Déclaration de la Commission Afrique du Parti de Gauche
Les forces de sécurité congolaises ont dispersé dimanche 31 décembre 2017 une marche organisée dans plusieurs villes de la RDC par une « coordination laïque » proche de l’église catholique exigeant le respect de l’accord parrainé fin décembre 2016 par l’épiscopat entre majorité et opposition et prévoyant des élections en décembre 2017 pour organiser la succession du président Kabila, dont le dernier mandat a pris fin le 20 décembre 2016.
La nonciature apostolique a confirmé dans une note le bilan d’au moins cinq morts dont « un fidèle catholique », ainsi que six prêtres arrêtés dimanche. La nonciature a aussi dénombré cinq paroisses où des messes ont été interrompues, et 18 dont les clôtures ont été envahies par les forces de sécurité, sur environ 160 à Kinshasa. Le nombre de morts est probablement plus élevé étant donné l’habitude qu’a le régime aux 80 fosses communes de dissimuler les cadavres des victimes de la répression.
C’est la première fois que ce régime aux abois mais conforté par son protecteur français s’en prend ainsi à des fidèles exprimant leur mécontentement face à une situation politique, et économique fortement dégradée. Comme si un malheur ne pouvait survenir seul, les inondations, habituelles à Kinshasa en cette saison, sont rendues encore plus meurtrières par l’incurie administrative et la corruption à tous les étages de la Ville de Kinshasa qui laisse se construire une Cité du fleuve pour les riches en étranglant un peu plus la circulation des eaux du fleuve, tout en transformant les quartiers populaires en véritables décharges à ciel ouvert par négligence dans le ramassage des ordures.
C’est mercredi matin seulement que l’Union européenne a réagi par une déclaration du porte-parole de la cheffe de la diplomatie de l’Union européenne, Frederica Mogherini, qui note la “grave atteinte à la liberté d’expression”, condamne “les arrestations arbitraires” et appelle à “la libération immédiate des détenus”, ajoutant que “les autorités congolaises ont le devoir de protéger leurs citoyens et non de les réprimer”. Un texte qui semble en deçà des conclusions du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’UE du 11 décembre, qui rappelait notamment aux autorités politiques et policières congolaises “que leur responsabilité individuelle est engagée en cas de graves violations des droits de l’homme (…) d’action ou de déclaration qui constituent des entraves à la mise en œuvre de l’Accord de la St-Sylvestre 2016.
Ce retard serait imputable à deux pays membres, la France et l’Espagne, ayant des intérêts industriels au Congo, qui se sont opposés à une déclaration commune des ambassadeurs de l’UE à Kinshasa ainsi qu’à un texte plus engageant.
L’Espagne et la France ont effectivement des intérêts au Congo. Le consortium espagnol ProInga a ainsi été invité par Kinshasa à déposer une offre commune, avec les Chinois des Trois Gorges, pour construire le méga-barrage d’Inga 3. Quant à la France, dès l’arrivée au pouvoir de Macron, ses émissaires à Lubumbashi Franck Paris et Rémi Maréchaux ont engagé des discussions avec l’entourage de Kabila sur l’intensification des intérêts économiques des entreprises françaises en RDC, notamment dans les secteurs miniers, des hydrocarbures et des télécommunications. Le premier signe positif de ce deal d’intérêts était la reprise du signal de RFI durant une période où les médias et les réseaux sociaux subissent de plein fouet la censure et les atteintes graves aux libertés de presse du régime congolais. Des résultats se sont rapidement concrétisés en téléphonie, matériel électoral, matériel de communications cryptés mais l’enjeu majeur de ce partenariat stratégique concerne l’expansion des activités du Groupe Total en RDC, où le Groupe est présent depuis les années 2000 dans la distribution et depuis 2011 dans l’exploration. Il s’agit particulièrement de la prolongation de la licence d’exploration du pétrole du site pétrolier Bloc III Graben Albertine situé à la plaine du Lac Albert dans la nouvelle province de l’Ituri, censée expirer initialement en janvier 2018. Mais Total ne compte pas en rester là, il veut étendre son domaine d’exploitation au-delà de la rivière de Semuliki et du poste frontière de Burasi. Alors que Total a investi 3,5 milliards de dollars US en Ouganda dans la construction d’un pipe-line, il serait tellement préférable que la majorité des blocs pétroliers du Grabben congolais ne soient pas attribués à d’autres firmes qui seraient tentées de construire leurs propres pipe-lines du côté congolais.
Mais Macron ne s’en tient pas à ce développement économique dont on peut espérer qu’il est profitable aux uns et aux autres. L’essentiel est bien un renforcement de la coopération sécuritaire bilatérale entre les deux pays. La France semble vouloir s’imposer, profitant des errements de la politique américaine de Trump, comme le plus grand soutien occidental du régime de Joseph Kabila sur le plan sécuritaire. On peut citer la formation, en France, de gendarmes aux techniques de maintien de l’ordre et d’agents de renseignements congolais aux techniques d’espionnage et d’opérations d’infiltrations des milieux hostiles du régime de Kabila et de filature des personnes dérangeantes du régime, le renforcement de la marine congolaise et des réseaux de surveillance électronique, la formation à la stratégie militaire à Kinshasa etc…
Le régime Kabila, illégitime depuis le 19 décembre 2016, et fragilisé par les évolutions en Angola, en Afrique du Sud, au Zimbabwe, où les vieux crocodiles sont dégagés, tente de survivre en exploitant le dysfonctionnement de la communauté internationale, incapable d’adopter des mesures coercitives fermes contre ses entraves aux droits humains et son obsession à se maintenir au pouvoir par le recours disproportionné à la force.
Nous dénonçons la posture éhontée de la France vis-à-vis du peuple congolais qui aspire à une alternance démocratique sans Joseph Kabila. Mue par les intérêts économiques, certes à court terme, la nouvelle cellule africaine de Macron est décidée de donner, à contre-courant, comme sous Mobutu et sous Blaise Compaoré, un nouveau souffle de vie à un régime oppressif et autocratique dépourvu de toute légitimité et légalité. Ce, aux mépris des valeurs traditionnelles de démocratie, des droits de l’homme et de l’Etat de droit véhiculé par la France à travers le monde.
Autant Hollande ambitionnait d’enterrer la Françafrique, qu’il a vite déchanté avec la realpolitik africaine au Mali, le poussant à dealer avec le dictateur sanguinaire Deby et autres. De même, Macron, qui dit ne nourrir aucun complexe dans ses rapports avec l’Afrique, se lance sans état d’esprit à remodeler la Françafrique en fonction des réalités géostratégiques du moment en soutenant l’une des pires dictatures africaines du moment.
Le Parti de Gauche exprime sa solidarité aux victimes de la répression politique du régime Kabila et aux victimes des inondations c’est-à-dire de l’incurie administrative de la Ville de Kinshasa.
Le Parti de Gauche dénonce le retour d’une Françafrique impériale, affairiste et cynique, manoeuvrant dans l’ombre et dans le dos du peuple congolais.
Le Parti de Gauche dénonce le soutien éhonté et inespéré apporté par le gouvernement français au régime Kabila en perdition; ce n’est pas en tendant la main aux dictateurs que la France peut tenir sa place dans le monde.
Le Parti de Gauche demande en conséquence au gouvernement Français de rompre sa coopération avec le régime dictatorial de Kabila au regard des crimes contre l’humanité que celui-ci ne cesse commettre vis à vis du peuple Congolais.
Pierre Boutry
Responsable de la Commission Afrique du Parti de Gauche