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MALI : les forces armées étrangères doivent partir

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Déclaration de la Commission Afrique du Parti de Gauche

Dès le début de l’intervention des forces armées françaises au Mali, Jean-Luc Mélenchon avait souligné que :
1 l’intervention s’est faite sans mandat de l’ONU car le mandat de l’ONU était de fait attribué à la seule Mission internationale de soutien au Mali (Misma), placée sous conduite africaine. Et non directement à l’ancienne puissance coloniale.
2 l’appel à l’aide directe du pouvoir malien actuel n’avait aucune légitimité, le chef de l’Etat français ne pouvant se prévaloir de la demande d’aide d’un « gouvernement ami » (article 51 de la Charte des Nations Unies) pour la bonne raison que le pouvoir malien était exercé depuis le coup d’Etat de mars 2012 par le capitaine putschiste Sanogo, sans qu’aucune date pour une élection promise ne soit toujours indiquée.
3 les intérêts de la France n’étaient pas en cause, la France ne pouvait justifier son engagement par la menace de ses intérêt fondamentaux (à moins de penser que les gisements miniers du Mali et des pays limitrophes constituent des intérêts propres à la France).
4 la décision a été prise sans consultation du Parlement par le seul président Hollande, non seulement sans consultation préalable du Parlement, mais même sans que le gouvernement de Jean-Marc Ayrault en ait été officiellement saisi.

Il soulignait de manière prémonitoire que le principal risque était l’enlisement. Ce risque est dorénavant avéré. Même si le principe d’un soutien aux populations africaines sous la férule d’islamistes ne saurait être remis en cause, ce soutien ne doit pas être arrogant et il ne doit pas être le prétexte à une guerre d’occupation.

Retraçons quelques étapes historiques de cet enlisement annoncé (les éléments suivants sauf la conclusion sont intégralement repris du « manifeste Demain le Mali » écrit par Aminata Traoré, Issa Ndiaye et plusieurs intellectuels maliens).

« Le Mali est bien la première victime collatérale, en Afrique subsaharienne, de la violation de la résolution 1973 du Conseil de sécurité dans le cadre de l’intervention franco-britannique en Libye, intervention qui a déstabilisé toute la zone sahélienne. Qui plus est, Jean François Bayart rapporte que « Nicolas Sarkozy a de facto coupé l’aide au développement (au Mali). Il a également contribué à l’affaiblissement de l’autorité du président Amadou Toumani Touré en exigeant de lui la signature d’un accord de réadmission des migrants clandestins, politiquement inacceptable aux yeux de son opinion publique, et en guerroyant sur le territoire malien de pair avec l’armée mauritanienne à partir de 2010, sans même toujours l’en avertir ».

Le président par intérim, Dioncounda Traoré, n’avait pas demandé de déploiement de troupes au sol, mais a dû en assumer la responsabilité. Laurent Bigot, sous-directeur Afrique de l’Ouest au ministère des affaires étrangères (2008-2013) atteste : « On leur donne les termes de la lettre qui nous conviendrait ». Elle arrive à l’Élysée par télégramme diplomatique crypté, mais ne convenait pas, « on échange avec les autorités maliennes qui nous refont une lettre dans la même journée dans laquelle le Mali demande, officiellement, le soutien militaire de l’armée française ». Quant au président Ibrahim Boubacar Keita, il était réticent à l’installation de la mission onusienne et a demandé son retrait progressif pour non-conformité de son mandat avec la nature de la menace. Le Conseil de sécurité, qui ne l’entendait pas de cette oreille, a maintenu la MINUSMA et a augmenté le nombre des casques bleus.

Le commandant de la force Barkhane, c’est-à-dire l’une des voix les plus autorisées, Bruno Guibert a déclaré, suite à l’attaque du « Super Camp » de la MINUSMA à Tombouctou le 14 avril 2018, qu’ « … il n’y aura pas de solution militaire dans ce pays ». « Que chacun abatte ses cartes, que les visages se dévoilent, de manière à savoir qui est l’ennemi de ce pays et de son peuple. Le jour où tous les acteurs politiques partageront avec la MINUSMA et Barkhane une vision commune en la matière, tout sera beaucoup plus simple » a également déclaré le patron de Barkhane (Opex360.com).

Depuis 13 ans l’Occident a multiplié les interventions militaires (Afghanistan, Irak, Libye et Mali). Résultat : en 2001 il y avait un foyer de crise terroriste central. Aujourd’hui il y en a près d’une quinzaine. L’État Islamique, est le monstre engendré par l’inconstance et l’arrogance de la politique occidentale au Moyen-Orient, un monstre qui fait des émules en Afrique avec des groupes de narcotrafiquants mafieux profitant du désordre créé par l’Occident lui-même et la France en particulier.

La seule voie possible pour en sortir est de mettre fin de façon concertée à une présence militaire étrangère inefficace, coûteuse et attentatoire à la souveraineté nationale du Mali.

Il faut donner davantage de chance à la paix entre Malien(ne)s, à la sécurité en France et en Europe en restaurant la démocratie qui a été déniée à chaque étape de la gestion de cette crise.

Rappelons qu’il n’a pas été possible non plus de récupérer les armes qui auraient pu permettre aux FAMA de résister davantage aux bandes armées et de sauver leur honneur. Cette solution couplée à un appui aérien ponctuel et sincère de la France aurait permis d’éviter l’escalade et le risque d’enlisement de Barkhane, d’autant plus que les soldats français ont libéré Tombouctou sans tirer un seul coup de feu. Les militaires maliens font figure d’éternels apprenants que l’EUTM a pour mission d’entrainer. L’Union européenne vient de prolonger de deux ans le mandat de l’EUTM en étendant son programme à la force conjointe du G5 Sahel et en doublant son budget qui est passé de 33,4 millions d’euros à 59,7 millions d’euros pour la période du 19 mai 2018 au 19 mai 2020.

La question des moyens qui n’a pas l’air de se poser au sujet de la mission européenne est chronique au niveau de la MINUSMA : la mission onusienne la plus meurtrière, en manque toujours. Son autoprotection absorbe l’essentiel de ses ressources. Et pourtant, comme pour l’EUTM, le mandat de la MINUSMA sera renouvelé. Composée de 5.000 soldats, la force conjointe du G5 Sahel est soutenue par Barkhane dont le chef explique que « … Hormis ce qu’a donné la France sous forme d’équipements, il n’y a pas grand-chose qui a été fait. Cette force conjointe n’a même pas de budget de fonctionnement. Ils manquent de tout. Comment voulez-vous créer la logistique d’une force dont les armées constitutives sont elles-mêmes dépourvues ? C’était un leurre de croire que ce serait rapide, et que ça se ferait sans un tuteur fort ». Qu’est-ce que c’est un tuteur fort ? Selon Pierre Conesa «…Barkhane est un gouffre financier qui se creuse avec régularité. Il reste à mentionner que ces guerres sont, pour l’essentiel, des échecs et, quand elles ne le sont pas, elles s’inscrivent dans une durée imprévisible.» (Le coût exorbitant des guerres de la France. Pierre Conesa www.liberation.fr-16/03/15).

Une solution politique véritablement malienne exige un ancrage social et culturel solide. Le Mali est en mesure de relever ce défi. Mais dès 2013, il a été interdit de parler avec les djihadistes. « Je sais qu’il peut y avoir une tentation de mener des négociations. Négocier avec les terroristes ? Il ne peut en être question. Toute perte de temps, tout processus qui s’éterniserait ne pourrait faire que le jeu des terroristes » selon le président François Hollande (le 26 septembre 2012). Les maliens ne doivent pas négocier avec les terroristes mais ils ne doivent pas parler non plus entre eux !

L’accalmie obtenue par le président malien – qui a mis à contribution les familles fondatrices de Bamako et les chefs religieux face à l’ampleur du mouvement « An tè a banna »- a été désavouée par la « communauté internationale ». À New-York, en septembre 2017, lors d’une réunion ministérielle en marge de l’Assemblée générale, le Secrétaire général des Nations-Unies a souligné, entre autres, que le report du référendum sur la révision constitutionnelle, « s’il est utile, pour désamorcer les tensions, retardera encore la mise en œuvre de certaines dispositions de l’accord de paix qui nécessitent des modifications constitutionnelles ».

Faut-il rappeler, s’agissant du développement, qu’Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI), Ansar Dine, le Mouvement pour l’Unicité, le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) comme le Mouvement National pour la Libération de l’Azawad (MNLA) se sont implantés dans les trois régions du nord pendant que l’État et ses partenaires techniques et financiers, Banque mondiale, Banque Africaine de Développement (BAD), ONU, USA, UE, exigeaient moins d’État, la privatisation des entreprises publiques et le recouvrement des coûts des secteurs aussi essentiels que l’éducation, la santé, l’eau potable et l’assainissement ? Le système néolibéral a mis en péril le tissu économique et la cohésion sociale et créé les conditions de l’exode forcée, du djihadisme, du narcotrafic et leur corollaire : les violences à l’endroit des femmes. Le coton est un cas d’école.

La solution politique malienne ne saurait se limiter à la bonne organisation de l’élection présidentielle en 2018 et à la mise en œuvre de la totalité de l’Accord de paix d’Alger. Ce n’est pas l’Accord d’Alger mais l’Accord de Paris sur le climat et la démilitarisation du Sahel qui garantiront durablement la paix et la sécurité au Mali et en Afrique, à la France et à l’Europe. C’est une alliance entre toutes les forces vives, toutes les bonnes volontés de part et d’autre de la Méditerranée qui feront des êtres humains et l’écologie le centre du développement durable.

Les revenus substantiels que les artisans touareg, dogon, peulh, bamanan tiraient du tourisme et de l’artisanat n’existent plus, le Mali étant déclaré zone à risque par la France bien avant 2012. Les communautés agricoles et pastorales qui s’affrontent de plus en plus au centre du pays, tout comme les jeunes qui saisissent la perche du djihadisme ou du narcotrafic quand ils n’émigrent pas, sont des laissés-pour-compte d’un modèle de développement économique non conforme à leurs besoins et source d’insécurités économiques, alimentaires, sanitaires, sociales, émotionnelles et environnementales.

Ce n’est pas l’Alliance pour le Sahel, fondée sur les mêmes pratiques néolibérales qui garantira du travail aux jeunes, de l’eau, des terres agricoles et des pâturages aux agriculteurs et aux éleveurs. La « bonne gouvernance » qui est sur toutes les lèvres n’a rien à voir avec la qualité de l’Etat, du leadership et des services publics accessibles pour le plus grand nombre. Il s’agit dans le cadre du capitalisme mondialisé, de réformes qui rassurent les grandes entreprises souvent étrangères, de privatisations, de déréglementation, et de la libre circulation des capitaux.

La collusion des intérêts entre acteurs politiques et milieux d’affaires est quasi permanente. Ils ont le même agenda. Quand on ne crée pas un parti, on crée une entreprise et, parfois, les deux. Il n’y a de possibilité d’enrichissement facile et rapide qu’à travers les postes électifs et nominatifs qui donnent accès aux marchés publics et aux financements extérieurs. Et il ne coûte rien à personne de s’autoproclamer entrepreneur(e), quitte à sous-traiter avec ceux et celles qui ont les compétences requises mais pas de réseaux.

Issa N’Diaye déclare : « Nous avons, face au Capital, le même destin. Nous devons tisser une solidarité de combats entre peuples du Nord et du Sud, entre femmes et hommes, entre jeunes et vieux, entre Humains». Le Mali a juste précédé la France dans la privatisation du rail et de la compagnie d’aviation. Les cheminots, les usagers et les habitants des localités qui longent le chemin de fer Dakar/Niger ont souvent été basculés dans la pauvreté et l’extrême précarité. La région de Kayes d’où la majorité des émigré(e)s malien(ne)s en France sont originaires, est au cœur de cette problématique ».

Le Parti de Gauche réaffirme que des alternatives à la dépendance économique, monétaire, militaire, culturelle existent et que leur mise en œuvre dépend de la volonté des acteurs ; des assises nationales souveraines entre maliens pour décider librement de leur avenir sans ingérence et diktat extérieur en seraient la matrice.

Le Parti de Gauche constate le nombre important de candidats à élection présidentielle qui totalisent une somme considérable de connaissances, d’expériences et de compétences qui pourrait contribuer à sauver véritablement et durablement le Mali ; des espaces de débats citoyens pourraient contribuer, à l’occasion de cette élection, à l’instauration d’un climat social serein et la réduction du déficit de connaissance et de dialogue face à l’impasse économique, militaire et sécuritaire dans laquelle se trouve le Mali.

Le Parti de Gauche engage le gouvernement français à reconsidérer sa politique sécuritaire en Afrique et en particulier au Mali afin de créer, à travers un dialogue constructif, les conditions d’un retrait concerté des forces armées.

Pierre Boutry

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