Le décès du dictateur tchadien Idriss Déby en Avril a déclenché une vague d’hommages de Bruxelles. Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, a tweeté le deuil d’un «allié dans la lutte contre le terrorisme » ; Josep Borrell, Haut représentant de l’Union Européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a salué une « personnalité politique historique dont les efforts en faveur de la sécurité régionale ont été durables et solides ». Quant à Macron sa décision de mettre fin à Barkhane cache en fait un transfert à l’UE du maintien de l’ordre néo-colonial au Sahel. De fait 2000 soldats français vont rester et Tabuka va être mis en place avec des « forces spéciales », le tout avec l’aide de l’OTAN à travers son instance logistique NSPA qui a déjà œuvré en Afghanistan entre autres. Ce lien UE/OTAN nous ne cessons de le dénoncer comme un risque majeur d’engagement de notre pays dans des guerres qui ne sont pas les siennes.
Tout ceci coïncide avec un changement majeur dans la politique internationale de l’UE. Pour la première fois de son existence, l’UE s’est donné le droit d’armer des gouvernements comme celui de Déby, avec la création d’un fonds de 5 milliards d’euros sur sept ans. Ce nouvel instrument se nomme Facilité européenne pour la paix (European Peace Facility, EPF), et prétend se justifier par la lutte contre le terrorisme, la protection des civils et la stabilisation des États fragiles.
En 2019, lors de la mise en débat de l’EPF, de nombreuses organisations internationales ont exprimé leurs inquiétudes dans une lettre au conseil des affaires étrangères de l’UE. Elles n’ont pas été entendues : la décision de principe a été validée fin 2020 et la mise en œuvre a démarré.
La décision de fournir des armes constitue un changement fondamental dans les objectifs affichés de politique étrangère de l’UE : de la promotion de la paix au droit de renforcer la capacité de combat des États répressifs et des forces de sécurité qui n’ont pas de comptes à rendre, avec le risque supplémentaire que ces armes soient détournées au profit de factions diverses, comme l’attestent des exemples dans les interventions précédentes de l’UE.
Il faut être clair : cette nouvelle doctrine de l’UE est purement et simplement la volonté de mise en œuvre d’une politique néocoloniale. Et tant pis si certains états membres sont réticents à s’engager dans une aventure militaire.
L’UE s’est progressivement impliquée de façon partisane dans des conflits régionaux, très au-delà de missions de « maintien de la paix », au nom de l’antiterrorisme et de la lutte contre l’immigration, par la fourniture d’équipements, et la formation militaire. En particulier, l’UE a alloué environ 1,3 milliard d’euros aux missions d’« assistance à la sécurité » au Sahel depuis 7 ans : formation malienne de forces antiterroristes, renforcement des autorités de sécurité aux frontières tchadiennes, fourniture de véhicules blindés, de drones, de bateaux, d’avion et d’équipement de contrôle des foules.
L’EPF marque le franchissement d’un pas qualitatif avec la volonté de projeter directement une « puissance dure» pour influencer les conflits internationaux en particulier dans les régions proches de ses frontières, telles que l’Europe de l’Est et l’Afrique, avec une focalisation immédiate sur le Sahel. Les déclarations de Josep Borrell sont sans ambiguïté : «Pour faire taire les armes, malheureusement, nous avons besoin d’armes à feu. Nous n’allons pas empêcher les terroristes de tuer des gens simplement en prêchant. Nous avons besoin d’armes. Nous avons besoin de capacités militaires et c’est ce que nous allons fournir, pour aider nos amis africains. Parce que leur sécurité est notre sécurité».
Les raisons profondes de cette décision sont évidemment géostratégiques, avec le basculement de plus en plus affirmé de l’UE vers un ultra-atlantisme et la pression des Etats-Unis pour une augmentation des budgets militaires européens. De ce point de vue, la focalisation immédiate sur l’Afrique ne doit pas cacher le risque de futures cibles continentales, aux frontières de l’Europe et de la Russie.
L’EPF cible dans un premier temps des pays dont la France est l’ancienne puissance coloniale. Aujourd’hui engluée au Sahel dans une guerre dont les prétextes anti-djihadistes deviennent de plus en plus indéfendables, la France cherche une légitimation internationale. Rappelons qu’en 2014, sous la pression de la France, les gouvernements de cinq États africains (Mauritanie, Niger, Tchad, Burkina Faso, Mali) avaient décidé de créer le G5 Sahel officiellement, pour coordonner leur action en faveur du « développement économique » et dans la « lutte contre le terrorisme ». En réalité, il s’agissait avant tout de créer une structure de coordination militaire étroitement liée au « donneur d’ordre », en l’occurrence Barkhane, le bras armé de l’intervention française au Mali et dans le Sahel.
Macron a été tout particulièrement engagé pour l’EPF depuis le lancement de l’idée en 2018 par Federica Mogherini, la prédécesseur de Josep Borrell. Florence Parly, ministre de la Défense, a naïvement explicité la vision purement impérialiste de son président : un « grand jeu » à somme nulle. A propos de la situation en République centrafricaine, dont le gouvernement utilise des entreprises de sécurité russes pour combattre un mouvement rebelle, elle a déclaré : «si vous voulez valoriser ce que vous faites, vous devez vous admettre que nous sommes dans un monde difficile (…) Sinon, si vous laisser l’espace vide, il sera immédiatement rempli par d’autres puissances. »
Transférer à l’UE la politique néo-coloniale des gouvernements français successifs est peut-être habile de la part de Macron qui pourra s’abriter derrière de pseudo-décisions prises en dehors de tout processus démocratique par ce monstre froid au service du capital qu’est depuis ses débuts l’UE, mais cela ne fera que faire perdurer une politique impérialiste au détriment des peuples africains.
Une politique impérialiste qui répond à trois objectifs : comme toujours, renforcer la domination des oligopoles européens sur ces pays de chasse gardée, s’opposer à toute révolution citoyenne issue des peuples de ces pays comme ce qui se passe actuellement au Mali, s’opposer à la présence et à la concurrence d’autres puissances impérialistes en l’occurrence La Russie et la Chine qui prétendent à un nouveau partage de l’Afrique.
Une politique impérialiste qui alimente les groupes armés réactionnaires qu’ils soient religieux ou criminels. Une politique impérialiste qui méprise les vrais souhaits des peuples pour leur souveraineté.
Le Parti de Gauche attire l’attention de tous les progressistes africains sur cette dérive sournoise de l’UE qu’il faut dénoncer haut et fort.
Faut-il encore le préciser ? Il n’est évidemment pas question d’abandonner les peuples sahéliens mais de les accompagner dans une logique de démocratisation réelle et d’accession à la vraie souveraineté selon un plan concerté. Il ne faut compter ni Macron ni l’UE pour engager une telle bifurcation de notre politique étrangère. Seul un gouvernement de gauche que nous appelons de nos vœux peut là comme dans d’autres domaines nous faire vivre un avenir en commun différent. Le vote des franco-africains à la prochaine élection présidentielle française peut de ce point de vue être déterminant. Nous en reparlerons.
Pierre Boutry
Déclaration de la Commission Afrique du Parti de Gauche