Le 14 juin 2019, la plate-forme de l’opposition ivoirienne a été reçue à l’Assemblée Nationale ; nous publions ci-après la contribution du Professeur Kipré sur le thème de la réconciliation et le discours d’Eric Kahé.
Brève note sur la réconciliation en Côte d’Ivoire
(Communication du Professeur P Kipré pour le groupe parlementaire LFI)
Dans la conscience populaire en Côte d’Ivoire, les liens entre les différentes causes de la violence et la principale voie pour la juguler sont évidents. Ils sont ceux des effets de l’injustice. La réconciliation est aujourd’hui prônée comme solution pour solder les violences et dysfonctionnements sociaux nés de la crise postélectorale de 2010-2011 en Côte d’Ivoire. Répond-elle aux attentes du peuple ?
Que suggère le concept ?
– La réconciliation dans un pays sorti d’une guerre civile est un des facteurs de la recomposition de la cohésion nationale entendue comme facteur de survie de la communauté.
– Cette survie ne relève pas de la morale religieuse ou philosophique, mais plutôt de la nécessité politique et sociale. La réconciliation est donc pour cela un acte politique.
– Elle suppose la reconnaissance mutuelle des protagonistes comme acteurs majeurs de son succès à travers le dépassement de leurs différences.
– Elle suppose d’être acceptée par ces protagonistes, dans son principe comme dans son déroulé, en toute bonne foi.
– Le respect, par tous, des institutions et lois qui régissent la communauté pour sa pérennisation est le premier indice de cette bonne foi ; le second indice de la bonne foi de chaque protagoniste est la reconnaissance de la défense de la souveraineté interne et externe de la dite communauté.
– Elle ne peut donc pas se satisfaire d’un simple cadre de rencontres et d’écoutes de victimes (cf. CDVR) ou d’un discours volontariste fondé sur des principes moraux ou religieux. Elle ne peut pas être la preuve de « traditions culturelles » précoloniaux qui, aujourd’hui, n’ont de validité, d’ailleurs limitée, que dans un cadre restreint (famille, village, région) ayant des prérequis culturels partagés.
Les essais de réconciliation en Côte d’Ivoire depuis 1958
L’histoire contemporaine de notre pays donne des exemples de « réconciliation nationale ».
– Sous F. Houphouët-Boigny, de 1957 à 1989, il y a eu plusieurs cérémonies dites de « réconciliation » dans diverses régions du pays ou au niveau national, appelant à l’union de tous pour le développement. Elles furent un échec parce que n’empêchant jamais les conflits localisés (9% des affrontements intercommunautaires de 1965 à 2015), les tentatives de coup d’Etat et surtout la fin du système de parti unique, sous l’effet de la crise économique et sociale autant que grâce au combat d’une partie de la bourgeoisie pour la démocratie.
– Au cours du dernier trimestre de 2001, L. Gbagbo a organisé le « forum de réconciliation » pour réaliser son programme de développement économique et social dans un environnement socio-politique où la convivialité surmonterait rancœurs et hostilité apparues après le coup d’Etat de décembre 1999. Ce « Forum », opération d’apaisement, n’a pas empêché la rébellion de septembre 2002, organisée ou soutenue par les « héritiers de F. Houphouët-Boigny » et tous ceux qui, à l’étranger, étaient hostiles à ce programme de Gbagbo. Le nombre de conflits intercommunautaires s’est accru (26 % entre 2000 et 2010 contre 19% entre 1993 et 1999) à la faveur de ces évènements.
– Devenu Chef de l’Etat dans les conditions que nous savons, A. Ouattara a mis en place une CDVR destinée à préparer et conduire une « réconciliation » prenant en compte, sur le modèle sud-africain, la parole des victimes et leur indemnisation. Outre l’échec institutionnel du processus, il faut surtout noter le climat de violence extrême instauré par le système Ouattara depuis 2011 (46% des affrontements et violences intercommunautaires des années 1965-2015). Il est alimenté par des discours et politiques ethnicistes (« rattrapage ethnique » par exemple), des pratiques communautaristes, une politique économique néolibérale qui fait la part belle aux multinationales et au consumérisme d’une partie des classes moyennes ivoiriennes.
– Le résultat en est le refus constant de reconnaître aux oppositions, principalement aux forces de gauche, le rôle de protagonistes incontournables dans la réconciliation, se satisfaisant ainsi des inégalités sociales et injustices aujourd’hui insupportables.
– Malgré le désir de paix qui prédispose nos sociétés à un minimum d’apaisement dans la sphère publique, l’approche politique du processus de réconciliation sans identification des nœuds principaux de la conflictualité et en suivant une démarche consensuelle mène à son échec.
Quelles sont les chances de réussite de la réconciliation dans le contexte actuel ?
– Les chances de succès résident d’abord dans l’engagement des protagonistes à faire exister la communauté ivoirienne comme réalité spécifique de la communauté humaine. Cet engagement exclut donc toute démarche de revanche.
– Ensuite, elles sont dans l’inclusion de tous au débat citoyen et démocratique pour les solutions consensuelles. On renforce ainsi le fait démocratique chez nous en pacifiant le débat contradictoire.
– Enfin, elles supposent que soient identifiées les préoccupations des protagonistes extérieurs du conflit pour trouver ici aussi une réponse consensuelle selon une démarche « gagnant-gagnant ». Ce sont les forces progressistes de ces pays étrangers qui, par leur soutien actif à notre combat de la vraie réconciliation qui peuvent être les premières avocates de la réconciliation de la Côte d’Ivoire avec la France dans le respect des intérêts de chacun.
La réconciliation est possible, oui ; mais pour et avec tous les Ivoiriens soucieux de défendre les intérêts de leur pays, désireux de lutter contre toutes les inégalités et injustices, engagés dans le renforcement du fait démocratique en Côte d’Ivoire. Laurent Gbagbo revenu chez lui est assurément le gage de succès de cette voie. Nos amis du dehors ne doivent pas considérer cette réalité politique comme mineure.
Pierre Kipré Paris, le 14 juin 2019
Messieurs les Députés ;
Madame et Messieurs les Suppléants et assistants ;
Camarade président de EDS et chers camarades ;
Messieurs les Députés, les personnalités présentes dans cette salle sont toutes issues de la plateforme Ensemble pour la Démocratie et la Souveraineté (EDS) dont le référent politique est l’ancien chef de l’état ivoirien, le président Laurent Gbagbo. Notre projet de société se trouve inscrit dans la dénomination même de notre groupement politique qui comprend des partis politiques (dont AIRD, FPI, UNG, le R2P), des organisations de la société civile ivoirienne et des personnalités politiques.
EDS, c’est être Ensemble (donc réconciliés) pour la Démocratie et la Souveraineté.
Nous sommes tous unis, non pas autour d’une ambition de pouvoir mais autour des valeurs de Démocratie, de Souveraineté et de Réconciliation.
Réconcilier les Ivoiriens et toutes les composantes nationales en vue de restaurer et promouvoir la démocratie, préalable à tout développement durable pour davantage s’ouvrir aux autres nations pour un partenariat du donner et du recevoir et non la perpétuation d’une politique d’assistés, au seul profit du capital. Notre quête de souveraineté n’est surtout pas ce nationalisme qui referme les citoyens sur eux-mêmes ou barricade les frontières. Dans notre sous-région, nous avons conscience des responsabilités de notre leadership économique et des attentes de nos populations, notamment la frange la plus jeune à qui, il est criminel de ne pas laisser d’autre alternative que celle du miroir aux alouettes qu’est l’immigration vers l’Europe ou la pauvreté qui alimente le terrorisme.
Cet ambitieux projet dans un pays où la compétition politique semble n’avoir pour objectif que la prise du pouvoir pour le contrôle de la rente nationale du cacao et des nombreuses richesses de notre sol et sous-sol peut surprendre. Il peut même paraître irréaliste pour ceux qui ne nous connaissent pas..
Et pourtant, nous le portons dans nos tripes. Il a germé en nous, au nom des valeurs de Gauche [et pour certains autour du président Laurent Gbagbo,] et a vu sa consolidation à la lumière des évènements qui secouent notre pays depuis 2002. Ces évènements ont été le résultat de la manipulation, parfois de la grossière imposture, de la surenchère politique, de la mise à contribution des micros-identités religieuses et ethniques, de la paradoxale diabolisation des valeurs. C’était tellement gros que nous n’avons pas cru devoir réagir !
Vous comprenez donc, Mesdames, Messieurs, combien cette séance de travail que vous nous donnez l’occasion d’avoir avec vous, au sein de l’Assemblée Nationale, est de la plus haute importance pour notre pays, pour ces populations au regard de sa symbolique et des résultats attendus. C’est pour cela que nous tenons à vous remercier, au nom du président de EDS, le Pr Georges-Armand Ouégnin, au nom de toute la délégation qui l’accompagne et du peuple de Côte d’Ivoire qui a soif d’amitié après son isolement.
Nous tenons à remercier particulièrement le camarade Pierre Boutry, responsable Afrique du PG, avec lequel nous avons fondé l’Alliance des Forces Progressistes pour l’Afrique (AFPA) en 2013, une structure à laquelle il consacre beaucoup d’énergie.
Nos remerciements également à tous les élus de La France Insoumise.
Du Congrès du Front de Gauche à Bordeaux, à l’entame de notre exil en France en 2012, aux élections de 2017, en passant par le congrès de Montreuil et de nombreuses autres activités auxquelles nous avons eu l’honneur d’être associés, que de chemins parcourus ensemble, pour bâtir une relation de confiance, sur l’engagement, sur la prise de risques au nom des convictions. Au nom des valeurs de Gauche.
Parfois des résultats en deçà des attentes, mais toujours la même détermination. Toujours la même solidarité militante pour laquelle nous voudrions remercier chacun de vous, avec une mention spéciale pour le député Eric Coquerel. Nous n’oublierons jamais le soutien franc et extraordinairement courageux et visionnaire de Jean Luc Mélenchon à Laurent Gbagbo aujourd’hui acquitté après un procès fleuve.
Autant la recomposition du paysage politique et la reconstruction de la Gauche en France nécessite de grosses énergies, autant la Gauche ivoirienne repart sur de nouvelles bases, à l’instar de son rapprochement avec le PDCI. Elle devra affronter d’autres défis, dans un environnement des plus hostiles. C’est le moment pour nous de mutualiser nos forces car nos objectifs et défis sont similaires.
En effet, c’est dans un contexte délétère que vos camarades de Côte d’Ivoire doivent ressouder une Nation meurtrie. Au point que la gouvernance dans notre pays a fait l’objet d’un rapport confidentiel de l’Union Européenne le 2 août 2018. Ce rapport dénonce une « autocratie » avec pour corollaire « dérive autoritaire du pouvoir, corruption, flagrantes inégalités sociales », tout en faisant remarquer « les fragilités non résorbées d’un pays moins solide et démocratique que sa bonne image pourrait le laisser penser. ». Ce rapport signé de tous les ambassadeurs de l’Union Européenne à Abidjan note clairement que « Face à ces difficultés les autorités se montrent hermétiques aux critiques internes et externes et semblent désireuses de ne laisser aucun lieu de pouvoir leur échapper »
Les chefs de mission de l’Union européenne se sont lourdement inquiétés de ce que « La confrontation entre un pouvoir qui restreint progressivement les espaces d’expression et une contestation sociale grandissante, n’augureraient rien de bon pour l’échéance de 2020 ».
Soucieux de préparer l’avenir, nous sommes venus à votre rencontre pour sonner l’alerte, anticiper ensemble une situation potentiellement explosive afin de ne pas jouer les médecins après la mort, après le chaos de 2011.
S’il y a une réussite incontestable à porter au crédit de notre gouvernement, c’est bien dans le domaine de la communication. Cela lui a permis, grâce à la maîtrise des codes et éléments de langage, de tromper tout le monde.
Afin de vous donner un autre son de cloche, plus proche de la réalité, nous voudrions laisser la parole au président de EDS et ensuite à quelques autres camarades pour les informations que nous souhaitons porter à votre connaissance sur l’environnement politique, sécuritaire, économique et social de la Côte d’Ivoire, notamment les conditions d’élections démocratiques en 2020, la problématique de la réconciliation, la persistance de l’insécurité avec la prolifération des milices armées, etc.
Nous espérons ainsi vous fournir des éléments concrets afin de sensibiliser d’autres députés de l’Hémicycle pour faire, ici en France et au plan international, écho de la voix étouffée du peuple ivoirien, réellement meurtri, traumatisé, de plus en plus pauvre et méprisé par un pouvoir qui ne comprend que le langage de la violence. Or nous sommes des Démocrates dans l’âme au service d’un peuple de paix. Nous sommes les enfants des élections et nous voulons le demeurer.
Je vous remercie.
Eric Kahé