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Existe-t-il aujourd’hui un Africain pro-Russe ?

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L‘Afrique de l’Ouest,  ancien espace colonial des puissances occidentales n’est pas un endroit nouveau pour la Russie. En  effet, depuis la doctrine Jdanov en 1947, l’URSS a entretenu des rapports d’influence très forts avec l’ensemble du continent africain.

Dans les années 50 déjà, l’URSS s’était positionné comme un défenseur des pays africains colonisés, en leur prêtant main forte dans le processus de décolonisation du 20e siècle. En janvier 1950, le leader anticolonialiste de l’Afrique francophone,  Félix Houphouët-Boigny, président du RDA fut même accusé d’être un « agent de Moscou », avant d’opter rapidement pour collaboration avec la France.

Dans les colonies portugaises, les traces d’un soutien de Moscou dans le processus de décolonisation sont toujours visibles et assumées.  En Guinée-Bissau, Joana Gomes, compagnonne de lutte d’Amilcar Cabral soutient  lorsque « son pays à eu besoin d’armes pour livrer une guerre de libération contre son colonisateur, c’est l’Union soviétique qui les a fournie  ».

Dans la partie australe de l’Afrique, des anciennes colonies portugaises comme le Mozambique assument le soutien matériel offert par l’URSS  dans la lutte pour la  décolonisation, en abordant sur leur drapeau, un AK 47. Ce célèbre fusil d’assaut russe est visible dans la quasi-totalité des conflits mondiaux.  Moscou a aussi accordé une attention particulière à l’Angola. De 1975 à 1991, 105 généraux et amiraux et 7211 officiers de l’URSS y étaient présents comme conseillers militaires.

L’URSS a donc apporté son soutien financier matériel et militaire aux grands mouvements indépendantistes anglophones  du continent africain, dans leur lutte armée. Parmi elles, le  Mkonto we Sizwe (MK), la branche armée  de l’ANC en Afrique du Sud, le SWAPO (South West Africa People’s Organisation) en Namibie au milieu des années 60. Le ZAPU (Union nationale africaine du Zimbabwe) en lutte contre le régime raciste de Ian Smith.

Avec les indépendances, Moscou a noué des partenariats forts avec les pays qui ont voulu rompre avec le modèle de développement des anciens colonisateurs.

En Afrique du Nord, l’Égypte d’Abdel Gamal Nasser était le premier pays africain avec lequel l’URSS a signé un traité commercial, suivie de la Tunisie en 1957, le Maroc en 1958. Puis en 1959, du Ghana, de l’Éthiopie et de la Guinée Conakry. Ainsi, de grands leaders d’Afrique Francophone comme  Sekou Touré, Kwame N’Krumah ou encore Modibo Keita ont sollicité l’aide au développement et l’expertise des pays de l’URSS, utilisant généralement des stratégies étatiques de développement pour surmonter les héritages coloniaux et stimuler la croissance économique.

L’URSS a signé  des traités  de coopération avec 37 pays africains et a participé à la construction de quelques 600 entreprises, centrales et usines, etc (le barrage d’Assouan, et celui de Capanda en Angola, des centrales au Congo et au Nigéria etc..). On note également la construction de centres russes pour la science et la culture en Afrique dont cinq sont toujours en activité à Lusaka, Addis-Abeba,  Pretoria, Dar es Salam et Brazzaville.

En outre, la formation d’élites africaines était aussi assurée par Moscou. En effet, les Soviétiques ont déployé d’intenses efforts pour former de nouvelles élites africaines pro soviétiques et invitait les étudiants africains à faire leurs études en URSS, à l’Université Patrice Lumumba. Ainsi, de 1949 à 1991  environ 60.000 Africains ont étudié en URSS.

Dans les années 2000, c’est-à-dire  plus de deux décennies après l’effondrement de l’URSS, la Russie est redevenue un acteur clé important en Afrique, après la chute du bloc soviétique, principalement dans le domaine militaire. Entre 2018 et 2022, elle est devenue le principal fournisseur d’armes du continent, représentant 40% des armes fournies, avec des contrats d’armement majeur avec des pays tels que l’Algérie,  l’Égypte, la Lybie, l’Angola, le Niger et le Mali.

Aujourd’hui en 2024, c’est donc sans surprise, que l’influence Russe en Afrique  s’accroît à un niveau exponentiel notamment dans le Sahel. La Russie d’aujourd’hui a réussi à s’imposer  aux yeux de bon nombre d’Africains, comme une alternative, après l’échec des occidentaux dans la lutte anti-terroriste.

Cependant, ce soutien  désormais assumé d’une grande majorité  des Africains à la Russie n’est pas forcément lié à la situation sécuritaire  alarmante dans le Sahel. Le jeudi 27 juillet 2023, la Russie organisait le deuxième sommet Russie-Afrique à Saint- Petersburg. Ce sommet marqué par la guerre en Ukraine voit la participation des représentants de 49 des 54 pays africains dont 17 chefs d’Etat (45 étaient présents, il y a 2 ans à Sotchi).

De plus en Août 2023, l’Égypte et l’Éthiopie intègrent les Brics (le groupe formé par le  Brésil,  la Russie, l’Inde,  la Chine et l’Afrique du Sud). Ces actions démontrent que la Russie mène sur le continent africain des offensives diplomatique et économique.  L’Afrique reste donc le continent le plus ouvert à l’engagement  de la Russie.

 Les 3 catégories d’acteurs africains favorables à la Russie.

Trois catégories d’acteurs africains sont favorables à l’engagement de la Russie en Afrique. Il s’agit premièrement des Etats historiquement fidèles et de nouveaux ralliés, ensuite des  oppositions aux régimes pro-français et enfin des mouvements sociaux  africains pro-russe et anti-français.

  • La sphère d’influence traditionnelle… et la nouvelle

Il existe sur le continent Africain, des Etats sur qui la Russie peut compter.  Ces derniers constituent une véritable sphère d’influence russe. Déjà en février  2022, suite au début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’Assemblée générale des Nations-Unies  a voté une résolution exigeant un retrait immédiat des troupes russes d’Ukraine. Parmi les pays qui se sont abstenus, de nombreux pays africains. A savoir l’Angola, le Mozambique, l’Algérie la Guinée et l’Éthiopie. Deux pays africains ont cependant voté contre. Il s’agit de la Guinée et l’Érythrée.

Ainsi la sphère d’influence Russe en Afrique comprend d’abord, ces pays liés à la Russie par l’histoire, y compris l’Afrique du Sud. Même si ce grand pays africain s’emploie au discours du non-alignement, la Russie bénéficie toujours d’une image positive grâce à son soutien à L’ANC.  De plus, beaucoup de dirigeants sud-africains se sont formés en URSS. Ensuite, nous avons des pays qui sont des alliés militaires de longue date. Parmi eux, s’ajoute aussi l’Algérie, dont la coopération militaire date de la guerre d’indépendance  algérienne.

A cette sphère d’influence traditionnelle, s’ajoute la Centrafrique, pays africain sous l’emprise totale de Moscou. Mais surtout, les nouveaux alliés du Sahel dont l’Alliance des Etats du Sahel (AES), une confédération des Etats crée le 16 septembre 2023 sous la tutelle de Moscou. Elle regroupe des anciens pays membre du G5 Sahel  le Mali, le Niger et le Burkina Faso.

On note aussi des pays favorables à  l’instauration d’une base militaire russe sur leur sol. Parmi eux, l’Érythrée pays de l’Afrique de l’Est bénéficiant d’une position stratégique, en donnant notamment un accès à la Mer rouge et par extension à l’Océan indien.

  • Les « Provocateurs » ou le jeu d’oppositions Ouest-africaines.

La deuxième catégorie d’Africains qui se réclament proches de la Russie sont des oppositions Ouest-africaines qui optent pour « l’option de la  provocation ». Ces acteurs vivent parfois dans des pays ou la situation sécuritaire n’est pas alarmante. Ces derniers se signalent dans des pays considérés comme des « pré-carrés français ». Ils sont pour la plupart du temps des manifestants proches de leaders de l’opposition, et leur revendication ne correspondent parfois pas aux objectifs russes en Afrique de l’Ouest. Leur principal moyen de provocation porte sur le brandissement du drapeau russe.

Au moment où le sentiment antifrançais se propage en Afrique de l’Ouest. Ces derniers en profitent pour mener leur activité de subversion.   En 2023, à Dakar au Sénégal,  on a remarqué la présence de drapeaux russes dans des manifestations contre le régime de l’ex président Macky Sall pour la libération de détenus politiques.

En février 2023 à Abidjan en Côte d’Ivoire, un cycliste masqué brandissant fièrement le drapeau russe est filmé par des usagers de la route non loin du quartier du Plateau, avant de s’éclipser. Quelques semaines plus tard, des participants à un rassemblement du PPA-CI, le parti de Laurent Gbagbo, sont arrêtés pour avoir arboré des drapeaux russes.  Notons que dans ce parti politique, Ahoua Don Mello, conseiller du représentant du patronat russe en Afrique, a été nommé en 2022, représentant des Brics pour l’Afrique Centrale et Occidentale.

En plus ces Etats francophones proches de Paris,  c’est au tour du géant  anglophone Nigérian de susciter l’étonnement de tous les observateurs. Le 1er Août 2024, des drapeaux russes sont brandis lors des manifestations massives menés par des jeunes pour dénoncer la hausse du coût de la vie. Des vidéos montrent même des tailleurs nigérians occupés à coudre des drapeaux russes. Le 6 août 2024,  le gouvernement nigérian annonce leur arrestation.

  • Les mouvements sociaux pro-russes et anti-français voire occidental

Le sentiment anti-français voire occidental en Afrique  a connu des précédents qui ont été surmonté (Côte d’Ivoire, 2004). Mais il est aujourd’hui fondé sur d’autres facteurs. Les russes jouent bien sûr leur partition en finançant des mouvements sociaux pour des campagnes anti-françaises. Les premiers bénéficiaires sont donc des influenceurs africains qui se qualifient de « pro Russes ». Ces derniers sont parfois nés sur le continent Européens,  et possèdent pour la plupart la nationalité d’un pays occidental.  Le plus connu d’entre eux reste Kemi Seba.  Ce redoutable activiste fut même déchu de sa nationalité française par décret le 9 juillet 2024. Toutefois en Août 2024, Kemi Seba, est nommé « Conseiller spécial » de la junte nigérienne qui lui délivre aussitôt un passeport diplomatique nigérien.

Ainsi la haine distillée par les influenceurs, simultanément relayés par les réseaux sociaux se répandent de manière très efficace dans l’imaginaire collectif Ouest-africain, voire sahélien. Depuis lors, des drapeaux russes fleurissent dans toutes les manifestations en Afrique de l’Ouest. Au Mali,  au Burkina Faso,  puis au Niger, les rassemblements sont ponctués de slogans anti-français et Pro Russe : « A bas la France, vive Poutine ! », les kémites allant même jusqu’à prétendre que Poutine est un Africain à l’origine. Ces militants pro-russes utilisent donc  des mouvements sociaux locaux pour mobiliser le public.

Parmi ces mouvements, le Partenariat alternatif Russie-Afrique pour le développement économique (PARADE) dirigé par un certain Samba Mbenda Diaw. Le PARADE se présente comme une organisation de la société civile présente dans 16 pays d’Afrique francophone. Ce mouvement à joué un rôle significatif dans l’organisation des rassemblements pro-Russes et anti-français au Mali et plus récemment au Nigéria après le Coup d’État du 26 juillet 2023. Au Mali le Yewerlo est un groupe radical qui a joué un rôle de premier plan dans le départ des forces Onusiennes et de Barkane du Mali. Son leader, Adam « Ben le Cerveau » Diarra «  serait financé par le propriétaire du groupe paramilitaire militaire Wagner Evgueni Prigojine (mort en 2023)  ». Ou encore le Collectif pour la défense des militaires (CDM) qui a réussi à faire campagne pour l’interdiction des médias publics français RFI et France 24 en 2022.

Toutefois, le mutisme du gouvernement français voire l’absence d’une réponse ferme de Macron  face à aux accusations d’expansions néocolonialistes portées contre la  France en Afrique de l’Ouest, était un signal fort de la perte de l’influence française en Afrique. Nous sommes donc loin de l’année 1958 ou le général de Gaulle conspué par la jeunesse Sénégalaise se voit contraint de s’adresser, en haussant le ton et avec fermeté aux « porteurs de pancartes » qui réclamaient l’indépendance immédiate : «  Je voudrais m’adresser aux porteurs de pancartes, s’ils veulent l’indépendance, qu’ils la prennent. Mais s’ils ne la prennent pas, qu’ils prennent ce que la France leur offre, la Communauté franco-africaine ! » . Au soir du 28 septembre 1958, le « Oui » à la Communauté franco-africaine l’emportait largement.

La Russie comme option stratégique pour les Africains.

 L’emploie de terme d’Africain  « Russophile » ou de « Pro Russe » reste une vue de l’esprit dans la mesure où, il n’existera jamais de liens affectifs entre les Russes et les Africains. Comme ce fut le cas avec la France. Aucun État Africain n’est Russophone, ni culturellement proche de la Russie.

Dans un monde marqué par la division du monde en deux blocs (1947-1991), les relations entre avec les leaders africains, voire du Tiers monde, ont toujours été dominés par une logique géopolitique de guerre froide. L’Afrique a toujours été un continent convoité sur le plan géopolitique par Les Occidentaux et les Russes qui constituent la véritable alternative à la domination occidentale, pour tout pays du Tiers monde.

Prenons l’exemple de Cuba, île située à 150 km des USA et autrefois sous domination américaine. En 1962,   Fidel Castro s’est résolument tourné vers l’URSS pour un accord de défense, suite à l’épisode de la baie des « Cochons ». Il s’agissait là  d’un choix stratégique basé sur la Realpolitik

Ainsi, Peut-on qualifier Fidel Castro de pro-russe ou de russophile ?  Ou accuser le Cuba de laisser une puissance pour se jeter dans bras d’une autre ?

 

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Alors : nouveau choix géopolitique au profit du camp hétérogène constitué par les Brics+ qui rappelons le, n’a rien d’un camp progressiste anticapitaliste ou même socialiste ? Ou choix nécessité par l’évolution de l’opinion publique Africaine versus l’Occident ?

La question a son importance d’autant que dans le contexte international du 21e siècle marqué par les affrontements des intérêts géopolitiques divergents, menace de transformer l’Afrique en champ de bataille, en recréant une nouvelle forme de guerre dont l’Afrique pourrait faire les frais.

Les Africains sont restés trop longtemps otages de l’Occident et des compromissions de certains de leurs dirigeants à la solde de l’Occident. Les nouvelles générations en sont conscientes et ont intégré toutes les dénonciations de la Françafrique que les forces progressistes en Afrique et en France ont contribué à diffuser. Dans ce contexte, lorsqu’une porte s’ouvre il faut en profiter pour rééquilibrer le rapport de forces. Cette porte qui était entrebâillée (on se souvient de la valse lente de Le Drian au sujet des livraisons d’armes aux forces armées Centrafricaines, pour lesquelles la Russie avait obtenu une dérogation à l’embargo imposé par le Conseil de sécurité des Nations unies) s’est ouverte en grand avec les déclarations et le comportement méprisant de Macron qui a dévalorisé complètement la parole de la France.

La préoccupation principale des Africains francophones est ce que l’on pourrait désigner sous l’appellation d’insécurité du pouvoir en lien avec la menace permanente d’intervention (politique ou militaire) dans les affaires du pays et dans le choix de ses dirigeants. La Russie est perçue comme l’entité qui peut non seulement faire contre poids mais aussi garantir une certaine sécurité du pouvoir dans la durée. Ce pourrait être effectivement le cas dans l’hypothèse d’un processus de démocratisation de tel ou tel pays et dans l’hypothèse d’une volonté de non-alignement à l’international. Ces hypothèses ne sont que des hypothèses et il faut craindre qu’elles restent des illusions.

De plus, il est difficile à ce stade de connaitre les réelles motivations de la Russie Poutinienne. La perception des putschistes sahéliens, qui parlent « d’aide inconditionnelle », en est probablement celle d’une privatisation de la sécurité sous forme d’une contractualisation avec des mercenaires de type Wagner / Africa Corps qui se rémunèrent en mettant la main sur des ressources minières. Mais on peut supposer que la motivation russe est celle d’une volonté d’influence politique venant en complément de l’influence économique chinoise.

Quoiqu’il en soit, il serait naïf de considérer que les pays Africains souhaiteraient passer d’une dépendance à une autre. L’appel à la Russie est d’abord, au-delà de l’échec d’une politique d’intervention militaire française dans la lutte contre le djihadisme, une réponse à l’ignorance historique et au mépris macronien, à son incapacité à se départir d’une posture néo-coloniale et à sa politique du deux poids deux mesures.

Il est donc impératif qu’une nouvelle politique africaine de la France soit mise en œuvre par un gouvernement de gauche unie que le peuple français appelle  de ses vœux, une politique qui renonce à l’idée pervertie de « vocation » africaine de la France, qui fasse preuve d’humilité en s’engageant dans un non-alignement garant d’un renoncement à tout impérialisme et respectant la souveraineté des pays Africains. C’est la condition pour que la relation soit rééquilibrée et pour que le risque de reproduction par d’autres du « système » français soit écarté, et ce au profit des peuples concernés.

 

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