Le sultan est donc devenu maréchal lors d’une cérémonie officielle organisée à l’Assemblée nationale (les députés du pouvoir souhaitant fortement se faire remarquer) pour célébrer l’événement, le 11 août, à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance du pays ! Célébrer une telle mascarade ce jour là est un sacrilège qui vient insulter le peuple tchadien dans sa dignité. Non content d’être l’un des plus anciens chefs d’Etat à la tête d’un pays africain, non content d’avoir fait supprimer le Conseil constitutionnel, la Haute Cour de justice et le poste de premier ministre, il lui manquait un titre.
Pour l’opposant Saleh Kebzabo, président de l’Union nationale pour la démocratie et le renouveau, ce n’est rien de moins qu’un « crime national que de faire coïncider cet événement avec l’anniversaire de notre indépendance. Le mode de fonctionnement que nous connaissons va faire en sorte que, chaque année, on va plutôt privilégier le maréchalat et donc on va reléguer le 11 août 1960 aux calendes grecques ».
Idriss Déby Itno (IDI) dispose désormais ainsi de ses propres tenues « d’apparat », « de cérémonie » et « de combat ». Selon le décret numéro 1577/PR/2020 de six pages et signé de sa main sur proposition de son grand chancelier, « la tenue d’apparat […] comprend : une vareuse en polylaine 220 g. de couleur bleu nuit […], col Mao haut brodé main or motifs feuille de chêne ». Nous ignorions que le chêne fût un arbre prospérant sur la terre tchadienne.
IDI a exercé son génie militaire depuis trente ans à éliminer les diverses rébellions internes pour sauvegarder son pouvoir. Les guerres de Ouadi Doum au Tchad et de Maaten Sarra en Lybie étaient conduites par le défunt Hassane Djamouss et la victoire du Tchad sur la Lybie sur la bande d’Aouzou était judiciaire. Reste il est vrai, la récente victoire (jamais vérifiée par des sources indépendantes) du lac Tchad sur Boko Haram après les 100 morts tchadiens dans une base militaire à Bohoma le 23 mars 2020. Mais IDI est l’allié fidèle des gouvernements français successifs, son armée fournit des supplétifs à l’armée française au Mali (même si certains de ses militaires rechignent désormais à jouer ce rôle) et Le Drian aime passer un moment en sa compagnie et celle de sa famille dans son village d’Amdjarass. Donc Déby peut faire ce que bon lui semble.
Le Tchad est l’un des principaux alliés de la France dans la lutte contre le terrorisme et la base militaire de Barkhane est établie à Ndjaména. « L’opération Barkhane a remplacé en 2014 l’opération Épervier, (qui avait été déclenchée en 1986 pour venir en aide à Hissein Habré opposé à la Libye de Kadhafi). Cela signifie que depuis 1986, la présence militaire française a été continue au Tchad, note Marielle Debos. C’est le pays dans lequel il y a eu le plus d’interventions de l’armée française depuis sa décolonisation. Le Tchad a été créé par, et pour, la guerre ». Une situation de dépendance réciproque entre le Tchad et la France, puisque la France vient en aide au Tchad, comme l’armée française avait pu le faire début février 2019, lorsqu’elle avait bombardé une colonne de rebelles tchadiens qui revenaient de la Libye et que le Tchad est le fidèle soutien de la France dans toutes ses opérations militaires en Afrique.
L’information est passée quelque peu inaperçu, mais la France et le Tchad ont d’ailleurs signé en septembre 2019 à Ndjamena six accords de coopération militaire. Il s’agit de six conventions de coopération bilatérale qui visent à moderniser et former les forces de sécurité tchadiennes durant les trois prochaines années. Une aide directe à Ndjamena en plus de l’appui que la France apporte à la force conjointe du G5 Sahel, dont le Tchad est l’un des principaux membres. 2,7 millions d’euros rien que pour 2019 ont été consacrés à des domaines qui vont de l’organisation des forces de sécurité tchadienne à la structuration du renseignement militaire en passant par la logistique et la maintenance ou encore la formation des jeunes cadres. Autre axe important, un appui à la Garde nomade mobile chargée d’assurer la sécurité de la vaste zone désertique aux confins de la Lybie et du Soudan, un repaire de groupes rebelles et d’orpailleurs illégaux.
Ma famille, mon clan, ma tribu, telle est la règle d’or du sultan-maréchal. Exaspération à outrance du tribalisme, népotisme généralisé, corruption institutionnalisée, exil des jeunes, diaspora marginalisée, guerre permanente, violation systématique des droits humains, telle est la « politique » d’IDI. A cela s’ajoute la nouvelle Constitution de 2018 qui a instauré le serment confessionnel dans un pays laïc, consacré l’inéligibilité des jeunes de moins de 45 ans et réduit la liberté d’association.
Quant au processus électoral, c’est bien le dernier souci du sultan-maréchal. Si la date de la présidentielle respecte le délai constitutionnel, les législatives et les communales connaissent un nouveau report : les 10 et 11 avril 2021, premier tour de l’élection présidentielle, les 23 et 24 octobre 2021 les élections législatives, les 2 et 3 avril 2022 les élections communales, a détaillé Mahamat Kodi, le président de la Céni aux ordres. Un détail technique important reste cependant à régler. Le Tchad a changé d’opérateur pour les listes électorales. Or le fichier électoral qui sera révisé à partir du 1er octobre a été paramétré par une société qui a perdu le marché du recensement électoral et qui risque de ne pas coopérer. En octobre 2021, cela fera six ans que le mandat des députés aura expiré ! Qui plus est : un recensement biométrique, mais à quoi sert une carte biométrique si le vote n’est pas biométrique ? Il ne sert absolument à rien.
L’opposition lui rend bien service avec une centaine de partis politiques dont beaucoup de ceux qui se disent de l’opposition travaillent contre l’opposition pour le pouvoir. C’est un pays où les opposants disparaissent pendant les élections. Comme en Février 2008, quand Ibni Oumar Mahamat Saleh a été assassiné (après l’entrée des rebelles dans la capitale). Et l’impunité conduit à la récidive, comme cette année avec l’arrestation de Mahamat Nour Ibedou, secrétaire général de la Convention tchadienne de défense des droits de l’homme (CTDDH), suspendu de ses fonctions le douze août par ordonnance du président du Tribunal de Grande Instance , ou l’enlèvement de Baradine Berdei Targuio, président de l’Organisation tchadienne des droits humains (OTDH)… Combien d’autres encore croupissent dans les prisons secrètes du régime ?
Le Tchad est aux côtés de la Corée du Nord et de la Syrie parmi les cinq pays les plus autoritaires de la planète, parmi les cinq pays les plus corrompus au monde, et l’un des pires censeurs à l’heure où les coupures d’accès à Internet se multiplient. Mais aussi le premier pays sur la liste de l’indice de vulnérabilité aux changements climatiques.
L’indice de développement humain (IDH) est le troisième le plus faible au monde. Alphabétisation, scolarisation, vaccination, malnutrition, insalubrité ; l’eau potable et l’électricité manquent, la faim et la misère dominent alors que le pétrole coule à flots. Depuis une semaine des quartiers entiers de Ndjaména sont inondés et plusieurs habitants sont sans abri.
Enfin, l’année 2019 a été marquée par un record de violences, notamment autour du lac Tchad. Dans cette région comme dans les zones aurifères du Tibesti et du Batha, les populations sont déplacées et s’insurgent contre des expropriations qui font le lit des différentes factions terroristes de la région. 44 membres présumés de Boko Haram, dont les corps ont été retrouvés dans leur cellule le 16 avril dernier sont morts dans un présumé suicide collectif, alors qu’il s’agit vraisemblablement d’un crime de masse.
Le Parti de Gauche souligne le danger de cette dépendance militaire réciproque et malsaine entre le Tchad et la France.
Le Parti de Gauche dénonce le soutien aveugle du gouvernement français au régime Déby au détriment du peuple tchadien et encourage l’opposition tchadienne à se regrouper autour d’un programme de rénovation complète de la gouvernance du pays et de son développement équilibré. La jeunesse tchadienne l’exige.
Pierre Boutry
Déclaration de la Commission Afrique du Parti de Gauche