Déclaration de la Commission Afrique du Parti de Gauche
Avec un peu de recul, cette déclaration a priori paradoxale mais en réalité emblématique faite par Macron à Ouagadougou fin novembre dernier mérite d’être analysée et remise en perspective.
Un discours superficiel, incantatoire et arrogant
Souvenons nous des épisodes précédents : en 2007, Sarkozy déclenchait un scandale avec son adresse à l’Afrique ou « discours de Dakar » (écrit par Henri Guaino), dans lequel il assurait que « le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire ». En 2012, toujours depuis Dakar, Hollande le promettait : « Le temps de ce qu’on appelait la Françafrique est révolu. » La suite de son mandat devait prouver que vieilles pratiques et vieux acteurs demeuraient trop souvent en place.
En 2017, Macron déclare devant les étudiants « Je ne vous parlerai pas de la politique africaine de la France parce qu’il n’y a pas de politique africaine de la France ».
Au mépris et à l’ignorance, succède l’arrogance.
Arrogance dans le ton employé : un professoral pour expliquer qu’il n’était pas là pour donner des leçons, tout en passant son temps à en donner, cherchant ainsi à exonérer les gouvernements français successifs de leur responsabilité dans la situation politique et économique de plusieurs pays d’Afrique francophone. Le ton est aussi méprisant lorsqu’en disant « il est parti réparer la clim », le jeune Président moqueur humilie le Président burkinabé démocratiquement élu. Par cette désinvolture, il montre qu’il ne s’intéresse pas aux dirigeants et aux réelles difficultés qui sont les leurs. Il fait dans la démagogie indiquant les pistes à suivre, tout en disant qu’il n’en fait pas, qu’il est jeune et différent des autres dirigeants français.
Arrogance dans la posture ; il ne suffit pas de citer Thomas Sankara et sa formule « Oser inventer l’avenir ». Il ne suffit pas de prétendre vouloir tourner le dos au passé, « les crimes de la colonisation européenne sont incontestables », mais « notre responsabilité n’est pas de s’enferrer dans le passé ».Il ne suffit pas de la jouer « nouvelle génération », « Je suis comme vous, d’une génération dont l’un des plus beaux souvenirs politiques est la victoire de Nelson Mandela. » comme si cela l’exonérait du passé.
Mais en quoi consiste cette non-politique ?
Plus de Françafrique, mais des relations d’État à État avec les 54 pays du continent. « L’Afrique n’est ni un encombrant passé ni un voisin comme les autres ; l’Afrique est gravée dans l’identité de la France », a-t-il aussi ajouté. Une fois passés les appels à prendre son destin en mains, à se battre pour le pluralisme et la démocratie, pour l’éducation, pour l’égalité femmes-hommes, passées les exhortations à combattre « l’obscurantisme religieux », à faire « barrage aux extrémismes », à s’investir dans la lutte contre le changement climatique, à mieux contrôler la démographie, il présente quelques modestes remèdes à l’Afrique, à savoir la culture, le sport et la langue française. Le décalage est impressionnant !
Car sur beaucoup de sujets de fond, Macron ne dit rien. Rien sur le régime répressif d’Eyadema au Togo, rien sur l’illégitimité de Bongo, rien sur la férocité de Deby pour ne prendre que trois exemples. Il n’a pas parlé non plus du franc CFA, qui est condamné à suivre les directives du Trésor français et qui empêche les économies africaines de prendre leur envol. Rien sur la coopération militaire avec des dictatures. Rien sur cette posture de prétendue neutralité vis-à-vis des dirigeants illégitimes qui s’accrochent au pouvoir. Rien sur l’absolue nécessité de porter attention à l’éducation et à la santé publique pour permettre un développement économique non excentré. Cette non-politique est en fait une politique du non-dit.
Macron préfère encore une fois se poser en régulateur du ventre des femmes ; déjà en juillet dernier, à Hambourg, il avait créé la polémique quand, interrogé sur l’Afrique, il avait estimé que « quand des pays ont encore aujourd’hui 7 à 8 enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien ». À Ouagadougou, son obsession l’a repris : « 70 % de jeunes, ça c’est l’Afrique, oui c’est une chance. Mais sept ou huit enfants par femme : êtes-vous bien sûrs que chaque fois c’est le choix des jeunes filles, c’est le choix des femmes ? Je veux que partout en Afrique, une jeune fille ne soit pas mariée à 13 ans ou 14 ans et commence à faire des enfants ». « Dès que des hommes au pouvoir se mêlent de dire combien d’enfants les femmes devraient ou ne devraient pas avoir, il devrait y avoir une sirène qui se met à hurler », lui avait répondu en juillet l’historienne Françoise Vergès. Cette obsession personnelle, qui se transforme en toute-puissance du « je veux », est d’une part moralement insupportable et d’autre part inélégant puisqu’il revient aux responsables africains et à eux seuls de résoudre au mieux la difficile équation démographie/ développement/culture.
Macron a certes rappelé son engagement à porter, d’ici à la fin de son mandat, le montant de cette aide au développement à « 0,55 % » du revenu national brut français, de « changer de méthode » pour la rendre plus efficace. Mais rien de plus. Cette aide s’égare bien souvent dans les tuyaux de la corruption ou est distribuée en échange de marchés publics pour quelques grands groupes français, quand elle ne l’est pas pour services politiques rendus. Qui plus est l’effectivité de cette augmentation reste à prouver au vu du constat d’une hausse minima de100 millions d’euros dans le budget 2018.
Macron a certes laissé tomber le vieux paternalisme et c’est tant mieux ! mais c’est au profit d’un libéralisme affiché : à vous de vous débrouiller ! Belle hypocrisie quand on sait la mainmise des oligopoles français sur l’économie de ces pays, l’extractivisme prédateur et destructeur de l’environnement, le carcan monétaire imposé, l’impérialisme sous-jacent dès qu’il s’agit de regagner du terrain comme c’est actuellement le cas en RDC.
La culture et l’histoire
Il s’est notamment engagé à déclassifier l’intégralité des documents français relatifs à l’assassinat de l’ancien président burkinabé Thomas Sankara. Il a annoncé la restitution « temporaire » ou « définitive » dans les cinq ans d’œuvres d’art africaines, soulignant qu’il ne pouvait « accepter » qu’elles demeurent en France ou ailleurs en Europe. Nous prenons bonne note de toutes ces promesses dont l’avenir nous dira qui elles engagent.
L’illusion du Conseil Présidentiel pour l’Afrique
Ce CPA a pour but d’« éclairer sa vision sur les enjeux franco-africains », « faire des propositions concrètes sur ces enjeux et suivre leur application », et enfin « être un lien permanent avec la jeunesse, la société civile, les entrepreneurs et les femmes » en Afrique. On nous dit qu’il a ainsi contribué à la conception du discours : allongement de la durée des visas pour les étudiants africains diplômés en France, création d’un fonds d’investissement d’un milliard d’euros pour soutenir les PME africaines, lancement d’une « saison des cultures africaines » en France en 2020…C’est bien pour l’habillage mais ça ne concerne pas l’essentiel de ce qui serait une politique africaine… si du moins il y en avait une !
Offense à la francophonie
Lors de son déplacement à Ouagadougou puis à Abidjan, Macron était accompagné de sa représentante « personnelle » pour la Francophonie, Leïla Slimani. Car Macron ne peut concevoir la francophonie que s’il la contrôle et pour la contrôler il la privatise : il voudrait même privatiser la langue française comme si le développement de cette dernière n’était surtout le fait des pays autres que la France. Remercions ici Alain Mabanckou de ne pas tomber dans ce piège. Il ne s’agit en aucun cas de faire ici l’éloge de la francophonie officielle paralysée qu’elle est par les trop nombreux despotes qui la détournent de son sens, mais de pointer encore une fois le mépris et l’inversion des priorités de cette non-politique.
L’impensé de cette non-politique
Cet impensé concerne à la fois l’enlisement militaire de la France dans la guerre contre le terrorisme au Sahel et la politique migratoire française. Presque cinq ans après le déclenchement des opérations Serval au Mali, impuissance militaire et inertie politique se conjuguent et la paix demeure introuvable. L’objectif est de passer le relais « aux organisations régionales ». Le problème est que ces dernières ne sont pas prêtes et que les processus politiques sont en panne.
Si le but de Macron et de Le Drian est de mettre progressivement en avant la diplomatie économique, la priorité devrait être d’’en créer les conditions. Nous leur suggérons par exemple de s’engager sur la qualité des processus électoraux de manière ferme et en collaboration avec l’Ue. Car il n’y a pas de paix possible sans réelle démocratie et les gouvernements français successifs devraient comprendre que l’objectif numéro 1 d’une « politique africaine » est bien de faciliter l’instauration de l’Etat de droit et la démocratie, faute de quoi combattre l’obscurantisme risque de ne pas avoir de fin.
Quant à la politique migratoire française, Macron a de nouveau dénoncé comme « un crime contre l’humanité » le scandale de la traite des migrants subsahariens en Libye, revendus comme esclaves. « C’est une tragédie que nous avons laissée prospérer », a-t-il reconnu. Et de promettre une « initiative euro-africaine » pour démanteler les réseaux terroristes, de trafics d’armes et d’êtres humains. Et d’annoncer « un soutien massif à l’évacuation des personnes en danger en Libye ». Mais Macron n’entend nullement revoir sa coopération avec les autorités libyennes et les financements mis en place. Macron s’en tient à une gestion autoritaire de la mobilité qui exclut et fabrique du racisme. Une vraie politique de co-développement et de construction d’une vraie gouvernance mondiale des migrations serait pourtant un travail urgent à entreprendre.
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Le Parti de Gauche dénonce le caractère insuffisant et inadapté aux réalités africaines de ce discours en surplomb.
Le Parti de Gauche réaffirme l’absolue nécessité d’une politique africaine de la France privilégiant la fin des dictatures et l’instauration de démocraties souveraines ainsi que la co-construction d’un développement équilibré respectueux des cultures et de l’environnement.
Vive la révolution citoyenne et souveraine africaine !
Vive l’éco-socialisme et la paix dans le monde !