MALI : Vive la Révolution du 18 Août 2020 !

Spread the love

Depuis la Révolution du 18 août dernier, conséquence directe du coup de force électoral lors des élections législatives à la fin mars et début avril 2020, le Mali s’est doté d’un président et d’un vice-président de transition, d’un Premier ministre et d’un gouvernement de transition. Le CNT est le dernier organe prévu par la Charte de transition dont les membres joueraient le rôle de députés en attendant l’organisation, au terme de la transition, d’élections législatives et présidentielle, mais son installation tarde et suscite la polémique. Les candidats n’ont eu que 48 heures pour préparer leur dossier, ce que beaucoup d’acteurs avaient déjà dénoncé : difficile, dans ce délai, de se concerter et de rassembler les documents administratifs nécessaires. C’est le vice-président de la transition, le colonel Assimi Goita, chef des putschistes du CNSP, qui doit sélectionner les candidatures. Le président Bah N’Daw, lui, ne fera que signer le décret final.

Les forces de sécurité y auront 22 représentants (sur 121 sièges) ; 8 étaient prévus pour la coalition M5-RFP, qui a du coup décliné, puis 5 à 11 pour les autres partis et organisations, qui ont largement décidé, eux aussi, de ne pas participer dans ces conditions, 11 pour les organisations syndicales, 3 pour les groupes armés, le reste pour différentes organisations de la société civile. Cette composition équilibrée s’éloigne de la gestion partisane consensuelle de l’Etat qui a tant nui au Mali sous les dix ans d’Alpha Oumar Konaré puis les 10 ans d’Amadou Toumani Touré puis sous les sept ans d’Ibrahim Boubakar Keita (finalement libéré  le 27 août). Sortir d’un régime présidentiel qui a produit un cumul excessif de pouvoirs, la corruption généralisée, une financiarisation officielle de la vie politique et au final un rejet populaire du système des partis machines électorales.

Les militaires au pouvoir ne sont certes pas des révolutionnaires mais ils cherchent habilement à ménager toutes les composantes de la société à commencer par eux-mêmes puisqu’il y a beaucoup de composantes de l’armée dans le « coup d’Etat », mais aussi les diverses forces représentatives de la société malienne et les acteurs extérieurs. Ils savent aussi jouer l’opinion publique qui les soutient et pense que les politiques ne doivent revenir au premier plan qu’au moment des élections.  Les  premières maladresses de l’armée ont certes compliqué la situation. Il en a été ainsi de l’exclusion du M5/ RFP de la première réunion de concertation ou bien de la rédaction sans concertation d’un acte fondamental, avec un ou deux juristes. Mais l’armée reste populaire.

Le peuple malien a remis en cause le système IBK, qui, après 7 ans de mise en œuvre de la même politique économique néolibérale que son prédécesseur ATT, a plongé son pays dans une dépendance accrue vis-à-vis de la France, a étendu l’insécurité et la misère dans tout le pays, tout en pillant le pays et en cultivant l’exclusion économique et sociale de larges populations du Centre et du Sud, qui a servi de terreau fertile aux violences inter ethniques et djihadistes, et  menacé l’intégrité territoriale du Mali. Le peuple malien veut la fin du pouvoir personnel et une transition suffisamment longue pour redéfinir entièrement la démocratie.

Georges Balandier disait que les coups d’État militaires en Afrique – qu’il appelait également le « néocolonellisme » – s’expliquent par le désir des jeunes de changer la situation. Le cas malien semble bien  obéir à ce constat. Quant à la personnalité d’Assimi Goïta, s’il est trop tôt pour lui accorder les vertus d’un Rawlings ou d’un Sankara, il serait injuste de l’identifier à un Samuel Doe ou à un Sanogo.

Car il s’agit bien d’une révolution en tant que  une rupture d’un système de gouvernance institutionnelle politique, économique et sociale en vigueur pour en construire un nouveau, qui débute par la prise du pouvoir par les forces révolutionnaires du pays et non d’un coup d’Etat créant une interruption de la légalité d’un pouvoir légitime, ce qui pose la nécessité d’un  retour à cette légalité dans le maintien de l’ordre ancien. C’est bien le peuple malien qui ne veut plus être gouverné comme avant. Depuis que le M5/RFP, qui est un large rassemblement de forces patriotiques, républicaines démocratiques, éprises de justice sociale, dans les partis d’opposition et la société civile laïque et religieuse, s’est mis en branle contre le régime d’IBK, ce sont ces mêmes forces, au sein de l’armée malienne, qui ont parachevé le soulèvement en faisant tomber le pouvoir d’IBK le 18 Août 2020, non pas pour le garder afin de gouverner, mais pour le transmettre au peuple en s’alliant avec le M5/RFP.

La position du parti SADI et du Mouvement Démocratique et Populaire (MDP) regroupement de forces de gauche,  par rapport au M5/RFP :

Le  MDP dont le parti SADI est membre  prit  part  au M5/RFP et  y  est  représenté  au  Comité  Stratégique,  à  la  Coordination  de  la Jeunesse et plus tard, à la Commission d’organisation.  Il est alors à signaler que le MDP, siégeant au M5/RFP, a travaillé pour le départ d’IBK et de son régime. Au-delà de cet objectif, le MDP en a d’autres :   la destruction du système néolibéral  incarné par IBK et la mise en route d’un nouveau type  d’Etat  fondé  sur  la  justice,  l’équité  et  l’affirmation  de  la  souveraineté  du  peuple malien sur ses ressources et de son indépendance sur l’échiquier international pour la paix et la coopération.  Le Mouvement Démocratique et Populaire dispose d’une Charte et d’un Manifeste élaborés et présentés au public et à la presse le 03 juin 2020.  Si l’objectif du MDP était d’œuvrer à la chute du régime d’Ibrahim Boubacar Keita, le départ des troupes étrangères du Mali, la fin des tueries entre maliens grâce à un dialogue souverain, la mise en place d’une armée nationale, creuset de l’unité nationale, garante de la souveraineté nationale  et  de  l’intégrité  territoriale,  celui  du  M5/RFP  était  d’obtenir  le  départ  du  pouvoir d’IBK et de son régime. Il va sans dire qu’avec le départ du régime d’IBK, les objectifs du  M5/RFP sont atteints et  de facto, chaque organisation a  le  loisir  de s’assumer ou  de créer d’autres regroupements plus spécifiques ; le M5/RFP peut  également  changer d’objectifs stratégiques et convaincre ses différentes composantes.

Le  MDP  poursuit  quant à lui ses  activités d’organisation,  de  recrutement  de  militants  et  forces patriotiques pour grossir ses rangs et se renforcer. La nouvelle situation créée par le départ, le 18 août, de M. Ibrahim Boubacar Keita doit être intégrée dans la démarche du MDP pour dessiner de nouvelles perspectives sur la base du regroupement des forces capables d’assumer des objectifs stratégiques de rupture d’avec l’ordre ancien. Le MDP ne veut pas piloter la transition mais plutôt accompagner les nouvelles autorités dans leur quête de véritable refondation de l’Etat du Mali. En conséquence, il souhaite prendre le pouvoir par les urnes à travers des élections transparentes et crédibles.

Le M5/RFP  revendiquait un quart des postes et la présidence du Conseil et si facialement Le M5/RFP a obtenu 8 postes seulement,  en fait certains composants du M5 sont membres soient des syndicats ou d’autres  organisations de la société civile. Par ailleurs certaines figures du M5/RFP étaient des ministres sous IBK (Choguel Maiga, Mohamed Aly Bathily, Mountaga Tall), raison pour laquelle le mouvement a eu des périodes de discrédit.

L’imam Mahmoud Dicko qui était la caution morale du M5/RFP et que certains ont soupçonné un peu rapidement de visées islamistes, a révélé sa duplicité tant vis-à-vis de la junte que vis-à-vis du M5/RFP. Lors de la formation du gouvernement l’imam a préféré proposer trois noms hors M5 plutôt que de laisser le M5 proposer des noms consensuels. Il laisse d’un côté Issa Kaou Djim porte parole du CMAS tirer à vue sur le M5 et de l’autre il continue à faire partie du M5. La vigilance demeure de mise face à celui qui prétend s’être retiré dans sa mosquée.

Rappelons enfin que le gouvernement de Moctar Ouane comprend 25 membres dont trois cadres des groupes armés signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger. Parmi les plus connus, Harouna Toureh ex-porte-parole de la Plateforme, principal groupe d’autodéfense de la crise de 2012 et Mossa Ag Attaher, porte-parole de la CMA. Ils occupent respectivement le ministère du Travail et de la Fonction publique, Porte-parole du Gouvernement et le ministère de la Jeunesse et des Sports. Mahmoud Ould Mahmoud, un autre membre de la CMA est à la tête du ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche. Le ministre des Maliens de l’Extérieur et de l’Intégration africaine, Alhamdou Ag Ilyene est également proche de la Plateforme.

Les dialogues politiques précédents (notamment ceux d’Ouagadougou, du processus d’Alger, la Conférence d’entente nationale de 2017 et le Dialogue national inclusif de 2019) offrent, comme point de départ, un diagnostic clair des lacunes de la gouvernance au Mali. Les discussions à venir devraient s’atteler à définir l’ordre des priorités à traiter pendant la transition, de manière à initier les changements nécessaires et à les rendre irréversibles.

Ce Mali nouveau pourrait alors se construire sur la base des 118 recommandations émises lors du Dialogue national inclusif. Censée aboutir à des réformes institutionnelles et constitutionnelles, cette large consultation citoyenne à laquelle l’opposition n’avait pas participé, s’était clôturée en décembre 2019 sur cette longue liste de changements nécessaires.

La CEDEAO, syndicat de vieux autocrates régionaux, persiste à vouloir  un « transfert du pouvoir des militaires aux civils », afin de rééditer le piège électoraliste dans lequel elle avait enfermé les militaires qui avaient pris le pouvoir en Mars 2012. Il faut dire que ses deux principaux acteurs francophones sont des adeptes du coup d’Etat constitutionnel : Ouattara qui viole la Constitution ivoirienne en se présentant à un troisième mandat après avoir cyniquement usé son premier ministre dont il connaissait la fragilité cardiaque, Condé qui a lui aussi forcé la Constitution de son pays et exacerbé les tensions ethniques artificiellement afin de se maintenir au pouvoir. Les deux, songeant à leur propre sort, ont d’abord défendu l’idée ignoble du maintien/retour d’IBK au pouvoir avant de céder à la pression française.

Les sanctions internationales sous-régionales prévoyaient la fermeture des frontières des Etats voisins du Mali membres de la CEDEAO et l’arrêt de tous les flux financiers et commerciaux, à l’exception des produits de première nécessité ou de lutte contre la Covid-19. Des sanctions qui après avoir empêché l’armée malienne de recevoir des équipements nécessaires pour le combat, ont atteint la population dans sa vie quotidienne au niveau de l’approvisionnement en denrées alimentaires (pour les trois-quarts importées) et au niveau des transferts de fonds  (selon la Banque mondiale, ces transferts monétaires représentent plus d’un milliard de dollars soit près de 7 % du PIB malien ; un calcul qui ne prend pas en compte les transferts clandestins avec lesquels cette manne dépasse largement les 10 %).

Le bon sens a prévalu puisque les sanctions ont été levées. Ce même bon sens consiste dorénavant à pousser vers une transition intelligente,  s’inspirant de l’expérience soudanaise qui a l’air de fonctionner sans grand mal. Organiser des élections rapidement satisferait certes les apparences de démocratie qu’exige la communauté internationale, mais la crise ne serait pas résolue, au contraire. La guerre est présente dans de nombreuses régions du pays et ni l’armée malienne, dont certains chefs, aujourd’hui arrêtés, ont trempé dans des détournements de fonds destinés à l’équipement, ni l’armée française ne semble pouvoir y mettre fin.

Une  transition suffisamment longue (18 mois à défaut des trois ans envisagés au départ) a le rôle essentiel de remettre le pays en marche, d’assainir le fonctionnement de l’Etat et de ses services, renforcer l’efficacité de l’armée, de faire fonctionner ses institutions et si possible changer de personnels politiques. L’objectif numéro un est d’engager des poursuites contre les responsables de détournement de fonds, et de corruption. L’impunité récurrente est la source principale de cette inertie, du gâchis des ressources disponibles, de la défiance de la population envers les institutions, de la déficience des services de l’Etat.  Cela nécessite sans doute de faire le ménage au sein de l’appareil judiciaire.

Qui plus est des élections rapidement organisées ne feraient que remettre en selle le même personnel politique que l’insurrection a désavoué.

Le Mali est en guerre et ne doit pas s’éterniser dans des discussions comme ce fut le cas lors des conférences nationales dans différents pays d’Afrique par le passé.  La population du Mali qui avait largement applaudi l’intervention française semble la remettre en cause pour une bonne part d’entre elle. Mais la priorité reste de doter l’armée sans tarder du matériel nécessaire en récupérant l’argent détourné.

C’est souvent dans ces situations exceptionnelles que se révèlent les peuples. Et Le Mali, en crise depuis de nombreuses années,  a vécu plusieurs expériences de coups d’Etat militaires dont il a tiré les leçons. La situation exceptionnelle actuelle doit permettre d’inventer  des solutions nouvelles. Des nouveaux leaders devraient émerger, notamment parmi la jeunesse, mais aussi les cadres et intellectuels restés intègres et accéder aux postes de responsabilité, et collaborer avec les militaires, qui malgré quelques faux pas, semblent maintenant privilégier une large concertation.

Le Drian quant à lui, a d’abord « condamné avec la plus grande fermeté cet événement grave » et « réaffirmé avec force son plein attachement à la souveraineté et à la démocratie maliennes ». Mais il démontre immédiatement le contraire en s’opposant avec obstination au dialogue avec les groupes terroristes rebelles, dialogue que le nouveau pouvoir malien souhaite engager avec réalisme. Cependant, c’est la communauté internationale  qui détermine qui est terroriste et qui ne l’est pas, et ce de façon arbitraire car l’intrication des intérêts mafieux liés aux trafics et des rebellions terroristes rend difficile le jugement. Une communauté internationale qui ferme aussi les yeux sur l’attitude complaisante de certains voisins à l’égard de terroristes patentés n’a pas à s’opposer à la volonté d’un pays désireux de sortir d’une situation en impasse.

Le Drian joue donc contre l’intérêt du Mali et reste de plus sourd aux opinions fréquemment réaffirmées de la hiérarchie militaire française (même suite aux succès récents des raids menés) quant à la nécessité de reconsidérer l’engagement militaire qui va dorénavant sur sa dixième année.

Cette attitude de la France à savoir son hostilité à toute remise en cause des Accords d’Alger et à toute négociation avec les groupes armés est perçue par les forces vives du Mali, comme le principal obstacle à la «réconciliation nationale, à la paix » et au «recouvrement, par l’Etat malien, de l’intégralité de son territoire, pour permettre à son peuple d’y exercer légitimement sa «souveraineté pleine et entière».

C’est cette perception de l’attitude de la France qui a provoqué un vaste mouvement populaire qui réclame l’aide militaire de la Russie, à l’image de l’appui de celle-ci à la République Centre Africaine, et exige le départ des troupes françaises du Mali, dont les Généraux occupent des fonctions stratégiques dans l’Etat- Major de l’armée malienne et dans le Commandement de la force onusienne (MINUSMA).

Le peuple Malien a la conviction que la France fait partie du problème et non de sa solution, d’autant qu’en dépit de ses positions stratégiques dans la gouvernance de la MINUSMA, Kidal reste un «sanctuaire» interdit aux autorités de l’Etat, et que la CMA, au lieu d’être désarmée, est plutôt parvenue à se doter d’un puissant arsenal de guerre. Pendant ce temps, les soldats maliens, mal équipés, sous encadrés et démoralisés, manipulés par leur hiérarchie corrompue et avide, continuent d’être massacrés du Nord au Centre du Mali où, dans le même temps, l’insécurité règne jusqu’à atteindre des pays limitrophes.

Macron dans une interview récente a déclaré : « avec les terroristes on ne discute pas ». Un tel aveuglement devant la réalité du terrain mouvant du business illégal et de la manipulation islamiste  ne présage rien de bon.

Le Parti de Gauche réaffirme que la solution aux problèmes du Mali à commencer par le pillage organisé par sa bourgeoisie civile et militaire est l’affaire des maliens et que la présence de forces étrangères doit être reconsidérée en fonction d’une évolution que nous espérons favorable de cette mauvaise gouvernance.

Le Parti de Gauche soutient la révolution du peuple malien et dénonce l’obstination du gouvernement français et son refus de toute ouverture.

Vive le Peuple Malien, Vive la Révolution du 18 Août 2020   

Pierre Boutry

Déclaration de la Commission Afrique du Parti de Gauche

Laisser un commentaire