Treize personnes, dont deux gendarmes, sont mortes en Nouvelle-Calédonie dans les émeutes déclenchées après le vote à l’Assemblée nationale d’un projet de réforme du corps électoral calédonien lors des scrutins provinciaux. Quelle est désormais la situation à l’occasion de la mission du président du Sénat et de la présidente de l’Assemblée Nationale ?
1 les prisonniers politiques déportés en métropole ou le retour de la justice coloniale
Suite aux émeutes, sept prévenus ont été incarcérés en métropole et répartis dans diverses prisons afin de les éloigner de leurs avacats et de les isoler au mépris des droits de la défense. Le groupe compte une jeune mère de famille : Brenda Wanabo, responsable de la communication de la CCAT. Comme Christian Tein elle a été maintenue sanglée à son fauteuil et menottée pendant les trente heures de vol transfert avec interdiction de parler, avant d’être incarcérée à la maison d’arrêt pour femmes de Dijon.
L’arrestation et la déportation des leaders indépendantistes CCAT, avaient été précédées d’une criminalisation et d’accusations publiques à leur encontre de la part du Haut-Commissaire de Nouvelle-Calédonie et du ministre Darmanin. Cette vision paranoïaque et raciste qui nie les conséquences politiques des choix gouvernementaux derrière des accusations de manipulations étrangères ou « mafieuses » a conduit l’Etat français à renouer avec les pires pratiques coloniales et à enfermer à 20 000 km de chez eux des dirigeant∙es du CCAT, ainsi que plusieurs dizaines de militant∙es, déportés dans les prisons françaises sans que parfois leurs familles mêmes ne soient informées. La façon brutale dont ces militants politiques ont été traités (et ce quelque soit leur responsabilité réelle ou supposée) ne peut que nuire à la recherche d’une solution acceptable par toutes les parties. C’est assez récurrent dans l’histoire de la Nouvelle-Calédonie. En 1988, après le drame de la grotte d’Ouvéa [une prise d’otages ayant entraîné la mort de 19 militants indépendantistes et 2 militaires], plusieurs Kanak avaient été envoyés en prison en France, mais ils n’étaient pas comme aujourd’hui dispersés et isolés. Ils avaient pu être réunis en petits groupes, et étaient restés soudés, organisés. Aujourd’hui, les autorités tentent de les mettre à l’écart de tout. Le gouvernement d’Emmanuel Macron est clairement pyromane. Avec ce type de comportement et le choix de criminaliser les opposants politiques, il attise la crise.
Les avocats de Christian Tein du FNLKS ainsi que quatre de ses camarades du CCAT ( la cellule de coordination des actions de terrain, créée fin 2023 et traitée d’organisation criminelle par Yves Dupas procureur de la République) s’étaient pourvus en cassation pour dénoncer les conditions de leur détention et un transfert inhumain. Jugeant sur la forme et non sur le fond, la Cour a rejeté le pourvoi des trois autres militants qui avaient effectué cette démarche. Les avocats ont motivé leur pourvoi en contestant la décision de juges de Nouméa « d’exiler les mis en cause sans qu’il y ait eu un débat contradictoire et sur les conditions dans lesquelles a été réalisé leur transfert ». La liberté des militants indépendantistes Kanak ne signifie pas l’abandon des poursuites diligentées contre eux par les juges de Nouméa. En particulier, la décision de la Cour implique qu’un nouveau jugement devra réexaminer le cas de Christian Tein et de son camarade libéré. Rappelons que les faits qui leur valent d’être mis en examen sont notamment « complicité de tentative de meurtre », « vol en bande organisée avec armes », participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime ».
Notons que Christian Tein a été désigné, samedi 31 août, président de l’alliance indépendantiste du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS).
2 les illusions du député Emmanuel Tjibaou
Emmanuel Tjibaou, fils de Jean-Marie Tjibaou, député indépendantiste de Nouvelle-Calédonie est le seul élu de gauche à ne pas avoir signé la motion de censure du Nouveau Front Populaire contre le gouvernement déposée début octobre. Il a même salué la « démarche constructive » de Barnier (report des élections provinciales à la fin 2025 et abandon du projet de loi constitutionnelle sur le dégel du corps électoral, à l’origine des violences en Nouvelle-Calédonie). Barnier a vite été rappelé à l’ordre par Macron et Tjibaou dont on notera l’absence de conscience politique réellement de gauche, a été berné. Tout est renvoyé vers la mission menée par le président Les Républicains (LR) du Sénat et son homologue au Palais-Bourbon, la macroniste Yaël Braun-Pivet. « Outre les sujets économiques et sociaux, devront être abordés l’organisation et les compétences des pouvoirs locaux, la composition du corps électoral et son élargissement pour les prochaines élections provinciales, ainsi que les autres sujets de nature institutionnelle… Macron s’est tellement entêté au cours des derniers mois qu’il lui est tout simplement impossible de balayer son bilan et de reconnaître ainsi sa responsabilité dans le fiasco.
3 un territoire en phase de militarisation et le retour de la responsabilité pénale collective
Un couvre-feu s’applique sur l’île de 22 heures à 5 h du matin et interdit à la population de circuler. Des tribus, comme celle de Saint-Louis, dans la périphérie de Nouméa, sont encerclées par les forces de l’ordre. La militarisation du territoire continue. Des blocages filtrants existent aussi dans les autres régions de la Grande Terre avec différents points d’occupation pacifique par les indépendantistes. Un jeune militant a été tué par les forces de l’ordre début septembre. Actuellement, vingt-neuf escadrons de gendarmerie (quatre avant les événements), comprenant six mille hommes et dotés de véhicules blindés Centaure, quadrillent le territoire. Un potentiel énorme (la France ne compte que 119 escadrons pour tout le territoire national). Onze morts ont endeuillé le peuple Kanak et deux gendarmes sont décédés. Trois mille arrestations ont eu lieu.
Malgré ce déploiement de force, quelques dizaines d’hommes en armes tiennent toujours la route de Nouméa au Mont-Dore. Celle-ci traverse le territoire coutumier de la tribu de Saint-Louis, bloquant 15.000 résidents d’une commune à majorité blanche. La tribu de Saint-Louis, née autour d’une mission catholique, exemplaire des désordres générés par la colonisation en devenant une terre d’accueil des Kanak expulsés de leurs tribus, est connue pour être l’une des plus remuantes. Ce foyer endémique de troubles et de délinquance a un taux de chômage qui dépassait les 25 % en 2019. Pour contourner le blocus, la province Sud (loyaliste) a mis en place un coûteux système de navette maritime : moyennant 5 M. de FCP par jour, 300 rotations quotidiennes transportent près de 4000 personnes chaque jour entre le Mont-Dore et Nouméa. Mais surtout l’Etat a décidé du bouclage intégral de la tribu de Saint-Louis. En effet, depuis le 20 juillet 2024, la population Kanak est empêchée d’entrer et de sortir de la tribu sans autorisation car les forces de gendarmerie bloquent jour et nuit ses accès. La circulation automobile est interdite. Les habitants de la tribu ne peuvent y entrer et sortir qu’à pied. Il ne s’agit pas d’une mesure préventive destinée à dégager la route territoriale, mais de punir collectivement les habitants de Saint-Louis parce qu’ils constituent une tribu « coupable » d’abriter en son sein des jeunes qui ont opté pour l’action armée sans relever d’aucune structure identifiée.
Comme l’écrit le professeur des universités Antoine Leca « […] le haut-commissaire de la République, Louis Le Franc, et l’État ont fait le choix […] de rétablir outremer le principe de la responsabilité pénale collective abolie en France en 1789. » C’est ce qu’on a vu après qu’à la fin du mois d’août quand – chose injustifiable naturellement – deux élues loyalistes ont été molestées à l’Ile des Pins (commune ayant voté à près de 70% en faveur de l’indépendance en 2020): les services de la province Sud ont répliqués en bloquant l’île quatre jours à titre de rétorsion: ni dispensaire, ni avion, ni service de l’emploi du jeudi 5 septembre au lundi 9 septembre. Les habitants du district coutumier de Kwényï (nom autochtone de l’île des Pins) ont été punis collectivement. C’est ce que l’on voit maintenant avec la tribu de Saint-Louis.
Ces méthodes de l’Ancien Régime sont hélas celles qui ont été transplantées en Algérie par l’armée française. S’agit il du premier acte d’une nouvelle guerre coloniale, qui ne veut pas dire son nom mais révèle déjà son visage ?
4 un désastre économique et social
La facture des émeutes est évaluée à au moins 2,2 milliards d’euros par le gouvernement calédonien, soit 25% du PIB du territoire. Le tissu économique est très dégradé, les services de transport ne fonctionnent plus. Le taux de chômage est considérable. Avec toujours de très fortes inégalités. Les difficultés économiques frappent principalement les Kanak : 20 % d’entre eux sont au chômage, contre 12 % en moyenne sur l’archipel.
La Nouvelle-Calédonie est très dépendante du nickel et des transferts publics, sous forme de salaires, d’aides multiples, d’investissements ou de défiscalisation. Elle souffre d’un grave problème de compétitivité vis-à-vis de ses voisins spécialement. Les secteurs exposés à la concurrence internationale, le tourisme en premier lieu, qui pourrait être un des piliers de son économie, restent faibles en raison d’un coût de la vie très élevé. Ce dernier est notamment la conséquence des sur-rémunérations du secteur public d’État ou territorial et des secteurs protégés, comme les banques ou les monopoles de distribution, phénomène que l’on retrouve dans tout l’outre-mer français.
Une élite Kanak, souvent originaire des îles Loyauté, un archipel qui a connu une colonisation moins dure, bénéficie également de cette situation. Il en découle de fortes inégalités de revenus, avec des salariés jouissant de rémunérations près du double de celles dans l’Hexagone, à comparer avec celles des autres salariés, souvent Océaniens (Kanak, Wallisiens, Futuniens et « Tahitiens »), payés sur la base du Salaire minimum garanti (SMG), c’est-à-dire 1 383 €, soit l’équivalent du smic national. L’économie actuelle repose toujours sur quelques grandes familles ou groupes locaux, métropolitains ou antillais, qui contrôlent le commerce et la distribution, les mines, les transports, la banque et les assurances, l’agroalimentaire ou l’immobilier. Cette structure oligopolistique, à l’origine d’une concurrence faussée, n’est pas étrangère au coût de la vie élevé, avec des produits alimentaires 78 % plus chers que dans l’Hexagone.
Plus de 700 entreprises ont été attaquées, pillées, incendiées (98% d’entre elles sont localisées dans le Grand Nouméa, dont 66% dans la capitale, 19% à Dumbéa et 5% à Païta) et des centaines d’autres ont subi des dommages de moindre importance. L’effet le plus immédiat fut la destruction de 6000 emplois, chiffre de l’institut des statistiques calédonien. A quoi il faut ajouter la mise au chômage partiel d’environ 20 000 personnes qui attendent une reprise d’activité. 21 cabinets médicaux ont été dégradés ou incendiés, mais également six pharmacies et deux laboratoires de biologie. On peut aussi relier le saccage des établissements scolaires, des centres de formation et des bibliothèques à l’échec scolaire et au sentiment d’exclusion qu’ils génèrent, avec un taux d’illettrisme de 19 %, probablement bien supérieur pour les Kanak, et des programmes scolaires insuffisamment adaptés.
Seulement, la reprise d’activité ne vient pas. Et pour cause, la reconstruction n’a pas démarré. Car les compagnies d’assurance étirent autant qu’elles le peuvent les délais d’indemnisations des assurés. A ce jour, elles n’ont versé que 10,5% des indemnités dues aux victimes. Pire encore. Dans les contrats d’assurance que les compagnies renouvellent avec leurs clients, elles suppriment la garantie émeutes. Or les banques, pour prêter aux entreprises, ce qui permettrait de commencer à reconstruire, exigent que les prêts qu’elles accordent soient garantis contre les émeutes.
Les touristes ont fui l’archipel compte tenu de ce qui s’est passé et ils ne sont pas près de revenir. Le marché de l’immobilier, lui, s’est effondré. Plus aucun appartement, plus aucune maison ne se vend. Au point que des agences immobilières et même des notaires pourraient mettre la clef sous la porte. Et puis le plus grave, peut-être, c’est la fuite des calédoniens les plus aisés, les plus fortunés, de ceux qui peuvent retrouver un emploi ailleurs et se reconstruire un avenir. Les chefs d’entreprise notamment. Certains sont déjà partis, beaucoup d’autres s’interrogent. A quoi bon reconstruire et réinvestir dans un tel marasme ? Le personnel soignant également quitte l’archipel en masse. A l’hôpital de Nouméa, de nombreux services sont dépeuplés. Il n’y a plus qu’un neurologue sur deux et il n’y a plus du tout d’oncologue. La chambre de commerce et d’industrie estime ainsi que plus de 6000 personnes sont déjà parties et qu’elles seront 10 000 à la fin de l’année. Sur une population de 270 000 habitants, c’est beaucoup. Et ce n’est sans doute pas terminé. On est donc en train d’assister à un délitement, à un affaissement et potentiellement, même, à un effondrement de l’économie calédonienne.
L’économie de l’île est donc très durement touchée par les exactions, mais il faut dire qu’elle était déjà dans un état de dégradation très avancé. L’économie a ralenti au début de la décennie 2010, la dette publique a augmenté de manière très importante, le régime de retraite ne fonctionne plus. Les centres hospitaliers ne sont plus financés. Le transfert de compétences prévu par l’accord de Nouméa en 1998, a eu un impact politique, mais aussi économique. On a transféré le droit civil, tout le droit commercial, tout le droit du travail, le commerce extérieur et les douanes. Ces transferts ont été voulus pour des raisons politiques mais, on a peut-être oublié de mesurer l’impact que cela aurait sur une toute petite économie. Au cours des décennies 1990-2000, on avait 4 à 5% de croissance du PIB et très peu de croissance de la dette publique, de l’ordre de 2%. Au moment de l’arrivée des transferts de compétences, il a fallu assumer toutes ces compétences avec des financements qui n’étaient pas forcément disponibles. Comme lors des décentralisations diverses en métropole, l’Etat n’a pas donné réellement l’équivalent financier prévu.
Autre conséquence : touchées par la baisse des recettes fiscales et les difficultés financières du gouvernement, les communes multiplient les coupes budgétaires pour préserver le peu de trésorerie à disposition. Une aide urgente de l’État est réclamée. Des communes réduisent le temps de travail de leurs agents afin d’alléger la dépense. Avant le 13 mai et l’éclatement des émeutes, pour l’équipement communal, 47 % des dépenses provenaient de subventions et dotations sous différentes formes de l’État et de la Nouvelle-Calédonie, 24 % de l’emprunt, et 29 % de l’autofinancement grâce à l’épargne. Du côté du fonctionnement des services municipaux, 60 % de l’enveloppe étaient obtenus auprès de l’État mais aussi de la Nouvelle-Calédonie via le FIP dédié ‒ fonds intercommunal de péréquation ‒, d’une autre part de la fiscalité du territoire et de recettes propres aux communes, chacune de ces deux sources se situant aux alentours de 20 %. Mais la grande fragilité des finances publiques, puis le coup de grâce de l’insurrection ont provoqué un effondrement des rendements fiscaux. Cette année, le FIP fonctionnement alloué aux communes a diminué de près de 4,7 milliards de francs Pacifique. Lors de ce second semestre, les versements au titre de ce FIP baissent de près de 50 %. Les difficultés sont tout aussi dramatiques en provinces. Citons par exemple, en province nord, plus de transports scolaires pour les lycéens internes venant des tribus à partir de janvier 2025: une catastrophe pour l’avenir de ces jeunes et du pays ; 200 maisons ont perdu leurs habitants par exemple sur Koné.
Quant au plan de sauvegarde, de refondation et de reconstruction (PS2R) porté par la collectivité et présenté à la mi-octobre, il semble bien général et abstrait dans ses formulations et peu porteur de perspectives concrètes.
Le ministre de l’Outre-mer, François-Noël Buffet, a récemment garanti le soutien financier de l’Etat français pour payer le chômage partiel des 20 000 personnes qui se retrouvent sans emploi jusqu’à la fin de l’année. C’est à dire pour encore deux mois. Il a promis que l’Etat français prendra en charge à 100% la reconstruction des bâtiments scolaires détruits lors des émeutes et à 70% celle des bâtiments publics (une enveloppe de 80 millions d’euros est d’ores et déjà ouverte), en complément de ce que verseront les assurances. Il a fait inscrire une ligne de crédit garanti dans le projet de loi de finances 2025 à hauteur de 500 millions d’euros portée par amendement à 770 millions d’euros. Celle-ci permettra aux collectivités calédoniennes d’emprunter cette somme auprès de l’Agence française de développement pour faire face aux besoins les plus urgents.
Une large partie de cette aide sera donc versée sous la forme d’avance remboursable ou de prêts, ce qui ne fera qu’endetter encore plus le territoire.
Le Congrès de Nouvelle-Calédonie a d’ailleurs adopté mercredi 28 août une résolution lancée par le parti non indépendantiste modéré « Calédonie ensemble », qui évalue les besoins de reconstruction à financer par l’État à 4,2 milliards d’euros sur cinq ans, et réclame la création d’un comité interministériel à Paris pour gérer la crise.
5 la crise du nickel
L’exploitation du nickel et d’autres métaux (chrome, cobalt, fer) en carrières à ciel ouvert par procédé mécanique (broyage) ou procédé hydro-métallurgique occupe une place centrale et stratégique dans l’économie locale.
Le nickel représente 90 % des exportations de l’archipel, 25 % des ressources mondiales et 9 % des réserves planétaires de nickel, une production métallurgique de 1,1 milliard d’euros en 2018, en hausse de 400 millions d’euros sur dix ans, de multiples sites miniers et trois usines dont deux en province Sud (SLN-groupe Eramet et Vale) et une en province Nord (Koniambo Nickel SAS), selon une organisation conçue par les accords de Bercy de février 1998, chacune produisant près de 60 000 tonnes de minerais par an.
Le fort potentiel de ce secteur expose néanmoins l’archipel aux risques des variations du cours du nickel. À l’heure actuelle, une nouvelle dynamique haussière s’est enclenchée mais elle suit une période de décrochage brutal (2011-2016). L’émergence de producteurs à plus faibles coûts de production (Indonésie, Philippines, Brésil) accroît par ailleurs la pression sur la compétitivité de la production locale. À plus long terme et sous toute réserve, les perspectives demeurent favorables, avec une croissance anticipée du secteur des véhicules électriques et d’autres applications industrielles (appareils ménagers, chimie, bâtiment).
La maîtrise des externalités environnementales du nickel (émission de CO 2, eau, paysages) est un champ d’actions et des solutions de revégétalisation , par exemple, sont développées pour traiter les sites anciennement exploités par l’utilisation des propriétés d’hyper-accumulation de nickel de certaines espèces de végétaux. Ces végétaux intéressent le monde de la recherche et de l’industrie pour dépolluer les sols et exploiter ensuite les métaux de la sève. La Nouvelle-Calédonie est incluse dans le périmètre de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques mais non dans le périmètre du protocole de Kyoto. Toutefois, le territoire s’est engagé dans l’accord de Paris. Au-delà, la délégation a constaté une volonté de diversification de l’économie calédonienne et d’anticipation de « l’après-nickel ».
Depuis 1988 et les accords de Matignon, les Kanak poursuivent l’objectif de créer les conditions économiques et sociales d’une autonomie viable, qui s’est traduit par un important effort de scolarisation, de formation de cadres et d’investissement dans l’industrie du nickel pour financer les programmes de développement et d’autodétermination. Dans la crise dramatique que traverse ce secteur (l’usine du Nord est dorénavant fermée), les indépendantistes s’interrogent sur le rôle joué par l’Etat français. À travers son plan de relance, dit « pacte nickel », celui-ci semble en effet vouloir remettre en cause la « doctrine nickel » locale, à savoir la transformation du minerai sur place, plus rentable que la vente de minerai brut. Cela constitue aux yeux des indépendantistes une nouvelle entrave à leur stratégie et risque de rendre la situation tout aussi explosive, même une fois le calme revenu dans l’archipel.
5 l’état d’urgence climatique
En parallèle, on apprenait que le gouvernement de Nouvelle-Calédonie déclarait « l’état d’urgence climatique. Selon le Giec, les îles du Pacifique sont en première ligne face au réchauffement. Le Vanuatu et la Nouvelle-Zélande ont, eux aussi, déclaré l’état d’urgence climatique. La Calédonie est frappée par de fortes pluies et par l’assèchement des terres dans certaines zones. L’érosion de la côte est aussi importante et bouleverse la physionomie du littoral.
Dans le combat pour l’indépendance, la question environnementale passe, pour l’instant, au second plan. Les indépendantistes estiment que l’indépendance permettra la maîtrise des dossiers et permettra au peuple Kanak de choisir son destin. De nombreux responsables indépendantistes sont conscients de l’enjeu climatique mais ils n’en parlent pas tant dans leurs discours officiels. Le fait que le gouvernement local, majoritairement indépendantiste, prenne la décision de déclarer l’état d’urgence climatique marque sûrement un tournant.
La vie en tribu n’émet pas de CO2 ou si peu. Le mode de vie traditionnel Kanak est très sobre d’un point de vue écologique. Plusieurs indépendantistes prônent aussi l’autosuffisance alimentaire et l’agroécologie. C’est le cas, notamment, de Guillaume Vama qui est aujourd’hui enfermé dans une prison à Bourges suite aux émeutes du mois de mai.
Cette période de crise est l’occasion pour le peuple Kanak de s’interroger sur le mode de développement qu’on lui a imposé, via la colonisation, et de revenir à des outils plus traditionnels, des traditions qui prennent soin de la terre et permettent de sortir du consumérisme. On avait déjà vu ce mouvement émerger dans les années 1980 quand les Kanak s’étaient mobilisés massivement pour l’indépendance. Ces réflexions étaient déjà à l’œuvre et continuent aujourd’hui.
6 le phénomène des Kanak urbains
Le projet de « destin commun » n’a guère été entrepris dans l’agglomération de Nouméa. Depuis le partage, en 1988, du territoire en trois provinces, dirigées chacune par une Assemblée – province du Sud qui englobe Nouméa, province du Nord et province des îles Loyauté – les loyalistes se sont en quelque sorte repliés sur leur fief, c’est-à-dire le Sud et la capitale, sans vraiment jouer le jeu de ce projet de citoyenneté et de destin commun. À tel point que dans certains quartiers, les Kanak ne sont pas franchement les bienvenus.
Depuis les accords de Matignon de 1988, il y a eu un afflux massif de Kanak dans la capitale, mais ce fait social majeur est demeuré un point aveugle du débat politique. À l’heure actuelle, la moitié de la population Kanak vit dans l’agglomération Nouméenne. On trouve en son sein des personnes de différentes classes sociales, et notamment des familles très pauvres plutôt installées en périphérie. Des quartiers d’habitats spontanés se sont créés, qu’on appelle localement des « squats » et au sein desquels une véritable réorganisation communautaire et villageoise s’est peu à peu mise en place. Ce sont des sortes de tribus qui se sont reformées, avec leur hiérarchie et leurs instances de décision… mais avec un mode de vie urbain. Ces Kanak estiment être les sacrifiés des accords et éprouvent un sentiment de dépossession à la fois sociale et coloniale d’autant plus fort que c’est à Nouméa qu’arrive le flot continu de Métropolitains, qui s’installent pour la plupart dans des quartiers comparables à la Côte d’Azur.
Pendant des années, les gens vivant dans ces endroits ont demandé à ce qu’on les aide à viabiliser ces quartiers, à y installer l’eau et l’électricité, mais les pouvoirs publics ont longtemps fait la sourde oreille, percevant cette présence Kanak comme une menace diffuse. Ce discours anti-squats s’est répandu un peu partout, y compris chez certains Kanak traditionalistes des zones rurales, qui ne comprennent pas ces Kanak qui vont, disent-ils, se perdre à Nouméa. Ce discours culturaliste conservateur kanak n’a pas aidé à prendre en compte le fait Kanak urbain. Il y a donc eu un double mouvement contradictoire : le repli politique des loyalistes à Nouméa, y compris les plus radicaux, alors même que cette ville devenait largement Kanak. Or l’explosion de violence actuelle semble venir largement de cette population Kanak urbaine marginalisée et misérable, le plus souvent invisibilisée ou stigmatisée dans le débat politique.
Le rapport de forces pourrait en effet évoluer, mais en réalité personne n’y a intérêt au sein du personnel politique. Les loyalistes au pouvoir dans le sud n’ont évidemment aucune envie que cette population Kanak urbaine pèse dans les équilibres électoraux à Nouméa. Quant aux partis indépendantistes Kanak, ils sont fortement divisés et se livrent à une intense concurrence électorale dans les provinces du Nord et des îles, où les loyalistes sont très minoritaires. Dès lors les principaux partis indépendantistes ont tout intérêt à ce que les Kanak partis vivre à Nouméa restent inscrits sur les listes électorales de leurs provinces d’origine, au Nord et dans les îles. Tout cela minimise le poids électoral des Kanak dans le sud et dans la capitale.
7 la tentation de l’apartheid
En réaction aux émeutes, la province sud tenue par les loyalistes, donc les non-indépendantistes, veut réduire les aides sociales. La province arrête de financer des dispensaires en brousse et veut supprimer l’aide médicale gratuite pour les personnes en difficulté. Au fond, les loyalistes tentent d’asphyxier les Kanak et de tronquer les aides sociales que touchent les plus démunis. On observe une radicalisation de la posture des loyalistes. Sonia Backès, la présidente de la province sud, fait tout pour marginaliser les Kanak qui vivent dans le nord ou dans les îles. Elle plaide pour une séparation des provinces et des peuples. « Au même titre que l’huile et l’eau ne se mélangent pas, je constate à regret que le monde kanak et le monde occidental ont, malgré plus de 170 années de vie commune, des antagonismes encore indépassables », a-t-elle déclaré. Avant d’appeler à se « séparer pour mieux vivre ». Soulignons le paradoxe : ces gens de droite extrême et d’extrême droite qui crient au « grand remplacement » en métropole se comportent eux-mêmes en « grands remplaceurs » dès qu’ils sont en Nouvelle-Calédonie.
Au contraire dans la province Nord et la province des îles Loyauté, où les indépendantistes sont au pouvoir ils sont d’accord pour trouver des compromis et, dans ces provinces, les Européens savent qu’ils sont inclus dans le projet d’émancipation progressive et négociée, de même qu’ils savent qu’on ne peut pas faire le pays contre les Kanak, mais avec eux. C’est bien l’esprit de l’accord de Nouméa, officialisé par l’expression de « destin commun ».
Conclusion :
Rappelons à tous ceux qui crient à l’indépendance kanak que la KNC n’est pas l’Algérie comme le rappelle cet extrait du document de terra nova https://tnova.fr/democratie/politique-institutions/nouvelle-caledonie-sortir-de-la-violence-renouer-le-dialogue/
« »Après les violences intercommunautaires des « événements » des années 1980, un tournant significatif a été réalisé avec les accords de Matignon-Oudinot en 1988, suivis par l’accord de Nouméa en 1998. Ces accords ont marqué une reconnaissance mutuelle entre les communautés Kanak et non-Kanak. La décolonisation en Nouvelle-Calédonie se différencie donc d’autres décolonisations, comme celle de l’Algérie, par le projet de construire un « destin commun » au lieu de renvoyer les « colons » dans l’Hexagone.
Les Kanak ont reconnu le droit des populations non-Kanak à résider et à participer à la vie de l’archipel. Le préambule de l’accord de Nouméa reconnait la légitimité de leur présence en Nouvelle-Calédonie, pour le présent et pour l’avenir : « Les communautés qui vivent sur le territoire ont acquis par leur participation à l’édification de la Nouvelle-Calédonie une légitimité à y vivre et à continuer de contribuer à son développement. Elles sont indispensables à son équilibre social et au fonctionnement de son économie et de ses institutions sociales ». Les Kanak ont également reconnu le droit des populations non-Kanak ayant un lien durable avec le territoire à s’exprimer lors des référendums d’autodétermination et lors des élections provinciales : les corps électoraux spécifiques ne sont pas restreints aux seuls Kanak, contrairement à ce qui était demandé par les indépendantistes au début des années 1980. »
Ceci étant posé, force est de constater que les responsables politiques, sur place, indépendantistes et non indépendantistes, continuent à ne pas se parler et que les « loyalistes » en fait de droite extrême et d’extrême droite cherchent à imposer leur discours haineux et séparatiste. Après que Macron ait mis le feu aux poudres, le pouvoir exécutif français quant à lui donne le sentiment de ne pas savoir comment régler la situation et donc il temporise.
Nous condamnons le retour de la responsabilité pénale collective et la déportation des responsables Kanak en métropole. Mais la responsabilité de la situation actuelle est partagée entre les provocations du gouvernement français et sa volonté de passer en force ; l’incapacité du gouvernement local à gérer correctement les équilibres économiques et sociaux du territoire ; les difficultés des autorités traditionnelles à imaginer un chemin coutumier par la parole vers la jeunesse, celle qui a quitté les tribus pour Nouméa, sa banlieue, ses squats.
Un nouveau cycle de discussions et de réflexions doit être engagé comme il le fut au moment des accords de Nouméa, les conditions ayant fortement évolué. Quel type de développement ? Comment répondre à l’urgence sociale et à l’urgence climatique ? Comment réduire les inégalités sociales ? Comment construire un « destin commun » ?
La refonte de la citoyenneté ne peut se faire qu’à deux conditions : qu’elle soit le résultat d’un débat entre Calédoniens, et non pas un fait imposé depuis Paris selon ce qu’ils perçoivent à juste titre comme une logique de domination coloniale d’un autre temps ; et qu’elle soit discutée dans le cadre d’un accord politique global, et non comme un préalable à la négociation de cet accord, comme veut le faire le gouvernement français.
PBY