SOUDAN : un accord en trompe l’œil

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Le Conseil militaire au pouvoir au Soudan a beau « s’engager à appliquer l’accord de transition », cet accord n’en est pas moins un pis-aller et ne répond pas aux aspirations de révolution et de changement au Soudan.

Deux jours seulement après la reprise des pourparlers, l’ALC et le conseil militaire se sont mis d’accord pour un partage du pouvoir en alternance au sein d’un Conseil souverain, l’organe qui dirigera une transition de 3 ans et 3 mois jusqu’aux élections. Les deux parties avaient suspendu les discussions en mai, faute d’accord. La tension s’était encore accrue après la violente dispersion du sit-in devant le siège de l’armée à Khartoum le 3 juin ; ce jour là, les combattants de Hemeti ont tué plus de cent manifestants et violé des dizaines de personnes. Alaa Salah, la femme représentée sur la photo emblématique d’avril 2019 des manifestations pacifiques au Soudan, l’a confirmé : « Pendant des années, Hemeti a tué et brûlé au Darfour. Aujourd’hui, le Darfour est arrivé à Khartoum. »

Désormais, il reste à mettre en place le corps collégial qui sera composé de onze membres : cinq de chaque camp. Puis les deux parties devront s’entendre sur un civil indépendant qui sera le onzième membre. Les postes au sein du Conseil seront partagés entre les deux camps tout comme la présidence, qui sera tournante. Elle sera entre les mains des putschistes pendant 21 mois, les civils l’occuperont ensuite pendant un an et demi. Le chef du Conseil souverain aura un rôle déterminant. Il sera de facto chef d’État. Des noms circulent, parfois très controversés comme ceux d’Abdel Fatah Al Burhan, le leader des putschistes, voire d’Hemeti, le commandant des miliciens Rapid Support Forces (nouveau nom des milices jandjawid) , accusés de multiples crimes. Ils ont 21 mois pour consolider leur contrôle, truquer le système à leur avantage et diviser les civils.

Comme prévu, la composition du Parlement a été reportée de trois mois pour permettre la tenue de nouvelles consultations avant de l’établir. C’est aux Forces pour la liberté et le changement (FFC) que revient la formation d’un gouvernement de technocrates qui mettra en œuvre les réformes économiques et politiques et préparera les élections générales de 2022.

Concernant la dispersion dans le sang le 3 juin d’un sit-in de manifestants devant le QG de l’armée à Khartoum, les deux camps se sont mis d’accord pour « une enquête minutieuse, transparente, nationale et indépendante, sur tous les incidents violents malheureux qu’a connu le pays ces dernières semaines » et non pas pour une enquête indépendante et internationale sur la dispersion du sit-in, ce que réclamait le peuple.

Concernant El-Béchir, en mai, les procureurs du Soudan ont annoncé qu’il serait jugé pour corruption, financement de la terreur et pour la mort de manifestants. Mais les atrocités commises au Darfour et ailleurs – en d’autres termes, les accusations portées par la CPI contre el-Béchir et quatre autres personnes – sont manifestement absentes des crimes énumérés. Cela signifie que les poursuites locales ne porteront pas sur les violations du droit pénal international dont el-Béchir est accusé.

Cet accord ne répond donc ni aux souhaits du peuple du retrait total des putschistes (pouvoir « civil, civil », « madania, madania »), ni à la demande d’enquête internationale sur la répression, ni à la nécessité de juger l’ancien dictateur pour l’ensemble de ses crimes. Cet accord oblitère les vraies raisons des désordres soudanais à savoir l’idéologie portée par Kayan Al Shamal/KASH/The Northern Entity : garantir, quelque soit la nature du régime ( socialiste, fasciste, démocratique…) que le leadership reste entre les mains de la coalition de trois groupes ethniques arabes et que le pays tout entier soit soumis par la violence à son arabisation/islamisation.

L’UE se félicite de cet accord, ainsi que Le Drian, qui « rend hommage à la maturité et au sens des responsabilités des Soudanais, ainsi qu’à la médiation de l’Union africaine et de l’Ethiopie ». De la même façon, les opposants Omar Al-Degair, le leader du Parti du Congrès soudanais, Othmane el Daghir, un dirigeant de l’ALC, semblent se satisfaire de cet accord qui correspond à leurs intérêts opportunistes.

Seul le Mouvement populaire de libération Soudan (MPLS), héritier de John Garang, n’accepte ni cet accord ni aucun accord n’entraînant pas un changement complet et total et ne soulignant la laïcité de l’État et l’égalité des droits de citoyenneté.

Le Parti de Gauche appelle à rester vigilant quant à l’avenir de cette révolution citoyenne en marche au Soudan et considère qu’un véritable accord de transition devrait être inclusif, affirmer le principe de laïcité dans un pays aux multiples composantes, et tracer des pistes pour l’auto-détermination des régions.

Le Parti de Gauche rappelle instamment la nécessité de juger El-Béchir pour l’ensemble de ses crimes mais aussi les responsables des guerres d’arabisation forcée des populations.

Le Parti de Gauche dénonce le financement par l’UE, dans son obsession anti-migratoire, des forces de répression en particulier les RSF qui tuent les manifestants et qui, de plus, participent activement aux combats au Yémen.

Pierre Boutry

Déclaration de la Commission Afrique du Parti de Gauche

 

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