Macron affirme que les « Haïtiens sont complètement cons », qu’ « ils ont tué Haïti », en référence à la décision du conseil présidentiel de transition haïtien de mettre fin au mandat de Premier ministre de Garry Conille (nommé il y a cinq mois pour tenter de stabiliser le pays). Ces propos ont été tenus par le président français en marge du G20, à Rio de Janeiro, alors qu’il répondait à un Haïtien qui l’interpellait « de manière insistante » en l’accusant « d’être responsable de la situation » dans le pays. « Là, franchement, c’est les Haïtiens qui ont tué Haïti, en laissant le narcotrafic » « Et là, ce qu’ils ont fait, le premier ministre était super, je l’ai défendu, ils l’ont viré ! » « C’est terrible. C’est terrible. Et, moi, je ne peux pas le remplacer. Ils sont complètement cons, ils n’auraient jamais dû le sortir, le premier ministre était formidable ».
Macron feint d’ignorer dans son insolence grossière, méprisante et raciste qu’Haïti est une ancienne colonie française, qui a pris son indépendance en 1804, suite à une révolte d’esclaves contre les colons français. Haïti fut l’un des premiers peuples colonisés de la planète à devenir indépendant. Une vingtaine d’années plus tard, en 1825, Charles X, roi de France, envoie une flotte pour reprendre le contrôle d’Haïti. Pour éviter la guerre et une nouvelle domination coloniale, les Haïtien·nes se voient imposer une dette de 150 millions de francs or, une somme absolument gigantesque, équivalente à 10 années de recettes fiscales.
Pendant plus d’un siècle et jusqu’en 1950, Haïti a remboursé cette rançon de l’indépendance, s’endettant encore et encore pour rembourser les échéances, payant donc de nouveaux intérêts et ainsi de suite. Pendant ce temps-là, l’État manquait d’argent pour investir dans le développement autonome du pays et s’est retrouvé sous la dépendance de créanciers qui imposaient des taux d’intérêt énormes.
Si Haïti est dans la situation chaotique dans laquelle elle est aujourd’hui, c’est d’abord à cause du colonialisme, de l’impérialisme français puis étasunien qui a, par exemple, déployé 550 militaires dans le pays dans les années 2010 sans aucun résultat, bien au contraire. Rappelons que les États-Unis ont occupé Haïti de 1914 à 1935.
Les séquelles de ce passé colonial ne sont pas les seules explications de l’état chaotique du pays qui a connu des régimes dictatoriaux cruels et prédateurs de l’aide internationale, incapables de créer les conditions d’un développement équilibré. De nos jours, face à la violence des gangs (qui enrôlent maintenant des enfants) et à la pauvreté de masse, la seule réponse apportée est la force, là où il faudrait de la justice économique et une amélioration des conditions de vie de la population qui arrangerait petit à petit la situation.
Haïti est toujours en proie à de graves troubles, après avoir subi une série de catastrophes naturelles –des séismes dévastateurs et des cyclones de plus en plus fréquents qui détruisent les récoltes et des centaines de milliers de maisons – et une misère insoutenable, ainsi que des gouvernements fantoches. En 2021, le président en exercice Jovenel Moïse est assassiné par un commando de mercenaires venu d’Amérique Latine, les principaux commanditaires du crime courent encore. La corruption est omniprésente. Des armes venues des USA voisins inondent le territoire et alimentent les violences entre gangs.
En Haïti l’instabilité politique est chronique. Ariel Henry cumulait les postes de Premier ministre et de président de la République depuis juillet 2021, en dehors de son mandat législatif depuis le 7 février 2024. Sous la pression de la société civile haïtienne, de la communauté internationale et de la situation sécuritaire dégradée à cause des gangs criminels, il a annoncé sa démission le 11 mars 2024. Son bilan était loin d’être satisfaisant à de nombreux niveaux (social, économique, politique et sécuritaire), et son maintien au pouvoir jusqu’en août 2025 comme initialement prévu était difficilement imaginable.
Le Conseil présidentiel de transition, composé de neuf membres -sept votants (que des hommes !) et deux observateurs- intègre des représentants des principaux partis du pays, ainsi que du secteur privé et de la société civile. Son mandat prendra fin le 7 février 2026 selon le document transmis à la Communauté des Caraïbes. Ce Conseil devait nommer un Premier ministre par intérim et organiser une phase transitoire en vue d’organiser des élections. La communauté internationale et singulièrement les États-Unis appellent ainsi à organiser dans l’urgence une transition qu’ils ont obstinément rejetée alors qu’elle était au cœur du projet de l’Accord de Montana, signé le 30 août 2021, réunissant un large éventail d’acteurs de la société civile, dont les syndicats.
Le problème est que la Caricom a invité comme acteurs pour discuter de la crise les mêmes personnes qui ont provoqué cette crise. Par exemple, les employeurs, parmi lesquels ceux qui avaient signé l’accord du 21 décembre 2022 de l’ex-premier ministre, Ariel Henry. Ils sont présents alors que le secteur formel ne représente qu’entre 8 et 12% de l’économie et que les syndicats, qui représentent les travailleurs et travailleuses tant de l’économie formelle qu’informelle, n’ont pas été invité à la table de négociation ! C’est aussi que l’accord de Montana est en partie dénaturé. Des partis politiques traditionnels l’ont intégré, puis se sont retirés. D’autres ont même rejoints Ariel Henri pour affaiblir cet accord. Les politiques ne pensent qu’à leurs intérêts politiciens et ils ont dénaturé l’objectif de cet accord qui était d’engager « une transition de rupture ».
L’abolition en 1995 de l’armée par le président Jean-Bertrand Aristide, comme remède à la récurrence des coups d’Etat militaires, s’est révélée être un mauvais calcul. La perte du monopole de la violence légitime laisse l’État central à la merci des groupes armés recrutés illégalement par les hommes d’affaires et les politiciens pour défendre leurs propres intérêts. Les gangs armés ont pris le contrôle d’une grande partie du territoire et des principaux axes de circulation, avec comme principal enjeu le contrôle du trafic de drogue entre les pays andins et la Floride. L’argent de la drogue a gangréné la société haïtienne et corrompu les cadres dirigeants de l’État. La transition vers la démocratie a été ratée du fait de la brutalisation de l’espace public et de son invasion par des groupes mafieux qui ont fait dérailler le train de la démocratie au début des années 2000. S’est ensuivie une intervention des Casques bleus de l’ONU de 2004 à 2017 avec pour mission la stabilisation de la situation (mais terminée dans un scandale sanitaire meurtrier pour la population). À la fin de la mission, les gangs ont repris de l’activité et défient aujourd’hui ouvertement l’État en s’appropriant des secteurs entiers de la capitale. Devenus des territoires perdus de la Loi, ces quartiers sont barrés par des portails en fer et des murs érigés par les gangsters. Les gangs occupent 80 % du territoire de la capitale haïtienne. Ils rançonnent la population et terrorisent les faubourgs. Plus de 5000 morts ont été enregistrés depuis janvier 2023 et plus de 25 000 personnes ont été enlevées contre rançon.
Le 2 octobre, le Conseil de Sécurité de l’ONU a mandaté le Kenya pour une mission financée non pas par l’ONU mais par des contributeurs volontaires, essentiellement les États-Unis. Le Kenya s’est dit prêt à envoyer 1 000 policiers pour lutter contre les gangs, ce qui semble bien peu vu l’ampleur de la tâche. Mais depuis la démission du premier ministre et la menace grandissante des bandits, le Kenya multiplie les déclarations dilatoires et faiblit dans la mise en exécution de son engagement d’intervention. C’est d’ailleurs au retour d’un voyage à Nairobi que le premier ministre a été destitué. La question de la force militaire kényane qui intervient donc au compte-gouttes en Haïti pour résoudre la crise sécuritaire pour le compte de son mentor états-unien, illustre le rôle ambigu de la communauté internationale. Les organisations haïtiennes refusent qu’une force étrangère intervienne sur le territoire haïtien sous commandement étranger et exigent un contrôle a minima sur cette force armée. De plus, en-dehors du problème de légitimité d’une intervention internationale, cette force n’a aucune capacité pour résoudre la crise. Si on voulait vraiment aider Haïti, il faudrait soutenir les forces armées et policières haïtiennes, leur donner des équipements et des armes sous le contrôle d’un gouvernement complètement remanié.
Quelques chiffres rendent compte de la situation difficile de la population. Avec une moyenne de 441 hab/km2 et une grande concentration humaine dans les plaines, peu étendues, la densité est très forte sur certaines portions du territoire. La capitale, Port-au-Prince, regroupe 3,3 millions des 11 millions d’habitants du pays. Le tissu foncier s’est extrêmement fractionné au fur et à mesure de la croissance de la population : 400 000 habitants en 1804, plus de 11 millions en 2024. 30% des Haïtien.nes vivent au-dessous du seuil de pauvreté (fixé à 1,80 €/jour), ce qui explique la faiblesse de l’espérance de vie (63 ans, alors qu’elle est de 83 ans à Cuba). Aujourd’hui la société haïtienne est une des plus inégalitaires des Amériques. 20 % de la population concentrent 64 % des richesses alors que 20 % des plus pauvres n’en possèdent que 1 %.
Le chantier économique est dans ces conditions évidemment fondamental. Des entreprises étrangères comme Gap, H&M, ou Zara, font fabriquer des vêtements à un prix dérisoire sans payer d’impôts. Des grèves éclatent sans trouver de débouché. La faim et la mort règnent à Port-au-Prince pendant que des touristes occidentaux profitent de plages luxuriantes et privatisées. Or il ne peut pas y avoir de paix sans une économie qui fonctionne. Or en Haïti tout se trouve à Port-au-Prince, où la douane est vandalisée, où plus de 26.000 emplois ont été perdus dans le secteur textile et où l’État n’arrive même pas à payer ses fonctionnaires. Le chômage touche plus de 60 % de la population active. Il faut mettre sur pied une commission économique multisectorielle et que l’État et les bailleurs renforcent l’économie nationale.
Mais l’urgence est aussi environnementale : lorsque les Européens ont débarqué au XVe siècle, la forêt recouvrait 90 % du territoire ; aujourd’hui, elle n’en occupe plus que 3% selon les données les plus fiables. Le milieu naturel a donc été soumis à rude épreuve. La déforestation a mis à nu des versants pentus dont la terre arable a été entraînée vers la mer par les pluies diluviennes. Les sols sont, par conséquent, pauvres, dégradés et les rendements agricoles en souffrent. Le réchauffement global et la montée des eaux menacent les milieux littoraux fragiles. Les coraux blanchissent et la mangrove est exploitée pour faire du charbon. Les frayères des espèces marines benthiques sont menacées d’ensevelissement sous une chape d’alluvions récentes. La sécurité alimentaire de la population s’en trouve compromise. Avec le blocage des routes, le risque de famine concerne plus de 2 millions de personnes, en majorité des femmes et des enfants.
L’émigration apparaît comme l’unique recours. En 2023, selon l’Organisation internationale des migrations, les principaux pays de destination sont les États-Unis (700 000), la République dominicaine (500 000), le Chili (230 000), le Canada (100 000) et la France (90 000). Avec un effectif d’environ 3 millions de personnes installées aux États-Unis, au Canada, en République dominicaine et en France (en comptant la deuxième et la troisième générations), la diaspora transfère chaque année l’équivalent de 3 milliards de dollars dans le pays d’origine : les Haïtiens de l’extérieur font vivre ceux de l’intérieur. Le revers de la médaille, c’est un tarissement des ressources humaines : 85 % des personnes titulaires d’un diplôme supérieur ou égal à un master sont à l’étranger.
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Un sentiment de solitude existentielle taraude les Haïtiens et leur enlève tout espoir de solution. La fin d’un État ouvre la voie à la loi de la jungle, à la raison du plus fort. Et les plus forts pour le moment, ce sont les bandits et les groupes mafieux qui les approvisionnent en armes et en munitions. Les élites économiques et politiques actuelles qui ont utilisé ces bandes armées pour asseoir leur pouvoir doivent être remplacées et la crise sécuritaire doit être résolue. La France et les États-Unis qui ont une dette a minima morale envers Haïti, doivent avoir la volonté politique de contribuer à la reconstruction de l’État en Haïti. La très importante diaspora haïtienne y a un rôle important et peut-être même décisif à jouer.
Quant à l’ineffable Macron, on se souvient qu’il avait déjà ironisé en 2017 sur une autre population colonisée par la France, en parlant de «kwassa kwassa», une référence aux petites embarcations de l’océan Indien grâce auxquelles des habitant-es des Comores tentent de rejoindre Mayotte et meurent souvent noyé-es. Racisme et mépris, déjà. En insultant les Haïtien.nes il se fait maintenant l’émule de Trump qui pendant sa campagne présidentielle, avait également attisé les fantasmes racistes en accusant la communauté haïtienne réfugiée aux USA de manger les animaux de compagnie des habitants. Une fake news caractérisée.
En prononçant ces propos insultants et racistes pour le peuple Haïtien, Macron s’est couvert de honte. Il a à nouveau montré en deux phrases l’étendue de son mépris, à l’image de celui qu’il porte pour le peuple français en lui volant ses choix démocratiques.