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TUNISIE : la nouvelle constitution du monarque président

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Le 25 juillet dernier, un petit tiers des électeurs tunisiens selon les chiffres officiels  ont approuvé par référendum une nouvelle constitution avec 95% de « oui ». De fait la Tunisie entre dans sa III° République. Quels en sont les contours et orientations ?

LÉGITIMER LE COUP DE FORCE

Le texte final validé par le référendum a été conçu par le président de la République en dehors de l’avis de la commission de réflexion désignée par lui-même pour proposer une nouvelle constitution.    Ce texte validé présente 142 articles précédés d’un long préambule qui cherche à inscrire la nouvelle République tunisienne dans la continuité  de l’histoire profonde de la Tunisie tout en rompant avec la parenthèse ouverte par la constitution de 2014. Tout en se réclamant de la révolution du jasmin dès le premier paragraphe : « Nous, le peuple tunisien, souverain, qui, à partir du 17 décembre 2010, avons réalisé une ascension sans précédent dans l’Histoire, […] », la suite du propos enterre la Constitution de 2014 coupable de n’avoir su enrayer une « corruption [qui] s’est aggravée,  la saisie de nos ressources naturelles [qui]  s’est aggravée ainsi que le pillage des deniers publics sans aucune responsabilité. » Dès lors, il s’agit de justifier le coup d’Etat institutionnel de 2021 : « il a fallu faire preuve d’un sens profond de la responsabilité historique pour corriger le cours de la Révolution et même corriger le cours de l’Histoire, ce qui s’est passé le 25 juillet 2021, date anniversaire de la proclamation de la République. »  Une fois Thermidor justifié, le préambule rappelle les différents textes « constitutionnels » élaborés depuis la « constitution de Carthage » jusqu’à nos jours. Remarquons toutefois que la nouvelle Constitution réserve une place à part à « la constitution que la Tunisie a connue au début du XVIIe siècle, appelée « La Balance » et plus connue sous le nom du « Livre rouge » parce que sa couverture était rouge. Elle a été rédigée par des Tunisiens qui croyaient en la valeur de la justice, symbolisée par la balance. En revanche, Bourguiba n’a pas l’honneur d’être cité et son œuvre législative effacée au profit du « mouvement de libération nationale du début du XXe siècle jusqu’à ce que la Tunisie obtienne son indépendance et se débarrasse de la domination étrangère. »

ASSOIR LE POUVOIR DU MONARQUE PRÉSIDENTIEL

Dire des 142 articles suivants qu’ils sont taillés sur mesure par et pour le Président actuel est un doux euphémisme. Les traits saillants du nouveau texte mettent en évidence les objectifs présidentiels : assoir le pouvoir personnel en le concentrant dans les mains du chef de l’Etat et anesthésier la société en revendiquant les principes « fondamentaux » de la nation tunisienne prétendument oubliés par la Constitution de 2014.

L’architecture institutionnelle de la nouvelle République tunisienne peut à première vue ressembler étrangement à la V° république française actuelle, hyper présidentialisée. Le rôle et le pouvoir des parlementaires est d’abord sévèrement escamoté par l’introduction d’un système bicaméral. Le mode de scrutin aux élections législatives (fixé quelques semaines après l’adoption du texte référendaire) devient uninominal à deux tours en lieu et place du scrutin de liste proportionnel. Par ailleurs, les projets de loi émanant de la Présidence auront priorité dans le calendrier parlementaire. Le Président nomme l’ensemble de son gouvernement et ce dernier n’est révocable que par lui, sauf très improbable censure qui devra rassembler les 2/3 des voix des parlementaires. Le législatif ne peut donc plus faire office de contrepouvoir. Le Président ne doit pas avoir d’autre nationalité que tunisienne, ce qui exclut de fait les binationaux de se porter candidat à la magistrature suprême. Elu pour 5 ans, renouvelable une fois, il peut dissoudre l’Assemblée, est le chef des armées…dans une sorte de copié-collé de la V° République française. Il peut également refuser la promulgation d’une loi en renvoyant le texte en deuxième lecture aux deux assemblées. Pour être promulgué, le texte devra alors obtenir une majorité des deux tiers. (art. 103)

RECULS MAIS PRUDENCE SUR LES DROITS ET LIBERTÉS

Sur le plan des principes fondamentaux, la nouvelle constitution est aussi à l’image de son chef tout puissant : conservatrice. Si l’égalité femmes-hommes est garantie, ainsi que le droit de grève et de manifestation, la volonté d’inscrire la nation Tunisienne dans une double identité arabe et islamique est très forte. La mention de « démocratie » n’intervient que dans l’article 5 modifié sous la forme suivante : « La Tunisie fait partie de la nation islamique, et l’État seul doit agir, dans un système démocratique, pour atteindre les objectifs de l’islam pur en préservant la vie, l’honneur, l’argent, la religion et la liberté. » A l’instar de nombre de pays d’Afrique du Nord, la nature du lien entre Etat et religion en Tunisie relève d’une forme de système concordataire où l’Islam profite d’une préséance officielle en acceptant d’être au service de l’Etat. Selon l’article 88, le président de la République est « le chef de l’Etat et sa religion est l’Islam. » Il en va de même dans l’enseignement où « l’Etat veille également à l’enracinement de la jeunesse dans son identité arabo-islamique […]à la consolidation et au soutien de la langue arabe et à sa généralisation, [et à] la diffusion d’une culture des droits de l’Homme. » (art. 44) Le jeu de balancier entre affirmation islamique et modernité sécularisée, penche toujours en faveur du premier.

Plus novateurs les articles 47 et 48 prennent en compte les enjeux environnementaux particulièrement prégnants en Tunisie et placent l’Etat en situation de responsabilité : « L’État garantit le droit à un environnement sain et équilibré et contribue à un climat sûr. L’État doit fournir les moyens d’éliminer la pollution environnementale. » _ « L’État doit fournir de l’eau potable à tous sur un pied d’égalité et il doit préserver la richesse en eau  pour les générations futures. » Doit-on y voir une ouverture et un levier pour la société civile tunisienne et le monde associatif soucieux de la lutte contre le changement climatique ?

Concernant le droit des femmes, l’Etat (art. 51) « prend des mesures pour éliminer la violence à l’égard des femmes et s’engage en faveur de leur « représentation  dans les conseils élus» et « cherche à atteindre la parité ». Sur le plan de la parité cette disposition entérine de fait un recul car la constitution de 2014 mettait en œuvre une stricte parité dans les candidatures. L’interdiction de l’IVG reste néanmoins la norme « sauf cas extrêmes déterminés par la loi» (art.24)

Au final si le caractère conservateur du texte ne fait aucun doute, l’ampleur des reculs est, pour l’heure, modeste. Reste à voir l’usage qui en sera fait. On peut émettre l’hypothèse que Kaïs Saïed a joué la prudence afin de ne pas perdre ses soutiens extérieurs, pour apaiser les franges réactionnaires de sa population et ne pas remuer davantage le couteau dans les plaies des progressistes. Habile pour faire accepter la concentration du pouvoir dans ses mains.

QUELLE  DURABILITÉ ?

Épuisée par une douzaine d’années de révolution, de chaos, de gouvernement islamique, la société tunisienne ne se berce d’aucune illusion. Le taux de participation très faible au référendum et les appels au boycott des prochaines élections législatives par la majorité des formations politiques en témoignent. Les féministes comme des universitaires dénoncent déjà l’autoritarisme et les reculs des droits fondamentaux…tout comme les courants ultra conservateurs. Cependant, l’autorité de Kaïs Saïed semble aujourd’hui installée et pour l’immense majorité des Tunisiens la question constitutionnelle est secondaire face à l’incapacité des gouvernants à gérer les monopoles d’état (pénuries des produits de base comme le sucre, la farine, café, carburants, médicaments, eau). La question constitutionnelle est aussi secondaire face à une situation sociale alarmante, chômage, accès aux services essentiels, situation alimentaire, situation sanitaire difficile par  faute de moyens, exode massif des diplômés,  suspension des perfusions du FMI dans l’attente de voir la Tunisie répondre à un plan de relance politique, économique et social conforme aux exigences des bailleurs de fonds…). Malgré toutes les contraintes, le secteur privé de l’économie tunisienne tient le choc. Il est résiliant dans un contexte où l’Etat est en grande difficulté financière. Dans ce contexte difficile, le discours politique désigne régulièrement le secteur privé comme responsable de la crise financière et sociale.  L’écho populaire de ce discours fragmente un contrat social qui peine à se recomposer, génère une crise de confiance des milieux financiers qui bride les efforts de relance économique et entretient un profond malaise social. A n’en pas douter, si le quotidien des Tunisiens ne s’améliore pas, la constitution de 2022 disparaîtra avec son principal instigateur.  

Déclaration de la Commission Afrique du Parti de Gauche

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