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RCI : quand la stratégie politique de Ouattara se mue en tragédie

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Le mercredi 8 juillet 2020, les Ivoiriens apprennent finalement la mort de leur Premier ministre Amadou Gon Coulibaly des suites d’un malaise cardiaque, en plein Conseil des ministres. Son décès  est finalement constaté dans une clinique d’Abidjan dans laquelle il venait d’être évacué en urgence. Si toute la classe politique ivoirienne dans son ensemble, salue la mémoire du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, force est de constater que les circonstances liées à son décès relèvent visiblement d’un problème intérieur au régime Ouattara. La mort d’Amadou Gon Coulibaly (AGC) intervient en effet après deux longues années d’ambivalence du président Ouattara qui n’a cessé de faire planer le doute sur son intention de briguer un troisième mandat

Pour rappel, une semaine après l’annonce officielle du président Ouattara «  de ne pas être candidat à l’élection présidentielle de 2020, et de transférer  le pouvoir à une nouvelle génération », un Conseil politique de son parti le RHDP se tient dans la précipitation le 12 mars 2020 à Abidjan. A l’issue de la réunion, le Premier ministre AGC est désigné candidat du RHDP à 7 mois des élections présidentielles. La désignation d’AGC était loin de faire l’unanimité au sein du parti, occasionnant même le départ des ministres Marcel Amaon Tanoh et Mabri Touakeusse. Le Premier ministre connu pour son état de santé fragile, était perçu par les observateurs comme une personnalité peu charismatique. Cependant, le soutien d’Alassane Ouattara à son plus fidèle collaborateur entraine le ralliement officiel des plus hauts dignitaires du régime comme le ministre d’Etat Hamed Bakayoko, le président de l’Assemblée nationale Amadou Soumahoro, ou encore le Secrétaire général de la présidence Patrick Achi.

Seulement deux mois après sa désignation, le Premier ministre à la santé fragile Amadou Gon Coulibaly fait un énième malaise. Il est évacué dans la nuit de 1er au 2 mai en France pour « un contrôle médical » selon un communiqué de la présidence de la République, alors que les frontières aériennes et terrestres sont fermées en raison de la pandémie du Covid 19. Hospitalisé de mai à juillet 2020, pour des problèmes cardiaques, le débat sur son état de santé prend de l’ampleur sur la scène publique ivoirienne. En effet, le manque de communication entre le gouvernement et la population sur la santé du Premier ministre, permit à de célèbres cyber-activistes vivant à l’étranger de mettre le feu aux réseaux sociaux. Le retour du candidat du RHDP AGC devenait donc une priorité pour le régime, au détriment des exigences médicales liées à la convalescence d’un « greffé du coeur ». Finalement contraint de regagner Abidjan, et face à la volonté du parti d’Alassane Ouattara de le maintenir comme candidat malgré son grave état de santé, c’est un Amadou Gon Coulibaly visiblement amaigri, et à la démarche lente qui est accueilli au pied de l’avion présidentiel, par le couple Ouattara et plusieurs personnalités du pays le 2 juillet 2020. 6 jours après avoir repris le travail dès le lendemain de son retour triomphal à la Primature, Amadou Gon Coulibaly décède. Nous sommes à trois mois de l’élection présidentielle ivoirienne. Un tel scénario est en principe inimaginable dans une grande démocratie. Mais dans le contexte ivoirien, nous pouvons facilement déduire que la stratégie politique du parti d’Alassane Ouattara a primé sur la santé du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly.

  Un aperçu historique d’une ambivalence stratégique sur la candidature de Ouattara.

Si le président Ouattara a affirmé le jeudi 5 mars 2020 devant les parlementaires réunis en Congrès à Yamoussoukro, et face à la presse nationale et internationale, qu’il ne sera pas candidat, il faudra reconnaître que cette décision intervient après deux années d’ambiguïtés autour de sa candidature. Ces ambiguïtés du chef de l’Etat ivoirien ont poussé une bonne partie de ses partisans et collaborateurs, à espérer le voir briguer un troisième mandat. Par ses propos ambigus, le président ivoirien n’a cessé de gagner du temps, se positionnant lentement dans la course à sa propre succession, tout en renforçant au sein de sa formation politique, une guerre de succession silencieuse.

Face à des dispositions constitutionnelles qui à l’évidence, ne lui permettent pas de se représenter pour un troisième mandat, le président Ouattara met en avant l’argument juridique de la non-retro activité de la loi. Pour lui, la nouvelle Constitution promulguée en 2016, remet « les compteurs à zéro ». En effet, lors d’une interview à Jeune Afrique, en juin 2018, Ouattara affirmait pour la première fois, que la Constitution ivoirienne de novembre 2016 lui permettait de faire deux autres mandats, au moment ou tous les observateurs s’attendaient à une alternance politique en faveur du parti allié le PDCI d’Henri Konan Bédié.

Le premier argument évoqué par Ouattara porte sur la stabilité de la Côte d’Ivoire : « La Constitution m’autorise à faire deux mandats à partir de 2020. Je ne prendrai ma décision définitive qu’à ce moment-là, en fonction de la situation de la Côte d’Ivoire. La stabilité et la paix passent avant tout, y compris mes principes ». Six mois plus tard, le  26 janvier 2019, au stade Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan, le congrès constitutif du parti unifié d’Alassane Ouattara a eu lieu en l’absence de son principal allié le PDCI. Le régime Ouattara, par le biais de moyens de pression efficaces, réussit même à rallier une bonne partie des élus et cadres de l’ancien parti unique et des indépendants. Le nouveau RHDP unifié par la voix d’un de ses dignitaires Adama Bictogo, se présente alors comme le plus grand parti de Côte d’Ivoire « avec 145 députés sur 253, 24 régions sur 31, et 156 maires sur 201 communes ». Par ces méthodes radicales, Ouattara paraissait aux yeux de tous les observateurs, comme un candidat à sa propre succession. En 2019, à un an de la présidentielle, Ouattara réaffirme son éligibilité, face à ses détracteurs. Pour le chef de l’Etat ivoirien, « C’est une toute nouvelle Constitution. Et tous les avis juridiques que j’ai consultés me confirment que si je veux être candidat en 2020, je peux l’être. Et ce serait conforme à la Constitution ».

Cependant, dans le mois de novembre 2019, on assiste une fois de plus à une nouvelle ambigüité d’Alassane Ouattara. Le président ivoirien abandonne l’argument de la stabilité, malgré les tensions avec Guillaume Soro. Le second argument utilisé est la candidature de son ancien allié l’octogénaire Henri Konan Bédié, alors que la nouvelle Constitution de Ouattara avait supprimé la limite d’âge des candidats.

Lors de son voyage d’Etat dans le Hambol, région située au nord du pays, le président Ouattara réaffirme sa volonté de passer le flambeau à une nouvelle génération, mais soutient qu’il sera « candidat si ceux de sa génération le sont aussi ». Ce qui signifie qu’une éventuelle candidature de son rival Henri Konan Bédié 86 ans, l’obligerai lui-même à se présenter. A travers ses propos, la candidature d’Alassane Ouattara pour un troisième mandat ne faisait l’objet d’aucun doute dans la mesure où Henri Konan Bédié était le candidat presque déclaré du PDCI-RDA. Quelques jours plus tard, Ouattara lance un nouveau signal à son principal adversaire résident en Côte d’Ivoire : « ils attendent que je décide si je serai candidat pour présenter leur candidat, moi aussi j’attends de voir leur candidat ».

Le message est alors clair. S’il existe avant les élections présidentielles du 31 octobre, des troubles susceptibles de porter atteinte à la stabilité du pays, si Henri Konan Bédié, âgé de 86 ans est candidat,  Ouattara sera candidat.

Cependant, le 5 mars 2020, Ouattara est alors présenté comme un héros de l’Afrique par la presse internationale lorsqu’il renonce publiquement de se représenter pour un troisième mandat, au profit d’une nouvelle génération. Cette action visiblement humaniste était en réalité une stratégie qui consiste à discréditer son principal adversaire résident en Côte d’Ivoire, Henri Konan Bédié 86 ans et probable candidat du PDCI aux élections présidentielles de 2020. Toutefois, malgré le débat sur le renouvellement générationnel en Côte d’Ivoire, le PDCI reconfirme la candidature de Konan Bédié  Finalement, c’est à l’issue d’une longue période d’ambigüité que le dauphin de Ouattara, le Premier ministre AGC, est désigné sans surprise le 5 mars 2020. Ce dernier meurt trois mois après sa désignation, et à mois de quatre mois des élections présidentielles.

 Un candidat de la nouvelle génération, à la santé fragile.

Dans son discours devant le Congrès, le 5 mars 2020, le président Ouattara a publiquement annoncé qu’il passera la main à une nouvelle génération. De ce fait, il choisit alors son plus fidèle collaborateur AGC. Mais on se demande pourquoi  le chef de l’Etat a porté son choix sur un candidat à la santé fragile (aussi fidèle soit-il) ?

Deux raisons peuvent expliquer la détérioration de l’état de santé d’Amadou Gon Coulibaly. Il s’agit en premier lieu des nombreuses charges qu’il a cumulativement assumées. Ensuite, la pandémie de la Covid 19. En mars 2012, alors qu’il était le secrétaire général de la présidence, Amadou Gon Coulibaly a subit une transplantation cardiaque « extrêmement complexe » à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Malgré son état de santé fragile, la fonction de Secrétaire général de la présidence s’avérait appropriée dans la mesure où ce poste important de décision, était moins médiatisé, et moins épuisant. Cependant, à partir de 2017, les charges de celui qui est présenté comme le successeur d’Alassane Ouattara seront plus nombreuses. Le 10 janvier 2017, Amadou Gon Coulibaly est nommé Premier ministre. Il est à la tête d’un gouvernement chargé de la mise en œuvre de la politique de la Nation telle que définie par le Président de la République. Or les projets du président Ouattara sont nombreux. Le chef de l’Etat aurait engagé un grand nombre de chantiers prévus dans les plans de développement établis avant son arrivée au pouvoir. AGC assume par la suite les charges de Premier ministre, de candidat à la présidentielle, et président du directoire du RHDP.

Ensuite en pleine période de COVID 19, le candidat du RHDP affirme s’être auto-confiné après « avoir été en contact avec une personne qui vient d’être déclarée positive au COVID 19 ». Dans cette même période les ministres Hamed Bakayoko et Patrick Achi annoncent aussi avoir contracté le Coronavirus, avant d’annoncer leur guérison quelques jours plus tard. Le premier ministre AGC quant à lui se rend au Maroc, avant de revenir en forme à Abidjan. Le 2 mai 2020, il est pris d’un énième malaise, est évacué cette fois-ci à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière de Paris, à bord d’un vol spécial. Amadou Gon Coulibaly décède finalement le 8 juillet 2020.

Quelques jours plus tard, la situation est un vide constitutionnel au sommet de l’Etat. Le 13 juillet 2020, la démission du Vice président Daniel Kablan Duncan est rendue officielle. Le président du Sénat Ahoussou Jeannot, (exilé ou en visite médicale) annonce depuis l’Allemagne, qu’il est atteint de la Covid 19.

Vers un troisième mandat d’Alassane Ouattara

 La mort d’Amadou Gon Coulibaly est saluée par l’ensemble de la classe politique ivoirienne qui rend hommage à une personnalité exceptionnelle. Cependant, la disparition du candidat du RHDP ne sera pas sans conséquence sur la scène politique ivoirienne. Cette situation nouvelle annonce vraisemblablement la candidature du président Ouattara pour un troisième mandat.  Le chef de l’Etat ivoirien, longtemps ambigu sur cette question a désormais un argument majeur : son rival Henri Konan Bédié 86 ans, est le candidat du PDCI pour les présidentielles d’octobre 2020.  Dans ce cas de figure, il est possible d’affirmer que le renouvellement générationnel n’aura pas lieu en octobre 2020.

 

Le Parti de Gauche présente ses condoléances à la famille  d’Amadou Gon Coulibaly.

Le Parti de Gauche dénonce à nouveau les manœuvres de Ouattara ayant abouti à cette situation dramatique et ses louvoiements hypocrites pour se maintenir au pouvoir.

Le Parti de Gauche soutiendra le candidat du renouveau de la gauche ivoirienne dès qu’il sera désigné, le plus vite étant le mieux.

Oris Bonhoulou et Pierre Boutry

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