Non au dévoiement du panafricanisme

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« L’Afrique francophone est encore sous le contrôle de la France, qui avance masquée. (…) Nous sommes contre le franc CFA, pour le démantèlement des bases militaires françaises, qui ne servent qu’à piller nos ressources, entretenir des rébellions et entraîner des terroristes » Ainsi parle Nathalie Yamb Suissesse d’origine camerounaise, lors de son discours prononcé au sommet Russie-Afrique qui s’est tenu les 23 et 24 octobre 2019 à Sotchi. Ces propos virulents lui donnent depuis lors, une allure d’héroïne de la libération de l’Afrique.

Depuis des décennies, le franc CFA nourrit un débat virulent entre ses défenseurs qui louent la stabilité monétaire qu’il apporte, et ses détracteurs, qui le dénoncent comme une monnaie «post-coloniale » qui perpétue l’influence de la France en Afrique, Aujourd’hui, une bonne partie de la jeunesse et du monde intellectuel africain dénonce cette monnaie qui selon eux, retarde le progrès de l’Afrique francophone.
Il s’agit bien entendu d’un débat totalement légitime dans la mesure où le droit de tout peuple à disposer de lui-même reste une donnée universelle. A l’aube des 60 ans d’indépendances africaines, il est important de permettre à l’Afrique de choisir son propre modèle de développement, un modèle totalement conforme à ses réalités sociologiques, ses mœurs et sa culture. Il est plus que temps que les pays africains francophones gagnent leur souveraineté monétaire, économique et sécuritaire. Ce qui permettra à ce continent d’évoluer plus rapidement sans forcément dépendre d’une puissance extérieure.

Cependant, cette manière soudaine qu’ont certains panafricanistes, de voir dans la Russie, la clé d’une émancipation géopolitique et économique de l’Afrique a de quoi surprendre. Il est bon de rappeler que depuis 60 ans, aucune puissance (qu’elle soit à l’Est comme à l’Ouest) n’a transféré aux Africains, la technologie qui leur permettra d’évoluer. Même pas l’Italie, oublieuse de sa période fasciste de bourreau de l’Ethiopie, qui se pose maintenant en défenseur des Africains en accusant la France de coloniser l’Afrique avec le F CFA. L’Afrique reste en réalité un continent très convoité par les puissances qui luttent pour leur intérêt propre. Une lutte uniquement basée sur la maîtrise des ressources naturelles au détriment même de la stabilité des nations africaines.

Aujourd’hui, cette rivalité prend une dimension nouvelle en Afrique : il s’agit pour certaines puissances émergentes de calquer une vieille tradition occidentale qui consiste à contrôler de jeunes leaders africains.

Peu rayonnante sur le plan international depuis l’effondrement de l’URSS, la Russie de Vladimir Poutine soucieuse de renouer avec l’époque soviétique glorieuse, constate son manque d’influence dans la partie francophone du stratégique continent noir.

Pour corriger ces carences, Moscou avait au départ misé sur la formation des étudiants africains (estimés aujourd’hui à 8000) dans les universités russes en espérant que ces derniers, une fois rentrés dans leurs pays seraient favorables à l’implantation des entreprises russes et de la Russie en Afrique. Ce fut le cas de l’université moscovite Patrice-Lumumba, rebaptisée Université russe de l’amitié des peuples après la chute de l’URSS ou encore avec la création de l’Institut des études africaines de Moscou.
Cependant, cette tradition qui remonte du temps de l’URSS reste inefficace en Afrique noire francophone pour deux raisons.

La première porte sur l’impossibilité pour ces diplômés africains de s’intégrer dans une société russe, négrophobe, encore très fermée à l’Afrique noire avec laquelle elle ne partage aucun lien historique et culturel. Rappeler le souvenir de Pouchkine n’y changera rien. Selon un fonctionnaire de l’ambassade de Côte d’Ivoire en Russie « Il n’y a aucune opportunité pour les étudiants Ivoiriens en Russie. Ceux désirant y rester sont obligés de se marier avec des Russes ». Le manque d’opportunité total de ces diplômés africains en Russie remet en cause leurs compétences une fois de retour dans leur pays d’origine. Aujourd’hui, rares sont les Africains francophones diplômés des universités Russes qui occupent des positions stratégiques dans les administrations de leurs pays.

La seconde raison qui traduit cette inefficacité reste la présence de l’hégémonie française. En effet, la France s’est pleinement ouverte à l’Afrique noire depuis la conférence de Brazzaville de 1944 en façonnant un espace permettant un authentique partenariat entre Français et Africains. Elle a permis l’instruction et l’insertion en masse des élites africaines et avait même invité des représentants de ses colonies à siéger au sein de son Assemblée nationale, un cas unique dans l’histoire de la colonisation. Ce sont en réalité ces actions d’ouverture et d’humanisme (inexistante dans les autres colonies) qui ont permis à la France de renforcer son influence en Afrique et non les réseaux d’abord politiques puis affairistes et mafieux françafricains. L’influence française est aujourd’hui le résultat d’un long « processus d’affamiliation » inventé par Louis Faidherbe. Un processus que la société Russe n’allait certainement pas accepter.
Ainsi, face à cette difficulté de calquer la France qui partage avec ses ex colonies des liens historiques et culturels particulièrement solides, Moscou tentera cette fois-ci d’attiser des débats qui écornent l’honneur et l’image de la France en Afrique avec l’aide de certains « panafricanistes » africains auto-proclamés et pourvus de passeports occidentaux. Le discours récent de Nathalie Yamb lors du sommet Russie-Afrique en est une parfaite illustration.

La naissance d’un panafricanisme « malhonnête » au service de la Russie.

Le discours de Nathalie Yamb prononcé bien sûr en « français » dans un Sommet Russie-Afrique parait vraisemblablement comme une tentative de consolidation de la position de la Russie sur le continent africain par des jeunes leaders et intellectuels africains francophones, parfois formés en France et aujourd’hui soutenus par les autorités russes. Les chefs de file de ce nouveau réseau sont désormais connus.
Il s’agit en premier lieu de Stellio Gilles Robert Capo Chichi alias Kemi Seba, activiste franco-béninois. Ce natif de Strasbourg prônait au départ le radicalisme noir au sein même de la République française avant d’adhérer au panafricanisme en 2008. Il est aujourd’hui le président de l’ONG « Urgences Panafricanistes », et proche de la Russie de Vladimir Poutine. Le long parcours de Kemi Seba peut se résumer en deux points.

* Le panafricaniste opportuniste
L’opportunisme de Kemi Seba peut se percevoir à travers la multitude des « titres » qu’il a occupés durant son activisme, la conservation de la nationalité d’un pays ( la France) dont il se présente comme étant un farouche opposant, ses relations avec des révolutionnaires fortunés, et sa tendance à attiser les polémiques anti -françaises là ou elle se signalent ou même de se mettre au service d’une puissance rivale à la France.
Afro-centriste radical et extrémiste à ses débuts, Kemi Seba se signale en France par la création de deux organisations extrémistes noires qui seront dissoutes par les autorités françaises. A cette époque, le jeune Kemi Seba était, selon la logique du système éducatif français, en âge d’obtenir des diplômes universitaires afin de saisir des opportunités en France et à travers le monde. Mais selon sa biographie officielle, il serait autodidacte, étudiant en philosophie et disciple du professeur Biyoyo. Ainsi, le scenario d’une déchéance en France, après avoir été au coeur de plusieurs affaires judiciaires liées à son activisme radical, est possible.

Pourtant des positions politiques en France, Kemi Seba aurait tenté d’en avoir, mais sans succès. En 2008, il aurait eu pour projet de se présenter aux élections municipales de Sarcelles, sur une « liste identitaire ». Son parcours d’activiste ressemble vraisemblablement à un cumul de « titres » et de positions sociales non obtenues en France. Kémi Seba fut successivement durant son parcours « Ministre francophone » de l’organisation afro-américaine New Black Panther Party qui est basé à Washington et représentant du prédicateur Khalid abdoul Muhamad, président du Mouvement des damnés de l’impérialisme, porte-parole du mouvement mondial de la jeunesse panafricaine pour les Etats-Unis d’Afrique, conférencier dans des universités africaines, chroniqueur politique dans diverses chaines de télévisions africaines, directeur général de la chaine Afrique media, avant d’être aujourd’hui président de l’ONG Urgence panafricanistes.

Au delà de ce fabuleux parcours de panafricaniste se cache une ferme volonté d’obtenir des « titres », et la construction d’une carrière personnelle. Aujourd’hui Kemi Seba a réussi a se faire un nom. Son talent d’orateur, probablement renforcé par des appuis financiers, lui permet de devenir le panafricaniste le plus influent en Afrique francophone. De plus, il dispose désormais d’un carnet d’adresses bien garni. Ses contacts les plus célèbres sont des hautes personnalités révolutionnaires d’Amérique latine et d’Asie. Parmi elles, Pedro Biscay ; ex directeur de la Banque centrale d’Argentine et figure de la tricontinentale. Le président Mahmoud Ahmadinejad, président de la République d’Iran de 2005 à 2013. Eddy J Corcega, ambassadeur du Venezuela en Afrique du Sud et récemment Alexandre Douguine, l’idéologue du régime Vladimir Poutine avec qui Kemi Seba passe à une autre étape de ses activités en y introduisant des activistes comme Laurence N’Dong et Nathalie Yamb.

* De l’opportunisme au complotisme
Tout commence en 2017 lorsque le président de l’ONG « Urgences Panafricanistes », Kemi Seba est reçu à Moscou par Alexandre Douguine, le plus influent idéologue du Kremlin. Kemi Seba affirmera par la suite que cette rencontre « aura sans doute une influence décisive dans le combat pour l’intégrale souveraineté de l’Afrique ». La collaboration entre les deux hommes est évidente.
Pour Alexandre Douguine, « le débat de ce monde n’est plus de voir s’opposer le « Libéralisme » au « Communisme » ou l’Est à l’Ouest, mais bel et bien d’analyser qu’en ce nouveau millénaire, la guerre oppose le bloc de « l’occidentalisation » du monde au bloc « multipolaire. C’est pourquoi, Il faut qu’il y ait une Afrique forte et indépendante. Il faut qu’il y ait un pôle asiatique fort et indépendant, il faut qu’il y ait un pôle sud-américain fort et indépendant et que tous soient solidaires les uns des autres. La survie des peuples en dépendant ».

Kemi Seba n’ignore certainement pas que la Russie n’est pas un exemple en matière du respect des droits de l’homme et de la souveraineté. Il n’ignore pas non plus (et on l’espère) la cause immédiate de la division du monde en deux bloc. C’est malgré, tout avec la Russie de Vladimir Poutine que l’activiste franco-Béninois tente d’instaurer un « panafricanisme anti-français ». Aujourd’hui, cette nouvelle génération de panafricanistes menée par Kemi Seba, visiblement bien financée et au discours bien rodé dénonce l’hégémonie française en Afrique en amenant la jeunesse africaine à refuser d’être à nouveau dépendante de la France voire des Occidentaux au profit de la Russie.

Ce panafricanisme « malhonnête » repositionne l’Afrique au cœur de la nouvelle confrontation entre les Blocs Est-Ouest, et ne favorisera pas la libération et l’évolution du continent africain.
A défaut de trouver des Africains russophones, diplômés des universités russes et influents au sein de la jeunesse africaine, Moscou collabore aujourd’hui avec trois Africains francophones produits de la culture et la formation française voire occidentale.

Kemi Seba introduit dans ce projet, l’activiste et militante des droits de l’homme gabonaise Laurence N’Dong (née d’une mère camerounaise). Pour rappel, Laurence N’Dong est enseignante-chercheure, titulaire d’un doctorat en sciences de l’éducation obtenu en France et enseigne aussi la didactique dans une université française. Elle est aussi pasteur et vient de prouver son opportunisme. Invitée à ce sommet Russie Afrique, Laurence N’Dong se dit favorable à ce partenariat duquel l’Afrique pourrait tirer un profit, et aussi à la livraison d’armes russes aux armées africaines. Elle ferme subitement les yeux sur les nombreuses violations des droits de l’Homme par la Russie et déclare sa flamme pour la Russie au moment même où Poutine déclare soutenir Alpha Condé en Guinée pour un troisième mandat auquel il ne peut prétendre de par la constitution de son pays, la Guinée.

Enfin, Nathalie Yamb, qui fut une des vedettes du sommet Russie-Afrique. Cette Suisso-camerounaise, travaillait dans une compagnie de téléphonie à Abidjan. Elle est conseillère exécutive et amie de longue date de l’ancien président du parlement ivoirien (Mamadou Koulibaly). Réputée être une habituée des propos virulents à l’égard de la France sur les réseaux sociaux, elle fut particulièrement applaudie lors de ce sommet.

Ce nouveau panafricanisme entretenu par l’axe Poutine- Kemi Seba ne lutte certainement pas pour la souveraineté de l’Afrique, il doit être dénoncé par la jeunesse africaine.

Ne pas se tromper d’ennemi.

« Ceux qui exploitent l’Afrique, ce sont les mêmes qui exploitent l’Europe ». Ces propos du Capitaine Thomas Sankara doit interpeller la jeunesse africaine qui ne doit pas se tromper d’ennemi. L’ennemi c’est le système qui les exploite !

Accuser uniquement la France sans savoir qu’elle est plurielle (Gauche, droite, extrême droite, Outre-mer, métissage, sociale, intégration, Métropolitaine, Françafrique etc..), au profit d’une autre puissance à l’assaut de l’Afrique serait une erreur. Il existe aussi en France des entités et associations qui luttent pour la souveraineté et l’indépendance de l’Afrique. Le sous-développement était une réalité bien avant proclamation des indépendances africaines et continue de l’être. Il est aujourd’hui nécessaire de repenser le rapport entre les pays du Nord et ceux du Sud afin de permettre aux Africains d’évoluer convenablement en profitant au maximum de leurs matières premières. Ce qui devrait passer par la promotion de la démocratie et de la bonne gouvernance de leurs Etats.

Le système du capitalisme international ne favorise pas la signature des accords de partenariats gagnant-gagnant ainsi que le transfert des technologies. Ce qui maintient les Pays africains dans la dépendance parce qu’ils sont incapables de transformer leurs matières premières. Ce qui les met en position de faiblesse dans la signature de contrats d’exploitation de leurs ressources. Les Etats africains réalisent à l’issue de ces partenariats des bénéfices maigres qui ne permettent pas d’amorcer leur développement, sans même parler des détournements liés à un corruption généralisée.
On assiste par la suite, à l’implantation des sociétés multinationales puissantes qui exploitent les richesses des pays et la faiblesse de leurs gouvernements corrompus et peu soucieux de leur peuples, tout en ayant la capacité de bouleverser l’ordre politique et même la stabilité de ces pays africains.

Sur ce plan général, la Russie en quête de nouveaux marchés encourage ses entreprises à s’installer en Afrique. Elle ne change pas le système. Mieux, elle l’intègre.

Ainsi les entreprises russes privées ou publiques, qu’elles aient comme activité le secteur Gazier et pétrolier telles que Gazprom et Rosneft, l’extraction minière telle qu’Alrosa en matière de diamants, le nucléaire civil telle que Rosatom ou encore l’armement comme Rosoboronexport et Severstal pour l’acier, bénéficient toutes d’un large soutien des autorités publiques Russes, au nom des intérêts de la Russie.
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Nous disons non à ce panafricanisme dévoyé, empreint d’un mélange malsain de religion instrumentalisée, d’autoritarisme, de racialisme, et de complotisme. Entre verticale du pouvoir et instrumentalisation de la religion se cache un néo-libéralisme, probablement monnayé, qui favorise les inégalités entre les personnes et la fin de solidarités traditionnelles.

Le Parti de Gauche dénonce ce panafricanisme dévoyé du trio « Seba-N’Dong-Yamb » au service de la Russie et attire l’attention de la jeunesse africaine sur cette collusion malsaine entre mysticisme et conservatisme religieux et discours pseudo-progressiste. La Russie a bien entendu son rôle à jouer sur le terrain africain et le gouvernement français serait bien inspiré de le comprendre plutôt que de s’obstiner dans un refus vexatoire. Mieux vaudrait coopérer de façon ouverte et transparente plutôt que de laisser s’instaurer un complotisme dévastateur pour tous et pour les Africains en premier.

Le Parti de Gauche propose à l’Afrique de nouvelles formes d’émancipation différentes de celle octroyée au lendemain des indépendances, et tout aussi éloignées du souverainisme autoritaire russe, du système de prédation chinois que de néo-conservatisme américain, afin que nous puissions travailler ensemble à construire les voies d’un avenir émancipateur pour tou(te)s.

Oris Bonhoulou et Pierre Boutry

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