BURKINA FASO : un président mal élu

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Un président mal élu, un retour du parti de Campaoré à la deuxième place et donc représentant dorénavant l’opposition « officielle », une opposition sankariste réduite à la portion congrue, la perspective du retour de Campaoré de son exil ivoirien, le tout dans un climat d’insécurité. Reste comme perspective le procès de l’assassinat de Thomas Sankara et de 12 autres personnes, procès dont nous pouvons espérer qu’elle ravive la flamme sankariste toujours présente dans le peuple. L’article de Bruno Jaffré reproduit ici avec son aimable autorisation donne un compte-rendu circonstancié et détaillé de ces élections.

Pierre Boutry

Burkina Faso : Roch Marc Christian Kaboré l’emporte «coup K. O.» mais mal élu

Bruno Jaffré

Le président sortant, ancien proche de Blaise Compaoré, a été réélu avec 57% des voix. En réalité il n’a été choisi que par environ 16% de la population en âge de voter. Si le Burkina s’en sort mieux que les pays voisins, il reste beaucoup à faire pour asseoir la démocratie. On trouvera ici une analyse circonstanciée sur les résultats et la façon dont se sont déroulées les élections.

L’opposition menace avant le scrutin

Avant même la clôture du scrutin l’opposition, par la voie de son chef de file commençait déjà à en contester les résultats. Lors d’un meeting dans le stade municipal à Ouagadougou, le 16 novembre, Zéphirin Diabré, leader de l’UPC (Union pour le progrès et le changement) laisse entendre « Nous avons eu des informations qui nous alarment sur des possibilités de fraude électorale.   il faut qu’on fasse attention parce que nous sentons qu’on veut corrompre nos éléments qui sont dans les bureaux de vote pour la surveillance électorale » (voir : https://www.wakatsera.com/presidentielle-2020-le-leader-de-lopposition-burkinabe-craint-une-fraude/?

Et lors d’une conférence de presse le 23 novembre, des leaders de l’opposition déclarent : «  En tout état de cause, les signataires de l’accord politique (de l’opposition) n’accepteront pas des résultats entachés d’irrégularités et qui ne reflètent pas la volonté du peuple burkinabè … Il est absolument inconcevable, après avoir parcouru tout le Burkina Faso, de penser avoir un parti gagnant dès le premier tour » (voir https://www.france24.com/fr/afrique/20201123-burkina-faso-l-opposition-r%C3%A9it%C3%A8re-ses-accusations-de-fraudes-lors-de-la-pr%C3%A9sidentielle).

Ils n’auront de cesse de faire monter la pression le jour des élections et lors de l’attente des résultats, d’autant plus que de nombreux dysfonctionnements vont voir le jour.

Nombreux dysfonctionnements dans la logistique

Tout a long de la journée du 22 novembre, des plaintes dénoncent des problèmes dans l’organisation et la logistique : transport non sécurisé d’urnes sur les motos, non affichage des listes des électeurs devant les bureaux de vote comme cela est prescrit par les textes en vigueur (et) la non prise en charge des représentants des partis politiques dans les bureaux de vote contrairement aux dispositions de la loi électorale, difficultés pour des électeurs de localiser leurs bureaux de vote, bureaux de vote ouverts en retard,  non disponibilité du matériel électoral dans certains bureaux de vote, absence des noms de certains électeurs sur la liste électorale etc… Elles émanent, soit de l’opposition politique, soit de différentes organisations d’observation des élections.

Dans son bilan définitif publié le 25, la CODEL (coalition des organisations de la société civile pour l’observation domestique des élections) qui a pu disperser 3800 observateurs sur le territoire, énumère les dysfonctionnements, et fait état de 40 alertes qui leur avaient été remontées, précisant cependant que 90% d’entre elles avaient été résolues par la CENI (Commission nationale électorale indépendante) (voir https://lefaso.net/spip.php?article100995). Mais la CODEL ne donne aucun avis définitif sur la validité des élections, se contentant d’un bilan chiffré, appelant aussi les partis à «  User des voies légales de recours en cas de contestations et respecter les délais impartis à cet effet » (voir https://www.wakatsera.com/elections-2020-au-burkina-les-constats-des-observateurs-de-la-codel), alors que la tension avait commencé à monter.

Pas d’attaque armée des bureaux de vote.

Le Président de la CENI, Newton Ahmed Barry reconnait ces difficultés, au cours d’une interview à la RTB (Télévision burkinabè) le 23 novembre) : « Il y a une difficulté réelle liée à la situation d’insécurité que nous vivons. Mais malgré tout cela, sur les 351 communes, il n’y a que 15 communes où nous n’avons pas pu ouvrir. » (voir https://www.burkina24.com/2020/11/24/newton-ahmed-barry-ces-elections-ont-ete-la-croix-pour-beaucoup-dentre-nous). On apprend dans la journée que 5 volontaires avaient été tués lors d’une attaque dans le nord. Par ailleurs dans certaines communes de la région, des terroristes seraient venus menacer les habitants dans certains villages de représailles si des traces d’encre sur leur doigt témoignant qu’ils l’avaient voté, étaient retrouvées lors de leur prochain passage.

Aucune attaque de bureaux de vote n’aurait sinon été signalée. Un résultat remarquable dû sans doute à un effort important pour déployer des forces de sécurité devant les bureaux de vote.  Lors de la publication des résultats, le 25 novembre, un bilan précis est délivré par la CENI : sur 21 154 bureaux de vote prévus au départ, il était prévu que 1 318 ne pourraient ouvrir du fait de l’insécurité. Mais à ceux-ci se sont ajoutés 326 bureaux de vote supplémentaires qui n’ont pas pu ouvrir le jour des élections.

Une montée de tension vite résolue

La compilation commune par commune commence le 23 novembre, la CENI étant la seule habilitée à le faire. Une mesure salutaire alors que chez les voisins, on a assisté à ce que les principaux candidats se déclarent vainqueurs avant même la fin des dépouillements.

Mais l’absence, en certains endroits, de compilation des résultats par voie manuelle, parallèlement aux compilations numériques, comme le prévoit le code électoral, entraîne une crise au sein de la CENI. Les 5 commissaires de l’opposition décident de quitter la CENI dans l’après-midi refusant d’avaliser la poursuite de la publication des résultats. Celle-ci est alors suspendue ce qui permet les compilations manuelles. Finalement les commissaires de l’opposition annoncent réintégrer la plénière de la CENI le 25 novembre à la suite, selon RFI, d’une mission de bons offices des diplomates de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), de l’Union africaine et de la Francophonie (voir (https://www.rfi.fr/fr/afrique/20201125-pr%C3%A9sidentielle-au-burkina-faso-pr%C3%A8s-de-la-moiti%C3%A9-des-r%C3%A9sultats-communaux-proclam%C3%A9s). Et une manifestation qu’avait prévue l’opposition le 25 novembre devant la CENI a été finalement annulée.

De nombreux appels à une résolution rapide par la discussion des différents avaient en même temps circulé dans la presse et sur les réseaux sociaux. Finalement tout va rentrer dans l’ordre assez rapidement. Le Burkina va échapper aux violences qui ont suivi la publication des résultats dans de nombreux pays voisins.

Roch Marc Christian Kaboré, mal élu, réussit cependant le coup KO

A la suite de cet incident, le décompte continue sans problème et les résultats provisoires, en attente de la validation par le conseil constitutionnel, sont publiés le 26 novembre.

Roch Marc Christian Kaboré le président sortant est réélu avec 1655500 voix soit 57,8% des votants alors que le nombre d’inscrits est de 6 490 162. En 2015, il avait rassemblé 1668169 suffrages, pour 5517015 inscrits soit 53,49%. Un score qui reste donc stable en nombre de voix alors que par exemple Bénéwendé Sankara s’était présenté en 2015 et a appelé cette fois à voter pour lui, le nombre de votants étant alors de 3118695 et la participation de 60%.

De nombreuses réalisations, comme une certaine accalmie dans les attaques ont sans doute contribué à la victoire de Roch Marc Christian Kaboré.

Mais avec un taux d’inscription sur les listes électorales de 65% par rapport à l’estimation de la population en âge, environ 10 millions, et une participation inférieure à 50%, les partisans du vainqueur auront beau crié victoire, reste que leur champion est très mal élu. D’autant plus que la « corruption électorale », voter pour un candidat en échange d’un billet, semble ne pas avoir disparu. Ainsi donc un certain nombre de ceux qui ont voté pour le vainqueur ne sont sans doute pas très convaincus.

Roch Marc Christian Kaboré ne rassemble en réalité qu’à peine 16% de la population en âge de voter.

Le candidat du CDP, Eddie Komboïgo, arrive deuxième avec 442 742 voix, soit 15,48%. Le CDP n’avait pas pu se présenter aux élections de 2015 qui mettaient fin à la transition mise en place après l’insurrection mais avait rassemblé 417058 aux élections législatives.

En troisième position arrive Zéphirin Diabré avec 356 388 voix et 12,46% contre 924811 voix et 29,65% en 2015.

Après avoir soufflé le chaud, les leaders de l’opposition ont finalement pris « acte des résultats ». Ils n’ont pas appelé leurs partisans à manifester dans les rues pour rejeter ou contester les résultats. Et du côté du vainqueur, il ne semble pas y avoir eu de grandes manifestations de joie comme il y en a dans la plupart des pays.

Les résultats des autres candidats sont tous en dessous de 5%. En effet, viennent ensuite, Kadré Désiré Ouedraogo avec 95 977 voix (3,36%) qui avait brigué l’investiture du CDP, Tahirou Barry avec 62 639 voix et 2,19% (96 457 soit 3,09% en 2015).

Tous les autres sont relégués en dessous de 2%. Les candidats que nous avions pointés comme des tentatives de renouveler l’offre politique, dans notre précédent article, échouent dans leur entreprise. On notera en particulier, le score sans appel de Yacouba Issac Zida (1,5%), l’ancien premier ministre de la Transition, qui est resté au Canada au grand regret des militants de son parti qui ne seront sans doute pas prêts à renouveler l’expérience d’une campagne électorale. Abdoulaye Soma ne rassemble que 1,4%) et le sankariste Ambroise Farama (0,9%).

Élections législatives : 15 partis seront représentés à l’Assemblée nationale, mais pas de renouvellement politique

Le système électoral, original, permet l’élection de députés issus de petits partis. Le choix des députés s’effectuent par deux moyens différents à partir de deux listes. Sur les 127 postes à pourvoir, 16 sont élus sur une liste nationale, les autres sur les listes régionales dans les 45 provinces où le nombre sièges varie de 2 dans la majeure partie à 9 sièges pour le Kadiogo, la province de Ouagadougou.

Les postes sont répartis à la proportionnelle puis par la méthode du plus fort reste. Pour désigner les élus sur les listes nationales, on calcule un quotient qui est le chiffre de suffrage nécessaire au niveau national pour être désigné élu en divisant le nombre total de suffrages exprimés sur la pays par le nombre de sièges à pourvoir.

Dans les zones du nord et de l’est, où les attaques terroristes ont été nombreuses, la participation est faible, entre 8 à 37%

le tableau de répartition des 127 sièges figure dans le document original ( cf lien en bas de cet article).

Le MPP, le parti du président gagne un siège, mais n’atteint pas la majorité absolue. Le CDP, en gagne 2, et l’UPC, le parti de Zephirin Diabré qui était le chef de file de l’opposition est en chute, de 33 à 12.

Le fait marquant de ces élections est l’importante progression du NTD ((Nouveau Temps pour la démocratie) un parti de la majorité. Son président Vincent Dabilgou fut un temps ministre sous Blaise Compaoré. Il participait au gouvernement sous la précédente législature comme ministre des transports. Son nombre d’élus résulte en réalité d’une tactique qui a consisté à s’être présenté surtout dans des provinces au faible nombre d’habitants où il est plus facile de se faire élire.

Le MBF (Mouvement Burkina pour le futur) créé par des dissidents de l’UPC, avait créé son groupe parlementaire en 2015. Son dirigeant a fait part de sa déception, reconnaissant qu’il en espérait 10.

L’UNIR PS (Union pour le renouveau), parti « sankariste », un adjectif qui laisse aujourd’hui perplexe, reste stable, avait déjà deux ministres.

D’autres partis, comme le PDS/Metba (parti pour la démocratie et le socialisme) qui obtient un élu dans la région de Dori dans le nord, en la personne du fils de Arba Diallo, le PDC (parti Pour le développement et le changement), dirigé par Saran Sérémé qui avait organisé une manifestation de femmes lors de l’insurrection, ne sont pas dans l’opposition.

Le RPI (rassemblement patriotique pour l’intégrité) qui obtient 3 élus, serait proche du CDP, de même que le Agir ensemble, 2 élus, le parti de Kadré Ouedraogo.

Compte tenu de tous ces partis ayant eu des élus, membres de la majorité présidentielle, le MPP n’aura donc aucun mal à constituer une majorité présidentielle.

On note que le PUR (Progressistes unis pour le renouveau), créé à partir de dissidents de l’UNIR PS, critiquant la participation du parti à la majorité présidentielle obtient un élu.

L’apparition de nouveaux partis ne signifie pas du tout l’apparition d’un renouvellement politique, car la plupart des nouveaux partis qui rentrent à l’assemblée sont des créations de dissidents d’autres partis. Ni le MPS (Mouvement patriotique pour le salut) ni le MAS (Mouvement soleil d’avenir) dont nous avions parlé dans notre précédent article, n’ont eu d’élu.

Il en est de même du SENS, servir et non se servir, dont le dirigeant Guy Hervé Kam est un ancien porte-parole du Balai citoyen. Plusieurs de ses militants que je connais ont bien sûr accusé le coup, mais semblent avoir rapidement retrouvé le moral. Il s’agit pour beaucoup de leur première expérience politique. L’un d’eux qui a fait la campagne m’a affirmé que leurs discours étaient appréciés, et que dans les provinces essentiellement urbaines leurs candidats avaient fait de bons scores.

Le MPP et le NTD accusés de fraudes aux législatives

En date du 26 novembre, le conseil constitutionnel déclarait que 6 recours avaient été introduits, aucun pour la présidentielles mais tous pour les législatives, deux pour irrégularités, et 4 en annulation en provenance du Bahn. Probablement une tentative de fraude, dénoncée par un parti de la majorité présidentielle le NTD (Nouveau Temps pour la démocratie)  dont la presse avait fait écho : « : « un transport des électeurs venus de Ouahigouya par des bus et de taxis motos, un vote sans carte d’électeurs en remplacement des absents sur la liste, un vote multiple par les mêmes électeurs dans les quatre bureaux de la commune et une complicité des membres du bureau des votes ». (voir https://infowakat.net/elections-couplees-2020-le-ntd-accuse-le-mpp-et-la-ceni-de-manquement-grave-a-banh/).

Par ailleurs un longue plainte adressée auprès des autorités compétentes, a été publiée à https://netafrique.net/elections-au-burkina-faso-le-mpp-accuse-de-corruption-electorale-dans-la-province-de-la-sissili accusant aussi le MPP, le parti de Roch Marc Chistian Kaboré de fraudes. Dans un courrier signé par des membres de l’UPC et du CDP, les deux principaux partis de l’opposition, le MPP est accusé de corruption électorale dans la province du Sissili, notamment de  distribution de motos, de tricycles, d’achat de consciences etc..….

Le NTD est aussi accusé de fraude (voir https://netafrique.net/elections-legislatives-au-burkina-faso-le-ntd-accuse-de-fraude-massive-dans-la-province-de-la-comoe/ )

Il ne s’agit là que des plaintes que j’ai pu glaner ici ou là dans la presse burkinabè, et il faudra attendre les enquêtes pour en savoir plus. Dans longue analyse du scrutin, intéressante bien que très différente de la mienne (voir https://lefaso.net/spip.php?article101087), l’auteur fait une différence entre fraude et corruption électorale.

A ce sujet, voilà ce que m’a raconté le jeune militant du SENS. A cours d’un meeting où l’orateur dénonçait des pratiques électorales des grands partis, une femme s’est alors levée et a raconté : « Oui c’est vrai, c’est la réalité, ce que vous dîtes. On m’a demandé de ramasser des cartes électorales, ce que j’ai fait. J’en ai eu 45. Je devais les conserver jusqu’à la veille du scrutin et les rendre en joignant un billet de 1000FCFA ». Pourquoi les conserver ? Il s’agirait en fait d’éviter que d’autres candidats puissent faire de même m’a répondu mon interlocuteur. Voilà une pratique que l’on pourrait qualifier de corruption électorale à différencier de fraude qui consisterait à bourrer les urnes ou en tentant de trafiquer  le fichier électoral.

Le CDP prochain Chef de file de l’opposition

Le Chef de file de l’opposition désigne à la fois le dirigeant du parti de l’opposition ayant le plus de députés, mais aussi une institution subventionnée rassemblant les partis qui se déclarent dans l’opposition.

On se rappelle que Me Bénéwendé Sankara, dirigeant du principal parti « sankariste », avait rejoint la majorité présidentielle derrière le MPP, le parti au pouvoir après les élections de 2015. Il expliquait entre autre argument, qu’il n’était pas question de siéger dans l’opposition aux côté du CDP. Un argument qui a montré son peu de consistance, puisque lors de la législature précédente est née une nouvelle coalition de partis qui ne sont ni dans la majorité présidentielle ni dans l’opposition institutionnelle du CFOP.

Même si le CDP fait finalement piètre figure par rapport à l’ambition annoncée de figurer au deuxième tour à la présidentielle, les autres partis ou leaders de l’opposition accepteront-ils de se ranger derrière lui ? Si l’UPC de Zéphirin Diabré, à l’origine pourtant des puissantes manifestations qui ont annoncé l’insurrection, devrait s’y ranger, qu’en sera-t-il des autres partis ? Tahirou Barry, qui fut un temps populaire parmi la jeunesse par exemple, mais dont le parti n’a pas eu d’élu aux législatives, que l’on a beaucoup vu assis aux côtés de Zéphirin Diabré et d’Eddie Komboigo à l’approche des élections, osera-t-il par exemple se ranger derrière le CDP ?

Quel que soit le nombre de partis qui rejoindront le CFOP, l’un des premiers enseignements de ces élections sera le retour du CDP au premier plan de la vie politique, dont l’objectif premier reste le retour de Blaise Compaoré sans bien sûr qu’il réponde à ses accusations devant la justice. De quoi inquiéter quant à l’impunité dont pourrait éventuellement bénéficier Blaise Compaoré, d’autant plus que le président semble aller dans le même sens comme nous le verrons plus loin..

Les anciens insurgés ne votent pas ou peu.

Nous avions écrit dans notre précédent article : « De tout temps, les Burkinabès ne se pressent pas pour aller voter ». La faible participation confirme cette affirmation. Si comme l’a évalué la CENI, la population empêchée de voter se compte à environ 350000 habitants (5,3% des inscrits), la participation reste faible (48%).

Avec 3 millions de Burkinabè qui ont voté qui ont voté à la présidentielle, sur 10 millions en âge de le faire, C’est donc 70% d’entre eux qui, soit se désintéressent aux élections, soit n’ont aucune confiance dans la capacité du vote à améliorer leur vie quotidienne ou encore ne considèrent pas être représentés par les hommes politiques.

L’histoire du Burkina enseigne que les deux insurrections qui ont éclaté en 1966 et en 2014 ont renversé des Présidents qui étaient au bout du compte bien mieux élus à l’époque ; si l’on se contente de regarder les pourcentages qu’ils avaient engrangés lors de leur élection.

Seuls des coups d’État, ou des insurrections ont amené des alternatives politiques. Après les élections de 2015, beaucoup de jeunes se demandaient si une nouvelle insurrection n’était pas devenue nécessaire. Depuis les porte-paroles de cette jeunesse, en pointe au moment de l’insurrection ont perdu de la voix, sans pour autant qu’ils aient été remplacés.

Pourtant l’insurrection de 2014 reste une fierté pour ceux, nombreux qui y ont participé, voire même un modèle de soulèvement non armé. Malheureusement, la plupart d’entre eux, se sont désengagés et désintéressés de la vie politique, la victoire se résumant pour eux au départ de Blaise Compaoré.

Le retour de Blaise Compaoré ?

Roch Marc Christian Kaboré insiste de plus en plus sur la nécessité d’aller vers la « réconciliation », un terme fourre-tout pour l’instant vide de contenu et surtout plein d’ambiguïté. Lors de son meeting électoral à Ziniaré, la ville où Blaise Compaoré avait construit son palais, il a déclaré : « Pour nous, tout le monde peut revenir et ceux qui ont maille avec la justice devront répondre », mais aussi « Le président Compaoré est un ancien président. A ce titre, il faudra travailler à son retour dans la dignité et dans le respect dû à son rang » (voir https://lefaso.net/spip.php?article100660).

Sans doute va-t-il compter sur l’annonce prochaine du procès de l’assassinat de Thomas Sankara et de 12 autres personnes annoncées, pour le premier trimestre, pour faire un pas de plus vers le retour de Blaise Compaoré. Il paraît pourtant peu probable que ce dernier se présente lors de ce procès de lui-même. Et ce procès viendra rappeler qui était Blaise Compaoré pour ceux qui font mine de l’oublier, un dictateur responsable de nombreux assassinats, de nombreuses entreprises de déstabilisation chez les voisins, leader régional de la Françafrique dans la région, et avide d’argent. Roch Marc Christian Kaboré, ancien ami de Blaise Compaoré aux côtés de qui il a participé au pillage de son pays, dévoile petit à petit son projet : préparer le retour sans humiliation de Blaise Compaoré dont le seul avenir devrait être de croupir en prison.

De quelle réconciliation s’agit-il alors qu’aucun dignitaire du régime précédent n’a été jugé à ce jour ? Certains ont même fait leur retour, sans être inquiété sur les listes du CDP. Or les expériences sont nombreuses. Le développement ne pourra découler tant qu’il n’est pas mis fin à l’impunité. C’est pourtant la voie que semble emprunter le parti du vainqueur et ses alliés.

Avec une jeunesse qui représente 65% de la population, qui pour l’essentiel n’a toujours rien à perdre, qui pratique le culte de Sankara, la partie est loin d’être gagnée pour les vainqueurs. Qu’il prenne garde de ne pas se saisir du chiffre de 57% comme une prime à l’impunité en oubliant qu’ils ne représentent que 16% de la population en âge de voter !

Une débauche de moyens

Nous ne reviendrons pas sur les acquis de l’insurrection dont nous avons parlé dans notre précédent article. Ils sont à l’origine de la relative sérénité dans laquelle se sont tenues les élections.

Mais chaque période électorale est un moment privilégié pour questionner la démocratie, ses progrès. Malgré quelques aménagements, la rupture paraît faible avec les campagnes électorales de la période du régime de Blaise Compaoré.

Le président de la CENI reconnaissait qu’il n’était pas normal que le budget des élections dépendent pour moitié de subventions étrangères « il n’est plus possible de compter chaque fois sur l’aide extérieure  … La seule constitution du fichier électoral engloutit 40 % du budget » . Il en va de l’indépendance du pays. Au budget officiel de 100 milliards de la CENI, combien ont coûté les différentes campagnes des candidats ? Les images, les témoignages montrent une débauche de moyens pour un pays aussi pauvre, et qui plus est en guerre. Et d’où viennent les sommes énormes englouties ? La loi électorale permet normalement de contrôler les dépenses des candidats. Elle n’a pas été appliquée en 2015, il y a peu de chance qu’elle soit appliquée pour ce scrutin.

Bruno Jaffré

https://blogs.mediapart.fr/bruno-jaffre/blog/301120/burkina-roch-marc-christian-kabore-lemporte-coup-k-o-mais-mal-elu

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