Le lundi 15 mai 2023, une projection-débat du film « Congo ! Le silence des crimes oubliés » a été organisée à Paris, au siège du parti de Gauche en présence du réalisateur Gilbert Balufu.
Ce film documentaire engagé rappelle que depuis le génocide rwandais et en raison de la volonté hégémonique de Kagamé, l’Est de la RDC est devenu une zone de non-droit et l’une des régions les plus dangereuses au monde ( convoitise des richesses minières avec la complicité des pays voisins mais aussi sous l’œil bienveillant de puissances occidentales, tueries et atrocités contre les populations civiles, viols, trafic de tout genre). La RDC étant dorénavant infiltrée dans son administration et son armée par le Rwanda.
Suite à la projection du film, la parole fut donnée à au réalisateur Gilbert Balufu, qui a pu répondre aux questions du public. Des sujets tels que le refus de la diffusion du film à l’auditorium de l’hôtel de ville de Paris le 11 mai, la difficulté de diffuser ce film primé au Fespaco en France alors qu’il est distribué partout ailleurs y compris aux USA, ainsi que les poursuites judiciaires à l’encontre de Thierry Michel accusé de plagiat, ont été abordés. Différents points de vue ont pu s’exprimer suite à cette projection.
L’essentiel des interventions et débat ont ensuite porté sur la proposition de « loi Tshiani », qui réserve l’accès à la magistrature suprême aux seuls Congolais de « souche », rappelant l’époque du désastreux concept d’Ivoirité en Côte d’Ivoire. Sont donnés ci-après les deux exposés prononcés sur ce projet de loi qui n’engagent que leurs auteurs. Est retranscrit à la suite une longue contribution sur le concept d’Ivoirité. Un débat a eu lieu ensuite permettant à différents points de vue favorables ou non à ce projet de loi de s’exprimer sachant qu’il est à ce stade trop tôt pour en tirer des conclusions.
Dimension historique de la proposition de loi Tshiani
Par Christophe MASAMBA
Président de l’association RIDEC
Je suis heureux que nous soyons réunis ce jour soir du 15 mai 2023 ici au siège du parti de gauche en France, pour parler de la loi Tshiani, après cette projection du Film « CONGO ! Le silence des crimes oubliés » qui nous met dans les conditions de mieux comprendre l’enjeu de la nationalité en République Démocratique du Congo.
Cette discussion fait suite à une demande du Parti de Gauche qui cherchait un éclairage sur les contours de cette proposition de loi qui est qualifiée par ses détracteurs de « Congolité », alors qu’elle propose simplement de définir le droit à l’accession à certains postes de responsabilité pour tous les Congolais quelle que soient leurs origines. Ce qui n’est pas une négation de nationalité, donc contrairement à « l’Ivoirité ».
De la même manière que des critères imposés à tous les Congolais pour entrer dans une équipe quelconque, il est légitime que par la loi, soient définies des conditions discriminantes. A part le fait d’être Congolais, actuellement il faut payer une caution non remboursable de 100.000 dollars pour déposer une candidature à la présidentielle.
Pour entrer dans ce sujet, j’ai choisi d’évoquer la dimension historique de l’existence de ce qui est aujourd’hui la RDC et de laisser à mon successeur sur cette tribune, le soin de développer sur la dimension politique et stratégique.
En 1879, l’explorateur Henry Morton Stanley pour le compte de Sa Majesté Léopold II se rendît au Congo. Sa mission : aider le roi à prendre possession de la colonie. En cinq ans, il fait signer plus de 400 traités à des chefs des tribus pour un protectorat avec l’Association Internationale du Congo présidée par le Roi Léopold II de Belgique. « Le mot “traité” était un euphémisme, car de nombreux chefs n’avaient aucune idée claire de ce qu’ils signaient. Rares étaient ceux qui avaient vu auparavant un mot écrit, et on leur demandait d’apposer un X sur un document en langue étrangère et rédigé dans le langage des juristes.
Ils ne pouvaient pas concevoir l’idée de céder par écrit leur terre à quelqu’un habitant de l’autre côté de l’océan. En échange d’ ”une pièce de tissu par mois pour chacun des chefs” ils promirent d’abandonner librement, tous les droits de souveraineté et de gouvernement de tous leurs territoires. Les morceaux d’étoffe de Stanley n’achetaient pas seulement la terre, mais aussi la main d’œuvre. Ces traités étaient signés par les chefferies qui possèdent chacune une terre, un nom de tribu correspondant à la langue parlée. Chacune de tribus de la RDC a un nom auquel il suffit d’ajouter un préfixe « Ki », pour trouver la langue correspondante.
On comprend donc que le Congo de Léopold II est une agrégation des tribus et ethnies pour former un « Etat »
Plusieurs étapes nous montrent l’évolution de cet Etat Congolais
- L’Association internationale du Congo,
- L’État indépendant du Congo(EIC),
- Le Congo Belge
- La République du Congo,
- La République Démocratique du Congo,
- La République du Zaïre puis
- La RDC d’aujourd’hui.
Bien sûr que nous n’allons ressasser toutes les étapes. Mais nous occuper que des éléments essentiels pour la compréhension du sujet qui nous intéresse aujourd’hui la loi Tshiani, Loi favorisée par les aventures et comportements du Rwanda et les populations d’origine rwandaises installés en RDC.
L’Association internationale du Congo (en agrégé AIC) est une association créée le 17 novembre 1879 par Léopold II, roi des Belges, à partir du Comité d’Études du Haut-Congo. L’association est dissoute en 1885 et ses structures ont été reprises par l’État indépendant du Congo.
L’État indépendant du Congo (EIC), dont le territoire correspond à celui de l’actuelle République démocratique du Congo, est un État d’Afrique centrale sur lequel le roi des Belges Léopold II exerça une souveraineté de fait de 1885 à 1908.
A l’époque de l’État indépendant du Congo (EIC), qui était une colonie internationale en réalité, tout capitaliste de l’occident avait le droit de s’y installer et y faire venir ses travailleurs. On y trouvait donc tous les africains arrivés pour le travail à savoir que la main d’œuvre africaine pour la construction de chemins de fer en est un exemple le plus parlant.
En 1908 le Congo Belge poursuivra dans la même voie ave des populations arrivant de toutes parts pour le travail.
Les congolais n’ont jamais été hostiles à l’hospitalité et l’assimilation.
Lorsque la Société des Nations confie à la Belgique en 1923 un mandat sur ce qui constituera plus tard le Rwanda et le Burundi et qu’en 1925, ces territoires sont rattachés administrativement au Congo belge dont ils deviennent alors la septième province tout en conservant un statut conforme au mandat, les populations rwandaises font leur entrée en masse pour le travail dans les sociétés minières et agricoles.
L’écrivain Ludo Martens a pu retracer les multiples vagues de peuples rwandophones venus pour des raisons de recrutement de travail au Congo belge dans son livre Kabila et la révolution congolaise : panafricanisme ou néocolonialisme ?
A la proclamation de l’indépendance, cette population continue à rester en RDC comme les autres aussi. Mais malheureusement le conflit interne rwandais va pousser les autres à y rester définitivement puisque successivement arrivent ensuite les réfugiés fuyant le premier régime rwandais après l’indépendance.
En 1969 c’est le HCR qui sollicite l’hospitalité de chefferies du KIVU pour installer sur leur terre les populations Tutsi ……
La nationalité des Banyarwanda a été marquée dans la législation congolaise par deux lois successives et contradictoires. Il s’agit, comme nous l’avons remarqué précédemment, de la loi n° 072 – 002 du 01 janvier 1972 qui avait reconnu la qualité des congolais à tous les Banyarwanda sans considération de l’époque de leur arrivée sur le sol de la République Démocratique du Congo. Sans doute c’est sous l’impulsion de BISENGIMANA qui était alors directeur du cabinet du président Mobutu. La deuxième législation est la loin° 81 – 002 du 19 janvier 1981 qui avait retiré la nationalité à ce groupe culturel sans le distinguer encore une fois.
De tous les africains d’origine étrangère établis en RDC, on ne s’empêche de remarquer que seule la communauté rwandaise et particulièrement tutsie qui pose problème et cela depuis la nomination de monsieur Barthélemy BISENGIMANA Rwema au poste de Directeur de cabinet du Président MOBUTU. Qui attribua la nationalité congolaise à tous les Rwandais de la RDC en 1972 et dans la même année attribuer à ces nouveaux naturalisés la gestion de 70% des entreprises zaïrianisées au nez et à la barbe de MOBUTU.
C’est le début de l’accaparement des terres tribales par ces nouveaux riches qui se servent des caisses des entreprises à leur charge, pour s’attribuer des grandes portions de terres appartenant à des tribus autochtones. Ce sera le début des conflits sur la terre dans le KIVU les gens venus du Rwanda.
On ne peut évoquer ce sujet sans parler du terme « Banyamulenge » une « étiquette » créée en 1976 par Isaac Fréderic Gisaro Muhoza pour besoins d’identité.
Il a été homme d’affaires en devenant Acquéreur par Zaïrianisation, de quatre entreprises de grande taille, dont plantation de quinquina et élevages de bovins. En tant que député national tutsi d’origine rwandaise élu du territoire d’Uvira. Il a popularisé ce terme « Banyamulenge » à partir de la fin des années 1960 afin de distinguer les Tutsi installés de longue date au Sud-Kivu, de ceux qui arriveront plus tard à partir des années 1960 comme réfugiés ou immigrés économiques.
Après la chute du Président MOBUTU et l’assassinat de Laurent Désiré KABILA, l’expérience de l’installation au sommet de la RDC des personnes agissantes pour le contrôle de tous les postes stratégiques (politiques, économique, social, appareils sécuritaire, armés) et pour un sabotage systématique de tous les secteurs vitaux du pays est gravé dans la mémoire de chaque congolais.
La compromission sans complexe de tout progrès de la RDC au seul bénéfice du Rwanda et des puissances extérieurs qui leur sont associées a conduit à rechercher des solutions pour protéger les postes par lesquels le pays peut reconstruire sa souveraineté.
Pour tout ce que je viens d’évoquer, la loi Tshiani est très attendue par la grande majorité de congolais qui ont compris qu’il faut commencer s’assurer de la fidélité et de la confiance des citoyen(e)s avant de leur confier des responsabilités.
Je vous remercie.
Dimension stratégique et politique de la Loi Tshiani
Une intervention de monsieur Turpin MASOLA Universitaire congolais.
La loi Tshiani est pour l’instant, n’est qu’une proposition de loi à l’Assemblée nationale. Déjà écartée en 2021, mais elle a été inscrit au programme de la session parlementaire entre mars et juin 2023.
Elle porte le nom de son initiateur, le professeur Noël Tshiani, un homme politique qui est préoccupé par le risque réel d’infiltration de « mercenaires » à la solde du Rwanda, au sommet de l’Etat congolais. De ce fait, la loi Tshiani réserve l’accès à la magistrature suprême aux seuls Congolais de souche, né de père et de mère Congolais.
Son but est de protéger les institutions de la République. Parmi elles :
- Le président de la République
- Le Premier ministre
- Le président du Sénat, dauphin constitutionnel, normalement soumis aux mêmes conditions d’éligibilité que celles du président de la République.
- Le président de l’assemblée nationale.
La loi Tshiani visé donc à protéger le Congo des « infiltrés » au service du Rwanda et non exclure des candidats à l’élection présidentielle.
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Sur Joseph Kabila
http://www.youtube.com/watch?v=sUV09lZoaGU
Sur le soutien de l’Union européenne au Rwanda contre la RDC.
http://www.youtube.com/watch?v=uorqLdAKYpU
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« Ivoirité » et fracture sociale en Côte d’Ivoire.
Par Oris BONHOULOU
Le thème qui fera l’objet de mon exposé portera sur « Ivoirité et la fracture sociale en Côte d’Ivoire ».
Le concept d’Ivoirité apparu en 1994 n’est pas un phénomène récent dans l’histoire de la Côte d’Ivoire. Il date même de l’ère coloniale, à l’époque de la lutte pour l’émancipation des peuples africains, point de départ de la montée du nationalisme en Afrique noire.
Ce concept visait, au début, à définir la nationalité ivoirienne dans un processus d’unification nationale. Il s’appuyait sur des notions culturelles et vise à promouvoir les cultures et la production nationale. En effet, le concept d’ivoirité apparaît pour la première fois en 1945 à Dakar, avec des étudiants ivoiriens. Il se manifeste par des appels à l’élan national via des spots publicitaires (radio, affichage public, télévision et journaux de presse) avec un slogan simple: « Consommons ivoirien ».
En 1974, il est repris par l’écrivain-poète Dieudonné Niangoran-Porquet dans un article intitulé « Ivoirité et authenticité» publié dans le quotidien Fraternité Matin, mais passa inaperçu à cette époque. Durant les années 80, le concept fut discuté dans des cercles universitaires jusqu’à la mort du président Félix Houphouët-Boigny, il annonçait les prémices d’une crise identitaire de grande ampleur.
Les prémices d’une crise identitaire latente à l’époque de Felix Houphouët-Boigny.
Au moment de la signature du décret de mars 1893 portant création de la Colonie de Côte d’Ivoire, le pays ne possédait pas encore sa superficie actuelle de 322.462km2. Car les frontières du territoire sont progressivement modifiées jusqu’en 1947.
A partir de 1899, l’actuel Nord de la Côte d’Ivoire fut occupé par les peuples islamisés des savanes et les Baoulés de Bouaké et Beoumi ayant des liens historiques avec ces peuples islamisés ; il est rattaché à la Colonie, par les autorités françaises.
En 1916, l’issue de la <<pacification>> brutale menée par le gouverneur Gabriel Angoulvant est jugée satisfaisante pour le colonisateur. Au total 63 ethnies (réparties en 4 grands ensembles) furent soumises aux colons. Elles constituaient le noyau originel des autochtones ivoiriens. D’où la célèbre expression de rue à Abidjan : « un vrai ivoirien est celui qui a un village en Côte-d’Ivoire ».
De 1932 à 1947, une bonne partie de la colonie de Haute Volte, actuel Burkina Faso fut momentanément rattaché à la Côte d’Ivoire. L’immigration est très vite favorisée par le colonisateur pour mettre cette riche Colonie de Côte d’Ivoire en valeur et pallier le manque d’effectif militaire et même de l’administration coloniale. Ainsi, la main-d’œuvre voltaïque (actuel Burkina Faso) et soudanaise (Mali), les tirailleurs venus de Dakar installés à Grand-Bassam, les Dahoméens et Togolais, étaient déjà nombreux et implantés dans le pays avant l’indépendance et des tensions existaient déjà avant l’indépendance du pays en 1960.
En octobre 1958, Houphouët-Boigny alors ministre d’état ministre de la Santé Publique et de la population dans le gouvernement français, et leader incontesté de la Côte d’Ivoire, doit faire face à un problème majeur : le problème des Dahoméens et Togolais en Côte d’Ivoire.
Pour rappel, en 1945, le conseil municipal de la ville d’Abidjan comprenait 8 Ivoiriens, 6 sénégalais, 2 Guinéens, 2 Dahoméens.
Les Dahoméens sont en réalité le peuple qui a été le plus réceptif à l’assimilation de la culture Française, par l’instruction. Ils étaient naturellement les Indigènes qui occupaient les postes administratifs auprès du Colonisateur.
En Côte d’Ivoire, un tiers des Commis de l’administration étaient des Dahoméens. Alors en 1958, une vague d’hostilité envers les Dahoméens se manifeste à Abidjan, du fait de la montée du chômage. Les contestations sont incitées par la ligue des originaires de Côte d’Ivoire (LOCI) d’un certain Pépé Paul.
Une fois les Républiques proclamées au sein de la Communauté Franco-africaine, les Ivoiriens, qui subissaient la crise du chômage dans leur pays, vont demander aux Dahoméens de quitter les postes confortables qu’ils occupent en Côte d’Ivoire. Pendant que la situation s’embrase, un appel au calme d’Houphouët-Boigny depuis Paris, ne change Rien. Les Dahoméens sont tous regroupés au niveau du port de Treichville. En octobre 1958, c’est sous le regard complice d’Houphouët-Boigny que 17 000 Dahoméens sont expulsés de Côte d’Ivoire.
A partir de l’indépendance, Houphouët-Boigny, premier président de la Côte d’Ivoire hérite donc de l’économie de plantation et la Côte d’Ivoire indépendante avait besoin de main d’œuvre étrangère. Ainsi, dans le souci de faire de la Côte d’Ivoire, la vitrine de la Sous-région, Félix Houphouët-Boigny eu recours à l’immigration.
Cette politique d’immigration fournira au pays les bras nécessaires au développement de l’agriculture, principale source de revenus. En effet, en 1965, la population africaine d’origine étrangère représentait le tiers de la population ivoirienne. D’après une statistique de l’Office de la main-d’œuvre de 1965, 65% des manœuvres en Côte d’Ivoire étaient des non Ivoiriens, ainsi que 77% des cadres (la plupart européens).
Ainsi, pour soutenir leur intégration, Houphouët-Boigny décide en 1966 d’octroyer la double nationalité aux ressortissants de l’AOF vivant en Côte d’Ivoire. Mais face à la colère et l’hostilité de la population, il a dû reculer. Ce projet de loi est finalement rejeté par l’Assemblée nationale.
Cette immigration ouverte, selon des critiques tel que Marcel Amondji a entrainé « une marginalisation des Ivoiriens par rapport au marché du travail dans leur propre pays n’a pas cependant enrayé le mouvement des ressortissants ouest-africains vers la Côte d’Ivoire ».
Les tensions persistent entre Ivoiriens et non Ivoiriens et en 1970, les autochtones commencent à se plaindre que leurs terres sont prises par les allochtones, à cause du slogan du président selon lequel « la terre appartient à celui qui la cultive>>.
C’est dans le but d’apaiser toutes ces tensions que le président Félix Houphouët-Boigny effectua deux reformes importantes qui allaient avoir des conséquences graves après sa mort. La première porte sur la modification du code de nationalité de 1961, jugé trop généreux. En effet, le code de nationalité est modifié en 1972 et le droit du sol est supprimé en Côte d’Ivoire. Le Code privilégie désormais le droit du sang sur le droit du sol. La seconde réforme concerne la politique d’Ivoirisation des cadres initiée par le président Félix Houphouët-Boigny.
L’ « Ivoirisation » : Un concept institutionnalisé sous la présidence Félix Houphouët-Boigny.
Initié par l’État, l’ « Ivoirisation » est définie comme étant « le processus qui sépare l’étranger de l’ Ivoirien. Il définit ses champs progressivement en fonction de la pression que le gouvernement subit de catégories sociales émergentes revendiquant le statut d’Ivoirien (citoyenneté) comme moyen de se faire une place d’abord dans la fonction publique ensuite dans les entreprises privées»
La première étape commence effectivement en 1978, avec la création du ministère du Travail et de l’Ivoirisation des cadres, poste confié au magistrat Albert Vanié Bi Tra, d’ethnie Gouro, peuple ancien de la forêt de l’Ouest.
Ce département a géré le départ progressif des coopérants français et autres travailleurs étrangers, ainsi que leur remplacement par des Ivoiriens, vu la pression que le gouvernement subissait des jeunes diplômés ivoiriens. Ces derniers étaient de plus en plus frustrés de voir des étrangers dans plusieurs secteurs de la fonction publique, notamment dans l’enseignement.
L’Ivoirisation s’étend ensuite au secteur des cadres du privé puis dans les entreprises formelles tant publiques que privées suivies par l’interdiction de recrutement d’étrangers.
Cependant, à partir de 1985, l’Ivoirisation vue par l’État cède la place à une version populaire qui emprunte les chemins de la xénophobie manifestée par les jeunes. En effet, la Côte d’Ivoire traversait une crise économique qui transforma la population: le chômage grandissant, la baisse du niveau de vie poussent les jeunes à se rebeller contre l’État. Les jeunes s’en prennent aux non Ivoiriens qui ont trouvé refuge en Côte d’Ivoire.
Cette « Ivoirisation » fait plus tard place à l’Ivoirité.
Au moment où le président Félix Houphouët-Boigny initie, voire institutionnalise l’Ivoirisation des cadres, plus de 10% de ses ministres sont d’origine étrangères, sans que cela puisse choquer l’opinion nationale, dans les années 60- 70. Parmi les plus célèbres figures de brillants hommes qui ont contribué au rayonnement de la Côte d’Ivoire. Mohamed Diawara, ministre du plan originaire du Mali, est considéré selon les archives comme étant le plus doué de sa génération. Abdoulaye Sawadogo, originaire du Burkina Faso, professeur de géographie à l’université d’Abidjan gère pendant 11 ans le ministère de l’agriculture, avec un grand succès. Cependant, dans une époque de l’Ivoirisation, ces ministres compétents sont remerciés et retirés du gouvernement dès 1977.
De 1982 à 1984, la Côte d’Ivoire rencontre sa première grande crise économique. Cette crise économique entraîne une sévère dégradation des conditions de vie des classes moyennes et des populations urbaines défavorisées. Selon la Banque Mondiale, la population vivant en deçà du seuil de pauvreté passe de II % en 1985 à 31 % en 1993. » Malgré la prise de certaines mesures telles que la réduction du nombre de coopérants français au profit de jeunes diplômés ivoiriens, le gouvernement ne parvient pas à endiguer la montée du chômage et la faillite de nombreuses entreprises. En mai 1987, la Côte d’Ivoire se déclare insolvable face à une dette de 4,5 milliards de francs et en juillet 1987 le pays reste dans une situation financière désastreuse.
Mais, enfin de règne, Houphouët-Boigny prépare la voie vers la démocratisation à travers quelques réformes. En mars, le gouvernement essaie l’application du plan d’austérité décidé en 1989 avec la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire international (FMI) prévoyant, notamment, la baisse des salaires du service public. Mais le plan est suspendu à la suite de manifestations à Abidjan. Ces manifestations donnent une voix au peuple ivoirien qui sera entendu à travers la proclamation du multipartisme en mai 1990.Les diverses catégories sociales s’agitent: l’armée se mutine (1990, 1992), les étudiants et le reste de la population manifestent dans les rues d’Abidjan avec des slogans, jusque-là inédits, tels que «Houphouët voleur» et «Houphouët corrompu ». En un mot, la jeunesse ivoirienne ne respecte plus un vieux président qui pourtant n’a eu que les honneurs dans sa vie. Le président aura recours au soutient des immigrés dès 1990.
L’utilisation des immigrés pour finir en beauté :
Dans une situation économique difficile, une grande question taraudait les esprits. Houphouët-Boigny finira t-il en beauté ?
Tout le long de son règne, Houphouët-Boigny a su s’allier la sympathie de son peuple du fait de sa légitimité historique. Mais, devant l’impuissance du «Vieux» à sortir la Côte d’Ivoire de la crise économique, son peuple se retourne contre lui.
Il ne peut empêcher l’augmentation des tensions xénophobes. Dans le but de préparer sa « sortie honorable », c’est à dire mourir au pouvoir, conformément à la tradition Akan, il utilise les immigrés vivant en Côte d’Ivoire comme bouclier, faisant de la Côte d’Ivoire, une << bombe tribale à retardement>>. En effet, depuis l’indépendance, les Immigrés africains vivant en Côte d’Ivoire, sans posséder la nationalité ivoirienne, jouissaient des droits du citoyen tout en étant, dans une situation de fait, bénéficiant de la seule protection de Félix Houphouët-Boigny, qui hélas pour eux n’était pas éternel.
En 1990, Pour la première fois, des élections pluralistes ont lieu et le peuple est appelé à faire son choix entre deux candidats à l’élection présidentielle : Houphouët-Boigny face à Laurent Gbagbo.
Le 10 octobre 1990, soit 18 jours avant le début du scrutin, une nouvelle loi est promulguée. Elle octroie le droit de vote à tous les étrangers d’Afrique subsaharienne, vivant en Côte d’Ivoire. Ce qui donne au président Houphouët, une avance du tiers du soutien populaire. Les immigrés offrent quasi-automatiquement leurs suffrages à Houphouët-Boigny, leur protecteur. Le 28 octobre 1990, les élections présidentielles proclament, pour la 7e fois consécutive, Félix Houphouët-Boigny vainqueur, avec plus de 80 % des suffrages.
Mécontent des résultats, le jeune opposant Laurent Gbagbo réclame la différenciation nette entre nationaux et étrangers émigrés, dans la mesure où ces derniers disposent pratiquement des mêmes droits civiques, politiques et sociaux que ces premiers, Gbagbo va même plus loin, en revendiquant une reconnaissance juridique des droits des nationaux sur la terre.
Un mois après son élection, Houphouët-Boigny nomme au poste de premier ministre un ancien responsable du Fond Monétaire International (FMI), Alassane Dramane Ouattara (ADO). Ce dernier ne parvient toutefois pas à changer la situation. La fracture sociale demeure et on observe plutôt un durcissement de la condition sociale.
En effet, durant la gouvernance de Ouattara, de nombreux avantages octroyés à la population leur sont retirés: la gratuité de transports des élèves et étudiants est supprimée, les bourses scolaires réduites. On assiste aussi à la privatisation de nombreuses entreprises et à l’instauration de la carte de séjour pour les immigrés. La distinction entre Ivoiriens et non Ivoiriens devenait de plus en plus évidente.
Entre temps, le Premier ministre Alassane Ouattara est accusé d’être de nationalité burkinabé. Parmi les gens de son âge, personne ne se souvient de lui durant la période de jeunesse (cursus scolaire et universitaire, fonction publique etc. ).
Le 7 décembre 1993, la mort de Félix Houphouët-Boigny est annoncée. Henri Konan Bedié, président de l’assemblée nationale et Alassane Ouattara Premier ministre, se disputent l’héritage.
Conformément à la Constitution, Henri konan Bedié dauphin constitutionnel s’installe au pouvoir, succédant à Felix Houphouët-Boigny.
De l’Ivoirisation à l’Ivoirité : La naissance d’une lutte fratricide entre les héritiers de Félix Houphouët-Boigny.
Le terme « Ivoirité » réapparaît avec Henri Konan Bédié en 1994 dans un contexte politique qui a déstabilisé la relative paix du temps d’Houphouët-Boigny.
Un comité pour l’étude du concept est mis sur pied. Il s’agit de la CURDIPHE (Cellule universitaire de recherche et de diffusion des idées et des actions du président Henri Konan Bedié).
Le concept avait comme objectif « de forger une culture commune pour tous ceux qui vivent sur le sol ivoirien, étrangers comme nationaux ».
Cette explication est toutefois difficile à comprendre vu l’ampleur de son utilisation dans le domaine politique utilisation politique qui sera contraire aux conclusions du CURDIPHE.
Bédié est accusé de l’utiliser à ses fins politiques pour s’opposer à Alassane Ouattara, leader du Rassemblement des républicains (RDR) mais aussi l’un des principaux prétendants à la succession du père de la nation Félix Houphouët-Boigny.
Accusé d’être de nationalité burkinabé, Alassane Dramane Ouattara est au centre du débat politique né autour du concept d’« Ivoirité» et se voit contester sa nationalité ivoirienne et, par conséquent, son éligibilité.
Bédié est accusé d’utiliser le concept à ses fins politiques pour s’opposer à Alassane Ouattara, leader du Rassemblement des républicains (RDR) mais aussi l’un des principaux prétendants à la succession du père de la nation Félix Houphouët-Boigny. D’origine « burkinabé» Alassane Dramane Ouattara est au centre du débat politique né autour du concept d’« Ivoirité» et se voit contester sa nationalité ivoirienne et, par conséquent, son éligibilité. La population est associée à cette opposition et milite pour leur leader respectif: des campagnes de presse mettent en cause la nationalité ivoirienne de Ouattara, exacerbant ainsi les inquiétudes des populations qui se sentaient de ce fait, elles-mêmes comme Ouattara, rejetées de la vie publique et politique.
Ce type de campagnes a donné au concept d’Ivoirité toute sa force négative, devenant ainsi « le support idéologique qui justifiait des actes et des propos xénophobes, des agressions contre les étrangers, la mise en doute de l’identité « authentiquement ivoirienne» des populations portant des patronymes malinké – patronymes considérés comme non spécifique aux Ivoiriens. À côté de cette vision culturaliste, les leaders politiques, ont exploité le concept de manière nationaliste, intransigeante et fréquemment xénophobe, au gré de leurs calculs et de leurs intérêts du moment.
En 1994, à un an de la présidentielle de 1995, un code électoral est promulgué. Son adoption entraîne des débats, des critiques, des marches et des sit-in des opposants et plonge le pays dans un climat de violence politique. En effet, pour une partie de l’opposition, ce code a été élaboré pour éliminer un adversaire politique, Alassane Dramane Ouattara (ADO). Le débat sur le vote des étrangers aux élections présidentielles de 1995 augmente le malaise des étrangers, surtout les Burkinabés (représentant plus de 20% de l’électorat, ils se trouvent au centre d’un enjeu politique important).
La grande marche du 4 mai 1995 à Abidjan n’empêche pas le maintien du code qui est suivi du «boycott» des élections de 1995 par l’opposition.
Au 10e congrès de son parti le 26 août 1995, Bédié définit le terme « Ivoirité » comme étant «un concept fédérateur, socle sur lequel repose la nation ivoirienne … [il] constitue d’abord un cadre d’identification mettant l’accent sur les valeurs spécifiques de la société ivoirienne mais est également un cadre d’intégration des premières composantes ethniques qui ont donné naissance à la Côte d’Ivoire ».
Cependant, en 1998, la loi sur le foncier rural est promulguée par Henri Konan Bedié. Elle stipule désormais que l’étranger ne peut plus être propriétaire des terres qui relèvent du domaine coutumier, mettant fin à l’époque d’Houphouët-Boigny à laquelle la terre appartient à celui qui la cultive.
Au recensement de 1998, la Côte d’Ivoire comptait 26% d’étrangers. La communauté étrangère, la plus importante est celle des Burkinabés (56% des étrangers) suivie des Maliens et des Guinéens. Simultanément les rumeurs affirment que les étrangers, les non Ivoiriens, représenteraient près de 40% de la population totale, ce qui est l’une des nombreuses inventions à visée xénophobe que des médias ivoiriens ont banalisées.
Alassane Ouattara revient à Abidjan le 31 juillet 1999, pour être candidat à l’élection présidentielle de 2000. Pour avoir montré sa carte nationale d’identité ivoirienne en plein meeting, les méthodes radicales sont employées. Accusé d’avoir usurpé la nationalité ivoirienne, un mandat d’arrêt international est lancé contre le leader du RDR, pour « faux, usage de faux et complicité ».
Au lendemain du discours de Bédié à la nation le 22 décembre 1999, la Côte d’Ivoire est au bord de l’explosion. Le 23 décembre, des soldats s’emparent du camp militaire d’Akouédo, et le 24 décembre, à moins d’un an des élections (prévu pour octobre 2000), le gouvernement d’Henri Konan Bédié est renversé par les troupes du général Robert Guéï. Un communiqué annonce la destitution du président Bédié et la mise sur pied d’un Comité national de salut public (CNSP). Les frustrations et rancœurs accumulées depuis le régime du président Félix Houphouët-Boigny ont ainsi pu bénéficier à la junte. Hommes, femmes, intellectuels, étudiants, tous ceux issus de communautés « étrangères » et qui se considéraient victimes de la politique de l’Ivoirité, célébrèrent les mutins
Cependant, contre toute attente, le général Guéï, prend position pour les partisans de l’Ivoirité.
Le 28 février 2000, il affirme dans le journal FPI Notre Voie que « l’Ivoirité est un bon concept, commençant progressivement ainsi à s’aligner avec Henri Konan Bédié et désormais Laurent Gbagbo et d’autres partisans du terme. Il revoit en ce concept la valorisation de l’identité nationale. Laurent Gbagbo quant à lui affirme être choqué de voir Ouattara candidater dans une élection présidentielle en Côte d’Ivoire. En septembre 2000, Alassane Ouattara est exclu du processus électoral pour « nationalité douteuse ».
La crise identitaire s’étend jusque dans l’armée. L’on assiste successivement à l’attaque de la résidence du général Guéï, l’accusation, l’arrestation et la torture de soldats originaires du Nord.
Parmi ces derniers figuraient des membres de la future rébellion de 2002 comme Cherif Ousmane, Ouattara Issiaka dit watts, Omar Diarassoubadit la grenade, et Souleymmane Diomandédit la grenade.
La genèse d’une Guerre civile.
Les candidats autorisés furent le général Robert Guéï, candidat indépendant annoncé favori, Laurent Gbagbo du FPI, Francis Wodié du PIT, Mel Théodore de L’UDCY et l’indépendant Nicolas Dioulo. Le taux de participation fut de 37 %. Durant la proclamation des résultats, le général Guéï, ayant minimisé le poids de Laurent Gbagbo, tente un coup de force. Il annonce la dissolution de la Commission nationale électorale et se proclame vainqueur avec 52,72 % des voix. Laurent Gbagbo appelle à une révolte populaire et bénéficie du soutien de la gendarmerie nationale. Après une journée agitée et sanglante, le général Robert Guéï quitte le pouvoir le 25 octobre 2000 et affirmera plus tard avoir été « roulé dans la farine ».
Après le départ du général Guéï, la CNE reprend le décompte du vote et Laurent Gbagbo est finalement proclamé vainqueur avec 59 % des voix. Le général Guéï s’étant retranché dans son village, la confrontation entre les anciens alliés du « front républicain » continue. Le RDR à son tour appelle ses militants à manifester et exige a reprise des élections le 26 octobre, pendant que Laurent Gbagbo, le nouveau président élu, prête serment. Dans un quartier d’Abidjan, une bagarre générale éclate dans une cour, entre des nordistes (Dioulas) et des éléments de la gendarmerie dépêchés dans les rues pour faire face aux manifestations. Dans cette rixe, un élément de la gendarmerie nationale est tué. Suite à cet incident, la situation dégénère et un charnier de 57 corps est finalement découvert à Yopougon. La confrontation FPI-RDR continue et, lors des élections législatives de 2000, les manifestations du RDR sont une fois de plus réprimées suite à l’invalidation de la candidature d’Alassane Ouattara aux législatives.
En réponse, les 7 et 8 janvier 2001, l’on assiste alors à une première tentative de coup d’État contre le régime de Laurent Gbagbo. Pour Judith Rueff, « des jeunes militaires dioulas tentent un coup de force qui échoue après plusieurs heures de combat »
Le gouvernement quant à lui, accuse les étrangers maliens, burkinabés et guinéens, plongeant la Côte d’Ivoire dans une véritable turbulence identitaire. Par la suite, une « politique d’identification sécurisée », initiée par le ministre de l’Intérieur Boga Doudou, verra le jour pour mettre définitivement fin à la fraude sur la nationalité afin d’exclure définitivement les étrangers du droit de vote. La rivalité FPI-RDR se durcit progressivement et le Forum pour la réconciliation nationale de 2001 ne changera rien.
Le 19 septembre 2002, une nouvelle tentative de coup d’État se transforme en rébellion armée. Des militaires originaires du Nord occupent désormais les villes de Bouaké et de Korhogo ainsi que toute la partie nord du pays. Lors de cette journée, le général Guéï, qui avait créé un parti politique (l’UDPCI) un an plus tôt, est finalement assassiné avec son épouse Rose Doudou. Le ministre de l’intérieur Boga Doudou initiateur de la politique d’identification sécurisée est aussi assassiné.
Les revendications de la rébellion sont très vite connues et dénonce le concept L’Ivoirité. Parmi elles :
- Le départ du président Laurent Gbagbo du pouvoir
- La distribution de la carte nationale d’identité à tous les Ivoiriens.
- Le droit de vote ainsi que la participation de tous les Ivoiriens au processus électoral.