• Home
  • /
  • ACTUALITE
  • /
  • CONGO-B : le FMI se rend complice du pouvoir en place

CONGO-B : le FMI se rend complice du pouvoir en place

Spread the love

Après plus de deux ans de discussions menées côté congolais avec les conseils de Matthieu Pigasse, de la banque Lazard et de Dominique Strauss-Kahn, (qui avaient exhorté par lettre le gouvernement congolais, à rompre avec l’opacité en vigueur sur ses dettes), le FMI a annoncé jeudi 11 juillet qu’il allait accorder 448,6 millions de dollars sur trois ans au Congo-Brazzaville pour relancer l’économie de ce pays.

La Chine, plus gros créancier de Brazzaville, a accepté, à l’encontre de son attitude habituelle vis-à-vis du FMI, de restructurer la dette. Celle-ci s’élève à 3,15 milliards de dollars, soit 35 % de l’endettement total, estimé à 9 milliards de dollars. Pékin n’a pas caché son agacement, d’autant que plusieurs figures du gouvernement congolais et de la famille présidentielle disposent de comptes en banques bien fournis en Chine.

Qu’en est-il des deux autres tiers de la dette ? Au Congo-B, la pratique des prêts adossés au pétrole remonte aux années 1970 et à Elf Aquitaine, la société pétrolière française d’État. Elf encourageait l’endettement public afin de maintenir son contrôle sur le pétrole et la politique du Congo. Ces prêts consistent pour le pays à emprunter des milliards de dollars à des sociétés privées pour les rembourser en pétrole. Le Congo-B a largement abusé de ces « préfinancements pétroliers » ces dernières années, en s’adonnant à des pratiques corruptives présumées, mises en lumière par des enquêtes judiciaires suisses concernant la société genevoise Gunvor, et italiennes visant la multinationale Eni. De son côté, le géant français Total s’est permis d’aider le Congo-B à se refinancer en 2003, via de complexes circuits financiers offshore, pour mieux échapper à la vigilance du FMI, comme l’avait révélé le journal Le Monde en mai 2018.
Partout dans le monde, les prêts de longue durée adossés au pétrole rendent les pays concernés tributaires de leur pétrole pendant des années, voire décennies. Les tentatives d’une « sortie progressive » (managed decline) de la production d’énergies fossiles en accord avec l’Accord de Paris (que le Congo-B a ratifié en 2017), et la diversification économique que cela exige, sont ainsi compromises.

Même si les montants contractés auprès des mastodontes du trading pétrolier restent mystérieux, des rapports récents indiquent que le Congo doit aux géants des matières premières Glencore et Trafigura, environ $2 milliards, et jusqu’à $580 millions à Orion Oil, société dirigée par Lucien Ebata, fondateur de Forbes Afrique et conseiller en financement extérieur (notamment concernant les négociations avec le FMI) du président Sassou Nguesso. Les accords de prêts conclus avec Glencore et Trafigura n’ont été révélés par le Congo qu’en août 2017. En 2019,l’ONG suisse Public Eye révélait que le négociant en matières premières Gunvor déjà cité avait réalisé des bénéfices considérables sur six « accords de préfinancement » dans le cadre d’une affaire prétendument corrompue dans le but de s’assurer son accès au pétrole congolais.

Les informations sont particulièrement limitées concernant l’endettement actuel du Congo-B adossé au pétrole, ce qui est contraire à sa Loi de la transparence 2017 et à ses engagements du rapport 2018 sur la corruption. Une grande partie de cette dette a été contractée par la SNPC – une boîte noire notoire. En avril 2019, de nouveaux accords de prêts relatifs à deux centrales électriques ont été cités par Publiez Ce Que Vous Payez Congo. Aucune information sur ces prêts ne se trouve dans le domaine public, il n’est donc pas clair qu’ils doivent être remboursés en pétrole ou pas.
Il y a 18 ans, le Congo-B a promis au FMI qu’il cesserait de contracter des prêts adossés au pétrole pour la première fois. Il a répété cette promesse en 2003 et de nouveau en 2009, cet engagement étant l’un des critères qui lui permettraient de bénéficier un plan de sauvetage à l’époque.

Pourtant, cette pratique semble toujours être d’actualité, les exemples cités le prouvent. Le dossier du Congo-B revient sur la table du FMI alors que le pays avait déjà vu tout ou partie de sa dette annulée en 2010 dans le cadre de « l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés » (PPTE). Dans les années qui ont suivi, le Congo a engrangé de juteux et réguliers excédents budgétaires, ce qui avait permis au pouvoir en place de clamer à tout-va avoir épargné des fonds pour les générations futures. Mais la gabegie financière des membres du clan au pouvoir est passée par là : par exemple, la Société nationale des pétroles du Congo n’a toujours pas de compte ouvert au Trésor public et les improbables accords financiers avec le gouvernement chinois ont endetté le Congo de façon considérable.

Dès 2016, le FMI avait pourtant posé des conditions de gouvernance et de transparence pour que le Congo-B puisse bénéficier à nouveau d’une remise de dette. Mais le pays n’a pas été en mesure de les remplir, en raison de l’opacité des comptes publics. Le Congo-B ne peut désormais plus faire face à ses paiements courants et se trouve dans l’incapacité de payer les salaires, les pensions des retraités, les bourses estudiantines, certains arriérés datent de plus de 36 mois. Des administrations décentralisées comme le Centre national de traitement sanguin sont fermées par manque de financement. Le pays est ainsi obligé d’importer des poches de sang d’origine douteuse avec de possibles conséquences sanitaires dramatiques. La mortalité augmente au Congo et le manque d’hôpitaux accentue les épidémies, notamment celle du VIH.

Aujourd’hui pour le FMI, « les autorités congolaises ont redoublé d’efforts en 2018 et en 2019 pour s’attaquer à la crise économique qui les a frappées et aux problèmes de gouvernance qui y sont liés ». Les négociations avaient été ralenties par le fait que les autorités du Congo-Brazzaville avaient caché une partie de la dette publique du pays. Celle-ci s’établissait à près de 120 % du PIB (8,7 milliards de dollars) et non 77 %, selon des révélations à l’époque de Radio France Internationale (RFI). Mais la dette publique totale a été ramenée en 2018 à 87,8 % du PIB, selon le FMI qui salue les bienfaits de son intervention. L’institution a souligné l’amélioration récente de la position budgétaire du pays, le solde du budget étant passé d’un déficit de 7,4 % du PIB en 2017 à un excédent de 6,8 % l’année dernière, une amélioration due à la forte expansion des recettes pétrolières, mais aussi « aux efforts notables dans la maîtrise des dépenses ». En 2017, son PIB divisé par deux avait entraîné une explosion de son taux d’endettement.

Le FMI table sur une croissance de 5% en 2019. Or le secteur bancaire reste vulnérable, a ajouté le représentant du FMI, notant l’accroissement des créances en souffrance qui ont atteint 23 % des prêts à fin décembre 2018, « en partie à cause de l’augmentation des arriérés qui ont dépassé 15 % du PIB en 2018 ». « Il sera essentiel d’adopter un plan crédible accordant une priorité au remboursement des arriérés sociaux, notamment des retraites », a insisté le FMI. Il faut par ailleurs noter que l’accord ne mentionne pas un vieux créancier du Congo-Brazzaville, la société Commissimpex, qui réclame 1,2 milliard d’euros intérêts compris pour des travaux publics remontant à 1992 !

Mais le principal sujet est ailleurs. C’est celui de la corruption. Dans ce sens, le FMI a suggéré aux autorités « de mettre sur pied la nouvelle Haute Autorité de lutte contre la corruption ». Ces dernières années, et sans doute sous la pression du FMI, le Congo a pris des mesures pour renforcer la transparence de son secteur pétrolier. Il publie maintenant un certain nombre de contrats et de rapports d’audit de sa société pétrolière nationale, la SNPC. En juin 2018, en consultation avec le FMI, il a publié un rapport sur la corruption.

En septembre 2017, une enquête d’une ONG, Public Eye, avait fait état d’affaires de corruption et de détournement de fonds présumés dans la gestion des ressources pétrolières. L’enquête pointait la responsabilité présumée de proches du président Denis Sassou-Nguesso, qui, rappelons-le, cumule trente-cinq ans au pouvoir.
En offrant son soutien à un pays dont les dirigeants sont soupçonnés de malversations à grande échelle, l’institution internationale prend des risques. « La décision du FMI d’accorder un autre plan de sauvetage à la République du Congo est un cas préoccupant d’amnésie institutionnelle et sape la nouvelle campagne du Fonds contre la corruption », a aussitôt dénoncé Natasha White de l’ONG Global Witness. « Au cours de la seule année écoulée, nous avons signalé des cas de corruption dans le secteur pétrolier du pays, davantage de dette cachée et de blanchiment d’argent allégué par des membres de la famille présidentielle », rappelle-t-elle dans un communiqué.

Le régime de Brazzaville n’a pas tiré les leçons de l‘affaire dite des « Panama Papers » qui avait révélé en 2016, l’opacité avec laquelle la richesse du pays s’évapore dans des complexes circuits financiers offshore. Pourtant, il suffirait de rapatrier les fonds placés dans le paradis fiscaux par le clan au pouvoir pour aider le Congo à sortir du marasme économique.

Contrairement à ce que dit l’opposante Claudine Munari, cet accord n’est pas « une bonne nouvelle » ;  il constitue au contraire un encouragement à la corruption.

Le Parti de Gauche estime que l’existence de tous prêts accordés par de sociétés privées adossés au pétrole et leurs modalités doit être rendue publique, ainsi que d’autres informations clés telles que les statistiques relatives à la production, aux exportations et aux ventes de pétrole, et des accords « pétrole contre infrastructures », avant que le Conseil d’administration du FMI ne signe un quelconque accord.

Le Parti de Gauche considère que sans l’exigence d’un audit approfondi des comptes publics et sans l’exigence du rapatriement des fonds investis à l’étranger et du produit de la revente des BMA, tout accord que passerait le FMI relèverait d’une trahison des intérêts du peuple congolais aux prises avec une dictature prédatrice qui s’agrippe au pouvoir.

Pierre Boutry

Déclaration de la Commission Afrique du Parti de Gauche

Laisser un commentaire