Le Parti de Gauche est signataire de ce communiqué.
Au Congo Brazzaville, dans l’indifférence, le 16 juillet, les premières législatives d’Afrique centrale après les coups d’Etat électoraux de 2016
Communiqué du Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique, Paris, 6 juillet 2017
Après les quatre inversions de résultats des présidentielles en Afrique en 2016, au Congo Brazzaville, à Djibouti, au Tchad[1], puis au Gabon[2], le blocage des processus de démocratisation de ces pays se confirme dans la perspective des législatives. Alors que les regards sont toujours tournés vers la possibilité d’une transition vers la démocratie en République démocratique du Congo, l’Afrique centrale est plongée dans une crise électorale régionale sans précédent, sans que des pressions soient exercées sur les auteurs des derniers coups d’Etat électoraux. La situation politique chaotique extrême dans laquelle se trouve la République du Congo, dans le silence de la diplomatie internationale, met de nouveau en exergue l’absence d’efforts pour relancer la démocratisation de l’Afrique.
Après la réforme sanglante de la constitution en octobre 2015[3], Denis Sassou Nguesso, éliminé au premier tour de la présidentielle du 20 mars 2016 selon les résultats partiels des opposants[4], s’était attribué des scores fictifs sans aucune référence à des procès-verbaux vérifiables, restant président de fait, militairement et non-élu. Le 7 avril 2016, Federica Mogherini, Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l’Union européenne (Ue) déclarait : « Le processus post-électoral a été marqué par des atteintes aux droits de l’homme, arrestations et intimidations de l’opposition et des médias. Ceci met en question la crédibilité des résultats. »[5]
Si le résultat n’a pas été reconnu, aucune sanction n’a été prononcée contre des acteurs ayant participé aux massacres d’octobre 2015 et à la répression d‘avril 2016. L’accord de Cotonou n’a pas été utilisé malgré la référence de l’Ue à cet accord le 19 novembre 2015[6]. La Cour pénale internationale (CPI) qui aurait pu travailler sur les massacres au Congo Brazzaville, à Djibouti, et au Gabon s’intéresse uniquement au Gabon.
Depuis l’inversion de résultat et le hold-up électoral, malgré les réserves, entre autres de l’Ue, Denis Sassou Nguesso est pourtant considéré comme « élu », y compris dans un texte du gouvernement français[7] et les élections en dictature en Afrique continuent d’être présentées selon la version de la communication officielle des Etats, comme si en Afrique, vu du reste du monde, la réalité du vote des électeurs, n’existait pas. Denis Sassou Nguesso a utilisé les négociations sur le climat pour se faire valoir fin 2015 et a continué, comme si de rien n’était, à se faire valoir dans d’autres négociations internationales, par exemple en Libye, comme représentant de l’Union africaine (Ua).
Après une inversion de résultat de présidentielle[8], les processus de démocratisation se figent de nombreuses années faute d’arbitrages extérieurs et le niveau de répression varie selon les pays. Les opposants du Congo Brazzaville se sont retrouvés, après la présidentielle, à un niveau de répression très élevé, qui place maintenant le pays parmi les pires dictatures d’Afrique, et au plus haut niveau parmi les dictatures des ex-colonies françaises.
Le 26 juin 2017, les organisations de la société civile congolaise Observatoire Congolais des Droits de l’Homme (OCDH) et Association pour les droits de l’homme et l’univers carcéral (ADHUC) ont rapporté de nombreux cas de tortures de prisonniers politiques et de décès en détention, une partie étant liée à la contestation du coup d’Etat électoral[9]. Deux des candidats principaux de la présidentielle sont emprisonnés : Jean Marie Michel Mokoko depuis le 15 juin 2016 et André Okombi Salissa depuis le 10 janvier 2017. Les opposants politiques actifs à l’étranger sont interdits de séjour et condamnés à l’exil.
L’opposition qui a gagné la présidentielle de 2016, est réprimée et violemment empêchée de s’organiser. Le processus électoral des législatives est totalement détourné en amont. La population congolaise a l’habitude de boycotter des élections au processus électoral détourné en amont dans un climat de terreur, en accord avec les partis politiques les plus crédibles. Il y a eu boycott de toutes les élections depuis le retour au pouvoir par la guerre de Denis Sassou Nguesso en 1997, aux présidentielles de mars 2002 et de juillet 2009[10], aux législatives de mai et juin 2002, de juillet et août 2012[11]. La seule élection non boycottée a été la présidentielle de 2016, dont le résultat a été inversé.
La Fédération de l’opposition congolaise, qui regroupe l’essentiel de l’opposition, l’IDC, le FROCAD et la Composante Jean-Marie Michel Mokoko (CJ3M), appelle au boycott des législatives et des élections locales du 16 juillet[12] et[13] « dénonce les élections et le système électoral, le recensement non-refait, le découpage électoral déséquilibré, le fichier électoral incorrect ». Comme lors des précédentes législatives, le découpage électoral avantage le Nord du pays, dont les circonscriptions regroupent beaucoup moins d’électeurs qu’au Sud[14]. Selon le représentant de la Fédération de l’opposition congolaise en Europe, Joseph Ouabari Mariotti[15] « Denis Sassou Nguesso est dans une logique de consolidation de son coup d’Etat électoral, commencé par le référendum, qui passe par le hold-up et qu’il essaye de terminer par le leg du pouvoir à son fils Denis Christel Sassou Nguesso, ce qui ne se fera jamais ». Le président « désigne les députés » et favorise son fils ‘Kiki’ en mettant en avant son réseau associatif.
Après son coup de force de mars 2016, Denis Sassou Nguesso a déplacé le débat sur le terrain militaire, connaissant la priorité de la diplomatie internationale pour les conflits armés, et sachant en profiter pour empêcher tout débat sur les questions électorales. Il a lui-même créé le conflit actuel, en réactivant, comme en 1998, le Pasteur Ntumi comme bouc émissaire. Après la phase de répression de l’armée congolaise commencée le 4 avril 2016 dans Brazzaville Sud à Bacongo et Makélékélé, les premiers bombardements et attaques d’hélicoptères dans le département du Pool, des rebelles du Pasteur Ntumi se sont organisés et combattent actuellement[16]. Dans le Pool, dans 6 districts sur 13, « la quasi-totalité des villages ont été détruits, brûlés, des populations se sont déplacées massivement »[17].
Les Nations-Unies n’avaient rien fait de tangible contre les coups d’état, constitutionnel puis électoral. Le sénégalais Abdoulaye Bathily a été remplacé par le Guinéen François Louncény Fall comme représentant spécial du secrétaire général des Nations-unies pour l’Afrique centrale. Interviewé sur RFI[18], François Louncény Fall a évoqué 81 000 déplacés dans le Pool, sans envisager d’action de l’Onu, ce qui montre l’inertie de celle-ci. Il s’est permis de critiquer les opposants en considérant que « chaque fois qu’un gouvernement tend la main à l’opposition pour le dialogue, il faudrait que l’opposition saisisse cette occasion », une injonction paradoxale qui revient à soutenir le chef d’Etat de fait[19]. Entre 2012 et 2016, François Louncény Fall a été l’ancien Ministre des affaires étrangères d’Alpha Condé et, Alpha Condé est considéré comme un proche de Sassou Nguesso[20]. Les congolais n’attendent donc plus rien de l’Onu comme ils n’attendent plus rien de l’Ua.
Alors que la population congolaise est abandonnée à son sort, les multinationales pétrolières françaises, Total et Perenco, italienne, ENI, continuent d’extraire le pétrole congolais. François Hollande a laissé dans son bilan la trace d’un soutien au chef d’Etat congolais au moment du référendum sur la constitution. Alors que les procès des Biens mal acquis mettent en évidence le détournement des richesses par les familles des présidents des pays pétroliers, le président congolais se permet de menacer la société civile française, bafouant brutalement le droit dans son pays et tentant de le détourner à son profit en France[21].
Pour ces raisons, le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique demande au gouvernement Français, à l’Union européenne et à l’Onu :
• d’intervenir diplomatiquement dans la crise en République du Congo par une résolution de l’Onu,
• de reconnaître l’inversion de résultat de la présidentielle de mars 2016 et ses conséquences,
• de soutenir l’opposition face à la répression et aux emprisonnements arbitraires, et de réclamer la libération sans conditions des prisonniers politiques, y compris les deux candidats de la présidentielle,
• de réclamer des négociations politiques entre l’opposition, la société civile et le gouvernement congolais,
• de prendre des sanctions contre les acteurs responsables des massacres d’octobre 2015, de l’inversion du résultat de l’élection de mars 2016,
• pour l’Ue, d’enclencher le processus de sanctions selon l’article 96 de l’Accord de Cotonou,
• de ne pas reconnaître les résultats des législatives au processus électoral totalement détourné en amont.
Concernant l’Afrique centrale, le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique demande d’engager la diplomatie internationale dans le soutien de la démocratie, en exigeant des processus électoraux incontestables, dans toutes les élections prévues en 2017 et 2018.
Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique, Paris, 6 juillet 2017
8 signataires : Fédération des Congolais de la Diaspora (FCD, Congo Brazzaville), Union pour le Salut National (USN, Djibouti), Mouvement pour la Restauration Démocratique en Guinée Equatoriale (MRD), Collectif des Organisations Démocratiques et Patriotiques de la Diaspora Camerounaise (CODE, Bruxelles et Paris), Forces vives tchadiennes en exil, Amicale Panafricaine, Europe Ecologie les Verts (EELV), Parti de Gauche.
[1] https://electionsafrique.wordpress.com/2016/05/04/congo-brazzaville-djibouti-tchad-le-cercle-vicieux-des-processus-electoraux-sans-democratie/
[2] https://electionsafrique.wordpress.com/2016/10/07/gabon-lettre-a-ue-onu-et-elysee-demande-daction-des-nations-unies-et-de-lue-pour-la-democratie-au-gabon/
[3] https://electionsafrique.wordpress.com/2015/12/17/congo-b-bilan-du-coup-detat-constitutionnel-doctobre-2015-en-republique-du-congo-et-demande-dune-mission-denquete-internationale/
[4] https://regardexcentrique.wordpress.com/2016/07/05/les-elections-sans-democratie-de-mars-et-avril-2016-en-afrique/
[5] http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2016/04/07-hr-situation-in-congo/. Le 8 avril, le MAEDI français a recopié l’avis de l’Ue http://basedoc.diplomatie.gouv.fr/vues/Kiosque/FranceDiplomatie/kiosque.php?fichier=bafr2016-04-08.html#Chapitre11
[6] https://electionsafrique.files.wordpress.com/2015/10/151119congobreponseuecourriercslspadu151015-rep-collectif.pdf
En réponse à une lettre du collectif : https://electionsafrique.wordpress.com/2015/10/15/congo-brazzaville-coup-detat-constitutionnel-lettre-ouverte-a-lue/
[7] http://zenga-mambu.com/2017/01/26/la-france-accuse-le-general-ferdinand-mbaou-de-terrorisme/
[8] Alors, qu’au mieux, après une inversion de résultat de présidentielle, les opposants et les démocrates peuvent espérer obtenir un dialogue qui limite, au niveau des droits humains, les effets des cercles vicieux d’impunité, de répression et d’élection fraudée.
[9] https://mayilanews.files.wordpress.com/2017/06/rapport-sur-le-portrait-de-la-torture-en-republique-du-congo-2.pdf
[10] R.Marzin, 2.22, https://regardexcentrique.wordpress.com/2017/04/27/2016-annee-des-coups-detat-electoraux-en-afrique-et-democratisation-de-lafrique-depuis-1990/
[11] Calendrier électoral : https://regardexcentrique.wordpress.com/2012/08/04/calendrier-des-elections-en-afrique/#411CB
[12] Claudine Munari : https://www.facebook.com/notes/touche-pas-%C3%A0-larticle-57/le-frocad-idc-cj3m-appelle-aux-rassemblements-populaires-ce-samedi-10-juin/1058785374223465/
[13] http://regismarzin.blogspot.fr/2017/06/17-juin-2016-paris-gabon-et-congo.html
[14] https://electionsafrique.wordpress.com/2012/07/24/communique-elections-legislatives-des-15-et-29-juillet-au-congo-brazzaville/
[15] http://regismarzin.blogspot.fr/2017/06/17-juin-2016-paris-gabon-et-congo.html
[16] http://www.jeuneafrique.com/mag/444878/politique/congo-brazzaville-mgr-portella-face-aux-rebelles-pasteur-ntumi/
[17] Pierre Boutry, PG : http://afpafricaine.org/congo-brazza-sassou-enferme-ses-opposants-et-continue-sa-guerre-silencieuse-dans-le-pool-et-la-bouenza/
[18] http://www.rfi.fr/emission/20170608-francois-fall-onu-congo-brazzaville-pool-deplaces-droits-homme
[19] http://tournonslapage.com/reaction-aux-propos-de-m-fall-representant-special-du-secretaire-general-des-nations-unies-pour-lafrique-centrale/
[20] http://kaloumpresse.com/wordpress/2016/04/14/alpha-conde-invite-a-linvestiture-de-denis-sassou-nguesso/
[21] http://www.rfi.fr/afrique/20170628-biens-mal-acquis-le-camp-sassou-nguesso-contre-attaque
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Calendrier des élections en Afrique centrale 2017-2022
16 juillet 2017 : législatives et élections locales Congo Brazzaville
Décembre 2017 : présidentielle Congo Kinshasa
Décembre 2017 : législatives Congo Kinshasa
2017 ? : législatives Gabon
2018 : législatives Guinée Equatoriale (tous les 5 ans : mai ?)
2018 : législatives Cameroun (tous les 5 ans : septembre ?)
2018 : présidentielle Cameroun (tous les 7 ans : octobre ?)
2018-2019 ? : législatives Tchad
2020 : présidentielle Centrafrique (tous les 5 ans : décembre ?)
2020 : législatives Centrafrique (tous les 5 ans : décembre 2020 ? ou février 2021 ?)
2021 : présidentielle Congo Brazzaville (tous les 5 ans : mars, limite 3×5 atteinte en 2026)
2021 : présidentielle Tchad (tous les 5 ans : avril ?)
2022 ? : législatives Gabon (tous les 5 ans : selon date 2017 ou 2018)
Concernant les huit pays non démocratiques qui, en Afrique, connaîtront une élection présidentielle en 2016, le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique demande que soient satisfaites les conditions préalables indispensables à un processus électoral :
– absence de répression de l’opposition,
– état de droit préalable minimum : liberté de la presse, liberté de manifester, liberté de s’organiser pour la société civile et les partis politiques,
– dialogue inclusif avec l’opposition,
– consensus sur la composition d’une Commission électorale indépendante neutre,
– consensus sur la méthode de fabrication du fichier électoral,
– possibilité de contestation légale auprès d’une Cours indépendante incontestable.
Plus de revendications dans la lettre à l’Ue du 8 mars 2016, en particulier sur le Congo Brazzaville :
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Rappel du communiqué du 16 mars 2016
Congo B – Communiqué : 20 mars au Congo Brazzaville : un vote sans espoir ?
20 mars au Congo Brazzaville : un vote sans espoir ?
Communiqué du Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique, Paris, 16 mars 2016
Les élections se succèdent dans une partie des pays africains sans progrès dans leurs processus de démocratisation. A moins d’improbables surprises, au moins 8 dictateurs organiseront en 2016 des scrutins sans valeur démocratique[22]. A ces occasions, de nouveaux faits alourdissent les bilans criminels de chefs d’Etat qui cherchent à échapper à la justice. Le processus électoral de la présidentielle du 20 mars au Congo-Brazzaville se présente comme l’un des plus violents et des plus éloignés d’une qualité normale des processus électoraux.
Denis Sassou Nguesso a pu se maintenir au pouvoir 32 ans en refusant la vérité des urnes. Après sa guerre de reconquête de pouvoir, mettant fin à la période démocratique, les électeurs congolais n’avaient plus de raisons de se déplacer pour voter. Une opposition désorganisée par le pouvoir était poussée au boycott, appliqué à la présidentielle de 2009 et aux législatives de 2012. En 2015, l’opposition a été renforcée par des personnalités récemment sorties du clan présidentiel. La population a repris espoir en raison des limitations du nombre de mandats présidentiels dans les constitutions en République démocratique du Congo, au Rwanda, au Burundi, comme en République du Congo. En outre, après la révolution au Burkina Faso, une nouvelle génération de congolais ne supporte plus le statu quo.
En octobre 2015, le président a fait sauter le verrou constitutionnel de la limitation du nombre de mandats en bafouant la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de l’Union africaine[23]. Le référendum a provoqué les premières manifestations depuis la guerre en 1997. Le pouvoir a montré qu’il n’acceptait pas le droit de manifester. Un bilan partiel minimal des victimes des forces de l’ordre pendant la période autour du référendum, en particulier les 20 et 21 octobre, est de 46 personnes décédées dont 43 identifiées, 69 personnes blessées identifiées, entre 4 et 20 personnes disparues[24]. Denis Sassou Nguesso a réprimé les partis politiques et la société civile, a fait couper internet et SMS et exercé une surveillance des communications pour empêcher que ce bilan ne soit dressé. Les arrestations se sont multipliées[25].
En passant en force le 25 octobre 2015 par un référendum anticonstitutionnel massivement boycotté, le président congolais a clairement montré qu’il imposerait pour la présidentielle un processus électoral bâclé, déterminé par la répression. Sa volonté de gagner au premier tour reflète la préparation de la fraude.
A la demande des autorités congolaises, une mission d’évaluation technique avait été envoyée en décembre 2013 par l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), pour proposer des améliorations dans la perspective des élections locales de 2014 et de la présidentielle 2016. Cette mission a constaté que la gestion du processus électoral est essentiellement faite par le Ministère de l’intérieur. L’OIF a jugé nécessaire « la refondation de l’état civil » comme base de recensement électoral, et une « vérification paritaire du dénombrement » pour les circonscriptions avec anomalie statistique, et a préconisé, de « maintenir une concertation permanente », de « veiller à l’indépendance de l’audiovisuel public », d’«introduire la biométrie » et de « réformer et transformer la commission nationale d’organisation des élections en une structure indépendante, dotée de pouvoirs réels »[26]. Suite au référendum d’octobre 2015, il n’était plus question de ces recommandations. En République du Congo, depuis le bain de sang des 20 et 21 octobre 2015, les concessions que pourrait accorder le président sur le processus électoral ne pouvaient être que très secondaires.
Sans report pour améliorer le processus électoral, les conditions ne sont pas réunies pour un scrutin aux normes internationales. La Commission nationale électorale indépendante (CNEI) est aux ordres du pouvoir, composée de 20 membres du Parti Congolais du Travail (PCT) et de 3 personnes de la ‘société civile’. L’opposition n’a eu aucune possibilité d’influer sur l’organisation. Les candidats d’opposition Okombi Salissa, Kolélas, Mokoko, Munari et Tsaty Mabiala ont créé une Commission technique électorale (CTE) pour « compiler l’ensemble des procès-verbaux et annoncer ses propres résultats »[27].
Le fichier électoral ne permet pas une élection crédible. Selon le recensement à la base du fichier électoral de 2014, les départements du Nord sont devenus plus peuplés que ceux du Sud. Selon la Fédération des Congolais de la Diaspora (en France), « les départements septentrionaux ont vu en 7 ans leurs populations augmenter de plus de 143 299 et celles des départements méridionaux baisser de plus de 102 279»[28] et « le nombre d’électeurs a baissé dans tous les départements de la partie Sud du Congo et a augmenté dans tous les départements du Nord, fiefs électoraux de Denis Sassou. Dans la même période, le département de la Likouala, l’un des plus enclavés et le moins peuplé est devenu celui qui a le plus grand nombre d’électeurs ». Une révision des listes électorales a eu lieu entre le 25 janvier et le 15 février 2016 n’a pas permis un enrôlement correct et le fichier contient « des électeurs fictifs, décédés, expatriés ou n’ayant pas l’âge de voter»[29].
Les conditions de la campagne sont chaotiques. Le manque d’équité est patent. Le président sortant peut faire campagne avec une débauche de moyen alors qu’une partie des meetings des opposants sont annulés. Les media d’Etat, télévision et radio ne parlent quasiment pas de l’opposition. La population s’attend à une coupure générale d’internet et des SMS comme autour du référendum. Il est peu probable que Denis Sassou Nguesso permette qu’un second tour soit possible alors qu’il se retrouverait face à une opposition qui pourrait s’unir. Il a décrété un calendrier électoral accéléré, avançant la présidentielle de juillet au 20 mars, la date d’un éventuel second tour étant fixé par la constitution au 10 avril[30]. Les législatives de 2017 pourraient aussi être avancées.
Fin 2015, l’Union européenne (Ue), a tenté[31] « un dialogue politique structuré, dans le cadre de l’Accord de Cotonou, … qui aborde les domaines politiques, de la justice et du respect des droits de l’homme … les questions électorales (calendrier, cartes, listes, et prochaines échéances électorales) et la concertation nationale.» Le 19 février 2016, l’Ue a abandonné l’idée d’une mission d’observation électorale car[32] : « les réformes introduites par la loi électorale du 23 janvier … ne prennent pas suffisamment en compte les recommandations de la Mission d’observation électorale de l’Ue de 2002… ne semblent pas de nature à rassurer sur le caractère démocratique, inclusif et transparent de l’élection présidentielle anticipée au 20 mars 2016. … l’anticipation du scrutin de 3 mois ne permettra pas une amélioration substantielle du fichier électoral, dont la qualité insuffisante risque d’affecter la crédibilité des résultats du vote. .. »
Denis Sassou Nguesso n’a tenu compte ni de l’avis des Nations-Unies, ni de celui de l’Ue. François Hollande avait osé, pendant le coup d’Etat constitutionnel d’octobre 2015, un « Denis Sassou N’Guesso peut consulter son peuple »[33], et le Parti Socialiste demande maintenant le report du scrutin[34]. L’OIF envoie comme observateur sur quelques jours, l’ancien président de transition burkinabé, Michel Kafando, qui doit collaborer avec l‘envoyé spécial de l’ONU en Afrique Centrale, Abdoulaye Bathily[35]. Le Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies n’a pas répondu à la demande d’enquête sur les violations des droits humains lors du processus électoral[36]. L’Ue aura à juger de la qualité du processus électoral si elle souhaite continuer la coopération européenne[37] en respectant l’accord de Cotonou et son article 96.
Laisser la République du Congo sombrer entre les mains de Denis Sassou Nguesso n’aide pas la démocratisation de la RDC voisine. La crise des Grands lacs sur le respect des constitutions reflète la faiblesse de la diplomatie internationale concernant la démocratie en Afrique. La dictature congolaise en profite mais la population, elle, en a « ras-le-bol ».
Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique, Paris, 16 mars 2016
10 signataires : Fédération des Congolais de la Diaspora (FCD, Congo Brazzaville), Alliance Nationale pour le Changement Ile-de-France (ANC-IDF, Togo), Union pour le salut national (USN, Djibouti, coalition de l’opposition), Ca suffit comme cà ! (Gabon), Réagir (Gabon), Forces vives tchadiennes en exil, Rassemblement National Républicain (RNR, Tchad), Amicale panafricaine, Parti de Gauche, Europe Ecologie les Verts (EELV).
[22] Cf tableau annexe + 8.3.16, https://electionsafrique.wordpress.com/2016/03/08/congo-b-djibouti-tchad-lettre-a-ue-politique-europeenne-et-processus-electoraux-sans-democratie-en-afrique-en-2016/
[23] le Congo Brazzaville est signataire de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de l’Union africaine : http://www.achpr.org/fr/instruments/au-constitutive-act/ratification/
[24] estimation supplémentaire « 46 à 65 personnes décédées, 69 à 100 blessées, 4 à 20 disparues. » Collectif Solidarité avec Luttes Sociales et Politiques en Afrique, https://electionsafrique.wordpress.com/2015/12/17/congo-b-bilan-du-coup-detat-constitutionnel-doctobre-2015-en-republique-du-congo-et-demande-dune-mission-denquete-internationale/
[25] Certains sont toujours emprisonnés : Paulin Makaya ou Modeste Boukadia, entre autres.
[26] Rapport de la Mission francophone d’information et d’évaluation dans la perspective des élections de 2014 et 2016 au Congo, document non public disponible sur demande auprès de l’OIF.
[27] explications de Charles Zacharie Bowao, coordonnateur de l’IDC-FROCAD, 9.3.16, http://mwinda.org/fr/actualites/actualites-a-la-une/actualites/380-campagne-et-programmes-electoraux-ds-candidats-a-l-election-presidentielle
[28] 1.3.16, http://www.fcd-diaspora.org/spip.php?article586
[29] Général Mokoko, 4 mars 2016, http://mwinda.org/fr/actualites/actualites-a-la-une/actualites/377-general-mokoko-je-lance-un-appel-a-n-accorder-aucun-credit-a-ce-scrutin-deja-pipe
[30] 21 jours après, 2015 : article 27, http://www.ambacongo-us.org/Portals/6/pdfs/Projet_Constitution._10-10-2015.pdf, 2002 : article 59, http://democratie.francophonie.org/IMG/pdf/Congo.pdf
[31] par la voix du Chef de division Afrique Centrale du SEAE, https://electionsafrique.wordpress.com/2015/10/15/congo-brazzaville-coup-detat-constitutionnel-lettre-ouverte-a-lue/
[32] 19/02/2016 http://eeas.europa.eu/statements-eeas/2016/160219_01_fr.htm
[33] http://www.elysee.fr/communiques-de-presse/article/evenements-en-republique-du-congo/, http://tournonslapage.com/republique-du-congo-communique-de-la-campagne-tournons-la-page/
[34] 7.3.16, http://www.parti-socialiste.fr/republique-congo-parti-socialiste-souhaite-report-de-lelection-presidentielle/
[35] 13.3.16 Michaelle Jean, http://www.rfi.fr/emission/20160313-francophonie-michaelle-jean-secretaire-generale-oif
[36] à l’instar de ce qui a été envisagé pour le Burundi le 14 décembre 2015 : 17.12.15, https://electionsafrique.wordpress.com/2015/12/17/congo-b-bilan-du-coup-detat-constitutionnel-doctobre-2015-en-republique-du-congo-et-demande-dune-mission-denquete-internationale/, http://www.africa1.com/spip.php?article61618, http://www.ohchr.org/FR/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=16878&LangID=F,
[37] 11e FED 105 millions d’Euros sur 5 ans, en priorité pour ‘Eau et assainissement; sécurité alimentaire et nutritionnelle’ : http://lentrepreneuriat.net/business-newslue-va-accorder-46-milliards-deuros-15-pays-africains-entre-2014-et-2020-d-tail-par, http://www.eeas.europa.eu/delegations/djibouti/index_fr.htm
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https://electionsafrique.wordpress.com/