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Assises de l’écosocialisme – Visio-conférence « Afrique : pour une agriculture écologique garantissant la sécurité alimentaire des populations : Quelles politiques publiques ? Quelles coopérations et accords internationaux ? » Intervention de Laurent Levard

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Assises de l’écosocialisme – Visio-conférence « Afrique : pour une agriculture écologique garantissant la sécurité alimentaire des populations : Quelles politiques publiques ? Quelles coopérations et accords internationaux ?

Vendredi 2 avril 2021

Intervention de Laurent Levard

En Afrique sub-saharienne, l’agriculture est à la croisée d’enjeux économiques, sociaux et écologiques essentiels pour les différents pays et leurs populations. Je me baserai plus particulièrement sur la situation de l’Afrique de l’Ouest, même si nombre de remarques peuvent s’appliquer aux autres pays de l’Afrique sub-saharienne, avec toutefois l’Afrique du Sud qui présente des caractéristiques particulières.

Enjeu tout d’abord en termes de sécurité alimentaire. En Afrique de l’Ouest, la population devrait pratiquement doubler d’ici 2050. Aujourd’hui la région produit la plupart de sa consommation alimentaire. Par exemple le taux d’autosuffisance atteint 92% pour l’ensemble céréales et produits amylacées. Cependant, le taux est parfois plus faible, et de plus en régression, c’est le cas par exemple avec les produits laitiers où ce taux n’est que de 61%, contre 68% au début des années 2000. Ceci étant, une part significative de la population souffre d’insécurité alimentaire. Paradoxalement, mais très significativement –et j’y reviendrai- c’est en milieu rural et au sein de la population agricole que les taux d’insécurité alimentaire et nutritionnelle sont les plus élevés. Quoiqu’il en soit, une question essentielle est celle de savoir d’où viendront les produits alimentaires supplémentaires qu’impliquera le doublement de la population d’ici 2050 ? Qui va produire cette alimentation : l’agriculture régionale ou bien ce seront des importations ?  Ainsi, l’enjeu de la croissance de la production agricole et alimentaire constitue un enjeu pour la sécurité de long terme des approvisionnements alimentaires. En effet, considérer que d’ici 20 ans, 30 ans, avec toutes les incertitudes que l’on connait au niveau mondial, notamment du fait du changement climatique, il serait extrêmement risqué de considérer que la région continuera à pouvoir trouver sur le marché mondial toute l’alimentation dont elle aura besoin à bas prix, et qu’elle n’aura aucune difficulté pour la payer. On a bien vue avec la flambée des prix agricoles mondiaux de 2007-2008 la vulnérabilité de tous les pays qui avaient négligé leur agriculture pour dépendre du marché mondial. Accroître la production agricole, mais également développer l’ensemble des filières locales, nationales et régionales de commercialisation et transformation et de distribution des produits alimentaires qui en sont issus, constitue un enjeu essentiel. Il s’agit notamment de garantir à la population urbaine en pleine croissance une alimentation saine, nutritive. A l’opposé, l’augmentation des importations de produits alimentaires est susceptible de générer une dépendance alimentaire accrue et une évolution des habitudes alimentaires au profit de produits importés. C’est notamment le cas chez les jeunes dans les villes. Une telle situation pourrait donc créer une difficulté structurelle à sortir de la dépendance alimentaire, comme c’est d’ailleurs le cas sur certains produits importés que les jeunes urbains s’habituent à consommer.

L’enjeu de l’agriculture est également un enjeu économique et social en termes de génération de richesses et donc de distribution de revenus, et donc du point de vue du développement social et des conditions de vie de la population rurale. C’est le cas bien entendu pour les agriculteurs eux-mêmes, sachant qu’environ 50% de la population est agricole, y compris les éleveurs. Mais, le développement de la production agricole est aussi à la source de création de richesses dans les filières de transformation. L’enjeu est également en termes d’emplois. Permettre au plus grand nombre d’enfants d’agriculteurs, même si ce n’est pas la totalité, de poursuivre leur activité agricole dans des conditions de travail et de vie dignes est un enjeu essentiel, car il est illusoire de penser que les autres secteurs d’activités, industrie et services, seraient en mesure d’absorber une majorité des jeunes issus de l’agriculture, comme le suggèrent de façon irresponsable les promoteurs d’une réduction massive de la population agricole. Par exemple la Banque Africaine de Développement prône d’accélérer le transfert de main d’œuvre du secteur moins rémunérateur qu’est l’agriculture vers des secteurs économiques plus rémunérateurs.

L’enjeu de l’agriculture est également écologique avec un double phénomène : d’un côté, l’agriculture est fragilisée par la crise écologique : érosion des sols, pertes de biodiversité, changement climatique, etc., et la crise de l’agriculture paysanne africaine est dans une large mesure la résultante de la crise écologique. De l’autre côté, la crise de l’agriculture paysanne génère des pratiques agricoles qui accroissent la crise écologique : déforestation, appauvrissement des sols, etc. De plus, les pratiques de l’agriculture chimique issue de la révolution verte contaminent l’environnement et affectent la santé des population. Et bien sûr, la crise écologique est aussi très souvent le résultat d’une agriculture capitaliste qui, dans certains pays, se déploie à grande échelle.

Or, l’agriculture paysanne africaine est bien souvent en crise, qui est donc à la fois une crise sociale, écologique et une menace pour la sécurité alimentaire de long terme du continent. Tout d’abord, elle est souvent confrontée à des accaparements massifs de terres agricoles de la part d’entreprises étrangères, mais aussi d’acteurs nationaux. Par ailleurs, on assiste à une relative stagnation de la productivité du travail agricole. En effet, s’il y a eu au cours des vingt dernières années une forte croissance de la production agricole en Afrique de l’Ouest, cela est essentiellement dû à la croissance des surfaces (qui s’accompagne souvent de la destruction irrémédiable d’écosystèmes précieux pour la région) et non à l’augmentation des rendements, alors que, dans le même temps, la surface par actif tend à diminuer du fait de la croissance démographique. La stagnation des rendements révèle les limites de la Révolution verte, souvent inadaptée à la réalité de l’agriculture ouest-africaine. Elle révèle la nécessité d’une nouvelle révolution agricole basée sur les principes de l’agroécologie en vue notamment de rétablir la fertilité des sols et la restauration d’écosystèmes dégradés.

D’une façon générale, on constate une sous-rémunération structurelle du travail agricole, ce qui n’est d’ailleurs pas une spécificité de la région, mais qui y apparait particulièrement grave dans un contexte de faiblesse globale des revenus nationaux. Ainsi, alors que l’agriculture occupe 50% de la population active de la région, elle ne contribue qu’à hauteur de 21% au PIB, c’est-à-dire, en gros que seulement 21% du revenu national revient aux agriculteurs. Ceci signifie que les autres secteurs d’activité, industrie et services, qui occupent l’autre moitié de la population active, génèrent et distribuent 79% du revenu national. Ainsi, la moitié de la population, soit la population agricole, perçoit nettement moins de revenus que l’autre moitié. C’est d’ailleurs dans le monde rural que les taux de pauvreté et d’insécurité alimentaire sont les plus élevés. Cette situation est à l’origine d’un important exode rural et d’un accroissement de la population urbaine, alors que l’industrie et les services ne fournissent pas assez d’emplois productifs et bien rémunérés pour capter cet excédent de force de travail d’origine agricole.

La stagnation, voire le déclin de la productivité du travail agricole est un facteur explicatif de cette situation. Mais, un autre élément déterminant de la sous-rémunération structurelle du travail agricole est le bas niveau des prix agricoles, du bas niveau relatif de ces prix par rapport aux autres biens. Même s’il existe une certaine protection commerciale (droits de douane), les prix agricoles restent très liés aux prix mondiaux. En effet, la plupart des produits agricoles produits dans la région et destinés au marché régional sont concurrencés par des importations à bas prix de produits identiques, similaires, ou simplement substituables, qui sont donc importés au niveau du prix mondial. Les importations de blé concurrencent les céréales et tubercules produits dans la région. Les importations de poudre de lait concurrencent le lait frais produit par les éleveurs. Le fonctionnement des marchés fait que, pour rester compétitifs, les prix des produits locaux doivent s’aligner sur le prix des importations. Or le prix des importations dépend avant tout des conditions de productivité dans les régions les plus productives du monde qui exportent leurs excédents sur les marchés mondiaux, et ce niveau est encore affaibli par les subventions apportées aux agriculteurs dans un certain nombre de pays riches et notamment dans l’Union européenne. Pour abaisser encore le prix de la poudre de lait, les industriels européens enlèvent la matière grasse du lait pour en faire du beurre et le vendre à un prix très intéressant sur le marché mondial, ils mélangent le lait écrémé à de l’huile de palme issue de la déforestation des forêts asiatiques et qui coûte huit fois moins cher que le beurre, et en font une poudre qu’ils peuvent exporter à un prix 30% plus faible que le prix de la véritable poudre de lait. Les Accords de Partenariat Economique entre les pays africains et l’Union européenne ne peuvent qu’accentuer cette pression à la baisse sur les prix agricoles.

A noter que la façon dont les pays ouest-africains soumettent leur paysannerie aux prix mondiaux n’est pas une fatalité : en Afrique de l’Est, par exemple, la Communauté de l’Afrique de l’Est a des droits de douane élevés de 60% pour divers produits susceptibles de concurrencer la production vivrière de la région.  Ainsi, avec des politiques agricoles pro-actives et une véritable protection du marché intérieur face aux importations laitières, la région a réussi à développer sa production laitière, à tel point que la région est aujourd’hui excédentaire, outre le fait que la consommation intérieure a augmenté, ce qui est un élément important pour faire reculer la malnutrition.

 

Dans ces conditions, la protection et le soutien à l’agriculture paysanne constituent une exigence pour les pays de la région, pour des raisons liées à la sécurité alimentaire, au développement économique et social et à la nécessité de sauvegarder le caractère vivable des écosystèmes. Cela doit s’intégrer dans un soutien au développement de filières de transformation de produits agricoles dans le cadre de systèmes alimentaires territorialisés.

Il s’agit tout d’abord de protéger les populations paysannes contre les accaparements de terre.

Il s’agit ensuite de créer les conditions pour que les paysanneries aient intérêt et puissent s’engager dans une nouvelle révolution agricole basée sur l’agroécologie. Quelques mots sur ce point. J’ai mentionné à quel point les sols agricoles et les écosystèmes étaient dégradés, avec des rendements agricoles qui sont bien souvent inférieurs à dix quintaux de céréales à l’hectare, voire inférieurs à 5 quintaux, alors que sur les mêmes sols les rendements d’il y a vingt ou trente ans pouvaient être le double ou davantage. Dans ces conditions de crise écologique, les solutions traditionnelles de la révolution verte –engrais chimiques et pesticides, semences dites améliorées-, ne peuvent apporter de résultats satisfaisants et durables, outre le fait qu’elles peuvent elles-mêmes accentuer la crise écologique et contaminer l’environnement et les humains.  L’enjeu est de reconstruire des écosystèmes productifs, sur la base des principes de l’agroécologie, avec notamment une forte intégration entre agriculture et élevage, l’agroforesterie et des pratiques de protection des sols et de l’eau. Une telle révolution agricole implique de garantir une sécurité foncière aux paysans et de leurs donner les moyens de ces investissements qu’impliquent l’agroécologie. Mais elle implique aussi une revalorisation des produits agricoles et donc de relever le niveau des prix agricoles et de protéger les marchés régionaux des bas prix du marché mondial. Ceci peut être fait au moyen de droits de douane, mais encore davantage au moyen de droits de douane variables en fonction des prix mondiaux. De tels prélèvements variables, qui ont été appliqué par la Communauté européenne pendant près de quarante ans dans les années 60 à 90, permet également de se protéger de la volatilité des prix mondiaux. Bien sûr, cela implique de remettre en cause un certain nombre d’engagements pris dans le cadre de l’OMC, ainsi que les Accords de Partenariat Economique.

La France et l’Europe peuvent appuyer les pays de l’Afrique sub-saharienne pour la réalisation de cette nouvelle révolution agroécologique, pour la préservation de leurs écosystèmes et pour la construction de systèmes alimentaires territorialisés garantissant une juste répartition des revenus, notamment au bénéfice de la paysannerie et des petites et moyennes entreprises de transformation de produits agricoles.

En matière de coopération internationale dans le domaine agricole, ceci implique de concentrer les appuis sur ces objectifs. Il faut se féliciter que la France depuis plusieurs années a fait officiellement de l’agroécologie une priorité, tant au niveau national qu’international, même si tout le monde ne met pas exactement la même réalité derrière le terme agroécologie. C’est le cas notamment depuis l’adoption d’une part de la Loi pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt de 2014 et d’autre part la Loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité de 2014 également. C’est le cas au niveau de la FAO et du Conseil de la Sécurité Alimentaire qui lui est rattaché où la France se fait le champion de l’agroécologie. Cependant, entre le discours  et la réalité des actions, il y a une marge. Dans une étude parue récemment, les ONG Action contre la Faim, CCFD Terre solidaire et Oxfam France ont ainsi montré, que, en additionnant toutes les formes de financement public de la France concernant l’agriculture dans les pays du Sud, seuls 13% des financements identifiés étaient clairement destinés au développement de l’agroécologie, 24% pouvant potentiellement y contribuer, alors que 24% étaient clairement destinés à des projets non agroécologiques, c’est-à-dire à des projets favorisant le développement d’une agriculture industrielle et de systèmes alimentaires non durables et bénéficiant essentiellement à de grandes entreprises. Par ailleurs, pour 39% des financements, il n’a pas été possible de trancher, bien souvent car l’information mise à disposition par les institutions publiques apparait insuffisante pour apprécier le contenu des interventions. Ceci relève soit dit en passant un flagrant manque de transparence de certains Ministères et de certaines institutions quant à la nature de leurs actions. Notons que si, l’Agence Française de Développement a sensiblement accru ses interventions en faveur de l’agroécologie, le groupe Proparco qui dépend du groupe AFD finance en très grande majorité des actions non agroécologiques et c’est le cas de la totalité des interventions de Bpi Assurance Export qui apporte des garanties à l’export aux grandes entreprises françaises. Et cette étude n’inclut pas Business France qui appuie les entreprises françaises à l’exportation.

Ainsi, apparait clairement une double facette du gouvernement français, avec d’un côté un discours en faveur de l’agroécologie, en référence aux objectifs du développement durable, au changement climatique, à la lutte contre la pauvreté, à l’agriculture familiale, etc. et d’autre part un appui à de grandes entreprises agricoles à salariés, ou à des entreprises multinationales françaises qui y exportent des produits alimentaires ou s’installent dans les pays du Sud pour y importer des produits agricoles alimentaires français, que ce soient des matières premières de l’industrie, ou des produits de consommation. Le concept de « diplomatie économique » illustre cette volonté de s’appuyer sur les réseaux diplomatiques pour y défendre les intérêts des grandes entreprises françaises, même si leurs stratégies sont fondamentalement opposés au types d’agriculture et de systèmes alimentaires répondant aux enjeux des pays africains.

A cela s’ajoute l’incohérence de diverses politiques européennes par rapport aux objectif d’appui au développement. Il faut notamment mentionner la politique commerciale et tout particulièrement les Accords de Partenariat Economique, qui sont en contradiction fondamentale avec les politiques publiques et de coopération qu’il conviendrait de mener pour permettre à la paysannerie africaine de s’engager dans une nouvelle révolution agroécologique. Il faut également mentionner la Politique Agricole Commune. En apportant des subventions aux agriculteurs européens, elle permet aux industriels européens d’abaisser le prix d’achat des produits agricoles et donc le prix de revente des produits transformés sur le marché mondial, créant un véritable dumping sur les marchés des pays du Sud.

En conclusion, soutenir une révolution agroécologique en Afrique sub-saharienne et le renforcement de systèmes alimentaires territorialisés, au service de la sécurité alimentaire, de la préservation et reconstruction des écosystèmes et du développement économique et sociale implique ainsi de mettre en cohérence l’ensemble des interventions de la France en matière de coopération internationale et de soutiens aux entreprises.  Cela implique également de mettre en cohérence la politique commerciale et la politique agricole de l’Union européenne avec de tels objectifs.

 

Laurent Levard

2 Avril 2021

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