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Rencontre AFPA du 30 mars 2019 / Côte d’Ivoire : souveraineté, droits de l’homme et réconciliation

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La rencontre sur la Côte d’Ivoire organisée par l’AFPA le samedi 30 mars 2019 s’est déroulée au siège du Parti de Gauche. Elle réunissait un grand nombre d’acteurs de l’opposition de gauche ivoirienne réunis dans EDS Ensemble pour la Démocratie et la Souveraineté.

L’AFPA est une coordination entre partis progressistes africains soutenus par le Parti de Gauche. Il s’agit, pour la plupart, des partis africains qui se reconnaissent dans le manifeste pour une révolution citoyenne et souveraine africaine. La coordination vise à créer un cadre d’échange des expériences Organiser des conférences Se soutenir mutuellement.

Sont présents dans salle, des membres de l’association des Amis de Laurent Gbagbo dont Raphaël Dagbo et Jacqueline Chamois. La présence remarquée également du docteur Issa Malick Coulibaly, Directeur de campagne du président Gbagbo aux présidentielles de 2010, de la députée Marie Odette Lorougnon, vice-présidente du FPI. Ainsi que de Serges Kassy, célèbre artiste reggae.

Pourquoi initier ce cycle de rencontres par la Côte d’Ivoire ? Pour plusieurs raisons :

– La libération du président Laurent Gbagbo qui va certainement modifier le contexte politique. – La situation politique tendue du fait de la volonté du président Ouattara de briguer un troisième mandat. – La situation des droits de l’homme, beaucoup de citoyens ivoiriens sont en exil et ne peuvent pas rentrer au pays. – L’évolution de la Françafrique vers une combinaison d’affairisme et de militarisation croissante sous prétexte de lutte contre le terrorisme : la Françafrique façon Houphouët / De Gaulle n’étant qu’un lointain souvenir !
– L’aggravation des inégalités sociales en France et le mépris de la caste politique française actuellement au pouvoir à l’égard du citoyen peuvent être mis en parallèle avec le mépris du pouvoir Ouattara à l’égard du peuple ivoirien et la paupérisation du grand nombre au profit des privilégiés du régime– La question de l’environnement et de l’écologie qui se pose de la même façon dans nos deux pays.

Le Parti de Gauche a dénoncé à plusieurs reprises le régime Ouattara : la justice de vainqueur, le prétendu « rattrapage ethnique » dans les administrations et sociétés d’Etat, l’ accaparement par des occupants illégaux des terres et des maisons appartenant à des ivoiriens (tout particulièrement a l’ouest et au centre ouest) aujourd’hui contraints à l’exil ; la répression des manifestations, une CEI composée d’affidés du régime, l’affairisme, des droits de l’homme bafoués, une croissance complètement inégalitaire qui exclut la majorité de la population au point que la RCI est maintenant le troisième pays subsaharien en nombre de migrants fuyant vers l’Europe !

Pour nous PG qui avons prévu dans notre programme de mettre en œuvre une politique avec l’Afrique basée sur la souveraineté de chaque pays dans tous les domaines (économique, monétaire et sécuritaire), le Président Gbagbo reste un exemple sans pareil dans sa volonté de libérer le peuple ivoirien des chaînes du néocolonialisme français : nous n’oublions pas sa volonté de mise en route d’un système de sécurité sociale, nous admirons sa volonté de gouverner sans demander l’avis d’un gouverneur français jamais très loin, nous soulignons sa volonté d’engager une réflexion sur la monnaie coloniale qu’est le franc CFA afin d’en sortir et de libérer l’économie du pays. Volonté, réalisme, force, souveraineté ! Voilà ce que nous retenons de ce grand socialiste africain dont la libération nous ouvre des perspectives pour l’avenir.

C’est en connaissance de ces réalités que cette rencontre est organisée. Les différents intervenants sont : – le Professeur Pierre Kipré, historien, ancien ministre de l’Éducation nationale, ancien ambassadeur de la Côte d’Ivoire en France. – Eric Kahé, ancien ministre ivoirien du Commerce, président de l’AIRD. – Le docteur Boga Sacko Gervais, militant des droits de l’homme (par télephone) – Le député La France insoumise Bastien Lachaud.

Vous pouvez écouter les interventions aux adresses suivantes :

Pierre Boutry :

Pierre Kipré :

Boga Sako Gervais, par téléphone :

Eric Kahe :

Le député LFI Bastien Lachaud :

Un participant exprime le souhait que le public français soit davantage présent à ce genre de conférence ; l’AFPA contribuera à organiser en conséquence une conférence au cours de laquelle pourront être explicités les évènements survenus en Côte d’Ivoire au cours de ces vingt dernières années de façon à éclairer l’avenir.

Cette rencontre constitue les prémices d’une réception officielle de l’opposition ivoirienne regroupée au sein de l’EDS (Ensemble pour la souveraineté et la Démocratie), par les députés France Insoumise à l’Assemblée Nationale française.

Les participants à cette première conférence ont salué la qualité des interventions et le moment opportun de cette rencontre. Ils ont tous partagé le constat que le retour au pays du Président Gbagbo est la  condition première d’une possible réconciliation en Côte d’Ivoire. Ils se sont séparés avec la ferme conviction que si les peuples africains veulent leur liberté, parce qu’ils estiment qu’ils en sont dignes, ils ne doivent pas attendre qu’on la leur donne ; ils doivent la prendre. Autrement dit, ils doivent être les acteurs de leur propre liberté.

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Nous reproduisons ci-après le texte écrit de l’intervention du professeur Pierre Kipré telle qu’il a eu l’amabilité de nous la transmettre : «Le concept de souveraineté en Afrique » (L’Harmattan 2019)

Situé au plan politique en amont de la formation de l’Etat et irriguant celui-ci en permanence pour sa pérennisation, la souveraineté n’est pas simplement une question juridique d’autodétermination et de liberté d’expression. Elle est au coeur de la capacité (ou non) de faire des choix pour soi et de les assumer totalement, à l’intérieur et hors de ses frontières.

1. Le concept est souvent confondu avec celui d’indépendance. L’indépendance est l’absence de relation de sujétion ou de cause à effet, entre différentes entités. Qu’il s’agisse de politique ou de sciences (même mathématiques), elle porte la marque de la distinction fondamentale entre des entités constituées. Par contre, la souveraineté qualifie la caractéristique autonome d’une entité autant par rapport à elle-même que par rapport aux autres. Les liens entre les deux concepts sont très forts, voire superposables, quand ils portent sur l’Etat : Pour être souverain, il faut qu’un Etat soit indépendant ; mais pour vivre son indépendance, il faut que l’Etat soit souverain. Les sociétés africaines d’avant le dernier tiers du XIXe siècle (sociétés lignagères ou royaumes) ont élevé la souveraineté au rang de valeur sociopolitique de premier rang dans les T.O. En Occident, la souveraineté nourrit des systèmes de pensée autant que l’art de la politique, surtout depuis J. Bodin qui, le premier, en 1583, dans Les Six livres de la République, systématise la laïcisation du politique en Occident. La référence à la souveraineté est donc omniprésente. Elle agite toujours l’histoire diplomatique dans laquelle elle continue de symboliser la puissance ou la faiblesse des Etats [Les Athéniens en -416, dans « le dialogue aux Méliens » de Thucydide : « la justice n’entre en ligne de compte dans le raisonnement des hommes que si les forces en présence sont égales de part et d’autre ; dans le cas contraire, les forts exercent leur pouvoir et les faibles doivent leur céder »]. Au-delà de la dimension identitaire qui lui est implicitement prêtée, le concept pose fondamentalement la question de la liberté (individuelle ou collective) développée par l’Occident depuis la fin du XVIIIe siècle.

2. La rencontre de l’Afrique avec l’Occident, violente à partir des années 1870-1880, se matérialise par la victoire de l’Occident impérialiste. Celui-ci tente de transformer l’Afrique selon ses canons. De cette rencontre naît, peu à peu, en Afrique, une nouvelle perception africaine de la souveraineté, produit d’une pensée afro-européenne, progressivement centrale. Avec l’école et la presse, le choc colonial a introduit un processus de métissage et de domestication de la logique occidentale. Ces cadres conceptuels vont servir d’assises aux actions visant à recouvrer la liberté perdue. L’indépendance proclamée, ils vont servir aussi, dans les thèses panafricanistes, l’idée de défense commune et institutionnalisée de la souveraineté (Nkrumah), ou par fécondation des cultures africaines, celle de la fondation de nouvelles sociétés par dépassement endogène des anciennes (A. Cabral). Mais ils vont aussi, contradictoirement, viser à comprendre la souveraineté comme un but à atteindre qui impose le renforcement des liens avec l’Occident afin d’apprendre mieux de lui (L. S. Senghor, Houphouët-Boigny).

3. C’est sur cette toile de fond historique que se déploient, depuis les indépendances, tous les dénis de souveraineté interne et externe. Les premiers sont la source de l’affaiblissement des ressorts internes de la résilience des sociétés africaines, à travers le fonctionnement des régimes antidémocratiques qui fleurissent dès les indépendances (parti unique), confortés par les coups d’Etat [Du coup d’État militaire de 1952 en Égypte au coup d’État de 2015 au Burkina Faso, on compte 94 putschs en Afrique dont 61 entre 1960 et 1989]. La souveraineté interne est enlevée aux citoyens, au nom d’un certain volontarisme dans la construction de l’État-nation. Il s’agit en fait de stratégies qui visent à prolonger un règne politique par affaiblissement de l’État, convertissant celui-ci en un instrument de prédation des ressources nationales ; les discours du repli « national » font souvent partie d’une stratégie de captation de la souveraineté nationale au profit de clans ou de groupuscules ; ils nourrissent bien souvent l’ethnisme politique, voire le communautarisme. Absent de nombreux domaines et éprouvant des difficultés à se territorialiser effectivement, l’Etat ne se signale au quotidien que par sa brutalité, apportant peu aux populations dont on ignore les contours et les aspirations. Les tentatives de démocratisation du début des années 90 pour inverser ces tendances ont introduit la libération de la parole, l’érection de la rue comme espace politique public, les essais d’organisation de la société civile, le multipartisme, le recours à la contre-violence populaire face à la violence d’Etat. Mais après le milieu des années 90, les vieux démons sont de retour. On a la négation du peuple des citoyens par manipulation des listes électorales et la dévolution du pouvoir par les urnes est plus que jamais soumise à des procédés illégaux et illégitimes; on a la captation de la souveraineté du peuple par des coteries, souvent à la faveur des coups d’Etat, un danger permanent [31 coups d’Etat entre 1990 et 2015]. L’Afrique postcoloniale, peu imaginative, accumule donc les fragilités internes (fragilités de gouvernance économique et politique qui fondent l’instabilité politique, les formes diverses de corruption). Les collusions multiples avec les forces extérieures les plus nocives les rendent encore plus dramatiques. On ne peut donc pas s’étonner que les dénis de souveraineté interne s’accompagnent des dénis de la souveraineté externe. Ceux-ci visent, sous des prétextes divers, la permanence des liens de sujétion et de domination de l’Afrique qui prolongent l’impérialisme des siècles précédents, avec des moyens de pression efficaces que sont la mise sous tutelle de monnaies comme le F CFA, l’installation d’hommes-lige au pouvoir, tenus en main à travers des réseaux divers, l’installation de bases militaires et les interventions militaires directes [30 interventions militaires françaises en Afrique de 1960 à 2017], etc. Dans un contexte de rivalités économiques et géopolitiques entre grandes puissances, entre multinationales et P.M.E, entre réseaux financiers et industriels ou, simplement, entre réseaux politiques et financiers, les ingérences directes ou indirectes dans la vie des Etats africains ne visent qu’un but : le contrôle de l’Afrique par tous les moyens, parfois sous l’habile habillage de l’O.N.U. On l’a largement vu en CI et en Libye en 2011. Ces actions négatives, en interne et en externe, souvent articulées les unes aux autres, expliquent que la souveraineté reste la contradiction principale à surmonter en Afrique.

4. Surtout à partir de la fin des années 80, on assiste à l’apparition d’une nouvelle pensée critique africaine. Partant d’une Afrique imaginée sans les référents occidentaux, elle s’inscrit dans le procès de renouvellement de l’Etat africain et de sa souveraineté, pour être une africanité nouvelle. Celle-ci, universaliste et peu identitaire dans ses projets, est caractérisée par la promotion de l’idéal démocratique, le respect des droits humains, le refus et la dénonciation des tutelles extérieures, fussent-elles « amicales », la dénonciation de l’essentialisme et de l’immobilisme qu’affirme une certaine pensée occidentale à propos de l’Afrique [les thèses de St. Smith ou celles de Sarkozy à Dakar le 20 juillet 2007] là où les rapports économiques inégaux, les mécanismes du néolibéralisme et les prédations diverses entretiennent les faiblesses structurelles de l’Afrique. En France comme ailleurs dans le monde, des courants de pensée, tels les divers alter mondialismes, expriment heureusement des positions qui traduisent la permanence des solidarités avec les peuples sous domination, comme hier, les courants anticolonialistes. Ces voix sont hélas couvertes souvent par celles de ceux qui n’ont pas fait le deuil des colonies, aidés par un puissant système médiatique et l’indifférence de la majorité des opinions publiques occidentales. Les liaisons avec la nouvelle africanité doivent donc être renforcées, non seulement pour faire sens mais surtout pour faire pièce aux hégémonies prédatrices des forces opposées à la souveraineté des peuples.

Mais, il faut en même temps être lucide, nous Africains ; car la nouvelle africanité a des insuffisances souvent dues, notamment, à la timidité de la critique de nos conservatismes sociaux, des chausse-trappes du système capitaliste néo-libéral sur notre continent. Il nous faut donc trouver des paradigmes complémentaires qui permettent la reconstruction effective de la souveraineté africaine.

*N.B. sur la notion de réconciliation
– La réconciliation dans un pays sorti d’une guerre civile n’est pas un des paradigmes complémentaires de la reconstruction de la souveraineté ; elle est un des facteurs de la recomposition de la cohésion nationale entendue comme facteur de survie de la communauté ; cette survie ne relève pas de la morale religieuse ou philosophique, mais plutôt de la nécessité politique et sociale.
– Elle est donc pour cela un acte politique dans l’existence d’une communauté politique et sociale.
– Elle suppose d’être acceptée par les protagonistes, dans son principe comme dans son déroulé, sous l’égide d’un partenaire neutre et impartial, partenaire interne ou externe.
– Elle suppose la reconnaissance mutuelle des différences, la volonté commune de défense de la souveraineté interne (par consensus) et d’affirmation de la souveraineté externe (par principe). Voilà pourquoi elle est fondée sur le respect, par tous, des institutions et lois qui régissent la communauté pour sa pérennisation. Voilà pourquoi aussi elle exige l’identification rigoureuse des « nœuds » du conflit dont sort la communauté ; car ces « causes » de conflit peuvent être aussi externes, c’est-à-dire, un niveau incontrôlé où la souveraineté peut être mise à mal par des forces de dissolution de la communauté.
Quelles sont ses chances de réussite ?
– Les chances de succès résident d’abord dans l’engagement des protagonistes à faire exister la communauté comme réalité spécifique de la communauté humaine.
– Ensuite, elles sont dans l’inclusion de tous au débat citoyen et démocratique pour les solutions consensuelles auxquelles doit aboutir celui-ci.
– Enfin, elles supposent, au plan tactique, que soient identifiées les préoccupations des protagonistes extérieurs du conflit pour y apporter une réponse qui préserve, à court et moyen terme la souveraineté de l’Etat.

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