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Algérie : un système original de double pouvoir

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La situation politique en Algérie : un système original de double pouvoir

En ce début d’année 2020, la situation politique en Algérie est la suivante : le mouvement populaire poursuit son intervention les Vendredis et pour ce qui concerne les étudiants les mardis : liberté, démocratie, nouvelle indépendance, assemblée constituante sont les mots d’ordre principaux.

Parallèlement, un processus d’organisation de l’appareil central de l’Etat a été mis place .Ahmed Gaîd Salah,(aujourd’hui décédé) chef d’état-major a multiplié les réunions de cadres militaires dans les régions .Il a déterminé la date du scrutin destiné à élire le président de la République : 12 décembre 2019. L’armée s’est substituée aux organisations politiques ou aux organisations de masse (1) de la bourgeoisie bureaucratique, totalement discréditées et cible permanente des manifs du Hirak. Organisations et partis qui, rappelons-le, avaient milité pour confier un cinquième mandat à Abdelaziz Bouteflika.

Le contenu politique des propositions de l’état-major était des plus réduits, se limitait en fait à la procédure : élire un Président de la République. L’armée ne prenait nullement en compte les revendications du Hirak et de diverses forces progressistes, (2) notamment la définition d’une période de transition destinée à préparer un renouveau démocratique, politique et social.

L’appareil d’Etat central

Première étape : la Présidence de la République

L’Autorité nationale des élections avait retenu cinq candidats ex ministres de Bouteflika ou proches de lui. Le Hirak les avait dénoncés dans les manifs. Après l’élection présidentielle, le Conseil constitutionnel a annoncé une participation de 39,88 %. C’est la plus faible participation de toutes les présidentielles pluralistes de l’histoire de l’Algérie, 10 points de moins que l’élection présidentielle de 2014 qui avait vu la réélection de Bouteflika pour un quatrième mandat et qui était jusqu’alors celle avec la plus faible participation (4) .Des manifestations massives ont dénoncé l’élection du nouveau Président de la République Abdelmadjid Tebboune les Vendredis et mardis .
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(1) L’UGTA (Union Générale des travailleurs algériens )et l’UNFMA (Union générale des femmes algériennes) avaient appelé à un cinquième mandat pour Bouteflika
(2)C’est le cas de l’Alternative démocratique, qui préconisait «le nécessaire passage par une courte période de transition» avec le départ de tous les symboles du régime Bouteflika. Il s’agit du FFS, du RCD, du PT, du PST, de l’UCP, du MDS et du PLD. A ces partis s’était jointe la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH).
(3) Les candidats retenus par « l’autorité indépendante »
Ali Benflis, 75 ans, ancien chef du gouvernement ; et Abdelmadjid Tebboune, ministre à plusieurs reprises, et qui fut premier ministre d’Abdekazziz Bouteflika. Azzedine Mihoubi, ex-ministre de la Culture et secrétaire général par intérim du Rassemblement national démocratique (RND) parti qui soutenait Bouteflika et qui avait demandé un cinquième mandat. On trouve aussi Abdelkader Bengrina, ancien ministre du Tourisme et cadre du Mouvement de la société pour la paix (MSP) qui est une organisation islamiste, et enfin Adelaziz Belaïd, dont le parti le Front El Moustakbal, soutenait aussi Bouteflika.
(4) Les résultats de l’élection présidentielle
Inscrits 24 464 161
Votants 9 755 340
39,88 %
Votes blancs et nuls 1 244 925
Abdelmadjid Tebboune est élu dès le premier tour avec 58,13 % des suffrages exprimés.

Seconde étape : la constitution d’un gouvernement en Algérie : un tiers de ministres étaient en poste sous Bouteflika

Malgré la poursuite de l’intervention du Hirak, Tebboune constitue un gouvernement de 39 membres avec un premier ministre, Abdelaziz Djerrak qui avait déclaré soutenir les revendications du mouvement populaire. Le premier ministre, un universitaire de 65 ans, a été secrétaire général de la présidence (1993-1995) puis du ministère des Affaires étrangères (2001-2003).

Onze des 28 ministres de la nouvelle équipe ont déjà été membres de l’exécutif sous Bouteflika. Autrement dit, on va pouvoir faire du Bouteflika sans Bouteflika. Cinq membres sont des femmes, dont une (Basma Azouar, ministre des Relations avec le Parlement) porte le voile islamique. Basma Azouar est véritablement la première femme portant un hidjab islamique, même si la députée de Batna n’est pas issue d’un parti islamiste, (Elle est membre du parti El moustakbal qui est plus proche du FLN que de la mouvance islamiste).

On est donc très loin du renouvellement exigé par le « hirak ».

Les priorités du Président Abdelmadjid Tebboune

Avant son élection, il avait déclaré vouloir fonder une nouvelle République. Pour cela, il déclare vouloir réformer profondément la Constitution. Selon l’APS, il a déclaré :
« Nous allons soumettre la première mouture de cette Constitution à des consultations qui impliqueront la famille universitaire, les intellectuels et toutes les parties de la société. Ensuite, elle sera proposée à la communauté algérienne à l’étranger pour enrichissement. Enfin, elle sera soumise à un référendum populaire. Le référendum donnera à la Constitution la légitimité dont elle a besoin. Une fois la nouvelle Constitution adoptée, « l’Algérie sera effectivement entrée dans une nouvelle République ».

Parmi les principales réformes avancées pour « combler les lacunes de l’actuelle Constitution et éviter au pays tous les risques liés à ces lacunes », figurent « la réduction des prérogatives du président de la République et l’instauration d’un équilibre entre les différentes institutions », s’est contenté de préciser le président élu.

Dans son programme électoral, intitulé « 54 engagements pour une nouvelle République », M. Tebboune s’est engagé, concernant la Constitution, à initier une « révision profonde qui consacre la démocratie, à travers une séparation stricte des pouvoirs et le renforcement des pouvoirs de contrôle du Parlement » et garantisse « le fonctionnement harmonieux des institutions ».

L’objectif escompté par cette réforme est « la protection des droits et libertés du citoyen, éviter toute dérive autocratique à travers la mise en place de contrepouvoirs efficaces, consacrer l’inviolabilité et l’immuabilité de la limitation du mandat présidentiel à un seul renouvelable une fois, et limiter l’immunité parlementaire aux actes et propos intervenant dans le cadre de l’activité parlementaire ».

Enfin il faut souligner que le gouvernement algérien a décidé de participer au somment international de Berlin concernant l’examen de la situation en Lybie.

La vigilance reste donc de mise face à cette situation qui laisse de côté la dynamique du hirak et semble reproduire le passé.

déclaration de la Commission Afrique du Part de Gauche

Roger Esmiol

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Nous publions ci-après un aricle d’El Watan 9 janvier 2020 où la question de l’avenir du Hirak tant par ses manifs de masse que par son mode actuel d’organisation sont posés.

Le hirak a-t-il besoin de leaders ?

Le hirak entame la nouvelle année sans projet précis, sans perspective claire, si ce n’est sa forte propension à continuer de faire pression sur le pouvoir en occupant la rue deux jours par semaine.
Cette stratégie ou simplement ce mode opératoire qui dure depuis plus de dix mois a réussi, certes, à fédérer des millions d’Algériens autour d’une résolution capitale axée sur le changement radical du système, mais ne livre pas pour autant la méthode la plus efficiente pour concrétiser cet objectif. Il pose donc, aujourd’hui, avec une certaine acuité la problématique de savoir s’il faudrait poursuivre le mouvement sur la même tonalité et dans la même attitude, ou passer à un autre type de démarche qui consiste à donner, à travers une forme de structuration, plus de visibilité et de cohérence à ses revendications.
Deux visions, à ce propos, se sont fait jour. L’une veut carrément maintenir le hirak dans sa configuration actuelle en soutenant que c’est grâce à sa spontanéité, sa liberté d’action et sa ferveur populaire que celui-ci a pu ébranler les fondations du système. En termes plus clairs, cette tendance ne veut pas brider ni bouleverser la fibre révolutionnaire du mouvement en essayant de l’inclure dans une organisation politico-structurelle qui pourrait lui être fatale.

L’argument massue laisse croire qu’en étant structurée sur le plan de sa représentativité, en dégageant pour ainsi dire des «leaders» qui pourraient éventuellement susciter une certaine unanimité autour d’eux, la révolution pacifique s’exposerait à de fortes représailles qui risquent de lui coûter cher. Cette version est portée par de grandes références du hirak, parmi lesquelles des personnalités politiques, des sociologues, des universitaires. Pour ces figures, il y a véritablement danger à doter le mouvement d’une élite représentative qui aurait pour mission de parler et de prendre des décisions en son nom.

Ce serait aller au suicide devant un régime aveugle qui n’aura alors aucune difficulté à affaiblir le mouvement en mettant ses représentants en prison. L’expérience amère est déjà vécue avec l’incarcération de plusieurs activistes considérés comme des meneurs potentiels du hirak, parmi lesquels Karim Tabbou, Fodil Boumala, Samir Belarbi pour ne citer que les plus intraitables. A chaque fois qu’une nouvelle «tête» sort du lot, elle est immédiatement ciblée et réduite au silence, rendant ainsi le soulèvement citoyen plus vulnérable dans sa mutation. La solution, par conséquent, pour les défenseurs de cette thèse c’est de protéger autant que faire se peut le mouvement en le laissant suivre son cours avec la même philosophie et la même détermination, tout en veillant parallèlement à ce que son souffle reste toujours aussi puissant, et son volume aussi impressionnant. En restant compact, maître de son destin, il demeure intouchable et se dote de moyens de défense naturels pour faire valoir ses droits. Il ne faut pas croire, nous disent ces théoriciens, qu’en l’absence de leaders ou d’interlocuteurs, les résultats de la mobilisation n’auront pas été à la hauteur des espérances.

En maintenant pendant dix mois la tension sur le sérail et ses articulations, le hirak a fait chuter lourdement le clan mafieux de Bouteflika, lancé une poursuite implacable contre la corruption et imposé le respect aux citoyens. Il a créé un climat terrible de suspicion autour des affidés du système qui ne doivent plus se sentir à l’aise comme autrefois. Il a par sa force mentale, qui a résisté à une répression féroce, ouvert une nouvelle ère pour le combat démocratique qui a déjà, en quelques mois, mené la vie dure à l’imposture, la médiocrité et l’intolérance dans leurs déclinaisons les plus odieuses.

Il a surtout donné aux Algériens l’espoir d’une existence plus digne dans un processus de mobilisation qui reste encore long et dur à réaliser, mais ô combien passionnant. Sans remettre en cause – bien au contraire – la véracité de ces acquis qui ont fondamentalement agi sur nos comportements et nos rapports aussi bien avec la société qu’avec les gens qui nous gouvernent, les défenseurs de l’autre vision ne restent pas moins persuadés qu’après une longue période d’incubation, le moment est venu pour le hirak de reconsidérer intelligemment sa stratégie confinée dans deux marches hebdomadaires mais sans savoir exactement jusqu’où pourrait-on aller en tournant en rond.

Plus prosaïquement dit, ils développent l’argument central selon lequel sans représentants désignés ou élus, sans porte-parole dûment mandatés pour transcrire et plaider ses revendications, le hirak se condamnerait lui-même à rester une entité impersonnelle, non identifiable comme acteur majeur sur la scène politique. Il y a donc nécessité pour ces militants avisés au sein desquels on retrouve également de fortes figures politiques, des intellectuels de tout bord, des syndicalistes, d’engager désormais le mouvement dans un combat politique plus frontal pour l’amener à la conquête du pouvoir. Le hirak, selon eux, devrait apprendre à faire de la politique pour devenir encore plus redoutable dans ses manifestations.

Et pour cela, il devrait impérativement se structurer et laisser émerger une élite représentative capable de traduire devant les instances concernées ses exigences et de les transformer en résultats plus concrets. Face à la répression du régime, il faut opposer une solidarité sans faille. En restant uni, fort de la maturité politique qui anime sa composante, le mouvement se trouve donc à la croisée des chemins. Il est partagé entre deux tendances qui ne sont pas fausses. Il lui reste à trouver sa voie sans perdre la boussole, car il y va de son avenir.

A l’heure où le régime donne l’impression de se remettre en place avec un nouveau Président et un gouvernement trié sur le volet du système, le hirak n’a pas d’autre choix que de poursuivre son combat pour l’instauration d’un Etat de droit, de liberté et de justice, que seul un système démocratique peut générer. Pour ce faire, il doit programmer à court ou moyen terme son entrée dans les institutions, car c’est dans ces rouages que son apport serait efficient.

L’idéal, disent les hommes de progrès, serait que la formidable énergie du hirak et sa conscience révolutionnaire soient mises au service d’un grand courant démocratique qui régnerait sur la politique en Algérie. Il doit investir les apc, les wilayas, les assemblées parlementaires et tous les secteurs névralgiques pour réaliser un dessein aussi grand. Rien n’est utopique dans cette perspective, il suffit de prendre les résolutions les plus réalistes.

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