9 novembre 2023
Cinquante ans après le déclenchement d’une guerre interminable, les Sahraoui.es n’en peuvent plus d’attendre. Le désespoir pousse certains d’entre eux à s’engager dans les batailles qui déchirent le Sahel et qu’accompagnent tous les trafics du siècle, de la drogue aux armes. Les Marocain.es – qui contrôlent l’essentiel du territoire – attendent, malgré leurs succès diplomatiques, une reconnaissance internationale qui ne vient heureusement pas. Pour les Algérien.nes – qui soutiennent la cause sahraouie –, l’entretien d’une enclave indépendantiste en plein désert coûte cher et complique leurs relations avec de nombreux Etats africains et occidentaux. Personne ne gagne dans cette bataille sans fin, obstacle à la construction d’un Maghreb qui aurait pu tirer le plus grand parti d’une coopération étroite entre ses membres. Qu’il s’agisse de l’approvisionnement de l’Europe en énergie ou, en filigrane, du scandale de corruption des élus européens, la non-résolution de cette question donne lieu à une diplomatie du chantage exercée par Rabat et Alger qui tentent de contraindre leurs partenaires de choisir leur camp.
Le mot d’ordre du seizième congrès du Front Polisario tenu au début 2023 – « Intensifier la guerre » – et qui a vu la réélection difficile de Brahim Ghali, 73 ans, trahit l’impatience des Sahraoui.es de donner un nouvel élan à un conflit qui dure depuis quarante-sept ans et a pris, depuis deux ans, la forme d’une guérilla de basse intensité ignorée par le Maroc et dont ils ne perçoivent aucun fruit. Le Polisario est actuellement frappé par des divisions internes qui l’affaiblissent. Il y a, d’un côté, un courant qui privilégie la guerre comme seule solution à l’indépendance du Sahara occidental et de l’autre, ceux qui préfèrent le dialogue avec le Maroc, un courant minoritaire actif surtout dans les camps de réfugiés et qui accuse l’élite politique et militaire du Polisario de corruption et d’exactions. Ce sont eux qui ont voté pour El Béchir Mustapha, candidat malheureux et ministre des Territoires dans la République arabe sahraouie démocratique autoproclamée (RASD). Étant le frère du fondateur du Polisario, issu de la tribu Reguibat dont les membres sont majoritaires dans les camps, les jeunes sahraoui.es, nés après le conflit, estiment qu’il aurait pu mieux défendre leur cause.
Mais un élément nouveau se fait jour à l’occasion du conflit Hamas/Israël : la remise en cause de la « normalisation ». Rappelons tout d’abord que Donald Trump a reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental en décembre 2020. En conséquence, une « normalisation » des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël a été actée dans le cadre des accords d’Abraham – une entente entre l’Etat hébreu et plusieurs pays arabes négociée par les Etats-Unis. Notons que tous ces bouleversements diplomatiques n’ont fait l’objet d’aucune consultation auprès des citoyen.nes marocains.
En effet, au Maroc depuis le 15 octobre, pas un jour, ou presque, ne passe sans un rassemblement pour la Palestine. Les Marocain.nes expriment ainsi massivement leur protestation contre la riposte israélienne à l’offensive du Hamas et la dévastation qu’elle entraîne dans la bande de Gaza mais aussi leur hostilité au rapprochement opéré par le Maroc et Israël depuis 2020. Trois mots d’ordre fédèrent les manifestants : le soutien au peuple et à la « résistance » palestinienne ; la dénonciation de la « complicité occidentale » avec les agissements israéliens ; et la remise en cause de la normalisation des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël. Les manifestants scandent : « Le peuple veut la fin de la normalisation. »
Alors que les deux alliés ont accéléré leur coopération – essentiellement militaire, sécuritaire, commerciale et touristique – depuis la normalisation, le royaume réaffirme régulièrement son engagement en faveur de la cause palestinienne sous la direction du roi Mohammed VI qui préside le comité Al-Qods, chargé de veiller sur les lieux saints de Jérusalem, et d’une solution à deux Etats. Cette position d’équilibre vole en éclats ce qui devrait remettre en cause les accords.
Alors que le Front Polisario prône un référendum sur l’indépendance de la population sahraouie, le Maroc propose un plan d’autonomie en 35 points dans lequel le Sahara resterait de toute façon sous sa tutelle. Il est ainsi noté dans le point 14 : « L’État conserve une compétence exclusive, notamment en ce qui concerne : les attributs de souveraineté, notamment le drapeau, l’hymne national et la monnaie, les attributions liées aux pouvoirs constitutionnels et religieux du Roi, Commandeur des croyants et garant de la liberté de culte et des libertés individuelles et collectives, la sécurité nationale, la défense extérieure et l’intégrité territoriale, les relations extérieures, l’ordre judiciaire du Royaume. » Depuis des décennies, le Makhzen réprime sans relâche les revendications sahraouies. À partir de 1980, le Maroc a fait ériger un mur de sable (terminé en 1987) que ces opposants appellent « mur de la honte », qui isole encore plus les populations nomades, en les privant de la liberté de circuler sur leurs territoires traditionnels pour protéger les intérêts miniers. Un Makhzen, dont toute la politique extérieure est menée dans le but d’une reconnaissance internationale de la souveraineté marocaine sur ce territoire, ne recule devant rien : crise migratoire avec l’Espagne, tensions avec l’Union européenne après la révélation d’un scandale de corruption.
Évidemment, la France a une position particulière dans ce dossier dans la mesure où elle a joué un rôle au Sahara occidental : c’est elle qui a tracé les frontières en 1938 entre l’Algérie et le Maroc, Giscard d’Estaing avait envoyé ses avions de chasse soutenir la Mauritanie contre le Front Polisario et Jacques Chirac parlait des « provinces du sud ». Venons-en donc à la politique française. Au mois de mai dernier, le chef du parti Les Républicains, Eric Ciotti, s’était rendu au Maroc où il avait déclaré que « sur la question du Sahara occidental, la souveraineté du Maroc est indiscutable ». Au début du mois d’août, sous la houlette des sénateurs LR Roger Karoutchi, Bruno Retailleau et Christian Cambon, 94 parlementaires envoyaient une lettre à Macron appelant à remettre à plat la politique de la France en Afrique. Ils regrettaient notamment « les atermoiements français sur le Sahara (alors que l’Espagne et l’Allemagne ont reconnu la souveraineté marocaine) et la politique d’équilibriste du Quai d’Orsay avec l’Algérie, (qui) poussent le Palais royal à chercher ailleurs qu’à Paris des partenaires militaires ou économiques. »
Rien d’étonnant dans ces prises de position de la droite extrême française. Mais il est pour le moins surprenant de constater l’alignement récent du leader historique des Insoumis sur les positions de Washington et de Tel Aviv. Il affirme percevoir des « paramètres nouveaux auxquels les Français devraient, sans doute, réfléchir avec plus d’attention. La prise de position des États-Unis d’Amérique, d’Israël et de l’Espagne a modifié le regard que le monde porte sur cette question. Je souhaite que mon pays le comprenne et que dans tous les cas on n’en fasse pas un sujet de querelle avec les Marocains ».
La commission Afrique du Parti de Gauche réaffirme sa fidélité au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et sa condamnation de toute forme de colonisation. Le peuple sahraoui est tout çà fait dans son droit de réclamer un référendum sur l’indépendance et de se battre contre l’exploitation par le Maroc de ses richesses halieutiques et minérales.