de  l’émission de droits de tirage spéciaux, la Conférence n’a fait qu’émettre des vœux pieux même si Macron assure que les discussions ont permis le « lancement d’une dynamique profonde ». Aucun montant précis ni calendrier sur ces réallocations de DTS n’ont été communiqués.

La consolidation du moratoire sur les intérêts et le principal de la dette détenue par les pays du G20 a été évoquée et  la consolidation d’un nouveau cadre commun pour la restructuration des dettes a aussi été réaffirmée par les participants. Trois pays sont déjà concernés par ce nouveau cadre : le Tchad, la Zambie et l’Éthiopie. Les travaux sur la dette tchadienne sont attendus pour la fin du premier semestre 2021.

Enfin, la question des vaccins a été au centre des discussions. Selon le FMI, seuls 2,9% de la population totale du continent est vaccinée contre le Covid-19. L’un des taux les plus faible du monde, qui s’explique d’abord par l’absence de sérums disponibles. Une situation qui n’est « pas soutenable », « injuste », et « inefficace », ont estimé les participants. Pour tenter d’inverser la tendance et de répondre à l’urgence sanitaire, il a été décidé de « pousser » l’ambition de l’initiative Covax de 20% à 40% d’Africains vaccinés d’ici fin 2021. Reste au FMI à mobiliser 50 milliards de dollars pour parvenir à ce doublement de la couverture vaccinale sur le continent.

C’est tout et c’est peu !

Ce qu’aurait dû traiter cette Conférence et qu’elle s’est bien gardée de faire

Le New Deal vanté par Macron s’inscrit en réalité dans la droite ligne des politiques néolibérales en grande partie responsables des faiblesses structurelles des économies africaines.

Macron  n’a pas prononcé son grand discours de La Baule, celui qui inviterait les chefs d’Etat d’Afrique à lancer un processus de démocratisation sous peine, dans le cas contraire, d’être privés du soutien financier du Nord et tendrait à réserver les aides publiques internationales aux entrepreneurs africains, en subordonnant ces aides à l’utilisation de tous les moyens technologiques de traçabilité de leur emploi et de leur juste destination.

Les institutions financières, ainsi que les pays riches, continuent de faire la promotion de demi-mesures, inspirées de recettes des années 1980 – austérité et recours au secteur privé – qui ont été des échecs, pour soi-disant aider les pays africains à traverser ce choc. Ils ne s’attaquent pas aux problèmes structurels qui empêchent ces Etats de se financer. La convocation, à Paris, de ce sommet pour discuter de l’avenir des économies africaines, est symptomatique de cette relation déséquilibrée qui perdure.

Les solutions envisagées n’ont rien de « novatrices », elles sont dans la droite ligne des remèdes infligés depuis des décennies, responsables des faiblesses structurelles des pays africains. Elles les ont notamment enfermés dans un modèle extractiviste ravageur et peu rémunérateur qui les rend, de surcroît, dépendants et extrêmement vulnérables aux chocs exogènes, comme on a encore pu le constater récemment lors de la chute du cours des matières premières. Ce « New Deal » macronien est une déclinaison du « Consensus de Paris » exposée en novembre dernier, lors d’un entretien du président français au Grand Continent. Comme souvent avec Macron, sous un emballage se voulant disruptif, ce sont les mêmes recettes libérales éculées qui sont servies : il s’agit ici, en l’occurrence, malgré les dénégations, de remettre encore plus le sort des économies africaines entre les mains d’intérêts privés et de la finance. L’un des outils de prédilection de cette politique ce sont les partenariats public-privé (PPP), ces conventions par lesquelles le financement et la gestion de services publics sont confiés à des prestataires privés. Décriés en France, où la Cour des comptes a fustigé son coût et « son insoutenabilité financière », amenant le gouvernement de Macron à y renoncer, les PPP font pourtant encore l’objet dune large promotion, y compris par la France, par le truchement de l’Agence française de développement (AFD), auprès des pays africains.

Voici donc quelques idées qui changeraient la donne :

1 L’annulation massive des dettes

Macron pourrait mettre en œuvre son propre appel d’avril 2020 pour une « annulation massive » des dettes. La France pourrait donner l’exemple avec une annulation significative des 14 milliards d’euros de créances qu’elle détient sur les pays africains mais elle pourrait également user de son poids et de son influence tant au sein du Club de Paris, du G20, du FMI ou de la Banque mondiale et d’autres enceintes internationales pour promouvoir cette solution tant pour les dettes bilatérales que multilatérales. Ces annulations devront également concerner les créanciers privés afin que les pays débiteurs en tirent réellement profit. Ces annulations seraient justifiées non seulement par la crise mondiale actuelle mais aussi parce que de larges parts de ces dettes sont illégitimes ou odieuses.

2 La fiscalité internationale

La fiscalité internationale est sans doute l’exemple le plus marquant de ce déséquilibre. L’impôt reste ainsi la source la plus sûre de revenus pour financer les politiques publiques en toute autonomie. Pourtant, les failles du système fiscal et financier facilitent la fuite de milliards d’euros d’Afrique chaque année. Le continent africain est frappé de plein fouet par l’évasion fiscale des multinationales, souvent occidentales, bien davantage en proportion du produit intérieur brut que les pays riches, ce qui affaiblit la capacité de mobilisation des ressources internes dans la région.

Las, les négociations sur la lutte contre l’évasion fiscale en cours à l’Organisation de coopération et de développement économique, dominées par les pays riches, négligent ouvertement les intérêts des économies du Sud et ne devraient leur bénéficier que de manière bien trop limitée. Une véritable réforme de l’imposition des multinationales, sur la base d’une taxation unitaire avec une formule équilibrée pour prendre en compte les activités effectuées dans les pays du Sud, accompagnée d’un taux minimum d’imposition effectif, doit être mise en place, garantissant les droits à taxer des pays du continent africain. Il est également fondamental de mener la chasse aux paradis fiscaux, même au cœur de l’Union européenne. Enfin, les pays riches, en premier lieu la France, doivent cesser de bloquer la création d’un organisme fiscal international et d’une convention fiscale à l’ONU nécessaires pour que tous les pays créent, ensemble, un système fiscal efficace et juste.

3 La nécessaire industrialisation de l’Afrique

L’industrialisation de l’Afrique doit certes demeurer une priorité (avec le développement d’une agriculture auto-suffisante bien sûr) : si avec les partenaires internationaux, le New Deal financier annoncé à Paris consistait à encourager l’industrialisation portée par des industriels africains avec des partenaires internationaux sur la base de financements – projet, cela commencerait à devenir intéressant.

Certains pays ont déployé une approche industrielle forte en mode financement projet. C’est le cas de l’Ethiopie avec les financements chinois qui ont permis la construction de parcs industriels et de créer des emplois, d’observer un début de semi-industrialisation et d’économie manufacturière. Mais les conditions de ces financements ne sont pas moins critiquables car la Chine devient détentrice de ces infrastructures lorsque les Etats africains font défaut. Et les contreparties en matières premières contre ces projets sont souvent des contrats léonins. Ensuite, les 150 à 200 milliards de dollars de la dette africaine détenus par la Chine sont proposés en général à des taux concessionnels très faibles avec des différés de 3 à 5 ans. L’astuce des Chinois, le piège, est que lorsque les projets se mettent en place, les entreprises chinoises opératrices des projets apportent des financements complémentaires aux Etats à des taux du marché. Quand vous analysez les dossiers, ils coûtent au final entre trois à six fois plus chers à l’Afrique que ceux réalisés en Chine. La Chine cache ces taux différentiels avec une absence de transparence totale dans l’exécution des contrats.

Mais la question demeure : y a-t-il un seul exemple de zones industrielles d’envergure réalisées en Afrique occidentale francophone ?

Enfin, encore faudrait-il que les taux d’intérêts pratiqués soient plus proches de la réalité du risque africain : lorsque les pays européens se financent par exemple à 0,5%, voire à des taux négatifs, l’Afrique s’endette à des taux de quasi-usure de 7% à 10%. Le pire, est que ces financements vont peu vers des secteurs productifs, mais sont utilisés pour financer les déficits courants et budgétaires. Enfin, ces ressources sont gérées dans la plus grande opacité, dans des conditions de gouvernance très discutables et avec une faible traçabilité des ressources.

Pourquoi ne pas mettre sur la table des financements conséquents pour développer les complémentarités industrielles entre pays de la région Afrique de l’Ouest ou de l’Afrique centrale sur la base des avantages différentiels de chacun. Pourquoi la Côte d’Ivoire et le Ghana ne deviendraient-ils pas avec le café et le cacao le pôle agro-alimentaire du sous-continent. Le Nigéria, un géant de l’automobile et de l’industrie pharmaceutique de la région ? Avec son port en eau profonde, le Togo pourrait devenir le Singapour de la région.

Cette stratégie régionale suppose concertation et mobilisation de tous les acteurs avec des programmes de levée de ressources au niveau régional, via des véhicules ad’hoc, soutenus par les Souverains internationaux qui permettraient d’obtenir des taux d’intérêts raisonnables. Mais que fait l’UA à part se constituer en syndicat de dictateurs qui plus est financé à 80% par l’Occident et la Chine ?

De son côté la France peut œuvrer à un rééquilibrage du rapport de forces entre les entreprises capitalistes et les pays africains qui souhaiteraient s’engager dans ce développement industriel sur de nouvelles bases. En tant que nouveau membre, depuis le début de l’année, du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, la France doit supporter et même porter toute initiative rappelant que le commerce et la finance ne doivent pas prendre le pas sur les droits humains comme on le constate encore bien trop souvent en Afrique et ailleurs. Au niveau de l’Union européenne, la France doit pleinement soutenir les recommandations sur le devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises que le Parlement européen a voté en mars dernier : elle doit peser de son poids pour que la Commission européenne les traduise en directive sans les édulcorer et pour que le Conseil, qui représente les gouvernements des Etats membres de l’UE, ne bloque son adoption. Au niveau international, la France doit également soutenir le projet de traité international contraignant les entreprises multinationales à respecter les droits de l’homme et l’environnement et qui est en discussion à l’ONU.

 

4 Les accords de libre-échange

Les relations asymétriques avec la France s’inscrivent dans un contexte mondial néolibéral où les pays africains se voient imposer des accords commerciaux de libre-échange dévastateurs pour leurs économies, à l’instar de ceux avec l’Union européenne : celle-ci tente d’approfondir via, notamment, les Accords de partenariat économique (APE) – que les Africains ont vite fait de rebaptiser « Accords de Paupérisation économique » – une politique commerciale mortifère dont les seuls véritables gagnants sont les multinationales et les banques. Avec la complicité active des institutions commerciales et financières internationales, notamment le FMI, la Banque mondiale ou l’OMC, ces accords commerciaux se doublent de plus en plus d’accords d’investissement scélérats renforçant la domination des multinationales sur les Etats. La France peut œuvrer à une révision de la politique commerciale néolibérale de l’UE en soutenant notamment l’arrêt des APE.

5 L’APD

Un autre outil de ce système néocolonial est la mal nommée Aide publique au développement. Outre le fait qu’elle prend en grande partie la forme de prêts, elle est souvent conditionnée à l’application des politiques néolibérales et produit donc les mêmes effets. Elle peut aussi être orientée de sorte de privilégier avant tout les intérêts économiques du bailleur ou pour faire pression sur le débiteur pour qu’il agisse dans un sens contraire à son intérêt. Sa comptabilisation comprend aussi trop souvent des actions qui n’ont pas de lien évident avec le développement (certaines dépenses militaires, des dépenses internes liées à la politique migratoire,…) ou de simples jeux d’écriture ne donnant lieu à aucun transfert de fonds comme, par exemple, l’annulation de créances insoutenables et odieuses.

6 La souveraineté monétaire

Il faut évidemment rendre leur souveraineté monétaire aux anciennes colonies en mettant fin au Franc CFA. Pour de vrai, cette fois-ci. La prétendue fin du Franc CFA (uniquement pour les 8 Etats membres de l’UEMOA, Union économique et monétaire ouest-africaine) actée et votée par l’Assemblée nationale puis le Sénat en décembre et janvier dernier, confine à la galéjade. En effet, Macron a juste essayé de détourner l’attention en agitant le changement de nom en ECO pour tenter de faire croire qu’il avait vraiment fait disparaître deux des dispositions du système Franc CFA les plus dénoncées par les Africains, la représentation française dans les instances de décision et le compte d’opération, alors que les deux sont en fait maintenues sous d’autres formes. Sans compter qu’aucune des autres dispositions fondamentales de ce système n’a été touchée. Bref, sur le fond, rien n’a changé : la France garde le contrôle de cette monnaie.

7 la fin du soutien aux dictatures

Mais la mesure qui rend possibles et souhaitables toutes les autres est bien entendu de cesser le soutien aux dictateurs et aux régimes illégitimes. Malheureusement, là encore, Macron n’a pas l’air près de prendre cette voie. Il y a moins d’un mois, il a publiquement avalisé un coup d’Etat militaire et institutionnel au Tchad. Et parmi la quinzaine de chefs d’Etat invités à ce Sommet de Paris, plusieurs sont loin d’être à la tête de modèles de démocratie. Le cas le plus problématique parmi les pays de la zone subsaharienne est certainement celui de Denis Sassou Nguesso. Ainsi, il y a deux mois à peine, le chef d’Etat congolais, qui cumule 36 années au pouvoir, a officiellement remporté un nouveau scrutin présidentiel dès le premier tour avec près de 90 % des voix au terme d’une sinistre farce électorale et au prix de violations massives des droits humains. De plus, la République du Congo est l’un des pires exemples, en Afrique, de gestion calamiteuse des richesses et ressources du pays dont l’essentiel des fruits est détourné, très souvent aux profits des intérêts privés français. Il est difficilement compréhensible que sur les 54 chefs d’Etat africains, Emmanuel Macron ait choisi d’inviter à ce Sommet de Paris sur les financements un de ceux poursuivis en France dans l’affaire des « Biens mal acquis », affaire qui touche à ces flux financiers illicites qui, précisément, contribuent à profondément et lourdement miner les capacités de financement des économies africaines. Kristalina Georgieva, la directrice générale du FMI, qui a participé à ce même Sommet, a dû se poser elle aussi la question, vu qu’il y a un mois elle a adressé au président congolais une notification de refus d’aide financière pour cause, justement, de mauvaise gouvernance.

Pour la souveraineté réelle des pays africains, dans un monde ne reposant plus sur un système économique intrinsèquement porteur de profondes inégalités, de rapports de domination et d’exploitation au détriment de l’humain et de la planète !

Pour l’écosocialisme africain !

Unissons nos efforts car les luttes du Sud et du Nord sont intrinsèquement liées !

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