Déclaration de la Commission Afrique du Parti de gauche
Au moins 821 civils ont été tués depuis le début de l’année, la moitié des 4,5 millions de Centrafricains dépendent de l’aide humanitaire, le nombre de déplacés se chiffre à un demi-million sur une population de 4,5 millions d’habitants, le mandat de la Minusca (la force onusienne de 12.500 hommes censée protéger les civils) n’est pas rempli en raison d’un manque de ressources humaines et financières, telle est la situation catastrophique de la Centrafrique.
Le pays ne se remet pas du conflit démarré en 2013 avec le renversement du président Bozizé par les ex-Seleka, groupe armé majoritairement musulman, opposé aux anti-Balaka, à majorité chrétienne. Sangaris, l’opération militaire de la France entre 2013 et 2016, avait réduit les violences, mais elles ont repris depuis son départ. Le conflit atteint aujourd’hui le même niveau de violences qu’en décembre 2013 au plus fort des massacres de masse entre milices.
En effet, la situation sécuritaire est tout sauf stabilisée, quinze groupes armés (clairement identifiés) sont actuellement actifs dans le pays, la menace d’une partition entre l’Est (tenu par des ex-Séléka) et l’Ouest du pays demeure. Les tueries se multiplient pour des ressources naturelles, des zones d’influences ou des axes commerciaux. La colère et la désespérance gagnent certains camps de déplacés et de réfugiés (au Cameroun par exemple). Quant à la « réconciliation entre chrétiens et musulmans », elle n’est que dans tous les discours. La majeure partie du territoire (de 70 % à 80 %) échappe à tout contrôle gouvernemental – bien qu’on y ait quand même organisé des élections dites « libres ». Elle est mise en coupe réglée par des groupes armés n’ayant d’autre légitimité que la violence de leurs kalachnikovs. Des villages sont régulièrement pillés, par exemple début 2017 autour de Bambari, deuxième ville du pays, dont des factions de l’ex-Séléka et des anti-Balaka se disputent le contrôle. Des villes moyennes comme Bria sont détruites, sous le regard, bien souvent trop passif, des forces de la Minusca.
La pacification du pays passe prioritairement par une mise sous contrôle des zones extractives et par un véritable développement agricole basé sur une meilleure articulation entre agriculture et élevage.
Encore faudrait-il pour réussir ce retour à la paix que l’ONU adapte son mode de fonctionnement. Prenons l’exemple du DDR (Désarmement Démilitarisation et Réinsertion des combattants). Ce processus de « peace building » a, par le passé, fait la preuve de son inefficacité : frustrations des combattants face à la médiocrité des sommes reçues (quand elles le sont) ; encouragement des chefs de guerre et brigands à s’ériger en « Général » pour être de la distribution ; sentiment d’impunité, alors qu’aux yeux de tous, victimes comme miliciens, ces dispositifs s’apparentent à des primes de départ (temporaire, le plus souvent) pour pillards. Les instances onusiennes persistent pourtant dans ce dispositif, en espérant que peut-être cette fois, cela fonctionnera. Il est vrai que le coup d’envoi pour le projet pilote du plan de DDR vient seulement d’être donné en ce début septembre : 40 membres de chacun des 14 groupes armés vont commencer à bénéficier de formations pour leur réintégration !
Le second exemple des atermoiements de la « communauté internationale » tient aux modalités de l’appui à apporter aux populations. En RCA, où les trois phases habituelles : phase d’urgence, phase de relèvement, phase de développement coexistent, des territoires passent régulièrement de l’une à l’autre, au gré des exactions des groupes armés, et l’Etat est pour l’heure incapable de relayer les acteurs extérieurs. Cette complexité centrafricaine exige que le système humanitaire puisse faire preuve de flexibilité et de réactivité, parvienne à bien coordonner ses acteurs et ses bailleurs. Or les clusters regroupant tous les acteurs techniques (abris, sécurité alimentaire, éducation…) les ONG notamment, sous l’égide d’une agence onusienne fonctionnent peu et mal, beaucoup d’ONG se plaignant en particulier de l’attitude à la fois hégémonique et inefficace des personnels onusiens.
Enfin, la troisième difficulté est celle d’allonger les temporalités de financement et de maintenir un appui effectif lorsque l’on quitte le temps de l’urgence. Même une initiative innovante comme le fonds Bêkou, créé par l’Union européenne et qui visait à regrouper les financements de bailleurs publics ou même privés, décaissés plus rapidement, plus « intégrés » (c’est-à-dire moins spécialisés qu’à l’accoutumée) est un relatif échec. Les humanitaires dénoncent le fait que les provinces où rien ne se passe (où des villages ne sont pas détruits et des habitants massacrés) n’ont rien. Autre exemple, paradoxalement, l’afflux humanitaire a permis à certaines populations de (re)trouver un accès à des services de base, tels l’école, les soins primaires. Mais tout ceci n’est que temporaire. Qu’adviendra-t-il alors lorsque l’on décrétera la fin de la crise, mais que l’Etat n’aura pas encore les capacités à prendre le relais des humanitaires ? Le retour à l’urgence sanitaire permanente, très probablement.
La RCA est aujourd’hui, un pays qui est de fait sous tutelle onusienne, mais une tutelle dont on peine à identifier un véritable leadership (un rôle que ne souhaite plus à juste titre jouer la France, ancienne puissance coloniale) et de claires perspectives pour les prochaines années. On relève d’ailleurs en 2017 une restriction drastique des budgets de l’aide, européens comme internationaux. Les promesses de dons (2,4 milliards de dollars) faites au sommet de Bruxelles sur la RCA, en novembre 2016 peinent à se concrétiser. Pourtant l’Etat centrafricain demeure aujourd’hui incapable d’assumer la moindre de ses fonctions régaliennes sans appui de quelque bailleur extérieur, et peine à s’extraire des vieilles habitudes de prédation développées depuis des décennies par les pouvoirs successifs.
La situation des populations, même dans les zones stabilisées, s’améliore trop lentement. Cela crée une déception vis-à-vis du pouvoir de Bangui élu en 2016. Mais plus encore, cela induit une hostilité croissante vis-à-vis des Nations unies et des ONG internationales, une hostilité là encore parfois instrumentalisée par des politiciens locaux. La tentation du désengagement de la communauté internationale est donc lourde de menaces pour l’avenir du pays. Cette tentation reflète une incapacité du système onusien à s’adapter aux complexes réalités centrafricaines, à assumer les exigences d’une tutelle internationale de fait, et appelée à durer.
Les Nations unies semblent avoir conscience de cette situation puisqu’elles ne parlent plus de « déstabilisation généralisée » ou « d’embrasement » mais de « génocide ». « Les signes avant–coureurs sont là », a lancé le secrétaire général adjoint de l’ONU pour les affaires humanitaires, Stephen O’Brien. Lors d’une visite dans une église à Bangassou, dans le Sud, le responsable britannique s’était dit « horrifié » en découvrant la situation de 2000 Centrafricains musulmans réfugiés là depuis trois mois, encerclés par des combattants chrétiens qui menacent de les tuer. Cette utilisation abusive du terme « génocide » alors qu’il s’agit de violences qui se généralisent dans le pays, ne fait que renvoyer aux insuffisances de l’ONU qui ne fait pas grand-chose, à part se protéger.
Il est vrai que personne n’a intérêt à ce que ça change : le gouvernement n’est pas intéressé à la réconciliation nationale et ne semble pas s’inscrire dans une dynamique de construction d’une nation basée sur un vrai projet. Les présidents africains voisins restent inertes, sachant qu’ils n’ont pas vraiment intérêt à ce que la situation s’améliore en RCA (Déby surtout, mais aussi Sassou, Kabila,…). Le gouvernement français a d’autres préoccupations et en oublie de servir d’aiguillon pour que la communauté internationale s’active.
Le Conseil de sécurité des Nations unies doit donner à la Minusca la capacité de neutraliser les principaux fomenteurs d’instabilité en la dotant de forces spéciales réellement prêtes au combat et d’un appui aérien suffisant.
Parier sur la « résilience » des populations centrafricaines après des dizaines d’années de non- Etat est un leurre tant que la communauté internationale n’aura pas pris la mesure de sa responsabilité dans la nécessaire reconstruction de ce pays.
Le Parti de gauche condamne l’indifférence et l’inertie du gouvernement français face à cette situation dans un pays dont l’absence d’Etat et le non-développement résultent en grande partie d’un lourd historique colonial français.
Pierre Boutry